Fournir aux chrétiens les armes intellectuelles pour survivre au déclin de la civilisation post-chrétienne est une mission que Rod Dreher a poursuivie tout au long de sa carrière de journaliste. Son travail a pris une nouvelle dimension avec la publication, en 2017, de The Benedict Option : A Strategy for Christians in a Post-Christian Nation , suivi de Live Not by Lies : A Manual for Christian Dissidents en 2020, deux ouvrages de renommée internationale traduits dans plus d’une douzaine de langues.

Son dernier livre, Living in Wonder: Finding Mystery and Meaning in a Secular Age, disponible le 22 octobre, complète cette sorte de trilogie, qui aborde tous les grands enjeux de notre époque d'un point de vue politique, philosophique et spirituel. 

Dans Living in Wonder, Dreher explore les moyens de raviver la flamme de la foi, en s’appuyant sur l’histoire de l’Église primitive – qui, par son mysticisme et les nombreux miracles qu’elle a engendrés, a massivement détourné les âmes du paganisme – et en passant au crible les diverses ruptures historiques de la fin du Moyen Âge à nos jours qui ont conduit au désenchantement du monde occidental.

Ce livre, que l’auteur conçoit comme un manuel, a pour objectif d’apprendre au lecteur « comment chercher et comment trouver » le véritable enchantement : autrement dit, « à voir le divin avec un cœur purifié ».

Revenu à la foi après une visite transfigurante à la cathédrale de Chartres à l’âge de 17 ans, suivie d’une rencontre décisive avec le prêtre-artiste Carlos Sanchez en 1993, ce chrétien orthodoxe de 57 ans est convaincu que « la beauté et la bonté ouvrent la porte à la vérité », comme il l’affirme dans cet entretien au Register. Il évoque également la montée de l’occultisme et du néopaganisme et l’impréparation du clergé face à ce fléau sans précédent, ainsi que ses réflexions sur les ovnis.

La dimension civilisationnelle de la crise que traversent les sociétés européennes et américaines n’est plus une nouveauté pour personne. Alors que les essais et les think tanks se multiplient pour poser des diagnostics, la plupart politiques, vous nagez à contre-courant avec une thèse entièrement spiritualiste. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au concept de désenchantement ? 

Mes deux derniers livres – The Benedict Option et Live Not by Lies – abordent tous deux les défis que pose la foi chrétienne dans une civilisation post-chrétienne. Je n’avais pas initialement prévu de publier un troisième livre sur ce sujet, mais j’ai été hanté par une phrase que m’a dite il y a des années Christian Smith, sociologue des religions à Notre Dame. Je lui ai demandé ce que nous pouvions faire pour ramener les jeunes à la foi. Il m’a répondu qu’il ne savait pas, mais que nous ne pourrions certainement pas y parvenir avec le simple moralisme. 

D’accord, mais quoi ? J’y ai réfléchi. J’ai finalement compris que ce qui m’avait conduit à la foi, ce n’étaient pas principalement des arguments apologétiques, mais une rencontre avec une grande beauté et une rencontre avec une bonté inhabituelle – deux choses qui ont conduit à ma conversion. 

Benoît XVI disait que, de nos jours, les meilleurs arguments en faveur de la foi sont l’art que produit l’Église et ses saints. En d’autres termes, la beauté et la bonté ouvrent la porte à la vérité. Je sais que c’est vrai parce que je l’ai vécu ! 

Je suis un chrétien engagé depuis plus de 30 ans. J’ai vécu un certain nombre d’expériences spirituelles et j’ai même eu une vision en 1993 qui s’est réalisée. Je me suis lié d’amitié avec plusieurs exorcistes et j’ai vu le démon en action. Ces événements ont fortement renforcé ma foi en me rappelant que le monde n’est pas ce que nous pensons, que le monde matériel est fondé sur la réalité spirituelle. J’ai finalement pensé que je devrais écrire un livre sur ce sujet. Lorsque je suis tombé sur la citation de Karl Rahner des années 1960 – « Le chrétien fervent du futur sera soit un « mystique » – quelqu’un qui a « vécu quelque chose » – soit cessera d’être quoi que ce soit du tout » – j’ai su qu’il était temps. 

Les catholiques, comme vous l’avez également mentionné, évitent souvent de parler des anges et des démons par crainte d’être superstitieux, même les plus orthodoxes des fidèles. Padre Pio a pourtant vécu le siècle de la « mort de Dieu » et du totalitarisme athée, en accomplissant de nombreux miracles. L’Occident d’aujourd’hui est-il encore moins propice à l’émergence de telles figures saintes qu’il ne l’était au XXe siècle ?

