De Roland Millare sur Crisis Magazine :
Le pape, gardien de la tradition
Une interdiction totale empêchant les prêtres diocésains de célébrer la Messe traditionnelle serait contraire au rôle de l’Église en tant que gardienne attentive de la forme vivante de la tradition.
Il y a eu des rumeurs concernant l'avenir (ou l'absence d'avenir) de la messe traditionnelle en latin (MLT) dans la paroisse moyenne. Dans le monde post- Traditionis Custodes, il y a eu toute une série de restrictions imposées à la célébration de la Messe traditionnelle en latin, qui varient selon l'évêque d'une église locale particulière.
Une interdiction totale de célébrer la messe traditionnelle en langue française par les prêtres diocésains serait certainement un coup fatal au motu proprio Summorum Pontificum du pape Benoît XVI et irait à l’encontre du rôle de l’Église en tant que gardienne attentive de la forme vivante de la tradition. Et cela ne serait certainement pas cohérent avec les appels constants à « l’écoute » et à « l’accompagnement ».
Dans L’ Esprit de la liturgie, le cardinal Joseph Ratzinger décrit l’Église comme semblable à un jardinier :
De même qu’un jardinier prend soin d’une plante vivante pendant son développement, en prêtant une attention particulière au pouvoir de croissance et de vie de la plante et aux règles auxquelles elle obéit, de même l’Église doit accorder un soin respectueux à la liturgie à travers les âges, en distinguant les actions qui sont utiles et curatives de celles qui sont violentes et destructrices.
Par extension de cette analogie, Ratzinger décrit le Souverain Pontife comme le maître jardinier, qui « ne peut être qu’un humble serviteur du développement légitime et de l’intégrité et de l’identité durables de la liturgie ».
Dans une récente interview, le liturgiste italien Andrea Grillo a exprimé ses réserves quant au désir du pape Benoît XVI d’un enrichissement mutuel entre les deux formes du rite romain, le qualifiant de « stratégie et de théologie totalement inadéquates, alimentées par une abstraction idéologique ». Je soutiens que le pape Benoît XVI était motivé par la sagesse pastorale concrète et par la charité. Sa théologie était toujours orientée vers une herméneutique de continuité et de communion . Surtout, il a pris au sérieux l’exhortation à garder le dépôt qui lui avait été confié (1 Timothée 6, 20).
Contrairement à Grillo, ce qui a nourri Benoît XVI, c'est la sagesse de l'Écriture et de la Tradition. Cette dernière est bien exprimée par saint Vincent de Lérins , que le pontife actuel invoque très fréquemment :
La véritable Église du Christ, gardienne attentive et prudente des dogmes qui lui sont confiés, n’y change rien, n’y soustrait rien, n’y ajoute rien. Elle ne retranche pas ce qui est nécessaire, n’ajoute rien de superflu, ne perd pas ce qui lui appartient, ni n’usurpe ce qui appartient à autrui. Mais, avec toute sa science, elle s’applique à un seul point : traiter avec fidélité et sagesse l’ancienne doctrine, perfectionner et polir ce qui, depuis l’antiquité, a pu rester informe et sans forme. La tâche de l’Église est de consolider et de fortifier la doctrine, de garder ce qui a déjà été confirmé et défini. (Commonitorium, 23.16-17)
En tant qu’humble serviteur du dépôt, Benoît XVI était animé par une idée concrète : le rôle de l’Église est de garder à la fois la lex credendi et la lex orandi . Et pour Benoît XVI, la Messe liturgique traditionnelle et le Novus Ordo sont « l’expression de la même lex orandi de l’Église ».
De manière cohérente, Benoît XVI a voulu corriger l’idée selon laquelle la liturgie est quelque chose qui peut être manipulé, fabriqué ou remodelé selon nos propres caprices. Benoît XVI a voulu corriger l’idée selon laquelle la liturgie est quelque chose qui peut être manipulé, fabriqué ou remodelé selon nos propres caprices.
