De Monica Lugato, juriste, professeure ordinaire à l'Université LUMSA (Rome) sur Settimo Cielo :
L'Europe et la guerre. De l'esprit d'Helsinki aux perspectives de paix
1. L'Europe et la guerre
L'agression de la Russie contre l'Ukraine a ramené la guerre en Europe. Ramenée parce que nous avons déjà eu une guerre en Europe, en 1999, lorsque l'OTAN a attaqué la Serbie. La guerre est une tragédie et nous devons faire au moins deux réflexions à mon avis.
Le premier. Il y a seulement dix ans, en 2012, l'Union européenne, qui est la composante institutionnalisée de l'Europe, a reçu le prix Nobel de la paix, et la justification était qu'elle avait assuré pendant plus de six décennies la promotion de la paix, de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l'homme en Europe.
La deuxième considération. Il ne peut nous échapper que la valeur de la paix fait partie des valeurs fondamentales de la politique étrangère de l'UE. C'est écrit en toutes lettres dans les traités, et c'est la valeur qui devrait, voire doit, guider son action extérieure. Non seulement cela, mais l'Union européenne a l'obligation, en vertu des traités, de respecter strictement - je cite - le développement du droit international, les principes de la Charte des Nations unies, le multilatéralisme et, ce qui est peut-être encore plus intéressant ici, dans son action sur la scène internationale - disent encore les traités - elle est appelée à préserver la paix, à prévenir les conflits et à renforcer la sécurité internationale. Non seulement selon les principes de la Charte des Nations unies mais, comme cela est expressément mentionné, également selon les principes de l'Acte final d'Helsinki.
Ainsi, ces deux constats minimaux m'amènent à poser une question : l'Union européenne agit-elle avec suffisamment de détermination comme acteur de la paix à ce stade précis ? Il est légitime de se poser cette question. Et il est légitime de poser cette question parce que si, d'une part, en tant que sujet de droit international, elle a condamné à juste titre et fermement l'agression de la Russie contre l'Ukraine, elle a également pris une série d'initiatives qui vont dans le sens absolument opposé à celui de la promotion de la paix, et je fais référence en particulier au sentiment qu'elle n'est pas loin de contribuer à "l'escalade", ne serait-ce que verbalement, et ensuite à deux initiatives récentes : la proposition de créer un tribunal pour les crimes commis par la Russie et encore la désignation de la Russie comme État terroriste. Or, il est douteux qu'à un moment comme aujourd'hui, ces initiatives soient conformes à son rôle d'acteur de la paix.
2. L'esprit d'Helsinki
Nous avons entendu des paroles importantes sur les conditions, l'histoire, dans lesquelles l'esprit d'Helsinki a mûri. Il me semble que je dois souligner, également d'un point de vue internationaliste, qu'un facteur qui me semble extrêmement pertinent à saisir pour aujourd'hui également, dans le style d'Helsinki, est la détermination qui a caractérisé cette conférence, son activation et ensuite son travail, la détermination avec laquelle on a voulu créer, recréer un climat de coopération entre les États européens sur la base d'un équilibre des forces, c'est-à-dire sur la base d'une hypothèse réaliste que c'était le facteur inévitable, qu'il était inutile de proposer de le surmonter : qu'il fallait accepter l'équilibre des forces sur le terrain, puis travailler avec l'équilibre de ces forces. Et cette coopération accrue pour coopérer même entre des États dissemblables, entre des États qui s'opposaient sur presque tous les fronts, a nécessairement entraîné comme condition de ce travail la tolérance pour les différences de chacun et la mise de côté de la moralisation idéologique autoréférentielle qui caractérise normalement les relations entre antagonistes.
Helsinki, c'est aussi un style de relations, marqué par le respect mutuel de la souveraineté de l'autre. Chacun a eu le droit de s'exprimer, chacun a été respecté en tant qu'entité souveraine, ce qui est tout à fait conforme au principe fondamental du droit international, qui est celui de l'égalité souveraine. Et aussi la reconnaissance, peut-être à contrecœur pour certains, du droit de chacun des États participant à la conférence d'Helsinki, aussi différents, aussi désagréables que soient leurs systèmes, de développer librement leur propre système politique, leur propre système économique, social et culturel, et de le faire avec la large liberté de déterminer leurs propres lois et règlements, de décider de conclure ou non des accords internationaux, de faire partie ou non d'alliances, de rester neutre ou non. La méthode était très coopérative, malgré, je le répète, les différences. Cela me semble extrêmement significatif pour aujourd'hui. Coopérative et égale, marquée justement par le respect de la souveraineté de chacun des Etats participants, qu'ils soient amis ou non.
Or, à la lumière de cela, ce que l'esprit d'Helsinki suggère pour aujourd'hui, c'est qu'il faut avoir une attitude de réalisme conscient pour entamer un dialogue entre différents, entre antagonistes, entre pays qui sont certes antagonistes, différents, divisés, mais qui sont proches, qui sont contigus. Et donc qu'il est tout à fait inéluctable de rétablir les conditions de la solution de problèmes très graves qui concernent tout le monde.
