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Convoquer un Consistoire pour dire au monde que la paix vient de Dieu

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Le cardinal Müller est interviewé par Riccardo Cascioli sur le site de la Nuova Bussola Quotidiana :

Müller : un Consistoire pour dire au monde que la paix vient de Dieu

30-04-2022

"Toute guerre est un enfant du péché originel, les armes des chrétiens sont la prière et la proclamation de l'Évangile de la paix". "Il est absurde que Poutine se dise chrétien et ordonne ensuite le meurtre d'hommes qui sont l'image de Dieu ; et il est inconcevable qu'une Église chrétienne devienne un instrument de nationalisme". "C'est une chose d'aider l'Ukraine à se défendre, une autre de l'utiliser pour poursuivre d'autres intérêts politiques." "L'envoi d'armes est une question très délicate, un équilibre doit être trouvé entre éviter l'escalade et empêcher Poutine de menacer d'autres pays." Le Cardinal Gerhard L. Müller, Préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, s'exprime dans cet entretien avec La Bussola.

"La guerre est l'enfant du péché originel, elle est contre la volonté de Dieu. Et ce n'est pas seulement en Europe, c'est sur tous les continents. (...) C'est pourquoi il serait bon de convoquer un Consistoire pour affronter les défis de la paix dans le monde avec les armes propres aux chrétiens, la prière et l'annonce de l'Évangile de la paix". C'est ce qu'a déclaré le cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet émérite de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à la Nuova Bussola Quotidiana, en évoquant les questions soulevées par la guerre en Ukraine.

Votre Éminence, l'Europe est à nouveau le théâtre d'une guerre qui dure depuis plus de deux mois et qui promet une escalade dramatique. Comment juger ce qui se passe en Ukraine ?

La guerre n'est pas seulement en Europe, elle est sur tous les continents : elle est le signe du péché originel dans lequel se trouve l'humanité. La guerre est toujours contre la volonté de Dieu, parce que la volonté de Dieu est une volonté salvatrice, Dieu veut la paix entre les hommes ; mais sans la grâce sanctifiante du salut, nous, les hommes, nous ne sommes pas capables de surmonter cette concupiscence qui crée des conflits entre nous. La Bible nous apprend que la première conséquence du péché originel a été l'histoire de Caïn et Abel, le meurtre de frères. Depuis Adam, tous les hommes sont frères au niveau de la nature humaine ; plus encore, nous qui avons la grâce dans le Christ, nous sommes, à un niveau plus profond, frères et sœurs en Jésus-Christ. C'est pourquoi il est impressionnant que ce soit Poutine, qui professe être chrétien, que nous avons vu dimanche dernier à la veillée de Pâques orthodoxe dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, qui ait lancé cette guerre. Il y a trois semaines, alors que je me trouvais dans le sud de la Pologne, à 10 km de la frontière ukrainienne, pour rendre visite à des réfugiés ukrainiens, des journalistes m'ont demandé si Poutine pouvait être comparé à Hitler et à Staline : j'ai répondu que, dans un certain sens, il était encore pire, car ces derniers étaient athées, mais Poutine se présente comme un chrétien. Et comment pouvez-vous embrasser l'icône du Christ, de Marie et des saints et en même temps ordonner de tuer l'image vivante de Dieu qu'est l'humanité, même nos frères et sœurs chrétiens, étant donné que la grande majorité des Ukrainiens sont chrétiens.

En effet, il est impressionnant de voir que non seulement les populations de Russie et d'Ukraine sont chrétiennes, mais que même les églises orthodoxes nationales sont directement impliquées dans le conflit.

Pour nous, catholiques, il est inimaginable de faire de la religion chrétienne, de la foi en Christ, un instrument de nationalisme. Nous respectons la nation comme une réalité positive, mais nous sommes absolument contre toute forme de nationalisme, qui consiste à faire de sa propre nation un dieu : c'est du paganisme. La nation fait partie de notre existence humaine, comme la famille, la ville, la langue et la culture : toutes des valeurs positives, mais nous ne pouvons pas les déifier. Ce sont tous des moyens pour Dieu. Jésus a donné sa vie pour tous les hommes, l'universalité de la foi catholique doit nous faire dépasser tous ces "ismes", qui sont des idéologies, un mot qui a la même racine que idole. C'est le problème de l'Église orthodoxe : elle aussi professe la foi catholique en substance mais a perdu cette orientation universelle. Au lieu de s'orienter vers le successeur de Pierre, le pape, leur besoin d'un principe d'unité est transféré à la nation. Et cela est faux, c'est contraire à la foi chrétienne : Jésus a donné sa vie pour tous les hommes, les Russes, les Américains, les Italiens, etc. et non pour la nation en tant que telle.

