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La dérive des antivax catholiques

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Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso, en traduction française sur Diakonos.be :

Du vaccin libre à l’euthanasie libre. La dérive des antivax catholiques

Dans le camp catholique – mais pas uniquement – le débat fait rage entre ceux qui revendiquent leur liberté de ne pas se faire vacciner et ceux qui au contraire, comme dernièrement le Pape François en personne, compare le vaccin à un impératif de « prendre soin les uns des autres, et particulièrement des plus vulnérables »

Settimo Cielo a joué un rôle important pour attiser ce débat, d’abord en publiant un commentaire incisif de Pietro De Marco contre le « libéralisme suidicaire » des catholiques hostiles au vaccin et une nouvelle fois avec sa réponse à une prise de position « freevax » du théologien Mauro Gagliardi :

Il faut cependant garder à l’esprit que certains penseurs laïcs et progressistes se sont également révoltés contre les normes vaccinales, comme en Italie les philosophes Massimo Cacciari et Giorgio Agamben, tout comme d’un autre côté certaines figures catholiques conservatrices bien connues ont critiqué les théories antivax : de Pietro De Marco à l’historien de l’Église Roberto De Mattei en passant par Antonio Socci jusqu’à l’érudit et brillant polémiste argentin auteur du blog « Caminante Wanderer ».

Parmi les nombreuses réactions qui ont suivi l’intervention de De Marco sur Settimo cielo, d’un côté comme de l’autre, on en retiendra deux : celle de Stefano Fontana dans « La Nuova Bussola Quotidiana » et celle de Gaetano Quagliariello dans « L’Occidentale ».

Fontana est le directeur de l’Observatoire International Cardinal Van Thuan sur la doctrine sociale de l’Église et a été consulteur du conseil pontifical Justice et paix. Il dirige l’hebdomadaire du diocèse de Trieste « Vita Nuova » et, avec son évêque Giampaolo Crepaldi, il a publié plusieurs ouvrages sur la doctrine sociale de l’Église.

Quagliariello, en plus d’avoir été sénateur sous quatre législatures, est professeur d’histoire des systèmes politiques européens à l’Université Libre internationale des Études Sociales « Guido Carli » de Rome. Entre 2013 et 2014, il a été ministre pour les réformes constitutionnelles du gouvernement présidé par Enrico Letta, du parti démocrate. Il a créé et présidé la Fondation Magna Carta, l’un des « think tanks » les plus représentatifs en Italie de la pensée libérale d’inspiration anglo-saxonne. Au début des années deux mille, il a activement soutenu le « projet culturel » promu en Italie par le cardinal Camillo Ruini.

On trouvera ci-dessous les principaux passages des deux commentaires de Fontana et Quagliariello, l’un et l’autre avec des références explicites ou implicites à De Marco, mais sur des fronts résolument opposés, le premier contre et le second pour.

*

Stefano Fontana : « Le principal danger, ce sont les vaccinés »

Pietro De Marco considère illogique la position, catholique mais pas seulement, de ceux qui rejettent le vaccin au nom de la liberté. D’après lui, une telle position serait « libertaire » et affaiblirait l’autorité politique qui, une fois affaiblie, ne serait plus en mesure de jouer son rôle de « kathécon », de contenir le mal.

Don Mauro Gagliardi précise en revanche que le choix de ne pas se faire vacciner n’est généralement pas posé au nom d’un libertarisme sans fondement mais sur base d’une logique de conscience prudentielle qui applique la norme morale à la situation concrète. […]

Ces deux positions sont inconciliables, comme le confirme la réplique de De Marco aux observations de bon sens de Gagliardi. Pour pouvoir régler la question, il faudrait faire le chemin inverse et remonter au présupposé qui sous-tendent les deux critiques, au-delà de leurs différences et leurs oppositions en termes d’accents et de jugement. Je veux parler du fait de savoir si le fait de considérer la pandémie de Covid-19 comme une question de vie ou de mort, comme une véritable et dramatique urgence sanitaire, comme une question qui se pose devant nous tous comme un aut-aut moral absolument contraignant dans le sens d’une responsabilité de choisir la vie contre la mort, est bien légitime et justifié. […]

La pandémie actuelle n’a pas les caractéristiques que lui prête De Marco. Ne fût-ce qu’au niveau des statistiques, avec un indice de mortalité absolument négligeable (en admettant que la cause des morts attribués au Covid soient bien tels) et un indice de contagiosité très faible. […]

Donc, le débat ouvert par De Marco – mais c’est le même chose pour bien d’autres intellectuels catholiques réputés – se base sur un présupposé imaginaire. Il se base sur un présupposé, il a fond un caractère hypothétique. Si la pandémie était vraiment dangereuse, si la mortalité était très élevée, si la contagion était très répandue, si malgré les soins prodigués par les médecins généralistes sur base des protocoles ministériels appropriés, les services des hôpitaux étaient saturés, s’il y avait des embouteillages d’ambulances pour transporter les malades graves vers les hôpitaux, si la contagion était très élevée également chez les jeunes et les enfants… Mais ce n’est pas le cas. Au contraire, nous pouvons même affirmer que les principaux dangers en ce moment sont constitués par les vaccinés eux-mêmes, étant donné que la vaccination semble favoriser la mutation du virus.

