Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Réévangéliser l'Occident : un objectif des catholiques nigérians

IMPRIMER

De Matthieu Lasserre, envoyé spécial à Jos et Abuja (Nigeria) sur le site de La Croix :

« C’est notre mission de raviver la foi » : l’Église catholique du Nigeria veut réévangéliser l’Occident

Reportage

L’Afrique, avenir de l’Église catholique ? Cet été, La Croix part à la rencontre de ce continent, laboratoire du catholicisme de demain, et de ses propres enjeux. (1/6) Aujourd’hui, premier volet de cette série au Nigeria, où les catholiques, en pleine croissance, ne cachent pas leur ambition de devenir les missionnaires du XXIe siècle face à un Nord global de plus en plus sécularisé.

19/07/2024

Akeelah Jr. Framinchi s’impatiente. « Viens vite, la messe commence dans quelques minutes ! » Âgé de 24 ans, le jeune homme s’est désigné comme le guide attitré de ce séjour de quelques jours à Jos, dans l’État de Plateau, au centre du Nigeria. Il enfile en vitesse une paire de Converse All Star noires et s’élance dans le dédale des maisons en pierre de son quartier. Sur sa lancée, il slalome entre les habitations, navigue entre des voitures d’un autre âge et les nuées de mototaxis.

Sur le trottoir d’en face, l’église Saint-Louis est pleine à craquer en ce jeudi soir d’avril. « Ici, c’est comme ça, les gens sont très religieux, alors il faut venir en avance », tance-t-il gentiment. De toute l’Afrique, le Nigeria est, avec le Kenya, le pays qui affiche la plus forte participation de catholiques à la messe. Il ne reste plus qu’un banc caché derrière un pilier au fond de l’édifice. Tant pis, il fera l’affaire. Les pieux retardataires – nombreux, eux aussi – resteront debout de chaque côté de la nef, le dos au soleil. La moitié de l’assemblée est composée d’enfants. L’Église profite de l’essor démographique du pays : de 219 millions d’habitants en 2021, le Nigeria pourrait devenir dans une vingtaine d’années le troisième pays le plus peuplé au monde, avec 350 à 400 millions d’habitants.

Une Église dynamique

La procession s’avance, au rythme des percussions et des chants entraînants, qui ne laissent aucune chance au silence. La liturgie conserve cependant une certaine solennité : la communion se fait à genoux aux bancs situés autour de l’autel, la chorale reprend quelques chants en latin. Durant l’homélie, Akeelah tape frénétiquement sur son téléphone pour retranscrire les mots du prêtre. Ce mélange dit beaucoup de cette jeune Église héritière de la tradition catholique mais qui s’enracine dans son terreau culturel africain.

Le nombre de catholiques oscille entre 20 et 30 millions, soit 10 à 15 % de la population, selon les estimations. Faute de recensement, impossible d’établir des statistiques plus précises. La région de Jos est majoritairement chrétienne ; le diocèse jauge à 30 % la proportion de fidèles. Et leur nombre ne cesse de croître d’année en année, comme dans de nombreux pays d’Afrique : le continent trône en tête du nombre de fidèles dans le monde.

À lire aussi : Les violences contre les chrétiens ont atteint un « nouveau pic » selon l’ONG Portes ouvertes

À la sortie de la messe, Emmanuel Duru Ifeangi, l’un des rares paroissiens ayant troqué le caftan, le vêtement traditionnel, pour un maillot de football, s’avance, souhaite la bienvenue et sonde les premières impressions de son interlocuteur. Pour un Français qui a grandi dans une société en pleine sécularisation, pareille pratique religieuse ne peut que surprendre. Satisfait de l’effet produit, le trentenaire, employé dans l’encadrement de la jeunesse, veut croire que le « zèle » des catholiques nigérians peut « inspirer le monde entier ».

À ses côtés, une religieuse ajoute : « Même le pape François dit que l’Afrique est l’avenir de l’Église ! » La phrase, prononcée en réalité par Jean-Paul II, est répétée par les fidèles de Jos qui croient dur comme fer à une prise de pouvoir de la périphérie africaine dans l’Église universelle. Et quand on souligne le nombre d’enfants de tous âges présents dans l’église, la réponse fuse : « Nous ne les laissons pas s’éloigner de la foi lorsqu’ils grandissent, répond non sans orgueil Emmanuel Duru Ifeangi. Que ce soit grâce à un club de théâtre, des soirées pour les plus âgés ou des ateliers de toutes sortes, nos programmes les accompagnent jusqu’aux questions sur la vocation. »

« Boom » des vocations

Les vocations ? Elles sont sans doute le signe le plus tangible du dynamisme de cette jeune Église. Le lendemain, direction le séminaire majeur Saint-Augustin, l’un des 16 séminaires diocésains du Nigeria. Un séminariste nous précède vers les bureaux de l’administration. « Don Giuseppe ? Don Giuseppe ? », appelle-t-il son responsable. L’usage de l’italien pour chercher le vice-recteur, le père Joseph Gotus, n’est pas un effet de style. C’est dans la langue du Vatican que certains responsables d’Église sont désignés, en écho aux usages de la Curie dont ils admirent la verticalité et l’organisation. « Le Vatican aime bien le Nigeria car nous sommes plus romains que les Romains », me confiera plus tard un prêtre. Le père Gotus, trapu, un œil aveugle, se laisse lourdement retomber sur son siège. Devant lui sont étalées des piles de copies bleues. « Matière : bioéthique », peut-on déchiffrer en anglais à l’encre noire.

