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Le pontificat du pape François marque la fin définitive des formes cultuelles catholiques héritées de l'empire romain

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De Vincent Petit (*) sur le site "Front Populaire" :

La liturgie selon le pape François : la fin de l’Empire romain ?

OPINION. La récente décision du pape de restreindre la possibilité de célébrer la messe selon les missels antérieurs à Vatican II, en opposition avec la volonté de son prédécesseur, marque le déclin des formes cultuelles catholiques et un tournant civilisationnel.
La liturgie selon le pape François : la fin de l’Empire romain ?

22 juillet 2021

Le pape François a promulgué le 16 juillet 2021 lemotu proprio (le mot désigne une décision prise directement par le pape) Traditionis Custodes (« gardiens de la tradition »), qui abroge celui qu’avait édité Benoît XVI le 7 juillet 2007 intitulé Summorum Pontificum cura(« la sollicitude des Souverains Pontifes »). La symétrie inverse des textes et des méthodes est frappante, puisque les deux textes qui concernent le même objet sont accompagnés d’une lettre aux évêques expliquant la démarche du pape.

La décision de Benoît XVI consistait à favoriser l’usage du rite traditionnel dit de saint Pie V — ses partisans emploient aussi volontiers la référence à saint Jean XXIII, puisqu’ils utilisent les livres liturgiques révisés pour la dernière fois en 1962, et pour montrer qu’ils ne sont pas nécessairement hostiles aux décisions du concile Vatican II —, aux livres liturgiques édités sous le pontificat de Paul VI, après le concile. Les deux façons de célébrer la messe procédaient donc d’un même rite romain sous deux formes légitimes, la forme ordinaire (celle de Paul VI) et la forme extraordinaire (celle de Jean XXIII). Une forme extraordinaire remarquable par l’emploi du latin et du grec dans l’ordo missae (la partie invariable de la messe), l’orientation du célébrant dos aux fidèles (puisque tous sont tournés vers l’est) et la communion à la bouche et non à la main.

Le processus de réhabilitation de la forme traditionnelle, entamé par Jean Paul II s’accompagnait d’une critique généralement féroce des pratiques liturgiques post-conciliaires. Au-delà d’un objectif circonstanciel, celui de vider le schisme lefebvriste de sa substance et de ses forces vives, le principal résultat recherché par Jean-Paul II et surtout Benoît XVI visait à ramener la forme ordinaire à davantage de sacralité en la confrontant à tradition liturgique de l’Église romaine. Summorum pontificum avançait surtout la garantie pour les fidèles « attachés à la tradition liturgique antérieure » de faire droit à leurs revendications face aux curés et même aux évêques qui étaient tenus de leur proposer des solutions : soit en permettant aux prêtres de célébrer sous les deux formes, soit en faisant appel à des communautés de prêtres ou de religieux spécialisées qui relèvent de la commission pontificale Ecclesia Dei, comme la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, l’Institut du Bon-Pasteur…

L’Église du pape François : entité unitaire et mondialisée

Quant à elle, la décision du pape François, motivée avant tout par un souci d’unité et de communion de l’Église, annule donc ces dispositions et définit les livres liturgiques édités par Paul VI et révisés par Jean-Paul II « comme la seule expression de la lex orandi du rite romain ». Il le fait logiquement en liant la réforme de la liturgie aux décisions conciliaires — en citant les constitutions Sacrosanctum Concilium (sur la liturgie) et Lumen gentium (sur l’Église) — alors que Benoît XVI s’était attaché à distinguer une temporalité liturgique autonome. L’obligation de la langue vernaculaire (mais s’agit-il pour autant de la langue nationale ?) dans la proclamation des lectures est soulignée, alors même que c’est surtout l’ordo missae, en particulier le canon, en latin et à voix basse, qui importe surtout aux traditionalistes.

Le nouveau motu proprio redonne aux évêques la pleine autorité en matière cultuelle et les invite en conséquence « à travailler pour qu’on revienne à une forme de célébration unitaire ». C’est donc à l’évêque, et on mesure la difficulté de la mission à laquelle il est appelé, d’assurer l’unité liturgique dans son diocèse, mesure paradoxale quand on connaît l’extraordinaire anémie de cet échelon, en tout cas en Europe occidentale. La reprise en main est évidente : les instituts qui relevaient jusque-là de la commission Ecclesia Dei passent sous la compétence de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique, et leur activité sera vérifiée par la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements.