Il y a dix ans, j'aurais pensé que oui. Le nouvel athéisme était populaire à l'époque et de nombreux jeunes quittaient la foi chrétienne. Le nombre d'ex-chrétiens continue de croître, en particulier parmi les jeunes, mais un changement important et inattendu s'est produit. L'athéisme est en grande partie mort chez les jeunes, mais ils ne reviennent pas au christianisme. Ils se tournent vers diverses formes d'occultisme et se mettent à consommer des drogues psychédéliques.

Pourquoi ? Parce qu’ils ont désespérément besoin de faire l’expérience de la transcendance, du mysticisme. Ils ont besoin de vivre une expérience qui leur montre que la vie ne se résume pas au simple matérialisme. Même si nous devons être préoccupés par cette évolution, elle nous offre aussi, à nous chrétiens, une opportunité. Il continuera d’être difficile – peut-être plus que jamais – de convertir les gens en utilisant la raison. Mais nous pouvons faire des progrès si nous parlons des miracles de Padre Pio et d’autres, si nous parlons des apparitions mariales approuvées, si nous parlons de la réalité du combat spirituel dans les histoires de personnes comme le regretté exorciste Gabriele Amorth et le père Carlos Martins, l’exorciste américain populaire dont le podcast The Exorcist Files est non seulement divertissant, mais regorge de conseils pratiques. 

Vous affirmez que le clergé d'aujourd'hui n'est absolument pas préparé à accueillir les nombreuses personnes issues des mouvements occultistes, New Age ou néopaganistes. Que faudrait-il faire, selon vous ? 

Living in Wonder n’est pas seulement un livre de théorie, mais aussi un livre de conseils pratiques. L’un des passages les plus discutés du livre, je pense, sera ce qu’un ancien adorateur de démons, aujourd’hui converti au christianisme et également un érudit religieux hautement qualifié, dit que le clergé et les chefs religieux devraient faire. Il dit que les chefs religieux doivent lire beaucoup plus sur l’occulte, mais pas trop pour ne pas les démoraliser. 

L'occultisme est aujourd'hui largement accepté dans la culture populaire. Vous ne vous en souciez peut-être pas, mais vos enfants s'en soucient beaucoup. Rendez-vous dans une librairie de quartier aujourd'hui et voyez les grandes sections de livres enseignant la sorcellerie et le paganisme aux adolescents. C'est un sujet très important, car ce sont toutes des portes par lesquelles le démon peut accéder aux âmes des jeunes, qui ne comprennent pas dans quoi ils s'embarquent. Ce n'est pas une blague.

Le clergé devrait prendre beaucoup plus au sérieux le travail des exorcistes. Ils vivent dans une réalité que la plupart d’entre nous ne voient pas, mais qui existe. La guerre spirituelle est une part importante de notre vie de chrétiens, et elle le deviendra encore plus dans les années à venir. 

Vous avez affirmé votre croyance en l'existence des ovnis, sur lesquels la plupart des autorités chrétiennes ne prennent pas position mais que vous avez tendance à interpréter comme des signes du diable. Qu'est-ce qui vous a convaincu d'y croire ?

Jusqu’à il y a un peu plus d’un an, je ne prenais pas les ovnis au sérieux. Puis un journaliste catholique que je respecte m’a dit que je devrais reconsidérer ma position car il y a des questions spirituelles importantes qui sont débattues dans ce domaine. J’ai accepté de lire quelques livres qu’il m’a recommandés et j’ai dû admettre que ce sujet était bien plus sérieux que je ne l’avais imaginé. J’ai été étonné d’apprendre que des personnes très sérieuses à des niveaux élevés du gouvernement américain – en particulier dans les domaines militaire et de la sécurité nationale – prenaient le phénomène des ovnis au sérieux. Il est également largement accepté comme réel dans la Silicon Valley, parmi les élites technologiques.

Le plus étonnant, c'est que très peu de ceux qui acceptent les OVNIs comme réels croient qu'il s'agit de créatures venues d'autres planètes. Ils croient plutôt qu'il s'agit, en quelque sorte, d'êtres venus d'autres dimensions. Cela ressemble à de la science-fiction, mais c'est vrai et certaines de ces élites en parlent ouvertement. 

Mais pourquoi est-ce que je pense que ces choses sont des démons, ou du moins des créatures qui leur sont proches ? J’en suis en partie arrivée à la conclusion que j’ai pu en parler à d’anciens occultistes – des hommes qui ne se connaissent pas – qui m’ont dit cela. Mais j’ai aussi parlé à des exorcistes qui disent que c’est leur expérience. Je crois que ces « extraterrestres » font partie d’un plan plus vaste et à long terme visant à provoquer une grande tromperie spirituelle à l’échelle de la planète. Il y a quarante ans, le moine chrétien orthodoxe Seraphim Rose avait prédit cela. Quand j’ai lu pour la première fois le commentaire de Rose à ce sujet en 2006, j’en ai ri. Je ne ris plus maintenant.