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Tout sauf synodale : la curieuse Église que veut le Pape François

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De Sandro Magister sur Settimo Cielo (en français sur diakonos.be) :

Tout sauf synodale. La curieuse Église que veut le Pape François

Trois ans de discussions interminables, avec en guise de cerise sur le gâteau un document final qui ne l’est même pas. Voilà le synode voulu et imaginé par le Pape François avec l’intention de refonder l’Église comme Église du peuple, appartenant à tous les baptisés.

Difficile de dire quelle sera la suite. Le Pape François a expurgé ce dernier synode toutes les questions qui fâchent pour les déléguer à des commissions qui en discuteront jusqu’au printemps prochain. Ensuite, c’est lui qui décidera quoi faire.

Mais ce qui est certain, c’est qu’en attendant, il a radicalement modifié la forme des synodes.

Nés sous Paul VI dans la foulée du Concile Vatican II avec l’intention de mettre en œuvre un gouvernement plus collégial de l’Église, dans lequel les évêques seraient périodiquement appelés pour consultation par le successeur de Pierre, les synodes ont constitué, jusqu’au terme du pontificat de Benoît XVI, des moments révélateurs des orientations de la hiérarchie de l’Église sur les questions qui étaient examinées l’une après l’autre.

Comme pour le Concile, les discussions se déroulaient presque toujours en assemblée plénière, où chacun pouvait parler et écouter les autres. Le synode était quant à lui à huis clos mais chaque jour, « L’Osservatore Romano » publiait des résumés de toutes les interventions avec les noms des orateurs respectifs, et pour les journalistes accrédités, des points presse étaient organisés dans plusieurs langues au cours desquelles des observateurs préposés à cet effet fournissaient des informations supplémentaires sur le débat qui venait d’avoir lieu au cours des heures précédentes. Chaque évêque était libre de rendre public le texte intégral de son intervention en séance et de rapporter comme il voulait les interventions auxquelles il avait assisté.

Certes, les synodes étaient purement consultatifs et le seul à tirer des conclusions normatives était le Pape, dans l’exhortation post-synodale qu’il publiait quelques mois après la fin des travaux.

Mais ce qu’un évêque déclarait en séance pouvait toutefois avoir un impact considérable dans l’opinion publique, au sein de l’Église comme en-dehors. Pensons par exemple à cette intervention du cardinal Carlo Maria Martini qui avait défrayé la chronique. Ce jésuite, biblique renommé et archevêque de Milan, l’avait prononcée en séance le 7 octobre 1999 dans un synode concernant l’Église en Europe.

Le cardinal disait qu’il avait fait un rêve : « un débat universel entre les évêques dans le but de dénouer certain de ces nœuds disciplinaires et doctrinaux qui réapparaissent périodiquement comme autant de points sensibles sur le chemin des Église européennes et extra-européennes. Je pense en général aux approfondissements et aux développements de l’ecclésiologie de communion de Vatican II. Je pense à la pénurie dramatique en certains endroits de ministres ordonnés et à la difficulté de plus en plus grande pour un évêque de pouvoir au soin des âmes sur son territoire avec suffisamment de ministres de l’évangile et de l’eucharistie. Je pense à certaines thématiques concernant la position de la femme dans la société et dans l’Église, à la participation des laïcs à certaines responsabilités ministérielles, à la sexualité, à la discipline du mariage, à la pratique pénitentielle, aux rapports avec les Églises-sœurs de l’Orthodoxie et plus largement au besoin de relancer l’espérance œcuménique, je pense aux rapports entre démocratie et valeurs et entre loi civile et loi morale ».

Pour aborder ces thématiques, poursuivait le cardinal Martini, « même un synode pourrait bien ne pas être suffisant. Certains de ces points nécessitent probablement un instrument collégial plus universel et officiel, où elles pourraient être abordées en toute liberté, dans le plein exercice de la collégialité épiscopale, à l’écoute de l’Esprit et en restant attentif au bien commun de l’Église et de l’humanité tout entière ».

Certains ont cru voir dans ces paroles l’annonce d’un nouveau Concile. Quoi qu’il en soit, cette intervention du cardinal Martini tapait dans le mille en mettant le doigt sur les thèmes sur lesquels l’Église allait se diviser au cours des décennies successives et aujourd’hui plus que jamais, non seulement en Allemagne, où le « chemin synodal » local a poussé la controverse aux limites de la rupture, mais au sein même de l’Église universelle, au dernier synode convoqué par le Pape François tout comme aux précédents.

Au premier synode qu’il avait convoqué en deux sessions, en 2014 et 2015, sur le thème de la famille, François avait un objectif personnel évident : la libéralisation de la communion eucharistique aux divorcés remariés. Pour y parvenir, il avait organisé un consistoire préliminaire de tous les cardinaux, en février 2014, mais il y avait immédiatement rencontré des oppositions si fortes et d’un tel niveau qu’il avait ensuite tiré le frein, au cours du synode, sur la transparence des débats.