« Venez, je vais vous faire visiter », relève le responsable. L’atmosphère est étrangement calme au-dehors ; la chaleur accentue l’impression d’immobilité. Mais lorsqu’il pousse la porte de l’auditorium, on comprend immédiatement pourquoi l’Afrique peut se permettre d’envoyer des renforts sur le Vieux Continent. Dans cette pièce immense, des dizaines de séminaristes en rang d’oignons écoutent distraitement un professeur. Rassemblés ainsi, ils donnent l’impression d’un régiment en caserne. « Il y a 354 élèves ici, dont une cinquantaine pourrait être ordonnée cet été, devance le père Gotus, très amusé par cette démonstration de force. Chez vous, il y a de moins en moins de prêtres, mais ici nous ne pouvons même pas tous les ordonner ! » Faute de place, de moyens et de besoins. L’Afrique est d’ailleurs le seul continent au monde qui enregistre une hausse constante et appuyée du nombre de vocations, selon les données annuelles publiées par Rome.

À lire aussi : Au Nigeria, des élèves renvoyés d’une école catholique pour homosexualité

Poursuivant sa marche, le père Gotus se félicite du « boom » des vocations qui concerne tout le pays. Avant de nuancer : « Peut-être que la stabilité de la prêtrise attire certains jeunes hommes dans notre contexte de crise économique et sécuritaire très dure… » Lui-même ne cache pas son incrédulité en apprenant que 88 prêtres ont été ordonnés l’an passé en France. « Dans tout votre pays ? C’est l’équivalent d’un seul de nos séminaires certaines années ! », s’exclame-t-il, stupéfait. Ses chiffres auraient en effet de quoi donner le tournis à ses homologues français. Les séminaires nigérians interdiocésains comme celui de Jos abritent tous « au moins 200 étudiants ».

Missionnaires pour un Occident déchristianisé

Ces derniers sont conscients qu’ils représentent l’avenir démographique du catholicisme mondial, et la fierté se lit sur les visages. Désirent-ils s’envoler pour l’Europe ? Emmanuel Echo, 32 ans, prend un instant de réflexion. « La foi nous est venue d’Occident et se propage ici à grande vitesse, tandis qu’elle s’éteint en Europe et en Amérique. C’est notre mission d’être envoyés là-bas pour la raviver », estime-t-il. Il relaie ainsi un discours ambiant, intériorisé dès le séminaire, qui place les prêtres africains, désormais, en missionnaires du XXIe siècle. Quand bien même certains diocèses d’Afrique affichent leurs réticences à l’idée de faire appel aux prêtres nigérians, mettant en avant des lacunes dans la formation…

Comment tous ces fidèles expliquent-ils leur croissance, quand le catholicisme décline de l’autre côté de la Méditerranée ? Je quitte Jos et mon ami Akeelah pour Abuja, la capitale, à l’invitation de l’Association nationale des théologiens. Dans une salle des locaux de la conférence épiscopale, une trentaine de théologiens, des prêtres, des catéchistes et une poignée de religieuses interrompent leurs échanges pour répondre à quelques questions, intrigués par la présence d’un journaliste français. Leurs propres interrogations reflètent l’image qu’ils se font d’un Occident décadent, qu’il est de leur devoir de rechristianiser. « C’est vrai que vos églises se transforment en mosquées ? », s’inquiète sœur Chibugo, religieuse de la congrégation nigériane des Filles de l’Amour divin.

À lire aussi : Prêtres africains en Occident : « Zèle ou business missionnaire ? »

« Chez nous la foi se transmet car nous enseignons la doctrine », ajoute avec aplomb la religieuse qui doute, visiblement, de la réponse qu’elle reçoit, et vante la dynamique locale. Autour d’elle, on opine du chef devant cette explication aussi sommaire qu’efficace. « On offre au monde la simplicité de la foi, énonce le père Victor Jamahh Usman, du diocèse de Minna (au nord-ouest d’Abuja). Vous (l’Ouest, NDLR) avez trop pensé, trop théorisé et elle est devenue complexe pour les gens. Nous, nous disons que Dieu a créé les choses telles qu’elles sont, et qu’on ne doit pas les questionner. » Un anti-intellectualisme étonnant de la part de la fine fleur des théologiens. En voulant à tout prix prendre le contrepied d’une Église européenne sur le déclin, dans des sociétés dont ils réprouvent les mœurs, leur grille de lecture n’empêcherait-elle pas de pousser la réflexion sur leurs propres problèmes, comme celui de la qualité de la formation ou du cléricalisme ? Ces problématiques, à l’instar du célibat sacerdotal ou de la place des femmes, sont encore largement ignorées et passées sous silence.

