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La surprenante conversion au sacré de Sonia Mabrouk

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De Samuel Dufay sur le site de l'Express :

Messe en latin, "vigueur" de l’islam… La surprenante conversion au sacré de Sonia Mabrouk

La journaliste star d’Europe 1 et CNews appelle à renouer avec le sacré. Une injonction inattendue, qui alimente son mystère.

14/05/2023

Qui est vraiment Sonia Mabrouk ? La "combattante de la liberté" vantée par Le Figaro Magazine, ou la "directrice de la réaction" et "égérie de la "droitosphère"" décriée par Libération ? Son dernier livre, Reconquérir le sacré (éditions de l’Observatoire), ne dissipera pas le mystère entourant la native de Tunis, petite-fille d’un ministre de Bourguiba, et dont l’ambition forcenée a présidé à l’ascension éclair dans les médias : débuts à Jeune Afrique en 2005, recrutement en 2008 à Public Sénat, où Jean-Pierre Elkabbach la prend sous son aile. Jusqu’à son entrée à Europe 1 en 2013, où elle s’impose jusqu’à décrocher l’entretien politique de la matinale, tout en rejoignant CNews en 2017.

On connaissait l’intervieweuse pugnace de 8 h 13, la lanceuse d’alerte contre les dangers de l’islamisme, dont a pu observer les ravages dans sa Tunisie natale. On l’imaginait moins se livrer à un éloge du "sacré", c’est-à-dire "tout ce qui ouvre à plus grand que soi". C’est pourtant à la reconquête de cette transcendance que la journaliste appelle dans Reconquérir le sacré. "Soyons de nouveau perméables à l’invisible, au mystère et au sublime", y enjoint-elle, sans craindre la grandiloquence. Un opuscule déroutant, entre réflexion anthropologique et injonction à la résilience, qui convoque aussi bien l’écrivain allemand Ernst Jünger que Frédéric Lenoir. Sonia Mabrouk, de confession musulmane, y plaide pour la messe en latin et de plain-chant, "expression d’un sacré formé de rituels et de pièces musicales multiséculaires", évoque son émerveillement face aux "voix d’or" des muezzins entendues à Tunis, à Istanbul ou au Caire. Dans un entretien au Figaro Live, on l’a même vue s’improviser théologienne en déplorant le "dévoiement de la proposition chrétienne", transformée, depuis le concile Vatican II, en "accueil de l’autre, du migrant, dans une humanité rassemblée"…

De quoi surprendre ceux qui voyaient d'abord en elle une combattante de la laïcité. Signe d’une évolution ou dissipation d’un malentendu ? "Peut-être que je me suis mal exprimée, répond l’intéressée dans son bureau d’Europe 1 encombré de livres. Pour moi, la laïcité n’a jamais consisté à rogner toute expression religieuse ou de sacré ; c’est d’abord l’expression chez soi, individuelle, pas une forme de prosélytisme. Et surtout, ce n’est pas le laïcisme. Par exemple, je n’ai jamais été contre le voile, mais contre la contrainte qu’on impose à certaines femmes." Un représentant de la gauche républicaine, qui l’a côtoyée sur les plateaux de télévision, s’interroge : "Je ne sais pas vraiment si elle était une combattante de la laïcité. Je la sens un peu plus réservée par rapport à ma sensibilité qu’envers des discours davantage identitaires. Ce sont de petites nuances, une insistance sur les aspects historiques et civilisationnels de l’identité française, plutôt que civiques et politiques." Le thème de la transcendance, elle l’avait déjà abordé par le passé, comme dans Insoumission française (2021), où elle appelait au rassemblement derrière le "sacré" national.

 

Appropriation

Sans surprise, son livre séduit les conservateurs. "Sonia Mabrouk développe un propos original sur la singularité de la crise que traverse l’Occident. Elle place le sujet au bon niveau : la question est celle de nos repères communs", loue le philosophe François-Xavier Bellamy, député européen et membre des Républicains. Reste à savoir si la résurgence du sacré, si souhaitable soit-elle, se décrète.

A l’inverse, une partie de la gauche voit dans sa défense de nos racines judéo-chrétiennes, réaffirmée dans ce livre, le signe d’une opportune conformité à la ligne éditoriale de Vincent Bolloré. Le propriétaire de CNews est engagé avec son groupe, Vivendi, dans le rachat de Lagardère, détenteur d’Europe 1, dont il est l’actionnaire majoritaire. Un ancien journaliste de la radio témoigne : "Sonia Mabrouk correspond à ce que la direction actuelle de la radio souhaitait : une personne très loyale à l’actionnaire, au-delà même, qui corresponde idéologiquement à l’actionnaire du groupe. C’était une rencontre naturelle. Elle avait ses partis pris politiques, sa vision de la société, et cela a correspondu à un infléchissement de la ligne éditoriale d’Europe 1." L’intéressée rétorque : "Je suis depuis treize ans à Europe 1. J’ai gravi les échelons avec les dents un à un. Je ne suis l’égérie de personne. Je suis loyale à mes employeurs, mais je ne dois mon parcours et mes livres qu’à moi."

