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Sacraliser le droit au blasphème ?

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De Guillaume de Premare, en tribune, sur Aleteia.org (publié le 23 octobre, avant l'attentat de Nice) :

Terrorisme islamique : l’impasse du droit au blasphème

La guerre contre le terrorisme islamique se heurte à une impasse, si elle se mène au nom d’une sacralisation laïque du droit au blasphème. La fermeté dans la sécurité doit s’accompagner d’une bataille culturelle positive.

Depuis la terrible décapitation du professeur d’histoire Samuel Paty par un réfugié tchétchène islamiste, le débat public s’articule autour de deux grandes catégories de questions : les questions de principe et les questions opérationnelles. Parmi les questions de principe : faut-il montrer les caricatures de Charlie Hebdo à l’école ? Comment éduquer les enfants, notamment musulmans, à la laïcité, à la tolérance et aux « valeurs de la République » ? Comment faire aimer la France aux enfants issus de l’immigration ? Comment intégrer voire assimiler les immigrés ? Comment protéger la liberté d’expression et défendre le « droit au blasphème » ? Comment faire émerger un « islam des lumières » ?

Empêcher de nuire

Parmi les questions opérationnelles : comment identifier et mettre hors d’état de nuire les individus radicalisés et dangereux présents sur notre sol ? Comment reprendre le contrôle d’enclaves aujourd’hui tenues par les trafiquants ou les fanatiques ? Faut-il revoir notre politique d’asile et les critères d’attribution et de retrait des titres de séjour ? Faut-il durcir les conditions d’accès à la nationalité française et élargir les motifs de déchéance de la nationalité ? D’une certaine manière, les questions opérationnelles de sécurité intérieure et de politique migratoire sont prioritaires parce qu’il y a une urgence très concrète : des combattants du Djihad sont sur notre sol — et arrivent encore sur notre sol — pour tuer avec rage et sauvagerie. Le premier devoir de l’État est de les identifier et de les mettre hors d’état de nuire, d’empêcher de nouveaux « soldats de Dieu » de poser le pied dans notre pays et de lutter contre les prédicateurs fanatiques qui arment idéologiquement et spirituellement les djihadistes.

Le blasphème est-il une valeur ?

Dire que cela est urgent et prioritaire ne signifie pas que les questions de principe soient de peu d’importance. Deux grandes options émergent dans le débat public : promouvoir et organiser un « islam des lumières » ; et entrer dans le combat culturel en affirmant nos « valeurs » face au fanatisme. Ces deux options se recoupent sous certains aspects. Il faut évaluer sérieusement ce qu’elles impliquent.

Il existe différentes manières de vivre l’islam, lequel est traversé par de grandes fractures. Mais il existe un corpus commun qui veut que — sauf quelques intellectuels ou responsables religieux occidentalisés, coupés de la vox populi musulmane —, l’islam ne tolère ni le blasphème ni l’apostasie.

Qu’est-ce qu’un islam des lumières ? C’est un islam en quelque sorte acculturé à notre modernité occidentale, à ses valeurs et à ses principes. Mais nous oublions une chose simple : les musulmans sont musulmans et veulent être musulmans. Il existe différentes manières de vivre l’islam, lequel est traversé par de grandes fractures. Mais il existe un corpus commun qui veut que — sauf quelques intellectuels ou responsables religieux occidentalisés, coupés de la vox populi musulmane —, l’islam ne tolère ni le blasphème ni l’apostasie. Ce sont des choses graves en islam, qui justifient, selon les plus importantes écoles juridiques de l’islam, une sanction.

Giotto, Jésus devant Caïphe
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Quoique réputée pour son ouverture et sa volonté de dialogue, l’université sunnite Al Azhar ne dit pas autre choseC’est ici que la question de l’affirmation de nos « valeurs » peut déboucher sur une impasse. S’il s’agit de faire du blasphème et de l’apostasie l’étendard de nos « valeurs » — option qui tient la corde chez nos politiques et sous la plume de nombreux éditorialistes et intellectuels —, nous nous trouvons face à une impasse : c’est assez contradictoire et contreproductif de prôner à la fois le « vivre-ensemble » avec les musulmans et de choisir comme symboles quasiment sacrés ce qui choque le plus profondément les musulmans.

La bataille des sacralités

À cet égard, la décision unanime des régions françaises de distribuer dans les lycées un livre de caricatures dans les prochaines semaines traduit une forme de déraison. Le chemin qui est pris est celui d’une guerre symbolique de religions, qui est une guerre de la religion de l’irréligion contre la religion musulmane. Faire cela, c’est une manière d’affirmer que ce qui est sacré pour nous, c’est l’irréligion. Or, il y a une différence substantielle entre défendre le droit de Charlie Hebdo de publier ses caricatures sans risquer la mort et faire de « l’esprit Charlie » le symbole sacré que nous allons proposer à la jeunesse, notamment musulmane.

policiers devant le collège
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Ce qui se profile dans ce cadre, c’est une bataille des sacralités. Combattre le fanatisme islamique est nécessaire, mais si nous choisissons comme moyen « l’irréligion d’Etat », comme le craint à juste titre l’essayiste Xavier Patier, nous oublions que l’irréligion et l’islam sont deux religions qui ne peuvent pas vivre ensemble, qui ne peuvent que s’affronter de manière violente. Ce serait une folie que de porter ainsi le fer sur le terrain du sacré. En effet, la violence au nom du sacré compte parmi les formes les plus irrémédiables de violences. Et la violence symbolique de l’irréligion constitue paradoxalement une violence au nom du sacré. Si nous choisissons d’abord le terrain de la sécurité intérieure, de manière concrète et sans faiblir, nous aurons contre nous les djihadistes et ceux qui les endoctrinent ou adhèrent au fanatisme islamique ; et si nous choisissons le terrain de l’irréligion, nous aurons face à nous la nous la grande majorité des croyants musulmans : la vox populi musulmane s’agrègera au fanatisme, processus déjà en cours dans la jeunesse des banlieues.

Le rôle des chrétiens

Toutefois, si une politique sécuritaire constitue un préalable indispensable, elle ne saurait suffire à elle seule. Il faut traiter aussi les questions de principe. Sur ce point, les chrétiens peuvent apporter leur pierre à l’édifice : ils peuvent apporter au bien commun le trésor de leur foi et de leur spiritualité, leur sens de l’universel et de la fraternité, leur capacité à articuler non seulement foi et raison mais aussi foi et culture, leur distinction entre ce qui appartient à Dieu et ce qui appartient à César, leur aptitude à comprendre le fait religieux et à expliquer les ressorts du fanatisme, comme le fait le frère dominicain Adrien Candiard (Du fanatisme, Cerf). Ils peuvent apporter encore une vision de la France assurément plus aimable, plus attrayante et plus large que celle portée par l’ultra-laïcisme, lequel réduit notre pays et sa longue histoire aux seules valeurs laïques de la République.

Cependant, si les chrétiens doivent se garder d’être des ferments de guerre civile et préférer être des artisans de paix, ils ne doivent pas transformer cette aspiration profonde en pacifisme de principe — nul ne peut combattre la force injuste sans le recours à la force juste —, en démission ou en évitement face aux nécessités sécuritaires et migratoires. Quant aux Français dans leur ensemble, le temps vient où ils doivent redécouvrir, s’ils veulent envisager un avenir pour notre patrie, leurs bases spirituelles, historiques et civilisationnelles.

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