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Familles homosexuelles. Ce que le pape a dit et ce que lui a fait dire Afineevsky

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De Sandro Magister (Settimo Cielo) :

23 octobre

Familles homosexuelles. Ce que le pape a dit et ce que lui a fait dire Afineevsky

C'est ce que dit le Pape à propos des "familles" homosexuelles dans le docufilm "Francesco" du réalisateur Evgeny Afineevsky (en photo) présenté le 21 octobre au Festival du film de Rome :

"Las personas homosexuales tienenen derecho a estar en la familia. Son hijos de Dios, tienenen derecho a una familia. No se puede echar de la familia a nadie, ni hacer la vida imposible por eso. Lo que tenemos que hacer es una ley de convivencia civil. Tienenen derecho a estar cubiertos legally. Yo defendí eso".

Cela ressemble à ceci :

"Les personnes homosexuelles ont le droit d'être dans une famille. Ce sont des enfants de Dieu, ils ont droit à une famille. Vous ne pouvez pas éloigner quelqu'un de sa famille ou lui rendre la vie impossible. Ce que nous devons faire, c'est une loi de coexistence civile. Ils ont le droit d'être légalement couverts. Je l'ai défendue".

D'où l'on apprend que François, pour la première fois dans l'histoire de l'Église, bénit des "familles" et donc des mariages homosexuels, comme l'illustre la suite du film avec le couple italien d'homosexuels catholiques "marié" avec trois enfants nés de la gestation pour autrui au Canada, auquel le Pape lui-même exprime tous ses encouragements.

*

Et pourtant, le père Antonio Spadaro, un jésuite très proche de Jorge Mario Bergoglio, a immédiatement déclaré qu'il n'y avait rien de nouveau dans ces mots et que ce sont les mêmes mots déjà prononcés par François dans une précédente interview de la journaliste Valentina Alazraki, pour la télévision mexicaine Televisa.

Et c'est vrai. Mais avec des coupures, des coutures et des interpolations qui ont en fait radicalement changé le sens de ces mots.

Voici en effet (...) le texte original de cette interview dans la partie utilisée dans le film, dans la transcription du texte publiée par le Vatican le 28 mai 2019 avec la cassette vidéo. Les mots saillants sont mis en italique, et les quelques phrases reproduites dans le film sont soulignées en gras.

FRANCOIS- Ils m'ont posé une question pendant le vol - après je me suis fâché, je me suis fâché parce qu'un journal l'a rapporté - sur l'intégration familiale des personnes d'orientation homosexuelle. J'ai dit : les homosexuels ont le droit de rester dans la famille, les personnes ayant une orientation homosexuelle ont le droit de rester dans la famille et les parents ont le droit de reconnaître cet enfant comme homosexuel, cette fille comme homosexuelle, vous ne pouvez pas expulser quelqu'un de la famille ou lui rendre la vie impossible. Une autre chose que j'ai dite, c'est que lorsque vous voyez des signes chez les garçons qui grandissent, vous devez les envoyer, j'aurais dû le dire auprès d'un professionnel, et au lieu de cela, j'ai sorti 'psychiatre'. D'où le titre de ce journal : "Le Pape envoie les homosexuels chez le psychiatre". Ce n'est pas vrai ! Ils m'ont encore posé la même question et je leur ai répété : ils sont enfants de Dieu, ils ont droit à une famille, et c'est tout. Et j'ai expliqué : j'ai eu tort d'utiliser ce mot, mais je voulais dire ceci. Lorsque vous remarquez quelque chose d'étrange, non, pas étrange, quelque chose qui sort de l'ordinaire, ne prenez pas ce petit mot pour déformer le contexte. Ce qu'il dit, c'est qu'il a droit à une famille. Et cela ne signifie pas qu'il faut approuver les actes homosexuels, bien au contraire.

VALENTINA ALAZRAKI - Vous savez ce qui se passe, quand on détache souvent du contexte, c'est aussi un vice de la presse. Lorsque vous avez dit, lors de votre premier voyage, cette phrase très célèbre : "qui suis-je pour juger", vous avez dit auparavant : "nous savons déjà ce que dit le catéchisme". Ce qui se passe, c'est qu'on ne se souvient pas de cette première partie, et que l'on se souvient seulement de : "qui suis-je pour juger". Ensuite, cela a également suscité de nombreuses attentes dans la communauté homosexuelle mondiale, car ils pensaient que vous iriez de l'avant.

