Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une lecture apaisée d'Amoris Laetitia

IMPRIMER

D'Antoine Pasquier sur le site de l'hebdomadaire "Famille Chrétienne" :

Pour une interprétation positive d’Amoris Lætitia

Dans un ouvrage (1) paru début septembre en France, trois professeurs de l’Institut pontifical Jean-Paul II offrent une lecture constructive et apaisée de l’exhortation apostolique Amoris Lætitia pour en dégager des pistes concrètes d’actions pastorales. Entretien avec l’un d’entre eux, le père José Granados.

Qu’apporte Amoris Lætitia de nouveau pour la pastorale de la famille, et pour les acteurs de cette pastorale ?

Je crois que la grande nouveauté d’Amoris Lætitia est son chapitre IV. La pastorale familiale naît de l’hymne à la charité de saint Paul, qui est le centre de la foi chrétienne. La pastorale avec les familles est le centre de la vie de l’Église, parce qu’au sein de la famille, on apprend à aimer et parce que l’amour est la vocation de l’homme.

Cette nouveauté se complète d’une condamnation claire du « sentimentalisme », c’est-à-dire de l’assimilation du fait « d’être bon » avec un sentiment (cf. AL 145). Au contraire, l’amour est lié à la vérité, la charité « trouve sa joie dans la vérité » (1 Cor 13, 6). L’amour est vrai, selon le pape François, parce qu’il est capable de traverser toute la vie, tandis que le sentiment s’éteint en un instant. Cette dimension « narrative » de l’amour est une grande nouveauté d’Amoris Lætitia. C’est pourquoi le pape nous demande de préparer au mariage, mais aussi d’accompagner les jeunes familles, d’éduquer avec patience les enfants, et de se pardonner mutuellement quand l’amour diminue.

Les conséquences sont très grandes pour la pastorale. Amoris Lætitia dit que le « sujet » de la pastorale familiale est, en premier lieu, la famille (AL 200). Elle est « sujet pastoral » et pas seulement « agent pastoral », parce que ce qui est fondamental n’est pas de « faire » des choses, mais « d’être » une famille. La mission principale de la pastorale familiale consiste à former des familles en Christ, qui édifient une famille de familles. Dans ce périmètre entre aussi l’accompagnement de ceux qui vivent un « amour blessé et égaré » (AL 291).

L’exhortation fait l’objet de nombreuses critiques (cf. la correction filiale et les dubia). Ce n’est pas l’objet de votre ouvrage, mais quelle lecture faites-vous d’Amoris Lætitia ?

On doit sans doute ces critiques aux différentes interprétations de l’exhortation. On voit des lectures d’Amoris Lætitia qui se centrent uniquement sur le chapitre VIII et sur les normes pour accéder aux sacrements. Il y a des réponses très variées, quelques-unes sont très problématiques, ou qui paraissent tendre vers une vision subjective des sacrements. Que répondre à cela ?

Je crois qu’Amoris Lætitia doit être interprétée dans le grand courant de la tradition et du Magistère. C’est-à-dire que, si un texte présente une ambivalence, il faut alors l’interpréter à la lumière d’autres textes du magistère antérieur, plus clairs. Car Amoris Lætitia n’est pas un livre isolé, mais le chapitre d’un grand livre, comme l’indique très bien le chapitre III.

Quelle est la spécificité de « l’accompagnement pastoral » proposé par le pape François ?

En premier lieu, tout accompagnement de l’Église est de l’ordre d’un suivi. L’Église accompagne parce qu’elle suit quelqu’un, et ce quelqu’un est le Christ. Amoris Lætitia commence en nous parlant précisément de l’amour de Jésus selon la Bible et selon la tradition de l’Église. Saint Paul lui-même, dans son hymne à la charité, ne fait pas référence à un amour idéal, mais à l’amour de Jésus. Quand il dit : « l’amour rend service, l’amour ne se gonfle pas d’orgueil, l’amour prend patience. »

L’accompagnement signifie qu’il y a, en plus, une communauté qui accompagne. Et cette communauté est une famille, une famille de familles. Pour accompagner, l’Église est appelée, en premier lieu, à prendre soin du climat au sein de chaque famille, pour que celle-ci s’édifie sur l’amour de Jésus. Que l’on puisse y vivre un amour vrai, fidèle, qui pardonne.

L’accompagnement signifie, enfin, cheminement qui traverse les étapes de la vie avec patience. Le pape François est très sensible aux processus de maturation, tant en ce qui concerne la préparation au mariage que les premières années de l’éducation des enfants et aussi en vue de ramener à la vie ecclésiale ceux qui s’en sont éloignés.

