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"S'attendre à la disparition du catholicisme d'ici une génération..."

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Du Père Louis Bouyer, ces propos publiés en 1969 dans "La décomposition du catholicisme" résonnent étrangement aux oreilles d'un catholique d'aujourd'hui (source) :

Le pontificat de Jean XXIII, puis le Concile avaient paru inaugurer pour l'Eglise catholique un renouveau inespéré, sinon inespérable. En fait, il semblait que la redécouverte de la Bible et des Pères de l'Eglise, le mouvement liturgique, l'œcuménisme, et, par un retour aux sources de la théologie et de la catéchèse, une redécouverte de l'Eglise dans sa tradition la plus authentique conjuguée avec une ouverture décidée aux problèmes du monde contemporain : scientifiques, culturels, sociaux — il semblait que toutes ces choses qui, jusque-là, étaient restées le fait d'une petite élite, facilement suspectée en haut-lieu et encore peu influente dans la masse, allaient soudainement, ou tout au moins rapidement, gagner tout le corps après s'être imposées à ses chefs.

Quelques années seulement ont passé depuis, mais, il faut l'avouer, la suite des événements ne semble pas, jusqu'ici, avoir beaucoup répondu à cette attente. A moins de se boucher les yeux, il faut même dire franchement que ce que nous voyons ressemble bien moins à la régénération escomptée qu'à une décomposition accélérée du catholicisme. Un homme politique français de premier plan, qui est chrétien mais n'appartient pas à l'Eglise catholique, parlant à quelques-uns de ses coreligionnaires sur les suites du Concile, leur disait, si j'en crois ce que l'un d'eux m'a répété, qu'on devait s'attendre maintenant à la disparition du catholicisme d'ici une génération. Cette opinion d'un observateur, sans doute peu sympathique à son objet mais certainement bien informé, sans passion et lucide, ne peut être écartée d'un revers de main.

Sans doute, une longue expérience a montré que les prophéties de ce genre, souvent renouvelées dans le passé, sont bien téméraires. L'historien Macaulay observait au siècle dernier que le catholicisme avait survécu à tant de crises et de si graves qu'on ne pouvait plus imaginer maintenant ce qui pourrait bien amener sa ruine définitive. Mais il serait trop facile pour les catholiques de se rassurer par de telles paroles, pour replonger dans la torpeur onirique à laquelle, aujourd'hui comme par le passé, ils ne sont que trop enclins. Sans vouloir rien dramatiser, il faut reconnaître que nous en sommes arrivés une fois de plus (et peut-être plus que jamais) à l'un de ces tournants de l'histoire où, si la Providence veut une fois de plus nous secourir, elle ne le fera qu'en suscitant parmi nous des hommes dont la lucidité soit à la hauteur des circonstances, et le courage égal à la pénétration.

C'est d'abord de voir clair en nous-mêmes que nous avons besoin. A cet égard, il semble que nous ayons seulement échangé, ces derniers temps, une forme paralysante d'autosatisfaction pour une euphorie plus pernicieuse encore. Le « triomphalisme » de naguère, justement dénoncé, nous faisait saluer comme une succession de victoires les échecs les plus hâtivement colmatés, quand ce n'était pas camouflés. Nous pouvons rire de ce style, brusquement devenu désuet, de nos « Semaines religieuses ». Mais la nouvelle presse catholique n'a pas été longue à secréter un « néo-triomphalisme » qui ne vaut guère mieux, et qui peut être pire.

Un hebdomadaire français, qui se dit « catholique », en venait récemment à nous apprendre que le renouveau post-conciliaire n'a pas encore vraiment pénétré l'Eglise d'Espagne, d'après ce critère : le nombre des vocations sacerdotales et religieuses n'y a pas beaucoup diminué ! Quand on en est arrivé à ce point de vue de Knock, où les signes de santé persistants sont interprétés comme des symptômes d'une gravité particulière, il faut que le mal soit bien avancé..., mais c'est l'esprit du médecin qui est évidemment le plus malade ! Ce petit trait, qui pourrait paraître simplement comique, est révélateur d'un des aspects les plus significatifs de la crise où nous sommes. Je ne sais si le Concile, comme on le dit, nous a délivrés de la tyrannie de la Curie romaine, mais ce qu'il y a de sûr c'est que, volens nolens, il nous a livrés, après s'être livré lui-même, à la dictature des journalistes, et particulièrement, des plus incompétents et des plus irresponsables.

