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Sur les écrans : le portrait d'un père de famille catholique autrichien résistant au nazisme

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De Jean-Marie Dumont sur le site de Famille Chrétienne :

Franz Jägerstätter

Portrait de Franz Jägerstätter -  ©IRIS PRODUCTIONS

MAGAZINE – Le héros du film de Terrence Malick, Une vie cachée, qui sort le 11 décembre, est un père de famille catholique autrichien résistant au nazisme. Un bienheureux encore peu connu dans l’Église.

« Jägerstätter ! » : ces quatre syllabes prononcées avec une froideur métallique par un homme en uniforme à la prison nazie de Brandebourg annoncent le dénouement de la tragédie que raconte Une vie cachée, le dernier film de Terrence Malick : l’exécution d’un agriculteur autrichien catholique qui a refusé de servir dans les armées allemandes à l’époque d’Hitler. En ce 9 août 1943, il est à peine plus de 15 h, et Franz s’abandonne à la Providence, après avoir écrit un dernier mot à son « épouse bien-aimée » et à sa mère : « Ces dernières semaines, j’ai souvent demandé à notre Mère du Ciel que, si cela était la volonté de Dieu, je meure bientôt pour fêter avec elle la fête de l’Assomption au Paradis. […] À vous que j’aime plus que tout, je souhaite une belle vie. Ne m’oubliez pas dans vos prières ! Suivez les commandements de Dieu, et par sa grâce nous nous reverrons bientôt au Ciel. » Quelques instants plus tard, Franz Jägerstätter est guillotiné pour « entrave à l’effort de guerre ».

Qu’est-ce qui a pu conduire cet homme chaleureux de 36 ans, apprécié de tous dans son village de Haute-Autriche, aimant profondément Franziska avec laquelle il était marié depuis sept ans, père de trois petites filles, à cette fin brutale et odieuse ? Le désir poussé jusqu’à l’héroïsme d’aimer Dieu, de réaliser sa volonté et de ne l’offenser en rien, confronté à la déferlante du nazisme sur l’Europe. « Avant l’annexion (Anschluss) de l’Autriche par l’Allemagne en 1938, Franz était déjà très préoccupé », explique Cesare Giacomo Zucconi, auteur d’une biographie intitulée Christ ou Hitler ?. « Son village, Sankt Radegund, était situé à quelques kilomètres de la frontière allemande. Il entendait parler depuis plusieurs années du nazisme, de sa réalité, de ses conséquences pour l’Église. Certaines déclarations de l’évêque de Münster, Mgr Clemens August von Galen, sur les euthanasies pra­tiquées par les nazis, arrivaient en Autriche. » La préoccupation de ce paysan à la foi profonde s’accroît avec l’Anschluss, puis lorsqu’il est contraint de suivre un entraînement militaire en 1940-1941 à Enns. Jusqu’à ce 2 mars 1943 où, après avoir mûrement réfléchi et longuement échangé avec sa femme, il se rend à la caserne d’Enns où il est convoqué et exprime son refus d’être incorporé à l’armée allemande.

La figure exceptionnelle d’un combattant solitaire

Quelques jours avant, il a écrit à son ami le Père Josef Karobath, curé de Sankt Radegund, qui a déjà été inquiété par la Gestapo à cause d’un sermon antinazi : « Je dois vous faire savoir que vous allez peut-être bientôt perdre l’un de vos fidèles. J’ai reçu aujourd’hui l’ordre d’incorporation. Puisque personne ne peut me protéger des dangers que cet engagement ferait courir au salut de mon âme, je ne peux que me tenir fermement à cette décision que vous connaissez. » Franz Jägerstätter est immédiatement incarcéré à Linz, où il reste deux mois, avant d’être conduit, le 4 mai, à la prison de Berlin Tegel. Il y sera guillotiné trois mois plus tard.

« Ce que Franz Jägerstätter refusa par sa décision et son geste », explique à FC Andreas Schmoller, historien et directeur de l’Institut Franz et Franziska Jägerstätter de Linz, « c’est de servir les armées allemandes, ou plutôt les armées “nazifiées”. Dans les carnets qu’il écrit en 1941 et 1942, il se réfère au discours catholique traditionnel sur la guerre juste. Il montre pourquoi les guerres hitlériennes ne sont pas des guerres justes, mais des guerres de destruction. “Puis-je agir contre l’Évangile et les dix commandements en y participant ? ”, se demande-t-il. Sa réponse est : “Non.” » Auteur d’une thèse sur la résistance chrétienne au nazisme en Autriche, Martin Kugler y voit « une figure exception­nelle », celle d’un « combattant solitaire, qui en est arrivé à la nécessité de résister à partir de sa conscience éclairée par la foi ».

Franz montre pourquoi les guerres hitlériennes ne sont pas des guerres justes, mais des guerres de destruction

Andreas Schmoller, historien

Un couple profondément habité par la foi

La foi joue en effet un rôle capital dans la réflexion, la décision et la persévérance à s’y tenir, à la fois humbles et extrêmement courageuses, qu’il a manifestées jusqu’à sa mort. « Dans la correspondance qu’il entretient avec son épouse », nous explique Erna Putz, historienne et auteur d’une biographie de référence sur Franz (1), « on ne peut pas toujours distinguer d’emblée s’il s’agit de Franz ou de Franziska tant certains de leurs échanges ont pour objet une recherche conjointe de la volonté de Dieu ». S’il a grandi au début du XXe siècle dans un environnement catholique rural très pratiquant, comme la quasi-totalité de l’Autriche-Hongrie de l’époque, c’est notamment au contact de son grand-père, qui disposait, ce qui était peu courant, d’une importante bibliothèque, que la foi de Franz s’est approfondie. « Nous savons aussi par le curé du village, raconte Andreas Schmoller, qu’en 1934 Franz lui déclara qu’il voulait entrer dans un ordre religieux. Mais il l’en a dissuadé, afin qu’il puisse prendre ses responsabilités dans la ferme familiale. »

