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Les défis du mariage chrétien en Afrique

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Pour oublier un instant la rengaine à la mode sur la distribution de la communion aux "divorcés-remariés", nous avons déjàimage (5).jpg évoqué cet autre sujet ici : Synode sur la famille : la parole aussi africaine . Le site de « La Vie » revient, en effet, sur la problématique du mariage en Afrique avec une analyse de Bernard Ugeux, prêtre belge aujourd’hui en poste à Bukavu (RDC). Pour l’essentiel, cette analyse recoupe, en l’actualisant, celle qu’un ancien de l’Afrique belge avait faite en quelques mots sous notre précédent article : « le modèle individualiste du mariage occidental contemporain a profondément déstabilisé le mariage coutumier en Afrique, sans que l’Eglise soit encore parvenue à y acculturer la conception chrétienne de l’union matrimoniale dans ce qu’elle a de profondément vrai. Avec le combat contre la polygamie (encouragé jadis par l’autorité coloniale) cette conception a, bien involontairement sans doute, encore accru le concubinage et l’union libre. C’est du moins ce que j’ai cru voir sur le petit bout de terre congolaise où j’ai vécu dans ma jeunesse, entre 1950 et 1960. Les choses ont-elles changé un demi-siècle plus tard ? »

 En Afrique, à l’heure où commence le Synode sur la famille, le mariage apparaît toujours fragilisé : c’est ce que confirme le texte un peu long du Père Ugeux. Mais, à juste titre, il souligne aussi certains progrès acquis du sens chrétien authentique de la famille,  vécu par une minorité avec cette fraîcheur d’âme qui est le meilleur de l’ « authenticité » africaine. Les élites spirituelles montrent le chemin.

« Les Eglises d’Afrique sont confrontées à de nombreux défis car elles se situent entre plusieurs cultures et que les difficultés s’additionnent en milieu urbain. Il faut dire d’emblée qu’il existe de nombreuses familles catholiques fidèles et généreuses qui représentent un très beau témoignage et une grande promesse pour l’avenir, même si la part laissée aux laïcs dans les responsabilités ecclésiales y restent souvent la portion congrue.
Lors d’un colloque sur la Famille chrétienne organisé récemment par un diocèse d’Afrique centrale, des laïcs mariés et engagés ont présenté un visage plutôt pessimiste du mariage, écartelé entre les traditions ancestrales et le relativisme introduit par la mondialisation. L’un d’entre eux déclarait : « les indicateurs sont au rouge… ». Voici quelques défis énumérés lors de leurs interventions, qui ne peuvent être  approfondies ici:

A propos de l’influence des traditions coutumières, ils notent la résistance de la polygamie, de la sujétion de la femme à la domination masculine, la surenchère de la dote qui entraîne nombre de mariages non sacramentels (puisqu’il est exigé que le mariage coutumier ou civil soit attesté avant la célébration sacramentelle) et le choix du ou de la partenaire par les anciens. Dans certains pays, les mutilations génitales se perpétuent, surtout en milieu rural. On rencontre aussi des traditions de mariage par étapes où le couple doit cohabiter et montrer sa fécondité avant que la dote soit définitivement acceptée. Il existe encore le rejet de la femme stérile, qui est parfois la cause de la polygamie. Ils constatent aussi qu’il peut y avoir recours à des devins ou des sorciers pour résoudre des querelles de famille. Ils déplorent enfin l’intervention des membres de la famille élargie dans les problèmes personnels des couples au risque de déstabiliser leur relation.

En milieu urbain surtout, ce qui domine c’est la liberté de former des unions plus ou moins provisoires sans l’accord des parents. Or, le montant de la dote ou le prix des fêtes de mariage condamnent un très grand nombre de jeunes à vivre en concubinage contre leur gré, même après avoir eu plusieurs enfants. Des dizaines de milliers de diplômés chômeurs désespèrent de trouver un emploi et de se marier, alors que les gouvernants s’emparent des fruits de la production économique destinés à créer des emplois. Par contre, dans les milieux aisés, la dimension économique prend une place exagérée, soit par l’imposition d’un conjoint issu d’une famille fortunée, soit en transformant la célébration de mariage en un étalage éhonté d’une opulence où rivalisent les fortunes plus ou moins honnêtement acquises. L’Eglise s’élève régulièrement contre ses abus.

