De Regina Einig sur le Tagespost :
"La vérité n'est pas une question de majorité"
L'année 2025 marquera le 1700e anniversaire du premier concile œcuménique de Nicée. Le pape François veut participer aux festivités. Un entretien avec l'historien de l'Eglise Michael Fiedrowicz, de la faculté de théologie de Trèves, sur la culture de la dispute dans l'Eglise primitive.
13.07.2024
Monsieur Fiedrowicz, le concile de Nicée a été le premier concile œcuménique de la chrétienté. Dans quelle mesure est-il devenu constitutif de la prétention et de la compréhension de soi des conciles ultérieurs ?
Athanase, qui participait alors au concile en tant que diacre et secrétaire de l'évêque d'Alexandrie, a décrit très clairement comment les décisions de cette assemblée ecclésiastique devaient être classées théologiquement. Il a souligné que dans leur formulation, les évêques faisaient clairement la distinction entre les questions disciplinaires et les questions de foi : "En ce qui concerne la date de Pâques, ils ont écrit : 'Voici ce qui a été décidé'. En effet, il a été décidé à l'époque que tous devaient obéir. Cependant, en ce qui concerne la foi, ils n'ont pas écrit : "Il a été décidé", mais : "Ainsi croit l'Église catholique", et ils ont aussitôt confessé comment ils croient, pour montrer que leur foi n'est pas nouvelle, mais apostolique, et que ce qu'ils ont écrit n'a pas été inventé par eux, mais est ce que les apôtres ont enseigné". Le concile a donc posé des limites claires à toute décision arbitraire en matière de foi. Il a formulé une confession de la foi apostolique à conserver intacte sous la forme d'un symbolum aux accents anti-hérétiques, tel qu'il était déjà utilisé auparavant dans la préparation et l'administration du baptême.
La première œcuménique de l'Église
Dans quelle mesure le Concile a-t-il été un modèle pour la culture chrétienne de la dispute ?
Selon leur conception, les premiers conciles chrétiens visaient globalement le consensus sur des questions controversées. Mais on savait très bien que la vérité n'est pas une question de majorité. Elle existe ou n'existe pas. Le caractère obligatoire des conciles, du moins pour les questions de foi, ne résultait pas simplement du fait qu'une majorité avait décidé quelque chose. Contrairement aux approches des théories modernes du discours, les pères de l'Eglise étaient convaincus que ce n'est pas le consensus qui fonde la vérité, mais la vérité qui fonde le consensus. L'unanimité d'un si grand nombre de personnes a toujours été considérée comme dépassant fondamentalement les capacités purement humaines. Là où l'unanimité est réussie, l'évidence écrasante de la vérité elle-même s'y manifeste. L'unanimité ne fonde donc pas l'obligation, mais témoigne de la vérité qui se manifeste et sur laquelle repose toute obligation. Or, la capacité consensuelle de la confession de foi nicéenne résultait précisément du fait qu'elle pouvait se distinguer par la caractéristique de l'apostolicité : "Tout l'œcuménisme était d'accord parce que la foi provenait du bien apostolique", écrivait vers 400 l'évêque syrien Sévérien de Gabala. Le consensus synchronique des évêques du Concile était donc le résultat de leur consensus diachronique avec la foi des apôtres.
"Contrairement aux approches des théories modernes du discours, les Pères de l'Église étaient convaincus que "ce n'est pas le consensus qui fonde la vérité, mais la vérité qui fonde le consensus".
Dans les textes de l'Église primitive, le lecteur rencontre l'idée qu'il n'y a rien à ajouter au Credo de Nicée. Qu'est-ce qui est vrai ?
Des pères de l'Église comme Athanase et Hilaire parlaient de l'autarcie ou de la suffisance du symbolum nicéen. En effet, cette définition suffisait à clarifier la question de l'époque, à savoir si le Logos, respectivement le Fils, appartenait au côté de Dieu ou à celui des créatures. Une fois cette question tranchée de manière contraignante, une nouvelle interrogation s'est posée : quel est le rapport entre la nature divine et la nature humaine du Christ ? Le juste équilibre entre la nature divine et la nature humaine du Christ fut la tâche des conciles suivants d'Éphèse en 431 et de Chalcédoine en 451.
Quel rôle ont joué des évêques dissidents comme Athanase et Hilaire, lorsque la majorité de leurs collègues se sont distancés du credo nicéen, notamment sous la pression de la politique religieuse impériale ?
Le chroniqueur Sulpice Sévère comptait parmi ces témoins irréductibles de la foi, qui ne voulaient pas s'adapter de manière opportuniste au courant dominant, Paulin, l'évêque de Trèves, qui a dû partir en exil et y est mort en confesseur, en Phrygie, en Asie mineure. Il faisait partie des rares "pour qui la foi était précieuse et la vérité prioritaire". En se penchant sur l'évêque Athanase, John Henry Newman a montré de manière très claire comment, au cours de l'histoire de l'Eglise, ce sont souvent des individus qui ont témoigné de la vérité contre vents et marées et permis sa transmission aux générations futures.
Pourquoi toutes les tentatives de remplacer la confession de foi du concile de Nicée par de vagues formules de compromis ont-elles finalement échoué ?
