Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'effacement du monothéisme et le retour du paganisme

IMPRIMER

Votre analyse porte sur la fin de cette chrétienté : qu’est-ce qui en a sonné le glas ?

C’est une longue agonie, qui a commencé probablement à la Renaissance, a connu un tournant critique au moment des Lumières, puis s’est confirmée pendant les deux derniers siècles.

Vous relevez d’ailleurs que même la pensée chrétienne a peu à peu renoncé à la chrétienté : comment et pourquoi ?

Oui, il est étonnant de voir à quel point les chrétiens eux-mêmes, à commencer par les clercs, n’ont plus envie de défendre tout ce que la chrétienté signifiait de puissance. Ici, l’histoire joue un rôle important : pendant la première moitié du XXe siècle, la chrétienté a tenté de survivre grâce à des régimes fascistes corporatistes, qui se sont révélés barbares. D’une manière générale, les chrétiens et leurs clercs sont des enfants de leur époque : nous n’avons plus envie du règne de la force, nous ne voulons plus conquérir, que ce soit politiquement ou religieusement. Et il existe dans l’Église une honte des conquêtes chrétiennes historiques, comme il existe dans nos sociétés une honte des conquêtes politiques historiques. Si vous dites à une assemblée d’évêques que la chrétienté est morte, je pense qu’ils répondent intérieurement : “Bon débarras !”

Au sujet du rejet des lois d’influence chrétienne, vous évoquez une inversion normative, de quoi s’agit-il ?

C’est une inversion des normes morales, que chacun aura remarquée. Depuis un siècle, tout a été renversé. Le divorce est passé après bien des aventures de l’interdiction à la facilité. L’IVG était criminalisée, elle est légitimée. L’homosexualité de même. L’Église n’offrait pas de funérailles aux suicidés, on aspire au suicide assisté – qui sera sans nul doute bientôt légitimé. La peine de mort était légitimée, elle est criminelle. La torture était un pis-aller, un dégât collatéral de la guerre : elle est un crime. La pédophilie aussi était un dégât collatéral : elle est un crime (bientôt imprescriptible ?). Ces inversions marquent la fin des croyances sous-jacentes, qui étaient chrétiennes. Elles marquent l’entrée dans une société nouvelle, aux croyances différentes.

Vous comparez alors les chrétiens des XIXe et XXe siècles aux païens du IVe siècle, pourquoi ?

J’ai voulu montrer qu’au IVe siècle, la chrétienté naissante accomplit la même inversion mais en sens inverse : par exemple, elle criminalise l’infanticide et l’homosexualité, interdit le divorce. Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas une rupture inédite. Il y en a eu d’autres. C’est toujours le changement des croyances qui suscite le changement des lois sur les mœurs. Les réformes sociétales d’aujourd’hui sont des remises à niveau : depuis des décennies, des lois chrétiennes s’appliquaient à des esprits qui ne portaient plus les croyances chrétiennes correspondantes.

Comment définir cette nouvelle morale qui s’impose ?

Elle reprend par certains aspects la morale évangélique, mais sans la transcendance et de façon exponentielle parce qu’elle n’a plus d’anthropologie à disposition et croit tout possible. Par exemple, l’égalité, la bienveillance sont reprises et développées jusqu’aux excès, sans tenir compte de la réalité. Chesterton appelait cela les vérités chrétiennes devenues folles. Plusieurs auteurs (Scheler, Kolnai) ont parlé d’humanitarisme pour décrire cette morale issue du christianisme mais devenue erratique et illimitée. Il ne s’agit pas d’humanisme, puisque l’humanisme signifie la primauté de l’homme et nous ne croyons plus à la primauté de l’homme. La transformation du protestantisme en évangile social, en Amérique du Nord, a été bien étudiée. Les vices qui étaient l’envie, l’orgueil, l’intempérance, sont devenus : l’impérialisme, le colonialisme, l’homophobie. Il y a là une sorte de transposition extravagante.

Comment expliquer l’essor des religions asiatiques ?

Aucune société ne se passe de religion : l’humain est une créature trop consciente de sa propre tragédie pour ne pas imaginer des mystères derrière la porte. Alors, quand il est en manque de religion (c’est notre cas), il va en chercher ailleurs. Cela s’est toujours fait. Aujourd’hui, avec l’effacement des religions de nos pères, les spiritualités asiatiques tombent à point pour offrir à nos contemporains en manque le secours dont ils ont besoin.

Quelle place pour les chrétiens dans notre monde moderne ? Se retrouver dans une société dont on réprouve lois et morale, c’est être tenté de céder au fatalisme et de se replier sur son jardin… Doivent-ils continuer à manifester pour dire leur opposition aux lois sociétales ? Essayer de faire entendre leur voix, se battre pour un monde qui leur paraît meilleur ?

Oui, on parle d’exculturation : vivre dans une société dont on n’approuve pas la culture ! C’est la situation éternelle du minoritaire, qui n’est pas facile, qui possède ses lois, ses grandeurs et ses misères. Il faut que les catholiques aillent prendre quelques leçons chez les juifs et les protestants. Mais cela ne répond pas à la vocation missionnaire du christianisme : je crois qu’on est autant, et plus, missionnaire en étant un témoin qu’en étant un prosélyte.


La Fin de la chrétienté, de Chantal Delsol, Les Éditions du Cerf, 176 pages, 16 €.

Les commentaires sont fermés.