La richesse entraîne également une forme de perversion de la polygamie (qui est une institution dans la tradition) qui s’exprime par la création de « deuxième ou troisième bureaux ou ambassades » où les riches expriment leur pouvoir à travers le nombre de leurs concubines (qui ne sont gardées que pour le temps de leur fraîcheur). Pour beaucoup d’autres, la pauvreté et le chômage les forcent à cherche du travail au loin, laissant parfois leur femme seule à élever les enfants, durant des mois, voire des années. Ce sont souvent les femmes qui portent l’économie quotidienne du foyer à bout de bras. Dans certaines villes, il n’est pas rare de ne manger qu’un jour sur deux et de ne scolariser les enfants qu’une année sur deux ou trois (à tour de rôle).

Une autre difficulté est l’insuffisance ou le manque de parentalité responsable. Dans certains régions, des citadins continuent à procréer comme en milieu rural, engendrant jusqu’à 10 ou 12 enfants alors qu’ils ne sont déjà plus capables de scolariser ou de fournir les soins nécessaires après le troisième ou le quatrième enfant. Il existe souvent dans ce domaine une carence d’éducation tant sur le plan médical que pastoral qui produit alors des avortements clandestins faute de contraception bien gérée. En effet, les méthodes dites naturelles, les seules autorisées par l’Eglise catholique, ne sont pas faciles à pratiquer pour des personnes peu alphabétisées. La conséquence de cette irresponsabilité est la multiplication des « enfants de la rue » (qui n’ont pourtant pas été engendrés par la rue !) et des bandes de délinquants de tous âges ainsi que la prostitution enfantine. En outre, les filles qui ne peuvent payer l’école ou l’université en monnaie payent en nature, ce qui explique l’abandon de l’enseignement par nombre d’entre elles pour cause de grossesse.

Pour les couples mariés, ce dont se plaignent souvent les épouses, mères de famille nombreuses, c’est de l’absence de leur mari en fin de journée. Beaucoup préfèrent se retrouver entre eux à l’extérieur plutôt que participer aux soucis du ménage et à l’éducation des enfants. La consommation d’alcool est souvent le loisir principal dans ce cas. En outre, la plupart se sentent dépourvus face aux attentes de dialogue et de coresponsabilité de leur conjoint. Quant aux hommes, ils reprochent parfois aux femmes leur absentéisme à cause de leur participation à des groupes de prière et des pratiques de dévotion qui ne connaissent plus d’heure.

Les jeunes, qu’ils soient étudiants ou désœuvrés, sont évidemment exposés dans les villes surpeuplées et anarchiques à toutes les tentations qu’on rencontre en milieu urbain :impudeur, pornographie, prostitution, banditisme, drogue, … La pauvreté ou l’absentéisme parental (dans toutes les couches sociales) est source de souffrance et d’insécurité pour nombre d’entre eux. Souvent les jeunes se plaignent de l’impossibilité de se confier à leurs parents.

Toutes ces difficultés sont sérieusement aggravées dans les régions qui sont en guerre.Alors, les familles se désagrègent, les femmes sont violées en réunion (parfois en présence de leurs enfants et de leur mari), les hommes et les jeunes filles emmenés par les milices, des enfants sont enrôlés dans des groupes armés dont ils ressortent totalement déstabilisés, s’ils survivent. La séparation des membres des familles en fuite, les conséquences psychologiques et morales des violences sexuelles pour les couples et les enfants, l’insécurité sur les routes ou dans les camps de réfugiés rendent la vie de famille quasi impossible.

A ceux et celles qui trouveraient ce tableau trop sombre ou trop pessimiste, je préciserais que ceci n’est qu’une partie de la liste exposée par ces laïcs, originaires de la région des Grands Lacs. Certains vont même jusqu’à considérer qu’il s’agit d’une destruction programmée des familles, étant influencés par des tenants de l’idéologie de la « Nouvelle éthique mondiale » si répandue en Afrique. Cette théorie contestée considère que tous les programmes humanitaires introduits en Afrique n’ont comme unique objectif que de détruire les valeurs africaines et chrétiennes sur le continent. Or, on sait que, quand il y a crise, il y a toujours des justiciers qui crient au complot, comme c’est le cas pour cette idéologie. Les causes sont plus complexes et moins dramatiques.