Mais il y a un autre élément que l'esprit d'Helsinki favorise. Quel a été le facteur unificateur, qu'est-ce qui nous a réunis, au-delà de cette nécessité de rétablir les conditions de la coopération ? Les principes du droit international. Le Cardinal Parolin les a dites et ce sont celles qui sont écrites dans les articles 1 et 2 de la Charte des Nations Unies. Autour de ces principes a été identifié le plus petit dénominateur commun qui permettrait, du moins telles étaient les attentes, de rétablir un climat de coopération. C'est précisément ce que les États ont fait à Helsinki.
Hier comme aujourd'hui, je crois qu'il est nécessaire d'essayer de retrouver l'équilibre des forces autour duquel les principes fondamentaux du droit international ont été structurés avec la Charte des Nations unies, reconfirmés et ensuite développés à plusieurs reprises, toujours dans des phases de crise extrême des relations internationales. Pensez à la Déclaration sur les principes du droit de l'interaction concernant les relations amicales entre États des années 1970, élaborée après la terrible crise de 1962, puis reconfirmée à Helsinki, alors que le climat de la guerre froide rendait tout dialogue en Europe impossible, ou était réputé le rendre impossible.
Or, rétablir l'équilibre des forces, c'est aussi reconnaître qu'il s'est progressivement déréglé ces dernières années, et qu'il s'est déréglé précisément par des violations répétées des principes fondamentaux du droit international et principalement du premier de ces principes, qui est l'interdiction du recours à la force. Ce dérèglement est certainement l'un des principaux facteurs de la dégénérescence des relations internationales que nous avons connue ces dernières décennies. De ce point de vue, certaines des paroles du pape qui, dans un récent discours, a déclaré : "Nous devons avoir le courage d'affronter les causes des conflits, en abandonnant les intérêts et les projets d'hégémonie ; le courage de dépasser la catégorie de l'ennemi, pour devenir des bâtisseurs de la fraternité universelle", me semblent très pertinentes. Il me semble que c'est un élément qui ne peut être négligé. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Quelles sont les causes qui ont conduit à cette situation ? Et abordez ces causes de manière franche et déterminée.
3. Les perspectives de paix
Les perspectives de paix dépendent du droit international. Je crois qu'il n'y a pas d'alternative, cela va presque de soi : les perspectives de paix dépendent de la restauration du droit international. La seule façon de rétablir la paix est de respecter le droit international qui, avec une image extrêmement agréable et significative, a été récemment défini comme le véritable patrimoine commun de l'humanité. Notre Cour constitutionnelle l'a appelé, non par hasard, le "patrimoine commun des peuples". Parfois, nous l'oublions, nous pensons qu'il est quelque part, qu'il ne nous aide pas, mais il n'en est rien. C'est le seul ordre qui peut assurer les relations internationales au nom de la préservation de la paix, qui est nécessaire à la survie de l'humanité, qui a développé les outils permettant de rétablir la légalité internationale lorsqu'elle est violée. Il est donc nécessaire de faire quoi ? Tournez-vous vers les instruments de résolution des conflits que contient le droit international, les instruments diplomatiques, les instruments arbitraux. La paix doit être restaurée par le droit.
Il y a cependant quelques observations à faire sur ce point, en examinant la situation actuelle. La bonne foi. Le cardinal Parolin l'a rappelé. Il est nécessaire et c'est une obligation en vertu du droit international d'agir de bonne foi. Et cette obligation prend naturellement une valeur importante, dans tous les domaines du droit international, mais particulièrement lorsque nous sommes confrontés à la perspective d'une négociation. La bonne foi de qui ? Tout d'abord les parties au litige, qui ont l'obligation de se comporter de bonne foi. Qu'est-ce que cela signifie ? Premièrement, la négociation n'est pas un échange d'accusations, de querelles, mais un forum dans lequel les parties prennent part à une discussion avec l'intention de résoudre le différend. Ce qui caractérise la négociation n'est donc pas un simple échange de positions, mais l'intention de résoudre le conflit. Et donc, nous avons un problème aujourd'hui, parce que nous continuons à entendre des deux côtés qu'il y a des conditions préalables sur lesquelles ils ne sont pas prêts à négocier. Une négociation avec ces conditions préalables a donc peu de chances de décoller. Nous rappelons aux parties qu'une attitude de bonne foi est requise de leur part, c'est-à-dire la volonté d'évoluer par rapport à leurs positions initiales, qui peuvent constituer un point de départ, mais sur lesquelles elles doivent ensuite être disposées à négocier.
