De Solène Tadié sur le NCR :
Derrière la joie de la réouverture de Notre-Dame se cache l'ombre de l'autorité perdue de l'Église
Si l'événement a démontré que les symboles chrétiens continuent d'inspirer l'espoir, la grandiloquence du président Emmanuel Macron a mis en évidence la montée en puissance de la laïcité en France.
Le moment tant attendu par les catholiques et les esthètes du monde entier est arrivé : cinq ans après l'incendie qui l'a privée de sa flèche emblématique, la flamboyante cathédrale Notre-Dame a rouvert ses portes lors d'une célébration spéciale le 7 décembre, offrant à des dizaines de millions de spectateurs un spectacle inoubliable d'espoir.
Les images du monument illuminé dans la nuit noire, le son de la grosse cloche déchirant le ciel après cinq ans de silence, les secondes suspendues lorsque l'archevêque frappa le portail central de sa croix, les chants célestes s'élevant sous les voûtes de la cathédrale, la renaissance glorieuse du grand orgue... autant d'éléments qui criaient au monde, et à la quarantaine de chefs d'Etat venus pour l'occasion, que la chrétienté n'a pas dit son dernier mot.
Mais si la vertu d’espérance pousse les chrétiens à faire feu de tout bois et à regarder le monde avec l’optimisme d’un bâtisseur de cathédrales, on est en droit — au risque d’être traité de rabat-joie — de déplorer que ce grand moment de l’histoire de l’Église de ces dernières décennies ait été récupéré par le monde du show-biz américanisé avec un concert déplacé et, plus encore, par le gouvernement français et son actuel président Emmanuel Macron, qui ont offensé les catholiques de multiples façons ces dernières années.
Pourtant, de nombreux commentateurs catholiques en France et ailleurs ont salué avec insistance l’efficacité de l’État français, propriétaire et responsable de la restauration de la cathédrale, pour avoir tenu sa promesse de reconstruire en cinq ans. Mais s’il est légitime de souligner le formidable savoir-faire des centaines d’artisans français, américains et internationaux qui ont travaillé jour et nuit pour respecter ce délai, il ne faut pas oublier que l’incendie de 2019 – dont les causes n’ont toujours pas été révélées – aurait pu, selon de nombreux experts , être évité si les mesures de préservation de l’édifice, réclamées à cor et à cri depuis des années, avaient été prises à temps.
Le président Macron, qui a profité de la cérémonie de réouverture pour redorer son image dans le contexte d'une longue série de crises institutionnelles , a prononcé un discours solennel avec des références directes à l'espérance chrétienne qui sonnait comme un hommage rendu par le vice à la vertu, pour paraphraser le moraliste François de La Rochefoucauld.
En fait, celui qui prétendait que nous sommes « les héritiers d’un passé plus grand que nous », que « le sens et la transcendance nous aident à vivre dans ce monde » et qui appelait à la « transmission », est aussi celui qui, il y a quelques mois à peine, a fait inscrire dans la Constitution française le droit de tuer un enfant dans le ventre de sa mère – une mesure qu’il qualifiait de « fierté française ». Encouragé par l’impact international de cette mesure, il a rapidement annoncé un projet de loi sur la fin de vie qui introduirait progressivement l’euthanasie et le suicide assisté dans le pays.
C'est aussi Macron qui, en juillet dernier, avait salué la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, qui se moquait ouvertement de l'acte central de la liturgie chrétienne institué lors de la Cène. Le directeur artistique de la cérémonie a confirmé au New York Times que le président français avait lu et approuvé le scénario au préalable, le décrivant comme une « grande histoire d'émancipation et de liberté ».
De plus, le comportement du président français, qui s'est accordé à deux reprises le privilège de parler à l'intérieur de Notre-Dame, est choquant pour quiconque connaît l'histoire de France et sa longue tradition de stricte séparation entre l'Église et l'État .
Les médias ont en effet révélé que le président français avait initialement prévu de remettre les clés de Notre-Dame au chef de l'Eglise locale lui-même, devant les caméras. Mais, au nom de ce même principe sacro-saint de laïcité, qui n'est pas à sens unique, l'archevêque de Paris Laurent Ulrich a refusé, lui offrant une tribune sur le parvis de la cathédrale.