FRANCOIS- Oui, j'ai fait des déclarations comme celle-ci sur la famille pour aller de l'avant. La doctrine est la même, celle des divorcés a été réajustée, dans la ligne cependant de "Amoris laetitia", au chapitre huit, qui est de retrouver la doctrine de saint Thomas, et non la casuistique.

VALENTINA ALAZRAKI - C'est ce qui crée parfois le problème.

FRANCOIS- Je comprends, mais pas quand ils sortent un mot de son contexte comme avec ce "psychiatre", on n'a pas le droit. Et c'est étrange, on m'a dit que c'était une personne incroyante qui me défendait. Elle a dit quelque chose que je n'avais jamais entendu auparavant, que l'expression "voir un psychiatre" était un lapsus.

VALENTINA ALAZRAKI - Pape François, il y a quelque chose qui attire mon attention. Certaines de vos connaissances lorsque vous viviez en Argentine disent que vous étiez conservateur, pour utiliser toujours des catégories, disons, dans la doctrine.

FRANCOIS- Je suis un conservateur.

VALENTINA ALAZRAKI - Vous avez mené toute une bataille sur les mariages avec des personnes du même sexe en Argentine. Et puis ils disent qu'il est venu ici, qu'il a été élu pape et que maintenant il semble beaucoup plus libéral qu'il ne l'était en Argentine. Vous reconnaissez-vous dans cette description de certaines personnes qui vous ont connu avant, ou est-ce la grâce du Saint-Esprit qui vous a donné plus ? [rires],

FRANÇOIS - La grâce de l'Esprit Saint existe, bien sûr. J'ai toujours défendu la doctrine. Et c'est curieux, dans la loi sur le mariage homosexuel... il est incongru de parler de mariage homosexuel.

*

Comme on peut le voir, dans l'interview originale, il n'y a pas un seul mot dans lequel François s'est écarté de la doctrine de l'Église.

La famille dont parle le Pape n'est que celle dont l'homosexuel est un fils, dans laquelle il doit être accueilli avec compréhension et amour.

En ce qui concerne les actes homosexuels, il confirme que ce que dit le Catéchisme de l'Église catholique continue de s'appliquer, qui les désapprouve toujours comme "intrinsèquement désordonnés".

Et sur le "mariage" homosexuel, il affirme que la simple mention de celui-ci est "une incohérence", en référence à la "bataille" qu'il a menée en tant qu'archevêque en Argentine contre, précisément, la légitimation des mariages de ce type et en faveur d'une simple loi de "cohabitation civile" entre personnes du même sexe.

Suivant un arrêt  de la bande vidéo de l'interview de Valentina Alazraki, il est clair que sur ce dernier point, François a dû dire quelque chose de plus, puis couper. Et ce sont précisément certains de ces mots qui, dans le film, ont été récupérés et cousus aux autres, évidemment avec la collaboration active des responsables des médias du Vatican :

"Lo que tenemos que hacer es una ley de convivencia civil. Tienenen derecho a estar cubiertos legally. Yo defendí eso".

En traduction :

"Ce que nous devons faire, c'est une loi de cohabitation civilisée. Ils ont droit à une couverture juridique. J'ai défendu cela".

Et pas seulement cela. Les trois courtes phrases tirées de l'interview de 2019 ont été interchangées dans le film, donnant la plus grande importance à celle dans laquelle le Pape dit que les homosexuels "ont droit à une famille". Ce qui, lié à sa volonté expresse de donner à ces unions une "couverture légale", finit par faire passer le message de l'approbation par le pape des "mariages" entre homosexuels, avec des enfants comme dans une famille normale.

En bref, grâce à ce copier-coller sans scrupules, François se retrouve à dire dans ce film des choses radicalement différentes de ce qu'il a dit à l'origine avec les mêmes mots.

*

Comment les autorités du Vatican ont-elles réagi au rugissement des médias du monde entier sur ce changement révolutionnaire de la doctrine de l'Église catholique sur l'homosexualité ?

Les médias du Saint-Siège ont donné de brèves nouvelles du film - sans faire la moindre mention des passages sur les unions homosexuelles - mais seulement avant sa projection et surtout avant que la "nouvelle de dernière heure" n'explose.

Et après les dernières nouvelles, ils sont restés dans un silence absolu. Sans même signaler que dans l'après-midi du jeudi 22 octobre, dans les jardins du Vatican, en présence du préfet du département de la communication Paolo Ruffini, le réalisateur Evgeny Afineevsky a reçu le prix Kinéo Movie for Humanity, précisément pour son docufilm "Francesco".