Cela dit, on ne nie pas que le virus existe et qu’il circule, on sait désormais avec certitude qu’il est d’origine artificielle et non pas naturelle, mais on ne peut nier son existence. On ne peut que nier qu’il représente une épidémie mortifère au point de rendre le soi-disant vaccin (je dis « soi-disant » non pas pour être contre les vaccins en soi mais parce que ce vaccin n’en est pas vraiment un, et il s’agit également d’un élément que la conscience prudentielle doit prendre en compte) « indispensable », ce qui l’absolutiserait et éliminerait toute autre option.

De Marco s’inquiète de l’affaiblissement de l’autorité politique à la suite de « l’apocalypse anti-État » des minorités catholiques prudemment sceptiques sur la vaccination. Étant donné qu’il cite Carl Schmitt, un auteur qui me tient également à cœur, je me permets de dire que le pouvoir politique ne joue sa fonction de « kathécon » capable de contenir le mal que dans la mesure où il est juste, et non pas simplement parce qu’il est un pouvoir.

*

Gaetano Quagliariello : « Les antivax ressemblent dangereusement aux partisans de l’euthanasie »

C’est justement au sein du monde catholique que les mesures d’incitation à se faire vacciner ont rencontré les oppositions les plus féroces. Et cela au nom d’un principe de liberté considéré comme absolu.

Il n’aura servi à rien de rappeler l’adage, sans doute trop usé, mais pourtant essentiel dans toute société organisée, en vertu duquel « ma liberté s’arrête là où celle des autres commence ». Il n’aura servi à rien de rappeler que l’homme a été créé libre mais qu’à toute action libre correspond une conséquence, et que quand cette conséquence impacte la sphère des autres, les institutions ont le devoir de mettre dans la balance les exigences en jeu, sinon elles n’auraient aucune raison d’être. Et surtout, il n’aura servi à rien d’affirmer que la liberté en question n’est pas seulement dans le cas présent de se faire inoculer ou pas un produit pharmaceutique ou de subir ou pas des limitations pour accéder à certaines activités déterminées, mais qu’il s’agit également de celle de pouvoir travailler et étudier sans devoir craindre de nouvelles fermetures. […]

À tous les discours, de la dissertation philosophique du plus haut niveau au raisonnement de viabilité économique le plus pragmatique, on a opposé le totem de la « liberté ». En oubliant que c’est justement au nom du fait que la liberté n’est pas absolue, qu’elle découle de la relation avec les autres et de la responsabilité envers notre prochaine, que l’opposition « catholique » s’érige contre l’euthanasie comme contre d’autres dérives anthropologiques marquées par une sorte de totalitarisme individualiste. En oubliant surtout que c’est au sujet de la limite de la liberté que s’est réalisé à travers les siècles cette fracture entre l’humanisme chrétien et l’absolutisme des Lumières.

Et c’est justement sur cette limite à la liberté que se joue la différence décisive entre liberté et autodétermination. Une partie du monde catholique, peut-être sans le savoir, est avec le thème de la pandémie en train de glisser sur la pente qui conduit de la première à la seconde. Avec des arguments – contre le « Green pass » – par exemple, mais aussi contre la campagne vaccinale elle-même et pas seulement – qui ressemblent dangereusement aux arguments utilisés par les partisans de l’euthanasie. Et ce avec des arguments anti-scientifiques qui semblent occulter le fait que l’un des traits distinctifs du christianisme par rapport à d’autres religions – et surtout l’islam – c’est sa capacité à reconnaître dans les fruits de l’intellect humain la valorisation des talents que le Créateur a confié à ses créatures. Des fruits qu’il ne faut naturellement pas diviniser et qu’il convient de toujours considérer comme un moyen et non comme une un but, mais donc le refus a priori, parfois avec un caractère superstitieux, sape l’un des bastions qui distinguent l’Occident chrétien des autres civilisations.

Ce n’est pas un hasard si l’arsenal polémique en vogue ces dernières semaines contre les mesures pour inciter à se faire vacciner, surtout utilisées dans le monde catholique, ressemble à s’y méprendre à la réflexion de penseurs tels que Massimo Cacciari qui, en ce qui concerne la fin de vie, se rangent du côté de l’autodétermination et pas sur celui de la liberté. Sur la question de la mort non pas comme choix de liberté individuelle mais en tant que droit exigible et qui impose à la collectivité l’obligation d’en garantir la prise en charge.

C’est là, chers amis « pro life », que réside toute la différence. C’est une chose de se méfier du scientisme comme religion civile sur lequel fonder le contrôle social. C’en est une autre de tomber nous-même la tête la première dans le piège de l’absolutisme individualiste. Parce que la liberté contrebalancée par la responsabilité est ce qui nous distingue de ceux qui revendiquent le droit de mourir, le droit à l’enfant, le droit à déterminer chaque aspect de leur propre existence sans se préoccuper de ce que cela signifie pour les autres.

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