Il était sans doute fort difficile, dans une assemblée aussi nombreuse, de maintenir le secret des délibérations. Une certaine publicité pouvait d'ailleurs présenter des avantages, et non seulement parce que l'opinion publique, comme Pie XII luimême le reconnaissait déjà, est devenue un facteur de la société moderne que nul ne peut ignorer ou mépriser. Un concile, et spécialement dans les circonstances où celui-ci se tenait, concerne toute l'Eglise. Et ce serait, nous y reviendrons, une vue
très courte du rôle de l'autorité que celle qui supposerait qu'il concerne le corps tout entier seulement par ses décisions. L'autorité, dans l'Eglise, ne peut s'exercer fructueusement comme dans le vide. Si elle renonce à son rôle en enregistrant seulement passivement les opinions diverses flottant dans la masse des fidèles, elle ne saurait davantage le jouer en ignorant ceux-ci. Mais le « sentiment des fidèles » est tout autre chose qu'une opinion publique manipulée, voire même préfabriquée, par une presse qui, même quand elle n'est pas complètement dévoyée par la recherche du sensationnel, reste peu ou point capable de saisir la vraie portée des questions en cause, quand ce n'est pas leur véritable sens tout simplement.

Et, il faut le dire, quelque respect qu'on ait pour nos évêques et pour la conscience avec laquelle ils ont voulu s'acquitter de leur tâche conciliaire, beaucoup d'entre eux n'étaient pas préparés à l'exercer sous les rafales d'une publicité aussi bruyante et, si souvent, orientée par des préoccupations qui n'avaient que peu de chose en commun avec celles qui devaient être les leurs. Il ne faut pas trop s'étonner, dans ces conditions, si, surtout dans les dernières séances du Concile, beaucoup d'interventions et de réactions des Pères se sont trouvées bien plus « conditionnées » sans doute qu'ils ne s'en rendaient compte eux-mêmes par un souci de plaire à ces nouveaux maîtres. Les parlementaires savent depuis longtemps que la mort du système parlementaire n'est pas loin quand ils en viennent à parler comme ils le font, moins pour éclaircir les débats en cause que pour obtenir un satisfecit de la masse de leurs électeurs, en cajolant une opinion téléguidée par une presse à l'esbroufe. Novices en l'occurrence, ceux des évêques qui se sont laissés plus ou moins manier par ces vieilles ficelles étaient assurément excusables pour autant. Mais, on doit bien s'en rendre compte, si, dans ce Concile comme dans tous ceux qui l'ont précédé, les intrigues et les factions intérieures à l'assemblée n'ont pas été le trait le plus édifiant, ce nouveau genre de pressions extérieures, sans doute parce qu'il était nouveau, s'est révélé non moins dommageable qu'avait pu l'être, dans le passé, l'intervention brouillonne des empereurs ou, après eux, des divers pouvoirs politiques.

Il faut ajouter aussitôt que les années qui ont suivi ont montré d'abondance que les évêques n'étaient certes pas les seuls, dans l'Eglise, à pouvoir perdre pied, et parfois la tête, sous les sollicitations vertigineuses d'un certain journalisme. On a vu depuis des théologiens parmi ceux qui paraissaient les plus solides céder aux tentations de l'interview avec une naïveté d'enfants vaniteux,
prêts à dire n'importe quoi pour que les sophistes professionnels de notre temps les consacrent auprès des masses supposées passives. Quand un penseur des plus réfléchis et des mieux informés de la tradition catholique que nous ayons, après s'être ridiculisé dès ses premiers pas dans un pays où il n'était jamais allé en condamnant sans appel l'épiscopat local, dont il ne connaissait que ce qu'avaient bien voulu lui en dire ceux qui s'étaient saisi de lui à son arrivée, se lance dans une apologie délirante de l'homosexualité, on mesure la faiblesse des « grands théologiens » eux-mêmes quand ils sortent de leur cellule pour s'exposer aux feux de la télévision, plus dangereux pour eux peut-être que ceux de la concupiscence.

Si la presse, et la presse catholique en particulier, s'était bornée à fournir une information exacte sur le Concile, elle aurait fait ce qu'on pouvait lui demander de plus fondamental pour contribuer à son succès. Elle aurait pu jouer un rôle plus élevé en contribuant à éclairer les Pères conciliaires eux-mêmes sur les aspirations profondes, ou plus simplement encore les besoins, les problèmes des fidèles, et du monde moderne en général. Plus délicate, mais point impossible eût été sa tâche d'exprimer les réactions réfléchies, les critiques, même les plus acérées, si elles étaient fondées, ne fût-ce que partiellement, non seulement des « experts » (qui n'étaient pas tous au Concile) mais des hommes de bonne volonté, plus ou moins aptes à connaître des questions traitées.

Quelque chose de cela, certes, s'est bien produit, encore qu'on doive constater que la presse spécifiquement catholique, ou, dans la presse en général, les informateurs catholiques n'aient pas été toujours de ceux à qui la palme puisse revenir. Mais trop souvent, dès lors, ceux des experts supposés qui se sont prêtés le plus volontiers à jouer aux journalistes ont paru fâcheusement enclins à adopter les pires travers de leur nouveau métier, c'est-à-dire à chercher le sensationnel, voire le scandale, quand ce n'était pas à imposer leurs points de vue discutables par tous les moyens, diffamations et chantages compris. Après cela, il ne faut pas trop se plaindre si les journalistes professionnels n'ont pas fait beaucoup mieux. Depuis, ce phénomène n'a fait que croître et embellir. La plupart des théologiens qui ont brigué la consécration de la « grande » presse ont contracté, avec une outrance parfois caricaturale, ces vices flagrants, dans une allégresse qui laisse rêveur sur les racines de leur attachement à la vérité.