Mais le silence du pape était bien plus impressionnant.

Ce n'est pas la première fois que François voit certaines de ses déclarations déformées. Mais dans ce cas, le basculement de sens que ses paroles ont subi est d'une gravité sans précédent.

Et il le subit comme un mouton muet conduit à l'abattage ?

Ou bien l'accepte-t-il et y souscrit-il en silence, avec un énième "changement de ligne" soudain, comme il y en a eu tant dans l'histoire du fait de souverains absolus, sans jamais donner d'explication ?

C'est ce que l'historien Roberto Pertici suppose et commente dans la lettre suivante.

*

LES "CHANGEMENTS DE LIGNE".

Cher Monsieur,

Ceux qui tentent d'expliquer à leurs élèves ce grand et éphémère phénomène historique qu'était le communisme du XXe siècle, ont aujourd'hui de grandes difficultés, car leur esprit et leur sensibilité sont très éloignés du lexique, des procédures et des idées de ce monde. Dans cette difficulté générale, il est encore plus difficile de fournir une explication compréhensible des soi-disant "changements de ligne" dont son histoire est parsemée. C'est-à-dire le fait que tous ses militants étaient engagés dans le spasme de la transposition, du commentaire, de la mise en œuvre de la ligne établie par le parti soviétique et donc par le Komintern, et se trouvaient soudain confrontés à son renversement et peut-être à l'affirmation de la ligne opposée, précisément celle contre laquelle ils avaient polémiqué et lutté dans le sang pendant des années (par des expulsions et, là où ils le pouvaient, par d'autres moyens). La plupart du temps, il ne s'agissait pas de tours préparés d'en bas avec un débat public intense, mais décidés d'en haut par la haute direction de Moscou et souvent communiqués de façon choquante : qui peut oublier le fameux "rapport secret" de Khrouchtchev et sa publication dans les colonnes du "New York Times" le 5 juin 1956 ?

Mais selon les communistes, ils avaient toujours eu raison : avant et après. En 1929, lorsqu'ils avaient soutenu la doctrine du "social-fascisme", les socialistes réformistes n'étaient donc guère moins que des fascistes ; en 1935, en espérant plutôt de larges accords avec eux au nom de la défense de la démocratie ; en 1939, lorsqu'ils avaient fait un pacte avec Hitler, tant - on le répète maintenant - entre démocratie et fascisme il n'y a pas de différence ; en 1943, lorsque le Komintern fut dissous au nom des voies nationales vers le socialisme ; en 1948, lorsque Tito fut condamné comme traître parce que trop "national", etc.

Le problème - ont-ils expliqué - est que les "conditions" ont changé et que les communistes partent toujours d'une analyse des "conditions", évidemment menée avec des paramètres marxistes "stricts". Avant, la situation était telle qu'aujourd'hui, elle est différente et nous nous adaptons. En réalité, dans leur approche, il y avait un opportunisme de base, et ils ont manœuvré la vérité en fonction des intérêts de la société mère, c'est-à-dire l'URSS et le parti soviétique : au moins jusqu'à une certaine date.

Puis-je confesser, en tant que modeste observateur, qu'il y a quelque chose dans le "modus operandi" du pape François qui me rappelle ce qui vient d'être dit ?

Je dis d'emblée que je suis contre la peine de mort et en faveur de la réglementation, y compris juridique, des unions homosexuelles, en les distinguant clairement de la famille "naturelle". Et pourtant, il y a quelque chose qui ne me vient pas à l'esprit quand je vois des positions qui ont été soutenues pendant longtemps, sur lesquelles des milliers de pages ont été écrites et pour lesquelles des milliers et des milliers de personnes se sont exposées, souvent à un prix élevé, et si soudainement annulées, "ad nutum principis". Et tout cela se faisait alors toujours en dehors des procédures normales (je crois que l'Église, comme toute organisation, a aussi les siennes) et de manière délibérément spectaculaire.

Alors, le récent catéchisme de l'Église catholique (1992) était-il "erroné", alors qu'il admettait encore la peine de mort ? Et les déclarations encore plus récentes (de 2003) de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur les unions homosexuelles étaient-elles sans pitié ou liées à une théologie archaïque, comme beaucoup le disaient déjà à l'époque, à l'intérieur et à l'extérieur de l'Église ? Eh bien : dites-le, si vous voulez traiter les fidèles comme des êtres raisonnables, qui doivent recevoir une explication de ce qui est dit et fait.