Quelle doit être le parcours à suivre pour des pasteurs qui souhaitent aider des personnes « en situation irrégulière » ?

En premier lieu, il nous est demandé de ne pas condamner la personne qui vit un amour « blessé et égaré » (AL 291). Beaucoup de ces personnes sont victimes d’une société qui ne protège pas la famille. Il y a un premier temps pour l’accueil.

La méthode adéquate est celle de Jésus avec la Samaritaine (AL 294). En toute personne il y a quelque chose de bon et le pape nous invite à fortifier cette bonté présente. Cette bonté reflète le désir d’amour vrai que Dieu a placé dans le cœur de chacun. À partir de là un chemin peut être initié qui aille pas à pas, sans jamais perdre de vue l’objectif final. Ce qui impliquera d’inviter les personnes à changer leurs désirs. C’est une régénération du désir, pour que nous désirions ce qui embellit et déploie notre vie. Rappelons-nous comment saint Paul dénonce ceux qui « s’entourent de maîtres à la mesure de leurs propres désirs » (2 Tim 4, 3).

Qu’en est-il de la question de l’accès aux sacrements pour les personnes « en situation irrégulière » ? Peuvent-elles y avoir accès, et si oui, de quelle manière ?

Amoris Lætitia aborde le sujet seul en une note de bas de page (note 351, Ndlr). Cette note est formulée au conditionnel de façon très vague. C’est pourquoi il ne me semble pas qu’il y ait de quoi fonder, sur cette note, un changement de discipline, alors que d’autres textes magistériels affirment cette même discipline de façon claire. Jean-Paul II et Benoît XVI ont tous deux affirmé que cette discipline s’appuie sur des raisons doctrinales mais aussi sur les Écritures saintes elles-mêmes.

Je crois qu’il est bon de saisir pleinement que la grâce de Dieu ne se limite pas aux sacrements. Dieu aide les personnes à cheminer de bien des façons ainsi qu’à participer à la vie de l’Église.

En outre, les sacrements ne sont pas une union privée avec Dieu : à travers eux, nous nous incorporons à l’Église et nous rendons visible à la face du monde le modèle de vie que Jésus a vécue et qu’il nous a enseigné à vivre. Suivant une idée de saint Augustin, quand nous disons « Amen » avant de communier, nous ne disons pas seulement « oui, ceci est le corps du Christ. » Nous disons : « Oui, je veux vivre comme vivent les membres du corps du Christ. » C’est pourquoi il n’est possible de manger le corps du Christ que lorsque l’on est prêt à manger aussi ses paroles.

Mais le chemin en lui-même est plus important que l’accès aux sacrements. Le petit pas en avant, comme dit le pape. Rappelons-nous que le sacrement de réconciliation est un sacrement qui traverse le temps. La réconciliation est entamée dès lors que le pécheur décide de revenir au Christ et amorce un chemin de retour. Dans ce cas on pourrait dire que celui qui se met en chemin est déjà sous l’influence du sacrement de réconciliation, bien que n’ayant pas encore reçu l’absolution. Ne pourrait-on pas inventer des itinéraires concrets de retour, avec des rites de passage, comme une catéchèse de la parole de Dieu focalisée sur le projet de Dieu pour la famille ?

Certains affirment que l’exhortation relativise l’enseignement de l’Église sur le mariage. Le pape, au contraire, ne rappelle-t-il pas, l’importance du lien matrimonial et d’une bonne préparation au mariage ?

L’exhortation est très claire en ce qui concerne le respect de la doctrine sur le lien indissoluble et sur le sacrement du mariage, qui prend racine dès la création. Si certains se sont plaints de ce qu’Amoris Lætitia change la doctrine, c’est à cause du sujet de l’accès aux sacrements. Si la célébration des sacrements changeait, cela aurait aussi des conséquences sur la doctrine, parce que la doctrine de l’Église n’est pas qu’une idée : c’est quelque chose qui se transmet au moyen de signes visibles que sont les sacrements. Saint Thomas, par exemple, disait que l’on ne peut accorder les sacrements à quelqu’un qui souhaite continuer à vivre dans le péché, parce que ce serait une « contrefaçon des signes sacramentels ». Ce serait comme si quelqu’un écrivait « pour toujours », mais en l’écrivant sur le sable de la plage ; nous nous méfierions de ce qu’il a écrit.

Comme je l’ai déjà dit, Amoris Lætitia ne change pas la discipline eucharistique et, à ce titre, préserve la doctrine. Sa nouveauté est, plutôt, un changement de regard sur la famille et son cheminement, et un changement d’action pastorale pour accompagner toutes les familles.