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Deux ans plus tard, en 1936, Franz se marie avec une jeune femme d’un village voisin, Franziska Schwaninger. Âgée de 23 ans, celle-ci travaillait dans une auberge, avant de tenter elle aussi d’entrer dans la vie religieuse, puis de se raviser. Le jour de leur mariage, le 9 avril 1936, ils partent en voyage de noces à Rome, participent à une audience de Pie XI… À Sankt Radegund, ils forment, selon différents témoignages, l’un des couples les plus heureux de leur village, occupés par les travaux de la ferme, profondément habités par la foi. Ensemble, ils lisent la Bible, dont le curé du village leur a offert un exemplaire pour leur mariage, à une époque où le mouvement liturgique naissant pousse à la redécouverte de l’Écriture sainte.

La dévotion au Sacré-Cœur, qu’évoquera Franz dans sa dernière lettre et les vies de saints jouent aussi un rôle important dans la spiritualité dans laquelle s’enracinera son engagement, avec des figures comme sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ou saint Konrad de Parzham, du proche couvent bavarois d’Altötting, canonisé par Pie XI en 1934. « L’Église de Pie XI, explique Cesare Zucconi, est une Église qui canonise beaucoup, notamment, de gens simples, qui témoignent d’une foi humble mais forte. » Ces modèles le touchent, le conduisant à placer sa confiance en Dieu seul et à rejeter toute compromission. La bibliothèque du couple Jägerstätter est riche de nombreux livres. « Parmi eux, décrit Andreas Schmoller, on trouve des ouvrages de littérature religieuse des années 1930 dont les aspects politiques n’étaient pas absents, avec une approche très antinazie. Il ne s’agit pas d’ouvrages très approfondis, intellectuels ou théologiques, mais d’une littérature largement diffusée par l’Église ou les congrégations religieuses, destinée à la formation des fidèles. » Parmi les figures qui jouèrent un rôle important dans la vie des deux époux : saint François d’Assise. Au cours de son entraînement militaire, Franz rejoindra, tout comme un autre soldat avec lequel il s’est lié d’amitié – et qui pourrait être celui qui lui a fait connaître la vie de saint Thomas More –, le tiers ordre franciscain. Sa femme fait de même quelques mois plus tard.

« La religion est au cœur de leur vie »

Quel fut le rôle de Franziska dans la décision de Franz ? Certains, au village, l’accusèrent d’avoir « changé » Franz lors de son mariage, d’avoir fait de cet élégant paysan aimé de tous, parcourant sa région à moto (2) quand il n’était pas accaparé par le travail de la terre, un homme tellement pris par Dieu qu’il a été capable d’encourir la mort pour ne pas se compromettre avec le mal. « Oui, elle l’a un peu changé », confirme l’historienne Erna Putz, qui a bien connu Franziska, décédée en 2013 à l’âge de 100 ans et qui a assisté à la béatification de son mari en 2007. « Mais ce changement, ils l’ont fait ensemble. » C’est également l’analyse d’Andreas Schmoller. « On peut dire que c’est une évolution commune, explique-t-il. Leur amour est nourri par leur même religiosité. On le voit bien dans les lettres qu’ils échangent, alors que lui est en prison et qu’elle reste seule pour s’occuper de la ferme et de leurs trois filles. Ils restent liés l’un à l’autre en ayant la religion au cœur de leur vie. Ce n’est pas malgré mais plutôt grâce à cette relation avec sa femme, à ce lien profond qu’il avait avec elle, au soutien qu’elle lui a apporté alors qu’il était absolument seul, qu’il a pu tenir sa décision jusqu’au bout. Il y a toute une énergie qui découle de sa relation avec sa femme, et qui est liée à cette spiritualité profonde qui les unissait. »

Durant les trois mois de captivité qui précèdent son exécution, un autre soutien lui a permis de rester ferme jusqu’au bout malgré la souffrance : celui de l’aumônier de la prison de Berlin Tegel, le Père Heinrich Kreutzberg. Celui-ci lui rend visite et lui porte l’eucharistie. Un jour, il lui raconte l’histoire du Père Franz Reinisch. Autrichien comme lui, il est passé moins d’un an plus tôt dans la même prison, avant d’être exécuté pour avoir refusé le serment à Hitler. « Je n’ai jamais vu un homme aussi heureux en prison qu’après lui avoir parlé de ce prêtre, écrira plus tard le Père Kreutzberg à Franziska. Il me répondit : “Je ne peux pas être sur une mauvaise voie si même un prêtre a pris cette décision et a été tué pour cela !” Lorsqu’il mourut le 9 août 1943, il m’apparut clairement que la mort du Père Franz Reinisch avait trouvé un reflet dans cet homme modeste issu du peuple […]. Soyez assurée, Madame, qu’ils sont peu nombreux, en Allemagne, ceux qui sont morts comme votre mari. Il est mort comme un héros, comme un confesseur, comme un martyr et comme un saint. »

Suite.

La bande-annonce d'« Une vie cachée » de Terrence Malick :

Jean-Marie Dumont

(2) Franz Jägerstätter. Märtyrer, par Erna Putz, éd. Franz Steinmassl.

(3) Son garagiste était situé à Tittmoning, à 7 kilomètres, juste après la frontière allemande, en face de la maison où vécurent les parents de Joseph Ratzinger jusqu’en 1932 (né en 1927, Joseph avait alors 5 ans).

Commentaires

  • Il me semble que la sortie de ce film en Belgique est reportée à février 2020.

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