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Les évangéliques seraient-ils les derniers boucs émissaires de la longue histoire des épidémies ?

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Lu sur LeTelegramme.fr :

À Mulhouse, l’église évangélique vit dans la peur

Fin février, l’église La Porte ouverte chrétienne, à Mulhouse, avait accueilli 2 000 fidèles pour un rassemblement évangélique.

Fin février, l’église La Porte ouverte chrétienne, à Mulhouse, avait accueilli 2 000 fidèles pour un rassemblement évangélique. (Photo EPA)

Avant le coronavirus, l’église évangélique La Porte ouverte chrétienne était bien intégrée à Mulhouse. Désignée comme responsable de la propagation du virus en France, elle vit aujourd’hui « dans la peur et dans la haine ».

Samuel Peterschmitt, pasteur principal de l’église évangélique La Porte ouverte, est un homme charismatique et spontané, connu par ses « cultes » (messes) qui mettent Jésus Christ et la Bible en avant. Il est sorti considérablement affaibli par sa contamination au Covid-19. Pour évoquer la crise, entre deux quintes de toux , il en réfère à la souffrance biblique du prophète Job : « Sa situation a été bouleversée quand Dieu a décidé de lui faire subir des épreuves, il a alors tout perdu ». Sa voix se teinte d’émotion. Le pasteur précise que « tout allait bien auparavant pour l’église, mais soudain, l’image a changé. On nous accuse d’être responsables d’un virus pour lequel personne ne nous avait avertis ».

Située dans le quartier de Bourtzwiller, qui fut souvent le théâtre de violences et de trafic de drogues, l’église évangélique La Porte ouverte mérite bien son nom. Si des décennies de désindustrialisation et de chômage ont laissé des traces dans la population, l’église a toujours su porter un message d’espoir à toutes les personnes dans le besoin.

Affaiblis par cinq jours de jeûne

En février, le destin de l’église a basculé. En cette semaine de carême, 2 000 fidèles sont venus de la région Grand-Est et des pays voisins, comme l’Allemagne, la Belgique et la Suisse, et se sont joints aux membres habituels de La Porte ouverte. « Ils finissaient cinq jours de jeûne et de prières, ils étaient très vulnérables », précise la Suisse Eliette Goetschmann, fervente évangélique. C’est au cours de ce rassemblement que nombre d’entre eux ont été contaminés et qu’on a assisté à la diffusion virale à travers le pays et même à l’étranger.

Deux mois après, le pasteur Samuel Peterschmitt revient sur le lourd bilan : «70 personnes ont été hospitalisées et une trentaine est décédée », parmi les membres de l’église.

« Certains ont même perdu leur boulot »

Des politiques ont vite pointé du doigt l’église après la propagation du virus en France. Ainsi, le 17 mars, Josiane Chevalier, préfète du Grand-Est et du Bas-Rhin, déclarait dans un entretien à France Inter : « L’épidémie est partie d’un rassemblement évangélique qui a eu lieu dans le Haut-Rhin, avec plus de 3 000 personnes et un non-respect des mesures barrières : en résumé, tout ce qu’il ne faut pas faire. On paie le prix fort de cette non prise en compte des mesures de base ». Ce que conteste l’avocate Clémence Langlois, spécialisée dans la défense des chrétiens. Elle considère que ses propos sont « trompeurs ». « Je suis interpellée juridiquement par ce qu’a dit la préfète, elle laisse entendre publiquement que l’église est responsable de la diffusion du virus ».

Le pasteur Étienne Grosrenaud, qui est d’une autre église évangélique (Assemblée de Dieu, à Mulhouse), alerte sur la situation actuelle des évangéliques dans le Haut-Rhin : « Aujourd’hui, quand les membres de nos églises sortent dans la rue pour faire des courses, leurs voisins les insultent, parce qu’ils sont évangéliques. Certains ont même perdu leur boulot ».

« Il y a un siècle, ce sont les juifs de Strasbourg qui ont été accusés de répandre la peste noire et brûlés sur la place centrale »

« Nous avons les pieds sur terre », précise Nathalie Schnoebelen, communicante de La Porte ouverte, pour souligner la collaboration de l’église avec l’Agence régionale de santé (ARS) depuis le début de la crise. « La Bible nous dit qu’il faut être droit comme une colonne et souple comme un serpent », relate-t-elle.

L’Alsace, territoire sous l’autorité du Concordat - les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite y sont en contrat avec l’État -, est dotée de nombreux et prestigieux lieux de culte.

Édouard Manini, Strasbourgeois et conseiller à l’Eurométropole de Strasbourg, estime, de son côté, que « les évangéliques ont été des victimes pendant la crise du coronavirus ». Ce fonctionnaire, de confession juive par sa mère, protestant par son père, rappelle qu’« il y a un siècle, ce sont les juifs de Strasbourg qui ont été accusés de répandre la peste noire, et brûlés sur la place centrale ».

« Une culture ambiante anti-religion »

Le pasteur Emmanuel Duvieusart, de l’Église La Bonne Nouvelle, une autre communauté évangélique de Mulhouse, interrogé sur la possibilité d’une Église catholique jalouse du succès de la foi évangélique, préfère s’en tenir à un front uni : « Il s’agit plutôt de la culture ambiante anti-religion dans la société et du rejet en bloc des chrétiens. Dans le contexte actuel du coronavirus, je suis convaincu que, si on avait été un siècle et demi en arrière, on se ferait cramer ».

« Tu ne porteras pas de faux témoignages contre ton voisin », prévient la Bible, dans le chapitre de l’Exode. Les évangéliques seraient-ils les derniers boucs émissaires de la longue histoire des épidémies ? Dans l’océan de tristesse que représente le Covid-19, et nonobstant les responsabilités de chacun, on en arrive à se dire : « Ça pourrait aussi m’arriver ».

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