Le pape François a donné de nouvelles orientations à l’Institut Jean-Paul II. Leur objectif est-il de prendre mieux en compte cette action pastorale développée dans Amoris Lætitia ? Comment analysez-vous cette refondation ?

Pour analyser la refondation, il me semble que la clé réside dans les paroles du grand chancelier Mgr Paglia et dans celles du président Mgr Sequeri. D’après eux, le pape François a voulu « mettre sa signature » au projet entrepris par Jean-Paul II, en conservant tout son héritage. C’est pourquoi le pape accorde toujours sa confiance à tous les professeurs et au travail qu’ils ont réalisé jusqu’à maintenant. La refondation ne signifie pas oubli du passé, mais élargissement du regard, surtout pour cultiver les sciences humaines. Au milieu de tant de discussions au sujet d’Amoris Lætitia, je crois que notre service à l’Église passe par la démonstration de la cohérence avec le magistère antérieur de Jean-Paul II.

Antoine Pasquier

(1) Amoris laetitia. Accompagner, discerner, intégrer. Vademecum pour une nouvelle pastorale familiale, Artège, 186 pages, 16 euros.

Commentaires

  • Voilà une vision équilibrée de la problématique. Merci à Familles chrétiennes

  • Manifestement, la « métamorphose » de L’Institut pontifical Jean-Paul II produit déjà ses effets :
    • Soit que ces trois professeurs sont dans l’ignorance du bien fondé des nombreuses réactions considérables que suscitent la « note de bas de page » (n° 351)
    • Soit qu’ils ne sont pas conscients que cette note est comme un virus dans un ordinateur ou dans une communauté dépourvue d’anti-virus, ou encore comme la petite goutte de poison violent dans la pomme,
    • Soit qu’ils font délibérément abstraction de la réalité de l’actualité en suscitant la question d’en connaître les raisons précises.
    « Qu’aviendra-t-il si les fils de lumière sont moins avisés que les fils des ténèbres ? »
    « Si l’on trait ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois sec ? »

  • Famille Chrétienne joue sans cesse à faire le grand écart mais ne travaille plus pour une vérité objective.
    A L est une exhortation empoisonnée et elle la restera si elle n'est pas corrigée.
    Tant qu'elle ne l'est pas, nous avons Familiaris Consortio qui tient la route et qui n'a pas de date de péremption.

  • Le mal s’est à présent tellement répandu et enraciné qu’il s’est érigé en norme jusqu’à parvenir à s’imposer à la conscience générale au point de faire apparaître le bien comme anormal, contraire à la norme et malfaisant. C’est en tout cas ce que fait ressortir l’application pastorale « à la carte » d’Amoris Laetitia :
    • Ceux qui défendent l’application pastorale suggérée et soutenue par Jorge Bergoglio sont assimilés à de bons catholiques oeuvrant pour l’unité dans l’Eglise, pour l’intégration sans discrimination de tous les baptisés.
    • Ceux qui s’opposent à l’application pastorale telle qu’elle est suggérée et soutenue par Jorge Bergoglio sont assimilés à de mauvais catholiques (traditionnels) qui génèrent la division au sein de L’Eglise.
    Quant au juste équilibre entre le bien et le mal, il n’existe pas selon ce que le Seigneur Christ Jésus en a dit dans le simple respect de la logique et de la sincérité : « Que ton « oui » soit « oui », que ton « non » soit « non », le reste ne vient que du malin. » . Faut-il croire que tous ceux qui ont œuvré dans l’Eglise jusqu’en 2012 n’étaient pas assez intelligents que pour pouvoir établir le juste équilibre ? En fait, il y a bien longtemps que même Coluche (Michel Colucci ) a trouvé le juste équilibre qu’il définit très simplement en disant : « Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire ! ».

  • L'exhortation Amoris Laetitia comporte certainement des chapitres riches en enseignements pour les familles mais si le chapitre VIII entrait dans le grand courant de la Tradition et du Magistère, le Pape François n'aurait aucune difficulté à le dire. Or nous savons qu'il refuse de répondre à toutes les suppliques, aux dubia et à la correctio filialis. Le préfet actuel de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi reste également muet sur les "dérapages" supposés des interprétations. On se demande si ce préfet existe!
    Beaucoup de laïcs concernés considèrent déjà, et, qui plus est, le plus souvent sans aucun accompagnement de discernement, qu'il n'y a plus aucun obstacle aux sacrements pour personne, divorcés-remariés ou pas ( contredisant Saint Paul). Ainsi est la réception populaire, dans les FAITS de cette exhortation et aucune instance ne corrige l'interprétation de ces laïcs, exceptés des évêques de quelques pays. Si Rome ne dit rien, c'est que toutes les interprétations sont possibles au gré de la conscience de chacun, comme dans le protestantisme. On se met à faire peu de cas des sacrements, voire à les profaner! A ce propos, il devient fréquent en Allemagne et même à Rome, que des groupes de protestants revendiqués comme tels (censés ne pas croire en la Présence réelle) communient dans des églises catholiques. C'est certainement une autre conséquence du laxisme induit par cette exhortation. Ne soyons pas naïfs ; si aucune mise au point n'arrive de nulle part, c'est bien que le Pape François a obtenu ce qu'il voulait.

