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Faut-il détruire l'Occident ?

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De Kamel Daoud , écrivain et journaliste algérien, dans une tribune publiée sur le Monde du 23 juin (via la revue de presse de l'Homme Nouveau)

Faut-il détruire l’Occident ? Le mettre à feu et à sang pour mieux le reconstruire ou mieux le piétiner dans ses ruines ? Cette géographie, qui participe autant de l’histoire que des imaginaires, partage les avis et divise les ardeurs des anti-tout qui y habitent. Entre ceux qui y craignent la fin du monde et ceux qui la veulent, ceux qui la fabriquent et ceux qui la redoutent. Collapsologues, écologistes messianiques, antiracistes radicaux, populistes, tiers-mondistes nostalgiques et populistes du victimaire, ardents de la « souche » et racialistes inversés : ils sont foule et la foule fait désormais effet d’armées. (…)

L’Occident étant coupable par définition selon certains, on se retrouve non dans la revendication du changement mais, peu à peu, dans celle de la destruction, la restauration d’une barbarie de revanche. Les raisons ? Elles sont diverses. La colère longtemps tue, la culpabilité chez les élites occidentales « de souche », la fin d’un sursis obscur donné aux démocraties traditionnelles, les populismes rageurs et les réseaux sociaux. (…) De fait, il y a comme une convergence des luttes pour la meilleure fin d’un monde : victimaires, antiracistes, mais aussi masochistes intellectuels et sceptiques professionnels, suprémacistes et défaitistes esthètes.

Le vœu de changer l’Occident se retrouve contaminé, profondément, par celui de le voir mourir dans la souffrance. Et, dans l’élan, on gomme cette conséquence suicidaire que par sa mort on se tuera soi-même, on tuera le rêve d’y vivre ou d’y aller par chaloupes ou par avions, on tue le seul espace où il est justement possible de crier sa colère. D’ailleurs, le fait même de défendre l’Occident comme espace de liberté, certes incomplète et imparfaite, est jugé blasphématoire dans cette nouvelle lutte des classes et des races. Il est interdit de dire que l’Occident est aussi le lieu vers où l’on fuit quand on veut échapper à l’injustice de son pays d’origine, à la dictature, à la guerre, à la faim, ou simplement à l’ennui. Il est de bon ton de dire que l’Occident est coupable de tout pour mieux définir sa propre innocence absolue. L’Occident sera alors crucifié pour notre salut à tous en quelque sorte, confondu, dans le même corps blanc, dans une trinité horizontale, avec les deux autres voleurs à la gauche et à la droite de ce Christ géant. Erreurs et illusions coûteuses. L’Occident est à la fois coupable et innocent. Or, tuer un coupable ne brise pas la chaîne de la douleur. Elle fait échanger les robes des victimes et des bourreaux. (…)

Ces procès anti-Occident à la soviétique, si faciles et si confortables, à peine coûteux quand on ne vit pas dans la dictature qu’on a fuie, menés par les intellectuels du Sud en exil confortable en Occident ou par des fourvoyés locaux sont une impasse, une parade ou une lâcheté. Ils n’ont ni courage, ni sincérité, ni utilité. Il n’est même plus besoin de relire les insanités d’un journaliste qui a fui son pays du Maghreb il y a vingt ans, se contentant de dénoncer la dictature « locale » sans y mettre les pieds, tout en passant son temps à fustiger les démocraties qui l’ont accueilli. La règle de ce confort est qu’il est plus facile de déboulonner la statue d’un tyran, au Nord, sous les smartphones, que de déboulonner un vrai tyran vivant au « Sud ». Et il n’est pas même utile de répondre à ceux qui, lorsque vous tenez ces propos pourtant réalistes, vous accusent de servilité intellectuelle.

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