Que retenir de ce plaidoyer exposé par ces responsables laïcs ? Tout d’abord, même si le Pape Benoît XVI a déclaré que l’Afrique était le poumon spirituel de l’Eglise, il ne faut pas s’imaginer que le Synode y puisera des solutions toutes faites aux questions pastorales que le Pape François pose avec courage.
L’Eglise vit dans le monde et l’Afrique traverse des crises profondes, que d’autres continents ont traversées avant elles, mais dans des contextes moins mouvementés. Les valeurs africaines traditionnelles concernant le mariage comme la fidélité, la fécondité, la fraternité, l’hospitalité, la solidarité sont des sources d’espérance et des richesses à préserver. L’enseignement de l’Eglise sur le mariage, et particulièrement à propos de la valeur sacrée de tout être humain y compris les femmes et les enfants, et de l’engagement monogame, apporte encouragement et support aux couples catholiques. Il y en a qui tiennent et rayonnent à travers tout. Le Droit Canon ne doit cependant pas se dissocier de la pastorale. Il existe des mouvements de couples, des commissions diocésaines pour le mariage (parfois curieusement absentes dans des diocèses où la situation de violence est la pire), la préparation au mariage, etc.. Ce qui manque souvent, c’est un accompagnement des jeunes couples et une initiation au dialogue entre époux, ce qui est une des carences les plus graves aujourd’hui. Le rôle des parrains et des marraines est souvent mis en valeur et pris très au sérieux, mais eux-mêmes demandent une formation au dialogue pour leur propre vie de couple, ce qu’ils trouvent difficilement dans la plupart des diocèses.
Nous sommes dans l’attente de ce que le Synode apportera comme éclairage pastoral. Il n’est pas censé résoudre tous les problèmes. Cependant, il ne suffit pas de répéter sur tous les tons que les catholiques ne connaissent pas suffisamment la doctrine officielle, ce qui est vrai, mais il vaut mieux les aider avec miséricorde à vivre, comme disait le Frère Roger de Taizé, le « peu qu’ils ont compris de l’Evangile » dans la situation si fragile mais pleine de promesse que connaît leur continent. Photo : B. Ugeux : une famille, c’est 3 ou 4 générations…

 Ref.Les défis du mariage chrétien en Afrique

JPSC

Commentaires

  • Je trouve que la conception africaine du mariage est plus "catholique" que la conception européenne, mâtinée du paganisme qui a repris du poil de la bête en Occident. En Afrique, les deux familles et toute la communauté villageoise sont associés au couple, avant, pendant et après le mariage. Jusqu'à considérer que les enfants nés du couple sont aussi les leurs et qu'ils en portent la responsabilité avec les parents.
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    Je ne sais quand est apparue cette conception européenne rabougrie, où le couple est fermé sur lui-même, seul responsable des enfants qu'ils mettent au monde. Cela me semble relever de la conception individualiste qui imprègne de plus en plus la société occidentale. Cet individualisation du couple est-elle "catholique", je ne le crois pas ? On le voit trop dans des paroisses où cette individualisation provoque la destruction de tout esprit de communauté. Ce "chacun pour soi" peut difficilement être qualifié de "catholique". Et cette individualisation favorise et facilite aussi forcément les divorces, séparations et répudiations.
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    Nous avons peut-être besoin d'être ré-évangélisés par les Africains, dans ce domaine de la famille, du mariage et des enfants.

  • Ce que rapporte là le Père Ugeux « sonne » juste et me semble dans la ligne de ce que je pense avoir observé jadis, avec en plus malgré tout une note d’espérance : une espérance que justifient le joyeux désir de Dieu inscrit au fond de l’âme africaine et sa conviction que l’Eglise -vue là-bas comme une force de progrès pour l'homme- lui en montre le chemin. Les idéologies la touchent peu et c’est une grâce. Comme Benoît XVI, j'ai l'intuition que, malgré ses carences nombreuses, l’Afrique noire sera, demain, la référence de la foi authentique pour l’Eglise.

  • @ tchantchès ... Je mettrais juste un petit bémol. Ce qui "sonne juste" à nos oreilles d'Européens correspond bien sûr à la musique que nous avons l'habitude d'entendre dans l'Europe paganisée. Mais cette musique a été peu à peu "paganisée" pour y habituer nos oreilles de catholiques.
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    Nous avons toujours intérêt à être plus critiques envers nous-mêmes qu'envers les autres, pour ne pas nous croire trop supérieurs à eux. Le publicain est plus proche de Dieu que le pharisien. L'évolution sur le mariage en Europe est une véritable régression à laquelle on ne prend même plus garde. Les catholiques africains peuvent nous aider à nous réveiller.

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