Le temps d’un pape africain ?

Croissance des fidèles, explosion des vocations : par le nombre, le Nigeria contribue indubitablement à l’évangélisation. Mais le pays est-il suffisamment reconnu dans l’Église tout entière ? Est-il seulement déjà mûr pour répondre à ces enjeux ? Sur le parvis de l’église de Kubwa, à quelques kilomètres de la capitale, les fidèles, révérencieux, jouent des coudes pour espérer serrer la main de Mgr Ignatius Kaigama, archevêque d’Abuja, venu célébrer une messe de confirmation de 274 enfants. Autour de l’édifice, des civils armés assurent la sécurité. Des religieux sont régulièrement enlevés au Nigeria, en particulier dans le nord du pays, par des groupes terroristes ou des organisations criminelles.

Après la messe, qui aura duré près de quatre heures, Mgr Kaigama s’attable à la place d’honneur, entouré des notables de la ville, un geste tant d’hospitalité que de reconnaissance de son autorité dans la communauté. Son pays, évangélisé à la fin du XIXe siècle, est-il suffisamment représenté, à ses yeux, dans la hiérarchie de l’Église universelle ? En cas de conclave, le Nigeria ne compterait, à ce jour, qu’un seul cardinal électeur. Pour l’archevêque, rien ne sert de courir. « Nous sommes encore de trop jeunes chrétiens pour assumer une charge importante, tempère-t-il. Nous avons la vigueur de la jeunesse, mais pas la sagesse et la culture ecclésiales. » De la même manière, poursuit-il, le temps n’est pas venu d’un pape africain, à l’opinion trop tranchée pour « préserver l’unité de l’Église catholique » agitée par des tendances contraires, notamment sur les questions de morale sexuelle.

À lire aussi : Des catholiques plus nombreux dans le monde

Cette immaturité se traduit, selon lui, par une confusion entre la hiérarchie catholique et une organisation politique. Il montre sur son téléphone des messages reçus d’un fidèle. Hospitalisé, celui-ci envoie à l’évêque ses coordonnées bancaires. « Les gens voient toujours l’Église comme un gouvernement qui peut leur donner de l’argent, déplore-t-il. Ils ne comprennent pas bien son rôle. » Cette incompréhension de l’organisation catholique l’inquiète légèrement. Car, profitant de la paupérisation du pays, des Églises pentecôtistes attirent depuis trois décennies de plus en plus de catholiques séduits par un discours décomplexé sur l’enrichissement. « Ce n’est pas une compétition entre chrétiens, assure-t-il, mais des gens partent. » Au Nigeria, derrière une croissance d’apparence irrésistible, le catholicisme commencerait-il à perdre du terrain face à cette nouvelle génération d’Églises évangéliques ?

-----

Une minorité de Nigérians catholiques

La majorité des Nigérians est musulmane de tradition sunnite. L’islam, la religion d’environ 55 % des habitants du pays, est principalement implanté dans la moitié nord du pays.

La charia est en vigueur dans une douzaine d’États de ce pays fédéral. La hisba, une police islamique, veille à son application dans plusieurs villes.

Les chrétiens forment près de 43 % de la population, dont plus de 60 % sont des protestants évangéliques. Catholiques et anglicans forment chacun quelque 20 % des chrétiens nigérians, selon des estimations.

Une infime minorité de Nigérians restent fidèles aux religions traditionnelles africaines : fétichisme, animisme, etc. Il existe également des croyances propres au Nigeria, comme la religion yoruba, propre au peuple éponyme majoritaire dans l’ouest du pays, qui s’est exportée dans les Caraïbes et en Louisiane avec la traite négrière sous diverses formes du vaudou.

Le chrislam, une religion syncrétique mêlant christianisme et islam, s’est également développé dans la nation yoruba, dans le sud-ouest du pays.

-----

« Nous connaissons les risques… » Des vocations peu affectées par les persécutions

Le clergé catholique – tout comme les pasteurs protestants – fait l’objet de persécutions régulières au Nigeria. En 2023, près d’une trentaine de prêtres ont été enlevés à travers le pays, dont la plupart dans les zones septentrionales où opèrent les groupes djihadistes, qui exigent une rançon pour leur libération. « Nous sommes des cibles, mais cela ne nous effraie pas, assure un séminariste du diocèse de Jos. Nous connaissons les risques, nous sommes prêts à donner notre vie et à accomplir la volonté de l’Église. » Les diocèses refusent désormais de payer pour la libération des prêtres, dont certains sont toujours portés disparus. « Les évêques restent fermes, mais la charge financière de la rançon retombe sur les familles », ajoute ce même séminariste. Selon un classement établi par l’ONG évangélique Portes ouvertes, le Nigeria occupe le sixième rang des nations dans lesquelles les chrétiens sont le plus persécutés dans le monde.

À découvrir : Persécution au Nigeria : un séminariste brûlé vif, un autre enlevé

Les commentaires sont fermés.