De Stefano Fontana sur la NBQ :
Les interviews éclair qui occultent le rôle du pape
02_10_2025

Léon XIV tomberait-il dans le piège des interviews improvisées ? Le 30 septembre, à sa sortie de Castel Gandolfo, le pape a été immédiatement entouré de journalistes ( ici dans la vidéo de CNA ). Une question d'EWTN News concernait le prix que le cardinal Cupich, archevêque de Chicago, proposait de décerner au sénateur démocrate Dick Durbin pour son engagement en faveur des immigrés et son soutien aux associations catholiques œuvrant dans cette zone d'acceptation et d'intégration, malgré son engagement tout aussi fort en faveur de la promotion législative de l'avortement.
Nous reviendrons sur le fond de la question ; d'abord, disons quelques mots sur cette pratique vaticane des interviews jetables. Sont-elles vraiment utiles ? Si la question est banale, la réponse le sera tout autant, et donc inutile. Si la question soulève un problème important, quelques mots de réponse seront tout aussi inutiles, car inadéquats. Il existe aussi des questions pièges, conçues spécifiquement pour créer la difficulté. Il n'est pas forcément vrai que le pape soit bien informé sur ce sujet précis, et dans ce cas, la réponse devient imprécise et évasive.
Le Pape n'a-t-il d'autres outils qu'une interview hâtive pour transmettre ses enseignements ? Non pas pour exprimer son opinion, mais pour transmettre ses enseignements. Le Pape n'est pas un commentateur de l'actualité, il n'est pas le secrétaire d'un parti qui quitte la salle après une réunion du conseil d'administration et est assailli par les micros et les caméras, il n'est pas le défenseur des accusés dans l'affaire Garlasco, source d'émissions télévisées. Pourtant, il pourrait bien finir par apparaître comme tel, compte tenu des fréquentes interviews impromptues. La question n'est pas anodine, car elle concerne en définitive la papauté, sa nature et son meilleur moyen d'expression.
Interrogé par le journaliste, le Pape Léon XIV a été pris de court ; il a dû marquer une pause pour réfléchir, et il a d'ailleurs explicitement déclaré ne pas être parfaitement au courant de l'affaire (« Je ne connais pas bien le cas précis »). On pourrait arguer que c'est peu probable, compte tenu du vif débat qui règne au sein de l'Église américaine et des critiques virulentes formulées par de nombreux évêques concernant le prix Durbin. Mais l'incertitude de la réponse se prête bien à une question directe. Le pape Léon XIV a donc donné une réponse décousue, avec des phrases assemblées de manière imprudente, des comparaisons trompeuses et des thèses sous-jacentes intenables.
Il nous a d'abord exhortés à examiner « le CV du sénateur dans son intégralité » et à « rechercher ensemble la vérité sur les questions éthiques. Je pense qu'il est important de considérer l'ensemble du travail accompli par un sénateur pendant, si je ne m'abuse, 40 ans de service au Sénat des États-Unis », a-t-il déclaré.
Or, dans le CV d'un sénateur, fort de quarante ans de carrière, on trouve des interventions de valeur éthique variable . L'activité parlementaire dans son ensemble doit assurément être évaluée, non pas pour tout légitimer, mais plutôt pour éviter de légitimer par un prix public ce qui ne l'est pas. Ce cadre inclut l'engagement en faveur des immigrés et de l'avortement : le premier critère ne peut être utilisé sans tenir compte du second, précisément en raison du devoir d'examiner l'ensemble du CV. Lorsque François a loué Emma Bonino, la qualifiant de « grande Italienne », lui décernant ainsi une sorte de prix, il l'a fait pour son engagement en faveur du développement, mais a négligé son engagement fatal en faveur de l'avortement. Ce n'était pas le cas, tout comme ce n'est pas le cas aujourd'hui pour Durbin. L'appel même de Léon XIV à examiner l'ensemble du CV justifie son refus du prix, alors que ses propos semblent suggérer le contraire. « Chercher ensemble la vérité sur les questions éthiques » transforme la vérité en interprétation.
Les expressions les plus problématiques, cependant, étaient les suivantes : « Quiconque se dit contre l’avortement mais est favorable à la peine de mort n’est pas véritablement pro-vie… Quiconque se dit contre l’avortement mais approuve le traitement inhumain des immigrants aux États-Unis, je ne sais pas s’il est pro-vie. » S’il avait eu plus de temps pour réfléchir, s’il avait pu écrire au lieu de parler à brûle-pourpoint et en passant… le résultat aurait certainement été différent. Prises au pied de la lettre, ces paroles sont quelque peu déconcertantes.
La comparaison entre la lutte contre l’avortement, les politiques d’immigration et la peine de mort semble infondée. Un acte causant la mort d’un être humain innocent est un acte moralement négatif absolu et témoigne d’un acte intrinsèquement mauvais qui ne devrait jamais être commis, quelles que soient les circonstances et la raison. L’engagement à gérer l’immigration et les politiques migratoires de manière juste est un impératif moral positif qui peut être mis en œuvre de multiples façons ; il exige de prendre en compte les multiples variables et intérêts en jeu, et d’exercer la vertu de prudence. Enfin, la peine de mort a toujours fait partie de la tradition doctrinale de l’Église. Le fait que François ait modifié sa doctrine, arguant qu'elle ne correspond plus au sentiment contemporain, ne signifie pas que l'Église ait soutenu pendant des siècles la légitimité de tuer des innocents, comme le fait l'avortement. On peut également se demander comment ces propos se justifient au vu de l'insistance du pape Léon XIV sur la « conséquence jusqu'à la mort » ( par exemple, ici ) que les politiciens catholiques doivent rechercher.
Mieux vaut occulter cette interview. Disons qu'il s'agit d'un accident. Cependant, elle nous fait rêver d'une papauté sans interviews et d'un Vatican qui revoit en profondeur ses stratégies de communication.