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Un droit au blasphème ?

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De Patrick de Pontonx :

29 juillet 2024

UN DROIT AU BLASPHÈME ?

I.- L’actualité avait déjà fait ressortir, à l’occasion du procès lié à l’attentat contre les journalistes de Charlie-Hebdo, la problématique de l’affirmation de ce droit. Emmanuel Macron s’en était fait le promoteur, comme lors de l’affaire Mila, en février 2020. Il avait alors identifié ce droit à celui de critiquer les religions, en affirmant que « la liberté de blasphème est protégée ». Il avait même rattaché cette dernière, plus curieusement, « à la liberté de conscience ». Les récents épisodes blasphématoires de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques ont réactualisé cette question.

La pratique du blasphème, certes, n’est pas punie par la loi ; cependant, elle n’est pas non plus protégée, n’en déplaise à M. Macron, et cela pour une bonne raison : c’est que le droit de blasphémer n’existe pas.

Son identification à la « liberté de conscience » ou à la « liberté de critiquer les religions » n’a aucun fondement.

La première, qui a valeur constitutionnelle en droit français, est associée au libre exercice des cultes et à la protection des droits de chacun à opérer des choix personnels selon sa conscience et ses convictions religieuses. Cela n’a rien à voir avec le blasphème.

La seconde se rattache à la liberté d’expression. Elle aussi a un caractère constitutionnel, mais elle n’est jamais sans limites en dépit de l’importance majeure qui lui est reconnue dans une société démocratique. Elle est notamment limitée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui définit les délits tels que la diffamation, l’injure ou encore la provocation à la haine. Elle l’est aussi par la nécessité de respecter la dignité de la personne humaine ainsi que la réputation et les droits d’autrui.

On conçoit aisément, dans le cadre d’institutions laïques, que soit reconnu un droit d’exercer la religion de son choix, de croire ou de ne pas croire à ce que l’on veut, et de critiquer par conséquent les religions. La reconnaissance de ces droits est cohérente puisque ces derniers procèdent d’une liberté de pensée, de conscience et de religion constitutionnellement garantie. Cette reconnaissance, dans un État laïc, va de pair avec le refus de faire du « sacré » une limite d’ordre public à l’exercice de ces droits.

II.- Néanmoins, la pratique du blasphème a une nature telle qu’elle ne peut pas être reconnue comme un droit. Le mot « blasphème », en effet, a une double signification.

En premier lieu, en son sens étymologique, le mot « blasphème » désigne l’action de « parler » [phemi] pour « offenser » [blapto]. Sous ce rapport, il manifeste une intention maligne qui se rattache davantage à la mauvaise foi qu’au droit. Ainsi entendu, le blasphème répugne autant à l’exercice légitime de la liberté de conscience qu’à l’exercice légitime de la critique d’une religion puisqu’il se propose premièrement de blesser publiquement autrui.

En second lieu, en son sens communément reçu, ainsi que l’observait saint Augustin, le blasphème, quelles qu’en soient les modalités et les extensions, désigne « une parole injurieuse envers Dieu » (Des mœurs des manichéens, L. II, chap. 12). La tradition catholique, en particulier, conserve ce sens, cette fois rattaché au sacré (Catéchisme de l’Église catholique, n° 2148).

Dès lors que l’on parle bien de « blasphème », et non pas d’un autre propos critique, son caractère offensant lui est intrinsèquement attaché. Ce caractère ne peut lui être ôté sans vider le terme de son sens. Si l’on parle donc de « droit au blasphème », on parle de liberté juridiquement reconnue d’offenser autrui, directement ou dans ses croyances, ou d’offenser Dieu.

Le droit d’offenser Dieu, dans un système laïc qui n’en reconnaît pas l’existence, est paradoxal. En réalité, il consiste toujours à offenser une certaine catégorie de personnes dans leur croyance en Dieu. On n’imagine guère que Charlie Hebdo ou les organisateurs de l’ouverture des Jeux olympiques s’attardent à faire des caricatures de licornes, auxquelles ils ne croient pas davantage, parce qu’il n’y a pas, derrière cette représentation mythique, un public susceptible d’en être blessé.

La justification du « blasphème » par la liberté de critiquer les religions est irrecevable. Outre que la critique rationnelle d’une religion, qui a toujours existé, n’a jamais requis le blasphème, cette tentative de justification fait mine d’ignorer le contenu injurieux de ce dernier.