Il me semble important de souligner que la même attitude de bonne foi est exigée de tous. Les violations macroscopiques du droit international ne produisent pas des effets limités aux parties directement concernées, dans notre cas la Russie et l'Ukraine, mais s'étendent et impliquent l'ensemble de la communauté internationale. L'attitude de bonne foi est exigée de tous les États, de tous ceux qui, eux aussi, peut-être en qualité spécifique de médiateurs, de négociateurs ou de facilitateurs, doivent œuvrer, et c'est une obligation du droit international, au règlement pacifique du différend. Cela implique, par exemple, que selon le droit international et dans l'esprit d'Helsinki, on ne peut viser à renverser l'équilibre des forces consacré par le droit international, on ne peut proposer le renversement du régime politique de l'adversaire, on ne peut proposer l'élimination de l'adversaire, on ne peut adopter un comportement susceptible d'aggraver le différend.
Ici, je ne suis pas sûr que ce qui se passe soit réellement conforme à ces obligations de droit international. À cet égard, il est absolument essentiel d'identifier des figures "super partes", qui jouissent de la confiance des deux parties, afin qu'elles puissent précisément faciliter ou servir de médiateurs ou exercer leurs bons offices pour que les parties entament des négociations. Et de ce point de vue, il me semble que la volonté affichée du Saint-Siège doit être valorisée.
Permettez-moi deux autres observations. Le premier. Je ne crois pas que les restrictions à la liberté d'expression qui ont été adoptées par de nombreux États contribuent à créer les conditions d'un règlement du différend, car la connaissance des faits, de tous les faits, et non d'une seule partie, est une condition inéliminable pour entamer le règlement d'un différend. Il s'agit d'une violation très grave de l'État de droit, des droits fondamentaux des personnes, c'est une violation qui est capable d'affecter la manière dont la société civile comprend le conflit, et donc réagit au conflit. Je pense que c'est un aspect très important. Il est certain que la Russie et l'Ukraine peuvent restreindre la liberté d'expression, ce sont des pays en guerre, ils sont donc dans cette condition où certaines libertés fondamentales peuvent être dérogées lorsque l'État est dans une situation d'urgence extrêmement grave, et c'est certainement le cas de la guerre. Mais les pays occidentaux qui proclament leur respect des droits et libertés fondamentaux, pourquoi font-ils cela ? Pourquoi ferment-ils l'accès aux sources d'information russes ? Avons-nous peur de la transparence ? Il me semble que c'est un point sur lequel nous devrions réfléchir.
Et puis la légitime défense. Le droit international reconnaît la légitime défense individuelle et collective, il reconnaît même le droit "naturel" à la légitime défense individuelle et collective en cas d'attaque armée. Mais le droit international fixe aussi ses limites, ce qui est parfois oublié. Surtout, elle attribue aujourd'hui dans le système de droit international de l'après-1945 avec la Charte des Nations Unies une fonction spécifique à la légitime défense. L'État peut légitimement répondre à une attaque armée qu'il a subie, mais le but afflictif-répressif est perdu, tandis que le but, même en cas de légitime défense, de rétablir la paix et la légalité internationale doit prévaloir. Ce n'est pas une coïncidence si l'article 51 de la Charte reconnaît le droit naturel à l'autodéfense jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait fait son travail : jusqu'à ce que. Maintenant, vous allez me dire : d'accord, mais dans ce cas, le Conseil de sécurité n'est pas là, il est inopérant, alors que se passe-t-il dans ce cas ? Ce qui se passe, c'est que la "raison d'être" de la règle ne disparaît pas, de sorte que la communauté internationale qui remplace le Conseil de sécurité est tenue de respecter la même raison d'être, celle inscrite dans la Charte des Nations unies, celle défendue par la Cour internationale de justice. La défense légitime n'a pas, ne peut pas avoir une fonction afflictive ou punitive, sa fonction est de promouvoir la restauration de la légalité internationale.
Et la même considération doit être faite à l'égard des mesures que les Etats occidentaux prennent par rapport à la grave violation du droit international commise par la Russie. Ces mesures ont également un caractère de sanction et peuvent remplir une fonction bénéfique reconnue par le droit international. Mais attention, même dans ce cas, le droit international indique clairement quel doit être le but de ces éventuelles mesures de sanction ou de rétorsion. Elles ne doivent pas aggraver ou élargir le conflit, elles doivent viser uniquement et spécifiquement à amener l'État violateur à respecter ses obligations au titre de la responsabilité internationale. Je ne pense pas que l'on puisse dire que c'est ce qui se passe, même en tenant compte des déclarations belliqueuses avec lesquelles l'adoption de sanctions est accompagnée par de nombreuses parties.
Pour conclure. Le multilatéralisme, respectueux de la souveraineté d'autrui et tolérant de ses différences, étranger aux visées hégémoniques, tel qu'il est pratiqué à Helsinki, est la seule voie possible pour rétablir et maintenir la paix entre les États, comme garantie du progrès de l'humanité. Le droit international est une réalisation, de ce point de vue, certainement perfectible, voire à perfectionner. Mais le respect du droit international et le rétablissement de la légalité lorsqu'il est violé, par tous ses sujets, en sont aussi le préalable incontournable, sauf à entrer dans une spirale de violence et de chaos sans remède, d'autant plus préoccupante qu'il s'agit d'une guerre impliquant des puissances nucléaires.
Rome, 13 décembre 2022