Macron avait déjà contourné l'interdiction en prononçant un discours à l'intérieur de Notre-Dame restaurée, le 29 novembre, devant l'archevêque de Paris, à l'occasion d'une dernière visite très médiatisée du chantier. Il était accompagné de la maire de Paris, Anne Hidalgo, une athée autoproclamée qui s'est récemment illustrée avec un projet de remplacement des écoles catholiques privées par des logements sociaux.
Il y a un siècle à peine, ce mépris flagrant de l'autorité religieuse aurait été inconcevable. Jusqu'à présent, seul le roi Philippe le Bel avait pris la parole dans la cathédrale, alors en construction, lors des premiers États généraux de France en 1302, mais sur fond de conflit ouvert avec le pape Boniface VIII. Même Napoléon Bonaparte, qui entreprit la rénovation de la cathédrale après la Révolution française pour se faire couronner empereur dans un contexte très anticlérical, se soumit à l'autorité de l'Église, du moins symboliquement.
Lorsque le général Charles de Gaulle entra dans l'édifice le jour de la Libération de Paris, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'était pour rendre grâce à Dieu pour la victoire, faisant retentir sous les voûtes du monument un Te Deum retentissant resté dans l'Histoire.
A côté de l'euphorie internationale légitime suscitée par les images splendides du joyau restauré de la chrétienté médiévale, la manière sécularisée dont la cathédrale fut rendue au culte public illustrait une réalité plus profonde pour l'Eglise en France : celle d'une perte totale d'autorité.
Par une coïncidence notable, cette célébration a eu lieu à peine un mois après la publication du livre Métamorphoses françaises du célèbre sociologue français Jérôme Fourquet , dans lequel il analyse sans relâche le « grand tournant idéologique » qui achève le déclin du catholicisme en France. Selon Fourquet, la véritable prise de conscience de cette perte d’influence remonte à la Manif pour tous (mouvement marqué par une identité catholique qui a tenté, sans succès, d’empêcher la promulgation du mariage homosexuel en 2012-2013), et elle est devenue plus flagrante avec la constitutionnalisation de l’avortement en 2024.
Pour Fourquet, rien ne viendra changer cet état de fait sans un grand réveil, une mobilisation massive des catholiques de France, qu'il a récemment appelés à « reprendre confiance en eux-mêmes ».
Et pour cela, ils peuvent s’appuyer sur un patrimoine qui demeure totalement inégalé. En effet, si une quarantaine de chefs d’État ont fait le déplacement à Paris pour assister à la réouverture de Notre-Dame, il y a fort à parier que ce n’était pas simplement pour rendre hommage au président Macron qui a relevé le défi de la reconstruire en cinq ans. Auraient-ils été aussi nombreux pour la Pyramide du Louvres, ou même pour la Tour Eiffel ? On peut en douter, même si rares sont ceux qui admettront que ce monument emblématique de l’âge d’or de la chrétienté soit plus à même de réunir les peuples qu’aucun autre.
Rares sont ceux qui admettront que la cathédrale en dit plus sur notre civilisation et notre identité occidentales que toutes les créations de l’humanisme athée réunies. Les catholiques ne devraient pas hésiter à rappeler au monde qu’ils ont failli perdre un monument que beaucoup tenaient pour acquis.
En attendant, ils peuvent être rassurés par le fait que la statue de la Vierge Marie, miraculeusement épargnée par l'incendie, a été la première à entrer dans la cathédrale récemment restaurée, le 15 novembre, se moquant ainsi des luttes de pouvoir terrestres.
Commentaires
Les catholiques n'ont qu'à commencer, continuer davantage, ou recommencer à respecter pleinement leurs fondamentaux, d'une manière un tant soit peu distinctive ad extra et normative ad intra, ce qu'ils font assez souvent le moins possible, depuis le début des années 1960 et du Concile Vatican II.
Mais quel clerc catholiques serait assez courageux, aujourd'hui, pour mettre en avant et en valeur une interprétation catholique anti-moderniste et anti-postmoderne, ou anti-inclusiviste et anti-périphériste, notamment du Catéchisme de l'Eglise de 1992 ?
Et, par exemple, les clercs qui, pendant plus d'un demi-siècle, ont encouragé la convivialite et la créativité, en matière liturgique, ont-ils tous eu pleinement conscience du fait qu'en réalité ils encourageaient les catholiques à ne pas respecter leur propre religion, en recourant à des amputations et à des déformations ?