Mais - me répond-t- l'Eglise ne procède pas par négation, mais par approfondissement : ce sont les fameux "signes des temps" qu'il faut savoir saisir et pour cela le encore plus fameux "discernement" est nécessaire.

J'ai toujours eu l'impression que, dans son propre temps, on voit ce qu'on veut voir : Benedetto Croce nous a appris à distinguer entre "jugement historique" et "action morale". Porter un jugement historique ne signifie pas se résigner à la tendance que l'on décrit ou dire qu'elle est "inévitable". Sinon, on tombe dans le mauvais historicisme de la résignation ou, pire, de l'acceptation opportuniste. Ce n'est pas une distinction facile, je sais, mais elle doit être maintenue. (...)

Mais - me dit mon ami habituel - l'Église n'est pas un État parlementaire : le pouvoir ne vient pas d'en bas, mais d'en haut, et le pape peut procéder dans la solitude avec des décisions mûries dans sa conscience.

Mais même dans les célèbres "monarchies absolues", le pouvoir du roi n'était pas vraiment "absolu", c'est-à-dire libre de tout contrôle et de toute limite : les canonistes et les théologiens m'assurent que c'est également le cas au sein de l'institution ecclésiastique. Mon professeur d'école primaire, un Frère des écoles chrétiennes, nous a appris que le pape parlait toujours avec les pluriels de majesté non par arrogance, mais parce qu'il voulait constamment répéter que son individualité se perdait dans la longue lignée de ses prédécesseurs et qu'il parlait aussi en leur nom. Je ne sais pas si cette affirmation est vraie, mais "le moi haïssable" - l'immense ego au point d'être haineux, dénoncé par Pascal - dans la bouche d'un pontife depuis lors m'a souvent mis mal à l'aise.

Roberto Pertici

Commentaires

  • Le problème vient de ce que les récents propos - vrais ou supposés - de François viennent s'ajouter à une liste d'autres "bévues" : l'invitation faite aux jeunes de mettre le bazar dans l'Eglise, l'aplatissement devant la théologie du cardinal Kasper, le choix du cardinal Marx pour devenir l'un des proches conseillers du pape, l'admiration du rôle joué par Martin Luther, les noms d'oiseaux lancés à la figure des cardinaux de la curie, l'histoire de la Pachamama exposée dans des églises de Rome et dans les jardins du Vatican... je partage l'avis d'un certain nombre de fidèles catholiques qui me disent que dans ces conditions-là, garder la foi devient un combat de plus en plus en difficile à mener.

  • Pour rassurer l'Eglise, il suffit que, par déclaration ( "urbi et orbi") le Pape clarifie les choses. Mais il ne l'a pas fait avec les " Dubia"

  • "Ce que nous devons faire, c'est une loi de coexistence civile". ça veut dire quoi en français facile?

  • Scalfari par-ci, Afineevsky par là, et ainsi de suite, l’ambiguïté et la confusion verbales entretenues par ce pape relèveraient-elles de la méthode préconisée par Talleyrand : « la parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée », afin de passer ensuite plus facilement à l’acte ?

  • Oui, comme l'écrit Denis Crouan (auteur d'un site intitulé Pro Liturgia), cette nouvelle déclaration du pape fait suite à beaucoup d'autres "bévues" et on en arrive peu à peu dans une situation où, hélas, et pour la première fois dans l'histoire, il convient de se protéger des déviations d'un pape pour garder la foi.

  • Laissons la parole à feu cardinal BIFFI sur cette question :
    http://benoit-et-moi.fr/2018/actualite/le-card-biffi-et-lepitre-de-st-paul-aux-romains.php

  • Le problème avec ces "grands de ce monde", est qu'ils se croient obligés de s'étaler dans les médias sociaux et presse en général pour exister.
    Evidement, avec la presse et les médias que nous avons le futil est mis en exergue et le principal passe aux oubliettes.
    Et le peuple à la cervelle lessivée tombe dans le panneau.
    Si le choix d'un Pape est dicté par la volonté du St-Esprit (comme on nous l'a toujours dit), soit le St-Esprit s'est trompé jusqu'à Pie XII, soit il a viré sa cutti. En tous cas, rien ne présage de bon pour l'avenir.

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