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Le catholicisme en France pourrait bientôt devenir minoritaire mais plus traditionnel, selon les experts

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De Solène Tadié sur le National Catholic Register :

Le catholicisme en France pourrait bientôt devenir minoritaire mais plus traditionnel, selon les experts

Dans le pays connu comme la "fille aînée de l'Église", l'islam et le protestantisme évangélique pourraient atteindre des positions hégémoniques au cours des prochaines décennies, tandis que le catholicisme s'ancrerait dans une dynamique plus orthodoxe.

26 juin 2023

L'annonce aujourd'hui de la démission de deux évêques français souffrant d'épuisement épiscopal et la publication imminente d'un rapport potentiellement dévastateur sur les allégations d'abus sexuels au sein de la Communauté Saint-Jean en France ont attiré une nouvelle fois l'attention sur l'état fragile de l'Église en France. Le catholicisme est-il aujourd'hui en voie d'extinction en France, "fille aînée de l'Église" et patrie de saint Louis et de sainte Jeanne d'Arc ? 

Des études sur l'évolution du paysage religieux du pays l'ont déjà suggéré au cours des derniers mois. La plus récente d'entre elles montre que le catholicisme est la religion qui connaît le plus fort déclin et le plus faible taux de transmission intrafamiliale.

Ces résultats ont conduit l'historien et sociologue des religions Guillaume Cuchet à suggérer que, dans quelques décennies, le catholicisme pourrait être minoritaire, dépassé par l'islam, le protestantisme évangélique et, surtout, par les personnes sans religion. Dans le même temps, cette tendance devrait s'accompagner d'une approche plus traditionnelle et plus pratiquante chez les catholiques minoritaires.

Si ces prévisions se vérifient, le visage de la France, dont l'histoire de 1500 ans a commencé avec le baptême du roi Clovis par saint Remi, sera profondément modifié, tout comme celui de la pratique catholique elle-même.

L'effondrement de la transmission familiale

Ce déclin du catholicisme, contre lequel Cuchet a souvent mis en garde ces dernières années, s'est accéléré de façon spectaculaire depuis 2008, comme le montre l'enquête "Trajectoires et Origines 2" (TEO2) commandée par l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques). Les résultats de cette enquête ont été rendus publics en avril 2023. 

En effet, seuls 25 % des Français âgés de 18 à 59 ans se déclarent catholiques en 2020, contre 43 % en 2008 selon l'enquête Trajectoires et Origines 1. Alors que les personnes sans religion sont passées de 45 % à 53 %, l'islam a progressé de 37 % au cours de la même période, et une autre étude indique que les musulmans représentent aujourd'hui environ 10 % de la population totale de la France

Commentant l'étude dans une interview accordée au magazine La Vie, M. Cuchet a également souligné la "montée spectaculaire" des protestants évangéliques au cours de la dernière décennie, qui représentent une part croissante des 9 % de la population française qui sont des chrétiens non catholiques. 

Ces données ont conduit le sociologue à émettre l'hypothèse que le catholicisme pourrait devenir, "un jour assez proche", la deuxième, voire la troisième religion du pays.

Pour l'historien Yann Raison du Cleuziou, spécialiste du catholicisme contemporain et auteur de Qui sont les Cathos aujourd'hui ?, cette théorie est presque une évidence mathématique. 

S'appuyant sur l'étude European Values Study de 2018, qui a révélé que 15 % des jeunes de 18 à 29 ans se déclaraient catholiques, contre 13 % des jeunes musulmans, il note qu'il y a déjà un croisement entre les nombres relatifs des jeunes générations catholiques et musulmanes. 

Dans une interview accordée au Register, il a déclaré que, bien que TEO2 ne fasse que confirmer des tendances établies de longue date, elle avait l'avantage de démontrer que la culture familiale était la matrice essentielle de la perpétuation de la religion - un domaine dans lequel les catholiques sont les moins performants parmi les principaux groupes religieux français. En effet, le taux de reproduction générationnelle est de 91 % pour l'islam, de 84 % pour les juifs et de 67 % seulement pour les catholiques.  

"Dans les sociétés occidentales, la croyance s'est répandue que les valeurs d'une religion déterminent à elles seules sa réussite sociale. Or, d'un point de vue sociétal, la religion est avant tout une culture héritée destinée à incarner l'ensemble de la population", précise Raison du Cleuziou.

De Vatican II à la crise des abus

Dans le même temps, cette évolution du paysage religieux est sans doute amplifiée par l'augmentation constante des flux migratoires vers la France au cours des dernières décennies (10,3 % de la population est née à l'étranger en 2021, contre 6,5 % en 1968), qui a favorisé la montée de l'islam et des mouvements évangéliques. Cependant, la plupart des experts s'accordent à dire que le déclin de la pratique religieuse catholique et de sa transmission au sein de la famille remonte au milieu des années 1960.

Dans son ouvrage Comment le monde a cessé d'être chrétien, paru en 2018, M. Cuchet évoque le bouleversement intervenu dans le sillage du concile Vatican II, estimant que "la fin de l'insistance pastorale sur le caractère obligatoire de la pratique religieuse qui a accompagné le concile a joué, sur le plan collectif, un rôle fondamental dans la rupture" qui a conduit à la chute spectaculaire de la pratique religieuse à partir de 1966. 

Ce phénomène s'est poursuivi et aggravé sans relâche jusqu'à ce que la crise COVID-19 et le "rapport Sauvé" de 2021 sur les abus sexuels dans l'Église accélèrent encore la tendance au déclin déjà existante, selon Raison du Cleuziou.