L'empereur Constance II a poursuivi de manière forcée le changement de politique religieuse de son père Constantin. Pour lui aussi, il s'agissait en premier lieu de préserver la tranquillité de l'Empire romain, à laquelle les controverses théologiques étaient préjudiciables. L'homousios nicéen - de même nature que le père - fut remplacé par un homoios plus vague - semblable à l'Écriture. A première vue, cela semblait être une manœuvre intelligente pour satisfaire d'une manière ou d'une autre toutes les parties avec cette formule. Saint Jérôme commenta la victoire de fait des adversaires du Nicéphore par cette parole souvent citée : "Le monde entier poussa un soupir et découvrit avec étonnement qu'il était arien". L'évêque Hilaire de Poitiers déplorait que l'on se soit "allié à l'incrédulité par des voies détournées sous le beau nom de paix". Mais en fin de compte, la tentative de parvenir à l'unité de la foi en laissant de côté les questions théologiques essentielles, en évitant les formules précises et en se réfugiant dans un biblicisme, c'est-à-dire en élevant l'Écriture au rang d'instance d'argumentation exclusive, devait échouer. Les formules de compromis mises successivement en jeu selon le principe de l'essai et de l'erreur ne s'étaient pas révélées viables. La solution apparemment si pieuse de renvoyer la foi en Christ à la seule parole de l'Écriture laissait le croyant individuel seul face à la question de sa véritable signification. La Bible a été livrée aux partis théologiques qui se disputaient. L'attente selon laquelle il suffirait que tous écoutent la Parole de Dieu pour qu'ils reconnaissent qu'ils sont d'accord sur le fond ne s'est pas réalisée. En renonçant temporairement à sa compétence décisionnelle dogmatique, l'Église avait délégué la résolution des questions de foi à la politique, qui agissait à son tour de manière purement pragmatique. Hilaire de Poitiers en a noté les conséquences : "C'est ainsi qu'est née une foi qui s'adapte davantage à l'esprit du temps qu'aux évangiles, en ce sens qu'elle est réécrite année après année et non pas fixée conformément à la confession de foi".
"En renonçant temporairement à sa compétence de décision dogmatique, l'Église avait délégué la résolution des questions de foi à la politique"
Les Pères de l'Eglise ont défendu la "foi simple" dans les débats intellectuels de l'Eglise primitive contre ceux qui, avec la parole du Seigneur "Cherchez et vous trouverez" (Mt 7,7), voulaient - en termes modernes - "penser plus loin". Pourquoi ?
L'ambition de "penser plus loin" était déjà la caractéristique des gnostiques du IIe siècle, qui se référaient expressément à la parole du Seigneur. Ils voulaient dépasser la foi de l'Église au profit d'une connaissance supérieure et découvrir derrière les paroles bibliques des mystères tout à fait différents, qui seraient restés cachés même aux apôtres. Les simples croyants étaient à leurs yeux pitoyables, arriérés et naïfs, car ils comprenaient le credo de l'Église de manière tout à fait littérale et prenaient également au sérieux le texte de l'Écriture Sainte. En revanche, des évêques comme Irénée, Hilaire et Augustin se sont toujours considérés comme des défenseurs de la foi simple et de ses intuitions fondamentales. Ils considéraient que leur responsabilité théologique consistait avant tout à protéger le fondement commun de la foi baptismale et à préserver les simples croyants de la prétention élitiste des intellectuels, qu'il s'agisse des gnostiques, des manichéens ou des rationalistes théologiques de toute autre couleur.
Selon Tertullien, il ne peut y avoir de recherche sans fin sur une doctrine unique et univoque. Dans quelles conditions les débats théologiques ont-ils encore un sens selon ce critère ?
Cette déclaration se réfère à la confrontation avec les gnostiques du IIe siècle, qui soumettaient effectivement la foi de l'Église à de constantes réinterprétations. Le verdict de Tertullien ne doit toutefois pas être généralisé. Saint Augustin, par exemple, voyait dans l'émergence de fausses doctrines un stimulant pour sortir les catholiques de leur léthargie spirituelle et pour réfléchir plus profondément à la foi. Dans son ouvrage "Sur l'état de Dieu", il écrivait : "Car beaucoup de choses qui appartiennent à la foi catholique, dès que l'esprit ardent et agité des hérétiques les conteste, sont, pour les repousser, examinées avec plus de soin, reconnues plus clairement et proclamées avec plus d'insistance, de sorte que le fait de soulever une question litigieuse de la part de l'adversaire donne lieu à un apprentissage".
Quelles expériences des pères conciliaires dans les relations tendues entre l'Église et le pouvoir temporel peuvent être instructives pour les chrétiens d'aujourd'hui ?
Une leçon importante serait de comprendre avec quelle rapidité le vent peut tourner et la politique de l'Eglise changer. Il suffit de penser à la description enthousiaste qu'en fait Eusèbe dans sa biographie de Constantin. A la fin du concile, l'empereur invita les évêques à un dîner de gala dans son palais : "Aucun évêque ne manquait à la table de l'empereur. Ils étaient là, allongés sur le même coussin que l'empereur. On aurait facilement pu prendre cela pour une image du royaume du Christ". L'historien de l'Eglise Hugo Rahner commentait déjà en 1943 dans son ouvrage remarquable "Abendländische Kirchenfreiheit" (Liberté de l'Eglise en Occident) : "Le royaume du Christ n'a encore jamais été construit par des évêques reposant sur des coussins impériaux. La liberté ne naît que dans la lutte".