Les Pères du Concile Vatican II ont enseigné qu’il ne doit y avoir aucune innovation à moins que le bien de l’Église ne l’exige véritablement et avec certitude ; et il faut veiller à ce que toute nouvelle forme adoptée se développe d’une manière ou d’une autre de manière organique à partir de formes déjà existantes. Lorsqu’une croissance inorganique se fait passer pour un développement authentique au sein de la liturgie, l’Église a la tâche d’élaguer et d’éliminer ces ajouts, afin que le sens et la beauté de la liturgie puissent s’épanouir pleinement en tant qu’œuvre de Dieu.
Bien qu'il ait été suggéré que le Summorum Pontificum de Benoît XVI était avant tout une concession à la Fraternité Saint-Pie X, Benoît XVI lui-même déclare le contraire dans son entretien avec Peter Seewald dans Le Dernier Testament :
Il était important pour moi que l’Église soit intérieurement unie à elle-même, à son propre passé ; que ce qui était autrefois sacré pour elle ne soit pas aujourd’hui en quelque sorte erroné. Le rite doit évoluer. En ce sens, une réforme est appropriée. Mais la continuité ne doit pas être rompue.
Si l’heure de limiter drastiquement la célébration de la MTL arrive, nous devrions tous continuer à faire ce que nous aurions toujours dû faire : prier, jeûner et fréquenter les sacrements avec constance. Ce serait aussi un moment de deuil, car ce serait une autre forme d’aliénation des individus, des familles et des communautés qui ont été soutenus par la branche vivante de la MTL.
Nous pouvons nous concentrer sur la réflexion à nouveau sur la perspective de la « réforme de la réforme » et prier pour qu’un pontife ultérieur puisse comprendre la sagesse des paroles de Benoît XVI dans sa lettre aux évêques qui accompagnait Summorum Pontificum : « Ce que les générations précédentes considéraient comme sacré reste sacré et grand pour nous aussi, et cela ne peut pas être tout d’un coup entièrement interdit ou même considéré comme nuisible. »
Il n’y a rien à gagner à s’inquiéter de ce qui pourrait arriver ou non à la MTL, mais nous devons continuer à nous réorienter vers Jésus-Christ, qui revient sur l’autel pendant la célébration de la liturgie sacrée. À l’approche du 25e anniversaire de L’Esprit de la liturgie de Joseph Ratzinger , nous pourrions renforcer la force du sensus fidelium en lisant (ou en relisant) et en étudiant cet ouvrage et les riches trésors que l’on peut découvrir dans son héritage liturgique. Cela nous permettra de mieux apprécier sa sagesse en restaurant la liberté dans la célébration de la MTL ; et, plus encore, cela nous aidera à comprendre et à aimer le Christ et la liturgie sacrée.
En contemplant le don de la théologie de la liturgie de Benoît XVI, nous apprécierons un autre aperçu du Dernier Testament :
Institutionnellement et juridiquement, on ne peut pas faire grand-chose contre [l’appauvrissement et l’usage abusif de la liturgie]. Ce qui est important, c’est qu’une vision intérieure émerge et que les gens apprennent ce qu’est la liturgie en regardant intérieurement – qu’ils apprennent ce qu’elle signifie vraiment. Nous avons besoin que l’Église nous guide pour comprendre le véritable esprit de la liturgie et pour apprécier le don de l’unité au sein de la diversité liturgique. Sinon, l’Église risque de ne pas être reçue comme mater ou magistra .
Commentaires
Le pape, quand il veut bien assumer pleinement tout le poids de sa charge, est avant tout le gardien de la foi, non seulement sous l'angle liturgique mais aussi sur le plan dogmatique.
Si l'on préfère, le pape est avant tout le gardien de la conception catholique de l'Écriture et de la Tradition, ou le gardien de la relation catholique à la Parole de Dieu, ou encore le gardien de la conception et de la relation catholiques à la révélation divine, en ce que l'une et l'autre ont d'explicitement et de spécifiquement distinctif ad extra et normatif ad intra.
Or, depuis Jean XXIII, les papes préfèrent très souvent être les promoteurs de l'acception oecuméniste de l'unité et non les protecteurs de l'expression catholique de la vérité, la protection de l'expression catholique de la vérité impliquant le maintien en vie de la distinction entre la vérité et les erreurs, dans le domaine de la foi.