Il me semble que le destin de toutes les confessions chrétiennes qui se sont séparées de Rome (protestants, anglicans, orthodoxes) est de s'identifier à leurs nations respectives. Pourtant, aujourd'hui, même au sein de l'Église catholique, il y a ceux qui poussent vers le modèle synodal orthodoxe, vers une sorte de fédération d'Églises nationales, comme le montre aussi le parcours synodal allemand.

Les catholiques en Allemagne, depuis l'époque de la Prusse, avec Bismark et ensuite avec Hitler, ont toujours été une minorité persécutée, des citoyens de seconde zone, parce que nous avons toujours maintenu ce lien avec Pierre, et pour cette raison nous avons été accusés d'être des ultramontains. Aujourd'hui, malheureusement, l'Église en Allemagne semble retomber dans la tentation du nationalisme, d'un détachement de l'Église catholique. Mais cela n'a rien à voir avec la synodalité, qui pour nous coïncide avec la catholicité. Cela n'a rien à voir avec la démocratisation de l'Église. L'Église catholique n'est pas un État, l'Église est le corps du Christ et le temple du Saint-Esprit. Il est inconcevable pour nous de voir que le Saint Synode de l'Eglise russe parle d'une guerre juste et sainte, mais où sommes-nous arrivés ? Dans la tradition chrétienne, une guerre est juste pour se défendre contre l'agresseur, mais pas pour sanctifier la guerre en tant que telle, comme un instrument approprié de la politique.

Aujourd'hui, même dans le monde catholique occidental, il existe une division entre ceux qui soutiennent la nécessité d'envoyer des armements en Ukraine et ceux qui s'y opposent et soutiennent la nécessité d'une négociation immédiate. Quel est l'équilibre entre la nécessité d'aider un peuple à se défendre et le risque d'une escalade aux conséquences imprévisibles ?

Le problème est que même la guerre juste dépend de la réalité, qui est ambiguë et ambivalente. Elle se justifie en cas d'urgence pour se défendre, mais elle n'est toujours pas un moyen adéquat à la nature humaine, à la grâce et à l'amour de Dieu pour les autres. Même ceux qui se défendent doivent en tuer d'autres et cela ne peut pas être le plan de Dieu. Il s'agit donc d'une situation très délicate. Les politiciens doivent décider des armes, mais en regardant la situation, ce qui est le mieux pour éviter l'escalade et en même temps éviter que Poutine menace d'autres pays.

Certains soutiennent, les États-Unis et le Royaume-Uni en tête, que la guerre doit durer aussi longtemps que possible pour affaiblir Poutine et le punir. Mais de cette manière, c'est surtout la population ukrainienne qui paie. Cette position est-elle moralement soutenable ?

C'est toute l'ambiguïté de cette situation. Le droit des Ukrainiens à se défendre est une chose, mais les intérêts des Américains dans cette confrontation avec la Russie en sont une autre, car il est évident que leurs intérêts ont trait à la puissance mondiale. Il est également difficile d'argumenter en faveur d'une supériorité morale des États-Unis et d'autres pays qui encouragent l'avortement et l'idéologie du genre. L'aide aux Ukrainiens n'a pas toujours des motivations pures, les bonnes valeurs sont mêlées à ses propres intérêts politiques. Il faut être réaliste, ces dirigeants ne respectent les principes moraux que lorsque cela les arrange. Mais pour nous, la moralité est supérieure aux intérêts politiques.

Le discours s'étend évidemment à l'Union européenne. D'une manière générale, nous sommes retombés dans la mentalité de la guerre froide consistant à opposer la Russie à l'Occident. Saint Jean-Paul II a insisté sur le concept d'une Europe s'étendant de l'Atlantique à l'Oural, un Occident qui inclut également la Russie. Qu'est-ce que vous dites de ça ?

Nous ne pouvons pas réduire l'Occident à un concept politique, nous parlons d'Occident et d'Orient avec les catégories de la culture chrétienne. Il est clair que la Russie fait partie de la culture chrétienne, elle a une profonde culture chrétienne. Les chrétiens russes ont beaucoup souffert pendant le communisme, ils ont perdu des dizaines de milliers de religieux et des millions de laïcs ont également perdu leur vie, leur famille, ont été exilés, sont allés dans les goulags : ils ont donné un grand témoignage de la foi chrétienne. Nous devons donc absolument faire la distinction entre les personnes - Russes et Ukrainiens - et ce régime sous lequel elles ont souffert. Et maintenant, nous devons faire la distinction entre le peuple et le "poutinisme", l'ultra-nationalisme. En tant qu'Église catholique, nous nous sentons très unis à l'Église orthodoxe : malgré les critiques adressées au patriarche de Moscou pour son rôle dans cette guerre, sur le plan théologique, dogmatique et sacramentel, nous nous sentons très proches, unis aux Russes.