Les deux motu proprio ont aussi ce point commun : celui de montrer l’extension de l’autorité pontificale dans l’Église, au détriment de tous les autres corps intermédiaires. L’intervention directe d’un pape dans les questions liturgiques est un fait récent dans l’histoire de la papauté — innovation qu’on peut faire remonter au pontificat de Pie X. Le concile de Trente avait, certes, recommandé une correction des livres liturgiques en usage et opéré la publication d’une édition typique qui devait constituer un modèle à suivre, mais la variété des rites liturgiques monastiques, diocésains voire locaux, était la règle dans l’Église latine. Le concile Vatican II s’est coulé dans le moule du concile Vatican I et le catholicisme intransigeant du XIXe siècle pour assurer, par la puissance du magistère romain, une unité rituelle à l’échelle mondiale. Elle témoigne paradoxalement, sous couvert d’aggiornamento et de réformisme, d’une Église toujours plus cléricale et toujours plus autoritaire, mais surtout elle illustre sa réduction à une dimension avant tout politique. L’Église romaine se pense comme une entité unitaire et mondialisée, comme un appareil qui s’impose aux communautés de base : plutôt que de la considérer comme une institution conservatrice, comme, toutes proportions gardées l’oumma musulmane, il faudrait plutôt l’envisager comme une force de modernisation, d’intégration et d’adaptation. Ce qui est grave, c’est qu’elle semble gagnée, comme toutes les institutions du monde occidental, par un présentisme permanent aussi naïf que stérile.

Deux décisions, deux papes

La confrontation de ces deux décisions est aussi celle de deux papes : un allemand, féru de théologie ; un Argentin, animé avant tout de convictions pastorales. Elle est l’issue de la longue confrontation d’un catholicisme rituel parce que social (versus populum) et d’un catholicisme social, parce que rituel (versus Deum), dans laquelle se lit l’effacement de la tradition culturelle européenne. Le faible écho qu’elle rencontre dans les masses et chez les intellectuels du Vieux Continent le montre bien — à l’exception de Michel Onfray, qui a réagi à cette décision dans une tribune au FigaroVox le 18 juillet, intitulée : «La messe en latin, un patrimoine liturgique». Non seulement l’Europe est-elle de moins en moins chrétienne, mais le christianisme qui s’y pratique encore est-il de moins en moins européen sous la double action d’un clergé catholique venu du Sud et de l’influence de l’évangélisme nord-américain et d’autres traditions spirituelles importées. Après tout, c’est le lot de toute évolution historique de grande ampleur.

Aussi la décision du pape François n’est-elle que le résultat d’un rapport de force dans lequel le catholicisme européen et nord-américain est en perte de vitesse, et le centre de gravité de l’Église catholique s’est déplacé vers le Sud, africain et asiatique. Le christianisme, et plus encore sa version catholique romaine — cette religion orientale surgeon du judaïsme qui, faute de culture et de droit propres, s’identifia avec le monde romain —, a entamé une nouvelle mutation, sans doute nécessaire à sa survie. Si les formes cultuelles catholiques « sont celles que l’empire romain a connues », comme l’écrit Joseph-André Jungmann, un liturgiste du XXe siècle (Joseph-André Jungmann, Des lois de la célébration liturgique, Paris, Cerf, 1956), alors le pontificat du pape François en marque la fin définitive. On peut sinon le regretter, au moins s’en émouvoir.

(*) Vincent Petit est professeur agrégé d’histoire, docteur en histoire contemporaine, spécialiste de l’histoire de la liturgie. Il a ainsi publié Gouverner et réformer l’Église. Liturgie catholique et société (xix-xxe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection Histoire, 2016, et God save la France. La religion et la nation, Paris, Cerf, 2015. Son dernier livre : Napoléon saint. L’Empereur au Paradis, Besançon, Cêtre, 2021.

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