Quand on les voit aujourd'hui, en bataillons serrés, envoyer à la presse des condamnations foudroyantes d'encycliques pontificales, avant d'avoir eu seulement le temps de les lire, pour tâcher de devancer, et si possible de surpasser l'audace des commentateurs laïcs ou non catholiques eux-mêmes, on commence à apprécier la gravité du mal. On ne l'évaluera tout à fait qu'en s'avisant de la crédulité à peine croyable avec laquelle ces guides présomptifs de l'opinion catholique peuvent accepter eux-mêmes, puis garantir auprès du bon public, des fables ineptes. Il ne s'agit plus, en effet, ici d'interprétations, toujours discutables, mais de faits, et, dans bien des cas, de ces faits qu'un peu d'honnêteté et de perspicacité permet d'atteindre. Un test révélateur a été fourni par l'ouvrage sur la personnalité du pape Paul VI publié sous un pseudonyme arménisant. Une publicité officieuse s'est employée à le faire passer pour l'œuvre d'un diplomate familier des milieux romains. La fraude était si grossière (conversations évidemment fictives, qui, si même elles avaient eu lieu, n'auraient jamais pu être connues de ceux qui n'y étaient point, méconnaissance totale des caractères et des relations authentiques des personnages principaux mis en cause, etc.) qu'un journaliste américain put la dénoncer dès la parution du volume. Il n'eut aucune peine à établir que le « diplomate » en question était en réalité un jeune jésuite irlandais défroqué, lequel n'avait passé à Rome que le temps d'y collecter les plus stupides ragots. Ledit livre n'en a pas moins été traduit en français après cela, et recommandé chaudement par une des revues catholiques qu'on aurait cru sérieuses. Avertis de leur erreur, les rédacteurs se sont dérobés à toute rectification. On touche ici du doigt la forfaiture (consciente ou inconsciente) d'une intelligentsia catholique contemporaine : au nom des exigences modernes de la libre information, on est prêt à gober pour sa part, sans ombre d'esprit critique, des légendes à faire pâlir Grégoire de Tours, et, une fois qu'on a contribué à les accréditer dans le public, on se refuse, par fausse honte, au devoir minimum de rétablir une vérité qu'on avait aidé, par sa sottise, de véritables malfaiteurs à travestir.

Le rôle de la presse, et de la presse catholique avant tout, est évidemment considérable dans le désarroi actuel, dès ses premières origines, à l'époque du Concile, et depuis lors davantage encore. C'est pourquoi il convenait d'en partir pour analyser la situation. Mais ce que nous en avons dit suffit à montrer que ce n'est pas dans les défauts trop communs à l'information contemporaine qu'est la source du mal. Il semble qu'on ait ici simplement un cas de plus de ce qu'on peut observer en bien d'autres domaines que celui de la presse.

A d'autres époques, sans réussir toujours à christianiser de fond en comble les institutions simplement humaines où ils s'inséraient, les chrétiens catholiques arrivaient, dans l'ensemble, à y introduire une certaine purification, et même une élévation indéniable. Quoi qu'on puisse penser de l'empire de Constantin et de ses successeurs, il valait mieux, pour dire le moins, que celui de Néron ou de Commode. Le chevalier médiéval, sans être en tout point un modèle, manifestait des vertus que les reîtres barbares qui l'avaient précédé ne possédaient certainement pas. Et l'humaniste chrétien de la Renaissance, malgré ses propres limitations, l'emportait haut la main sur ses confrères qui ne l'étaient point.

Est-ce un hasard si, de nos jours, l'entrée des chrétiens, et spécialement des catholiques, dans les cadres du monde contemporain paraît n'y rendre que plus criants les défauts qui s'y observaient avant eux, quand ils n'en rajoutent pas de leur cru ?

(...) Les catholiques modernes seraient-ils de ces individus qu'une carence congénitale prédispose non seulement à attraper toutes les maladies qui peuvent courir, mais à en présenter aussitôt une forme particulièrement virulente ? La grâce, chez eux, paraît avoir cessé non seulement d'être « elevans », mais même simplement « sanans ». Les deux virus, non point neufs, ni exclusivement catholiques, à vrai dire, mais qui se sont brusquement excités dans le catholicisme contemporain, et qui ont trouvé dans son emploi de la presse moderne un bouillon de culture idéal, sont la mythologie substituée à l'analyse du réel, et les slogans tenant lieu de pensée doctrinale. 

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