Au fond, à chaque camp sa Sonia Mabrouk… "La gauche a absolument envie qu’elle soit ultra-réactionnaire – et les choses ne sont pas aussi claires que ça ; la droite, elle, veut peut-être trop se l’approprier, l’instrumentaliser", souligne Tugdual Denis, directeur adjoint de la rédaction de Valeurs actuelles, un hebdomadaire où elle apparaît régulièrement. Chez elle, une véritable jubilation du débat, du contradictoire, qui débouche parfois sur des sorties provocatrices, comme quand elle réclame à la journaliste Elise Lucet, présente à ses côtés sur un plateau de télévision, une enquête sur son propre employeur, France Télévisions. Reste que, sur le fond, bien des conservateurs partagent ses positions, sans déclencher les mêmes passions…

"Métamorphose"

Ses origines contribuent-elles à nourrir les fantasmes et les projections de toutes sortes ? Sonia "la Carthaginoise" revendique ses racines tunisiennes, parle avec chaleur de La Goulette, port marchand et multiculturel où elle a grandi. La France, qu’elle a découverte à 10 ans avant de s’y installer à 20, et dont elle a acquis la nationalité en 2010, elle l’a idéalisée, "sublimée", comme elle dit. D’où la tentation d’en faire un exemple. Le journaliste Charles Villeneuve, qui a participé avec elle aux Grandes voix d’Europe 1, voit dans cette femme, "profondément éprise de la culture française, un des fleurons de l’enseignement du français à l’étranger [NDLR : elle a étudié au lycée français de Tunis]. Elle est l’exemple d’une possible intégration des musulmans et représente une société tunisienne aux élites extrêmement cultivées".

Discrète à ses débuts, la jeune femme a affirmé ses idées au fil du temps. "C’était quelqu’un de très réservé, de très poli, peut-être trop. Plutôt un bon soldat que quelqu’un qui voulait imposer ses idées ou ses sujets, ou débattre", se souvient Marwane Ben Yahmed, qui l’a fait débuter à Jeune Afrique. Michel Grossiord, ancien journaliste d’Europe 1, complète : "L’apprentie journaliste s’est métamorphosée en combattante." Dans Insoumission française (2021), Sonia Mabrouk s’en prenait aux "décoloniaux, islamistes radicaux et islamo-compatibles" qui menacent la France. Son visage à la une de Valeurs actuelles, c’est la garantie de bonnes ventes. Le 15 mai, elle participera, aux côtés de l’animateur Franck Ferrand, à une conférence de la très conservatrice association Les Eveilleurs pour y disserter sur l’âme française. Un engagement sincère, pour ceux qui la connaissent. "Hélas, je pense qu’elle pense ce qu’elle dit…", soupire Marwane Ben Yahmed.

Personnalité secrète

La vedette dissimule un caractère secret derrière un abord enjoué. On aurait pu la croire échaudée par le portrait publié fin 2021 dans Libération. Mais elle se prête de bonne grâce au jeu de l’interview. Sûre de son charme, elle laisse apparaître dans les locaux d’Europe 1 sa silhouette élancée, perchée sur de hauts talons. Et s’agace seulement quand elle évoque la mention, dans l’article du quotidien, de ses "mâles et pâles mentors", allusion perfide, entre autres, à Jean-Pierre Elkabbach : "Un coup en dessous de la ceinture"… Ou de son appartenance à la bourgeoisie tunisienne : "Mon grand-père, compagnon de route et ministre de Bourguiba, a fini sans un dinar sur son compte. Arrivée ici, je me suis battue pour mon travail." Avenante et complice, elle promet de citer un article de L’Express dans son interview du lendemain – elle ne le fera pas… Ses anciens collègues se souviennent d’une femme mystérieuse, pas nécessairement bienveillante avec les consœurs de sa génération, protégeant ses jardins secrets. "Elle est d’un rapport très agréable, on ne peut pas être fâché avec elle, mais elle ne donne rien d’elle-même, affirme une collègue. Je sais qui est Sonia Mabrouk ; je ne sais pas qui est Sonia."

Et pourtant, cette femme présentée comme pudique livre l’aveu le plus personnel en évoquant sans fard, dans son ouvrage, le décès brutal de sa "maman adorée", événement déclencheur de son cheminement vers le sacré : "Enveloppée dans un drap blanc immaculé, un léger sourire sur ses lèvres, les pommettes saillantes, le front fier, des taches de rousseur délicatement disséminées autour de son nez si délicat, ma mère irradiait le sacré." Un deuil qui lui a tiré des larmes sur le plateau de Quelle Epoque. "Sonia Mabrouk était profondément liée à sa mère, d’une manière orientale caractéristique, plus forte encore qu’en Europe, raconte Charles Villeneuve, lui-même natif du Liban. Ce décès l’a rapprochée de ses origines." Peut-être faut-il d’abord voir, derrière cette inattendue conversion au sacré, le cri d’amour d’une fille pour sa mère.

Commentaires

  • Sonia Mabrouk est pour le "retour" de la messe en latin. En écrivant "retour", Sonia Mabrouk (qui assurément n'a pas de grandes connaissances en liturgie) fait une erreur : mieux aurait valu qu'elle écrive qu'elle est pour l'emploi du latin à la messe, langue que le Concile demandait de conserver en parallèle avec l'usage du chant grégorien à côté d'une ouverture mesurée faite aux langues courantes ; langue que les évêques de l'immédiat après-concile ont bannie de la liturgie et que leurs successeurs n'ont jamais voulu remettre à l'honneur. Point important : la présentation générale du missel romain (corrigé par Vatican II) précise qu' "il n'est aucun catholique qui puisse nier que rite (liturgique) célébré en latin est légitime et efficace." Tout porte donc à croire que l'usage du latin est moins une question purement liturgique qu'un grave problème d'obéissance des évêques à l'Eglise qu'ils entendent servir.

  • J'ai lu cet ouvrage et trouve qu'il apporte une lumière intéressante sur notre société. Un point de vue essentiel que peu de responsables politiques et de médias osent encore aborder. Je recommande donc chaleureusement ce livre.

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