D’un point de vue juridique, le « droit de blasphémer » n’est rien d’autre que la libre faculté d’offenser volontairement autrui dans ce qui est pour lui le plus sacré. Sous ce rapport, il introduit au cœur du système juridique la légitimation d’un abus du droit de s’exprimer que ce système condamne pourtant pénalement par ailleurs.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes dans une société qui se prétend « inclusive » et respectueuse « de toutes les différences ». Un paradoxe qui n’est cependant pas un frein pour ceux qui le provoquent. Le « droit au blasphème » repose en effet, en définitive, sur une discrimination idéologique entre ceux qui doivent être respectés (la pseudo « communauté homosexuelle », par exemple) et ceux qui ne méritent pas de l’être (les croyants en général, et spécialement les catholiques).

Aussi n’est-il pas étonnant que M. Thomas Jolly, directeur artistique de la cérémonie d’ouverture des jeux, après avoir offensé gravement les catholiques par son spectacle, ait pu indiquer, dans ses prétendues excuses, qu’il avait entendu faire une « cérémonie qui réconcilie ». Une réconciliation qui n’inclut pas ceux que l’on choisit d’offenser pour complaire à des lobbies.

On objectera peut-être aussi que la critique d’une religion est toujours exposée à ce que ses fidèles s’en trouvent offensés. Certes. Cependant il s’agit là d’un effet accidentel de la critique, tandis que l’offense qui résulte du blasphème est directement recherchée et provoquée.

III.- L’occasion est apportée de rappeler ici que le « droit » désigne ce qui est juste. Or ce qui caractérise la justice, à la différence de toutes les autres vertus, c’est qu’elle consiste dans une relation à autrui, et non pas dans une relation à soi-même.

Le droit implique ainsi la prise en considération de cet autrui, croyant ou non. Il implique aussi, en particulier, la prise en compte des valeurs spirituelles auquel il se rattache. C’est cela que l’on appelle à proprement parler le « respect », qui est aussi une relation : l’attention à ce que les autres sont. Voilà pourquoi, en particulier, le droit à la liberté d’expression est articulé à l’obligation de « respecter » la réputation d’autrui.

Une prétention destinée à satisfaire uniquement des désirs plus ou moins dégénérés ne peut pas être un droit. De tels « droits » prétendus sont ceux que revendiquent les tyrans et les enfants capricieux ; ils sont fondés sur le mépris des autres.

Il n’en est pas autrement du prétendu « droit au blasphème », qui repose sur une frustration religieuse déchaînée contre des croyants. Il manifeste l’échec de la raison. Par leur violence volontairement « blasphématoire », des journalistes ou des caricaturistes se font une coquetterie mondaine de leur vulgarité, qu’ils assimilent à la manifestation courageuse d’une transgression. Il n’en est pas autrement des organisateurs et des acteurs du spectacle qui a été infligé à des milliards d’individus à l’occasion de l’ouverture des Jeux, leur « transgression » étant ici, de surcroît, sans risque et grassement rémunérée. Le « droit au blasphème » est, pour celui qui s’en prévaut, une prétention à ne voir opposer aucune limite à son agressivité d’expression en matière religieuse, non seulement par hostilité à cette matière, mais aussi aux personnes qu’il cherche à souiller et à blesser.

Dans cette mesure, le « droit au blasphème » ne peut pas avoir raison de droit, si ce n’est par abus de langage. Beaucoup de prétendus « droits » modernes relèvent il est vrai de cet abus, par inversion du sens de la justice. Ils ne consacrent pas ce qui est juste à l’égard d’autrui ou à l’égard de la société ; ils procèdent de la satisfaction apportée par la loi à des caprices individualistes alimentés et exacerbés, fût-ce contre l’intérêt de tous et le sens commun lui-même, par des modes, des lobbies, des idéologies et tous les artifices de manipulation de notre époque.

Le « droit de blasphémer », en conclusion, n’est rien d’autre qu’une de ces protestations creuses et malfaisantes que l’homme moderne aime tant à clamer pour se donner des airs de liberté, d’indépendance, de modernité et même d’impunité au milieu des ruines qu’il accumule.

Prenons garde de ne pas avoir la faiblesse de le considérer nous-mêmes comme un droit.

Patrick de Pontonx
29 juillet 2024

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