Et, en effet, il avait imposé le secret sur les interventions en séance, se bornant à faire publier une simple liste générique des thématiques abordées, sans citer les noms des intervenants respectifs.

L’information de la vivacité de la controverse pour ou contre la communion aux divorcés-remariés avait toutefois filtré à l’extérieur. Ce qui a poussé le Pape à résoudre la question dans l’exhortation post-synodale « Amoris laetitia », de manière ambigüe, perdue dans quelques notes de bas de page que certains épiscopats ont interprétées comme une autorisation à donner la communion tandis que d’autres y sont resté opposés, avant d’écrire, dans une lettre de sa main adressée à l’épiscopat argentin – ensuite élevée au rang de magistère — que la première interprétation était bien la bonne.

Au cours du synode sur l’Amazonie qui s’est tenu en 2019, la question la plus débattue était celle de l’accès au sacerdoce d’hommes mariés, une idée que François avait fait mine de vouloir expérimenter à plusieurs reprises, avant de la recaler, au grand dam des évêques qui la soutenaient.

Puis ça a été le tour du synode sur le synodalité, une thèse que François était parvenu à imposer face aux questions qui occupaient le devant de la scène dans la foulée du « chemin synodal » allemand : de l’homosexualité au sacerdoce féminin, en passant par la fin du célibat du clergé et la démocratisation du gouvernement de l’Église.

Après que le Pape avait sorti ces questions de l’agenda pour le confier à des commissions ad hoc à l’avenir incertain, il ne restait au synode qu’à discuter de la manière de transformer l’Église en Église synodale.

Et comment en discuter ? Non plus en assemblée plénière, et encore moins en cercles linguistiques, mais dans des dizaines de tablées d’une douzaine de personnes chacune, dans une salle d’audience aménagée comme pour un grand dîner de gala (voir photo). Toujours avec la consigne du secret sur ce qui était dit ou entendu à chaque table.

Il est difficile d’imaginer un synode plus désarticulé et muselé que celui-ci, tout le contraire de cette nouvelle synodalité qu’on nous a tant vantée.

Et ce n’est pas tout. Car entre les deux sessions du synode, le Pape a décidé de trancher seul une question qui avait soustraite aux débats, dans une bulle émise par son « alter ego » bombardé à la tête du Dicastère pour la doctrine de la foi, à savoir le cardinal argentin Victor Manuel Fernández.

Avec la déclaration « Fiducia supplicans », François a autorisé la bénédiction des unions homosexuelles. Avec pour résultat de soulever une énorme vague de contestation et de rejet, surtout parmi les évêques issus de l’unique continent où l’Église catholique est encore en croissance, à savoir l’Afrique.

Autre ingérence solitaire du Pape dans une question débattue, celle concernant l’ordination des femmes au diaconat. Dans une interview accordée à une chaîne télévisée américaine, François a fait comprendre que tant qu’il serait pape, ces ordinations n’auront pas lieu.

Là encore, en générant une vague de protestations qui ont trouvé un écho jusque dans le synode d’octobre dernier, à tel point qu’il a fallu que le Pape descende sur le terrain par le truchement de son fidèle Fernández, au mépris de toutes les règles du secret qui corsetaient le synode.

Fernández a pris la parole le 21 octobre, lors de l’un des rares journées où le synode était réunion en assemblée plénière. Après avoir justifié son absence et celle du secrétaire de la section doctrinale de son dicastère à une précédente rencontre du synode sur cette même question, pour raisons de santé, il a répété que pour le pape, « la question du diaconat féminin n’est pas mûre », mais qu’en revanche, la question plus générale de la place de la femme dans l’Église est bien plus importante à ses yeux.

Le texte intégral de l’intervention de Fernández a été publié, c’est le seul cas en des mois de discussions secrètes, et rendez-vous avait été donné pour une rencontre ultérieure au synode sur le même sujet, une rencontre qui a effectivement eu lieu l’après-midi du 24 octobre et qui a duré une heure et demi, et à laquelle ont participé des centaines de personnes présentes pour interroger le cardinal.

Là encore avec une entorse à la règle du secret, parce que l’intégralité de l’enregistrement audio de cette rencontre a été diffusé, avec les questions posées au cardinal, toutes plus ou moins polémiques, et ses réponses parfois embarrassées.

Bref, en un mois de synode, ça aura été le seul moment qui a un tant soit peu fait parler de lui à l’extérieur, tout cela à cause d’une prise de position du pape solitaire et anti-synodale, accompagnée de la levée temporaire – ne concernant que cette intervention – de tous les sceaux du secret imposés par lui sur ces assises.

Une anomalie non sans répercussions sur le document final, où le seul paragraphe à récolter un nombre important de votes contraires (97 non contre 258 oui) a été celui où il était écrit qu’il convient de « poursuivre le discernement » sur la question des femmes diacres.

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Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire L’Espresso.
Tous les articles de son blog Settimo Cielo sont disponibles sur diakonos.be en langue française.

Ainsi que l’index complet de tous les articles français de www.chiesa, son blog précédent.

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