"Chaque nouvelle crise, a fortiori sur des sujets clivants comme la morale sexuelle, favorise les départs massifs ; seuls les plus résistants restent", a-t-il déclaré.

Renforcement des minorités

Selon l'historien, ce sont souvent les catholiques les plus pratiquants qui résistent le mieux aujourd'hui, précisément parce qu'ils ont adopté une attitude relativement critique à l'égard de l'institution ecclésiale et de ses décisions en matière de pastorale postconciliaire, à partir des années 1970.

Cette théorie fait écho à une étude récente du journal La Croix, qui a montré que ces familles pratiquantes et plutôt conservatrices, contrairement au reste des fidèles, "réussissaient" à assurer leur transmission spirituelle, en privilégiant soigneusement la socialisation religieuse de leurs enfants. 

Raison du Cleuziou explique cela par le fonctionnement minoritaire de ces communautés religieuses conservatrices qui, à l'instar d'autres groupes comme les communautés juives, sont plus conscientes de leur précarité et de leur possible disparition. 

"Lorsqu'un groupe est minoritaire, il a tendance à être exigeant sur le niveau de conviction de ses membres pour assurer sa pérennité, qui ne dépend pas seulement de la libre adhésion mais d'une transmission qui maintient autant que possible les règles et la ritualité", explique-t-il. 

"C'est pourquoi les catholiques pratiquants sont ceux qui se perpétuent le mieux en France, parce qu'ils ont maintenu des codes, des interdits et des frontières claires entre ce qui appartient au domaine religieux et ce qui lui est étranger", a-t-il ajouté. 

Une telle tendance, selon lui, va totalement à l'encontre de celle promue par l'Église française depuis les années 1700, à travers une posture tout à fait typique d'une majorité affaiblie : axée sur l'ouverture et l'accueil, et peu exigeante sur les normes et les codes socioculturels qui marquent son identité.

À cet égard, il est convaincu qu'une profonde transformation du paysage catholique est en train de s'opérer dans le pays, dont il prédit qu'elle s'ancrera, au moins pour un temps, dans une réaffirmation forte de l'importance du dogme dans l'expérience religieuse.

Le traditionalisme, avenir de l'Eglise française ?

Cet avis est partagé par le "Père Danziec" - un commentateur bien connu des médias catholiques français - qui met également en garde contre l'effondrement imminent de la hiérarchie de l'Église de France. Pour ce prêtre de l'Institut traditionnel du Christ Roi Souverain Prêtre, les récents scandales sexuels qui ont secoué l'Eglise ont surtout accéléré son déclin. 

"Pour faire face aux défis de la société actuelle, il faut vraiment être fort sur tous les plans, et le clergé français semble avoir été complètement sonné depuis la publication du rapport Sauvé", a-t-il déclaré au Register, établissant un parallèle avec l'atmosphère qui a précédé l'effondrement soudain de l'Union soviétique en 1991. 

Cependant, la désaffection générale pour le catholicisme, la désertion des églises et la vague de fermetures de séminaires en France, s'accompagnent en même temps d'un fort attachement aux mouvements traditionalistes, notamment chez les jeunes, comme en témoigne une autre étude récente qui accrédite davantage les hypothèses d'un recentrage et d'un resserrement progressifs de la pratique religieuse. 

En mai, pour la première fois en 40 ans, les organisateurs du pèlerinage annuel de chrétienté de Chartres - qui rassemble les catholiques attachés à la messe latine traditionnelle - ont dû fermer les inscriptions une dizaine de jours avant l'événement, en raison du dépassement de leur plafond de 16 000 personnes.

Le directeur du pèlerinage, Jean de Tauriers, a déclaré dans une interview au Register qu'une augmentation d'environ 10 % était enregistrée chaque année et que plus de la moitié des participants avaient moins de 21 ans. 

"Beaucoup d'entre eux sont ce que nous appelons des 'recommençants', qui reviennent à la pratique religieuse ou en tout cas se posent des questions, poussés par une soif de spiritualité et d'ancrage religieux", a-t-il déclaré à la fin du pèlerinage 2023, le 29 mai. "A côté de cela, je constate aussi chez ces participants une recherche d'exigence, dans la mesure où notre pèlerinage de trois jours est aussi marqué par une contrainte à la fois physique et spirituelle". Il a également souligné que la participation des prêtres diocésains est en augmentation.

Ces faits amènent le Père Danziec à penser que, si les prédictions de Cuchet et Raison du Cleuziou concernant le déclin continu de l'Église en France sont hautement probables, la tendance pourrait également être rapidement inversée par une résurgence ultérieure de la foi traditionnelle.

"De plus en plus de gens sont attirés par le triptyque cohérence, transcendance et exigence, avec la conviction que, si l'on doit être chrétien, autant l'être dans tous les aspects de sa vie", a-t-il déclaré. 

Solène Tadié est la correspondante pour l'Europe du National Catholic Register. Elle est franco-suisse et a grandi à Paris. Après avoir obtenu un diplôme de journalisme à l'université Roma III, elle a commencé à faire des reportages sur Rome et le Vatican pour Aleteia. Elle rejoint L'Osservatore Romano en 2015, où elle travaille successivement pour la section française et les pages culturelles du quotidien italien. Elle a également collaboré avec plusieurs médias catholiques francophones. Solène est titulaire d'une licence en philosophie de l'Université pontificale Saint-Thomas d'Aquin et a récemment traduit en français (pour les Editions Salvator) Defending the Free Market : The Moral Case for a Free Economy du père Robert Sirico de l'Acton Institute.

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