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Écrasons l’infâme ?

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r806853174.jpg Pour Karine Lalieux, la présidente de la Commission spéciale de la Chambre « relative au traitement d’abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Église », la cause est a priori jugée et elle l’a répété à l’agence Belga : « l’Eglise doit reconnaître sa responsabilité morale » dans les tristes affaires qui ont défrayé la chronique.

 Comme les faits sont, pour la plupart, prescrits (au regard du droit pénal tant étatique que  canonique), la Commission parlementaire, après cinq  mois de délibérations (28 octobre 2010-30 mars 2011) a entre autres recommandé, dans son rapport à la Chambre le 6 avril 2011, la création d’un tribunal arbitral aux sentences duquel devraient se soumettre les institutions ecclésiastiques.

Moins de trois semaines plus tard, le 24 avril 2011, en guise de joyeuses pâques, la députée socialiste sonne les cloches à Monseigneur Léonard, lui reprochant (menaces financières à l’appui) de n’avoir pas encore pris position sur la création d’un tel tribunal : une indignation aussitôt partagée par  La Libre Belgique : le surlendemain, sous la manchette intitulée «Le rendez-vous pascal manqué de Mgr Léonard » (un rendez-vous fixé par le  lobby médiatique lui-mêmele journal « pluraliste » de la capitale ouvre largement ses colonnes (dont celles de l’éditorial) aux Dupont-Dupond de l’establishment médiatique ecclésial : Christian Laporte et Gabriel Ringlet.

Outre qu’il a bien fait de ne pas répondre à ce genre d’ultimatum, Mgr Léonard n’est pas l’Eglise à lui seul, on peut aussi se demander si l’instance arbitrale  ad hoc suggérée par la commission Lalieux  est ( telle quelle)  une bonne idée.

Le danger serait en tout cas de constituer un « tribunal des victimes de l’Eglise » : cette expression, aussi malheureuse que significative pour désigner cette instance, est de Christian Laporte. Or, Karine Lalieux ne la dément pas : en préconisant ce tribunal, a-t-elle expliqué, « nous avons voulu lancer un message important à l’Eglise. Cette dernière s’est excusée mais elle doit aussi assumer sa responsabilité morale vis-à-vis de ses membres et de la société. Pendant trop longtemps, elle a étouffé les faits pour préserver l’institution et ses prêtres mais a oublié les victimes et leurs souffrances. Le tribunal arbitral peut être le lieu où les victimes pourront trouver une reconnaissance morale voire financière car un certain nombre d’entre elles doivent suivre des thérapies et ont été détruites moralement ou physiquement parfois pendant des décennies. Nous osons penser que l’Eglise répondra à notre signal sinon elle se coupera encore plus de la société si elle ne voulait pas faire de gestes ».

Techniquement d’ailleurs, un tribunal arbitral, est-ce en l’occurrence la meilleure formule pour répondre au souci de réparation extrajudiciaire ?  

Deux personnes peuvent en effet convenir que, sous les conditions qu’elles fixent, leur litige sera jugé et tranché par un tel « tribunal ». On dit alors que cette instance est un tribunal arbitral. La décision qu’elle prononce devient alors une obligation contractuelle entre les deux adversaires. Lorsque le tribunal est étatique, l'État garantit l'exécution de la décision. La décision du tribunal arbitral résulte directement de l'exécution du contrat. Cette décision arbitrale s'impose donc aux deux parties comme étant une obligation du contrat. Ainsi, deux commerçants qui travaillent ensemble peuvent convenir que leurs éventuels litiges seront tranchés par un tribunal arbitral. Un couple qui se marie selon telle religion peut aussi convenir que leurs éventuels litiges confessionnels futurs seront tranchés par telle autorité religieuse. Les parties décrivent, d'un commun accord, comment sera constitué ce tribunal arbitral.  Mais le cas de figure  des affaires de pédophilie est beaucoup plus complexe.

La manière même dont se constitue un tel tribunal doit aussi être le fruit du contrat passé entre les parties aux conflits  à savoir, ici, les victimes des abus prescrits, les abuseurs et les autres personnes (physiques ou morales) dont la responsabilité serait engagée et se limiter, dans le cas qui nous occupe, au seul point de vue civil (les dommages et intérêts, à l’exclusion de tout aspect  pénal, qui est d’ordre public). On perçoit ici la difficulté, si l’on songe au nombre des dossiers recueillis par la défunte Commission Adriaenssens  et à ceux qui pourraient s’ajouter à la faveur de la création du tribunal arbitral.

Ensuite, une instance, fut-elle arbitrale, doit respecter la loi et la jurisprudence et il n’y a pas, en principe, de responsabilité sans faute (à démontrer) etc.

Enfin, il faut cesser de parler sans arrêt de l’Église, qui –comme les syndicats par exemple-  est dépourvue de personnalité juridique en droit belge : c’est, avant tout, une réalité spirituelle qui se traduit (sans être épuisée en elles) par des personnes physiques et un certain nombre de personnes morales. Mais lesquelles, en l’occurrence ? Quels seraient alors ses prête-noms, à supposer qu’ils acceptent de se soumettre aux sentences d’un tel « tribunal » ? Tout cela n’est vraiment pas simple. La politique est une chose. Le droit en est une autre. Et la Justice (avec un grand J) aussi, fut-elle arbitrale.

C’est donc avec beaucoup d’ignorance ou de mauvaise foi que l’impatiente députée-criminologue, sans parler des journaleux, s’en est prise à un archevêque qui n’est pas au goût de ses passions idéologiques.

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