L'Église catholique doit passer à un autre niveau, elle ne doit pas être instrumentalisée par la politique de Bruxelles. Nous ne pouvons pas critiquer l'ultra-nationalisme de l'Église russe et ensuite, en utilisant la même méthode, épouser l'idéologie et la politique de l'Union européenne. Parce que les intérêts de Bruxelles sont anti-chrétiens, ils promeuvent une fausse anthropologie anti-chrétienne. Dans notre pays aussi, les vrais catholiques sont persécutés avec l'exclusion sociale, à cause de l'idéologie sexiste et avorteuse, anti-vie. C'est ce que nous devons rappeler aux politiciens européens, les principes de la moralité sont supérieurs à leurs intérêts politiques et idéologiques. Il est juste de critiquer Poutine pour sa politique militaire, mais nous ne pouvons accepter qu'ils critiquent Poutine au nom des valeurs de l'Occident parce qu'il n'est pas favorable au mariage gay. Ce ne sont pas des valeurs.

À propos de l'ambiguïté de Bruxelles : elle exalte le nationalisme ukrainien, puis s'insurge contre deux membres de l'UE comme la Hongrie et la Pologne qui défendent leur identité nationale.

Elle est pleine de contradictions. À Bruxelles, ils critiquent les Hongrois pour avoir élu Orban, dont ils ne veulent pas, et applaudissent les Français pour avoir voté pour Macron. Cela signifie que les gens ne jugent pas objectivement, mais en fonction de leurs propres intérêts. Les Polonais ont accueilli 3 millions de réfugiés ukrainiens, mais l'UE bloque même les fonds européens destinés à la Pologne. Et en même temps, elle a donné 3 milliards à Erdogan. Ils critiquent le gouvernement polonais démocratiquement élu, l'accusant d'aller à l'encontre de sa propre constitution, et paient ensuite un dictateur. Ils oublient leurs propres principes, il y a trop d'idéologie à Bruxelles. Ils veulent imposer leur idéologie, ils ne respectent pas les principes de la démocratie, où le peuple décide de qui entre au gouvernement. Cela est également arrivé à l'Italie. Ils ont en tête le mondialisme, le gouvernement mondial unique. Mais qui légitime ce gouvernement mondial unique ? Un gouvernement ne garantit pas la paix, loin de là. C'est de Dieu que vient la paix, pas des puissants de ce monde. Ils n'ont que des intérêts économiques et politiques, et avec ces intérêts, le monde ne peut pas être pacifié.

Que peut et doit faire l'Eglise pour promouvoir la paix ?

Comme je l'ai déjà dit, il s'agit avant tout d'un combat spirituel, nos armes sont donc la prière pour la paix et la proclamation de l'Évangile de la paix. Il serait bon d'avoir un Consistoire, tous les cardinaux pour discuter avec le Pape de tous ces défis pour la paix dans le monde, c'est-à-dire comment prier et comment stimuler les fidèles catholiques à entrer dans cette bataille spirituelle, qui est la bataille de Dieu contre le mal dans le monde. Nous devons parler selon les critères de la foi et de la morale. Nous, évêques, ne sommes pas des politiciens, nous ne devons pas parler d'armes, mais du combat spirituel : le bouclier de la foi et l'épée de la Parole de Dieu, comme le dit saint Paul (cf. Ep 6, 13-16). En aimant et en aidant notre prochain, nous pouvons montrer aux hommes politiques qu'il existe des valeurs plus élevées, que chaque homme est l'image et la ressemblance de Dieu, et que cela doit être le principe de la politique.

Commentaires

  • Merveilleux interview.

  • Le Cardinal Müller est un esprit libre qui a toujours une pensée profonde à nous transmettre.

  • Le Cardinal Müller reste prudent sur la guerre en Ukraine. Il ne s'aligne pas sur le prêt à penser, présent chez tous nos gouvernants et dans la presse, consistant à dire que les pays de l'Otan doivent fournir de plus en plus d'armes à Kiev. Aujourd'hui, il est interdit de dire le contraire.
    Il est certain que cette guerre ne s'arrêtera pas tant que les Russes n'obtiendront pas quelque chose du côté du Donbass (autonomie ou indépendance ou annexion à la Russie) et la reconnaissance de l'annexion de la Crimée. Il n'y a pas d'autre solution que la négociation et le plus tôt serait le mieux pour éviter morts et destructions supplémentaires et détourner Poutine de la tentation de la guerre nucléaire, qui détruirait tout le monde.
    Crier :"des armes, des armes !" n'est pas forcément un cri chrétien et responsable dans ce cas de figure.

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