  • Sans doute qu'on ne lit pas les pages magnifiques des 7 premiers chapitres pour se focaliser sur une note du chapitre 8. Mais j'ai l'impression que ceux qui sont critiques n'ont jamais fait de pastorale et ne connaissent pas les cas concrets. Le pape demande d'accompagner, de discerner et d'intégrer. Il ne change pas les règles, mais en bon missionnaire il demande au père spirituel de discerner ce qui convient le mieux à l'âme.

  • Nos aînés, nos Pères, le savaient, le croyaient et le proclamaient : « Difficile de redresser une barre de fer qui est tordue ! ». Mais ils ne manquaient pas pour autant d’amour miséricordieux. Car ils proclamaient aussi : « La Vérité vous le dira ! » - « La Vérité vous délivrera ! » (St Paul) – « La Vérité vous redressera ! »
    Ponce Pilate : « Qu’est-ce que la Vérité ? »
    Jésus le Christ : « Je suis le chemin, la Vérité et la vie. Nul ne va au Père sans passer par moi ! »
    St Augustin : « La vérité, c’est l’adéquation de la pensée avec la réalité. Autrement dit, c’est ce qui est conforme à la réalité, c’est ce qui ne trompe pas sur la réalité NI sur ses résultats.
    On a beau présenter une « Vérité de substitution » plus facile à vendre et à « consommer ». Mais c’est d’abord de l’anathème, et surtout, elle ne pourra jamais produire que des résultats contraires à ceux qui sont escomptés, car c’est précisément eux qui rendent témoignage à l’unique vérité « qui ne trompe pas sur la réalité ni sur les résultats », ce sont eux qui permettent de distinguer l’unique Vérité des multiples fausses vérités de substitution. Et cela se vérifie aisément par le fait que les vérités trompeuses génèrent rapidement la division au lieu de l’unité qui est la perfection de l’amour (La Sainte Trinité).
    C’est très bien de ne pas changer les règles, la « théorie » de la Vérité, c’est très mal de ne pas les respecter et d’en changer la pratique. Un bon médecin est très respectueux de la science médicinale, et ses patients ne demandent pas mieux, n’en attendent pas moins.

  • Avez-vous observé que le nombre de couples en difficulté est important ? Et par faiblesse de l'éducation donnée de nos jours, ce nombre devrait grandir significativement.
    Avez-vous observé que le nombre de prêtres est faible et en déclin ?
    Cette théorie de l'accompagnement pastoral est donc une vue de l'esprit parfaitement chimérique.

  • Le pape François, dont la responsabilité principale est la défense et la transmission des vérités de la foi, a ignoré les demandes de clarification par des cardinaux de ses passages les plus confus et controversés.
    Pourquoi ce silence assourdissant ?
    Les conférences épiscopales de différents pays ont donc publié des directives contradictoires...
    Pourquoi entretenir cette confusion ?
    Dans certains diocèses, les prêtres sont même sommés par leur hiérarchie de donner la communion aux personnes “divorcées-remariées” sous peine d’être suspendus de leurs fonctions !

  • Ce que Mme Lysanias rapporte ests très correct et ne saurait qu’être confirmé par ceux qui, comme elle certainement, se préoccupent de connaître l’endroit et l’envers, ce qui est vrai et ce qui est faux, pour acquérir la certitude inébranlable de ne pas se tromper.
    Le fait que des prêtres soient menacés d’être suspendus de leurs fonctions pour des raisons tout à fait spécieuses est très inquiétant pour le proche avenir de l’Eglise. Et ce n’est qu’une partie de la réalité qu’un grand nombre semble ne pas encore connaître en étant, de ce fait, porté à des actions et des réactions tout à fait contraires à celles que devraient leur susciter la connaissance et la conscience de cette réalité.
    Mais il est déjà certain que la suite des événements ne saurait manquer de manifester pleinement la réalité profonde de la santé de l’Eglise.

Les commentaires sont fermés.