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Vers l’échec ? Pourquoi les jeunes catholiques sont les grands absents de la démarche synodale :

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Chemin-Synodal-Synode.jpgDans la consultation synodale, les 20-45 ans ont manqué à l’appel. À l’issue de la rédaction de la synthèse synodale, ceux-ci beaucoup font part de leur déception quant aux propositions évoquées par leurs aînés. Le marqueur d’une fracture générationnelle dans l’Église de plus en plus visible. Lu sur le site web du magazine « La Vie », sous la signature de Youna Rivallain :

Sur les pelouses des Invalides à Paris, une petite trentaine de jeunes de 20 à 30 ans s’est rassemblée autour d’une nappe à carreaux, de bières tièdes et de bâtonnets de carottes trempés dans le houmous. C’est la dernière soirée Even de Saint-Jean-Baptiste de Grenelle, un groupe d’échange et d’approfondissement de la foi réunissant des jeunes du quartier. Étudiante en histoire de l’art, Victoire a un mouvement de recul lorsque nous abordons le sujet : « Synode ? C’est quoi ? C’est comme un concile ? »

À l’issue de la phase diocésaine du synode sur la synodalité, qui s’est conclue mi-juin par une assemblée plénière exceptionnelle des évêques à Lyon et l’envoi à Rome de la synthèse des réflexions diocésaines, les évêques ont salué la participation de plus de 150 000 personnes en France. Pourtant, une bonne partie de l’Église manque à l’appel : la tranche des 20-45 ans. « Il faudra s’améliorer, reconnaissait Alexandre Joly, évêque de Troyes chargé du synode, lors de la conférence de presse à l’issue de l’assemblée plénière le 15 juin. Ceux qui ont une habitude de prise de parole dans l’Église y sont allés naturellement. Il a manqué la génération des 20-45 ans. Les paroles exprimées ne sont pas celles de toutes les sensibilités, de toutes les générations, mais c’est la parole d’un très grand nombre. »

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Les conclusions des évêques se constatent sur le terrain. Sur la pelouse des Invalides, même si les 2/3 du groupe étaient au courant du synode en cours, seuls deux des 26 jeunes présents y ont participé. Victoire fait partie du tiers qui n’en avaient jamais entendu parler. Personne, pourtant, ne pourrait dire que ces jeunes ne sont pas engagés dans l’Église, ou restent dans leur canapé, pour reprendre l’expression consacrée du pape François. Tous les mardis soir, ce groupe de jeunes répartis en cinq petites équipes se réunit pour échanger sur des textes bibliques ou théologiques, approfondir leur foi, écouter un enseignement donné par le prêtre qui les accompagne, Alexandre Demidoff, qui fêtera bientôt son premier anniversaire d’ordination. « Ces jeunes sont engagés, aiment l’Église, sinon ils ne seraient pas là chaque semaine », rappelle le jeune prêtre.

Contraintes d’agendas

Pourtant, malgré leur investissement dans l’Église, le synode sur la synodalité n’a pas trouvé sa place dans leurs agendas… Comme dans celui de nombreux jeunes. Les raisons sont diverses, au sein du groupe Even et au-delà. Sur un total de 75 jeunes consultés, la majorité évoque des contraintes de temps, surtout chez les jeunes parents, pour assister à des réunions souvent en fin de journée. « Nous avons eu des propositions via la paroisse et le mouvement des Équipes Notre-Dame pour participer, explique une jeune maman de 30 ans habitant la capitale. Les groupes se sont formés à partir de la fin janvier et il fallait caser plusieurs réunions avant début avril… Entre nos trois enfants en bas âge, nos deux boulots assez loin de la maison, nous n’avons pas réussi à nous libérer suffisamment. Quand je vois les personnes qui étaient dans les groupes sur ma paroisse, quasi tous retraités, je ne suis pas surprise des résultats de la consultation. »

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D’autres évoquent une communication peu claire. Sur les 26 jeunes présents sur les pelouses des Invalides, quatre ont souhaité participer au synode, se sont renseignés… mais disent s’être heurtés à des difficultés de communication, comme ce jeune homme du groupe Even de Saint-Jean-Baptiste de Grenelle : « On savait qu’il y avait un synode mais c’était pas clair, on n’arrivait pas à savoir ni le jour ni l’heure », plaisante-t-il. Dans certaines paroisses, la réflexion s’est faite à partir de personnes « sélectionnées » : « Chez nous, c’est le prêtre qui a choisi les participants au synode, et les autres devaient prier pour eux, évoque une catholique engagée dans la Sarthe se disant « blessée » par ce mode de fonctionnement. « Je n’ai pas participé mais ce n’est pas volontaire, explique un paroissien des Hauts-de-Seine de 44 ans. Ma paroisse a dit que quelques petites équipes déjà constituées y travaillaient, on ne nous a pas invités à nous réunir pour en parler. L’EAP et quelques mouvements déjà structurés ont rapidement écrit une contribution et ensuite, c’était déjà l’étape diocésaine. »  

« On n’est pas venus nous chercher »

Au-delà des contraintes logistiques, beaucoup de jeunes ne se sont simplement pas sentis concernés. « La faute est partagée, concède Benoît, jeune catholique de 33 ans engagé dans une équipe Notre-Dame de sa paroisse des Yvelines. On n’est pas venus nous chercher, mais on ne s’est pas non plus manifestés, alors qu’on savait que c’était important. » Dans la paroisse du jeune homme, les réunions de réflexion synodale ont été annoncées à la fin de la messe. « Mais la perspective de passer la soirée dans une salle paroissiale en sous-sol éclairée au néon, à discuter qu’avec des vieux, ça donnait pas super envie », avoue Benoît qui, en désaccord avec la plupart des propositions synodales – le mariage des prêtres, sacerdoce féminin, révision de la place de l’Eucharistie – regrette de ne pas avoir apporté sa voix à la consultation. « C’est peut-être une leçon, un vœu pieux pour s’investir dans d’autres actions plus concrètes à l’avenir ! » « Mais si c’était si important, il y aurait dû y avoir une meilleure communication et plus de volonté d’impliquer tout le monde ! », s’énerve Constance, juriste et mère de famille de 41 ans très engagée dans sa paroisse.

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Coresponsable de la pastorale des jeunes de Lyon, Clémence Pasquier est bien consciente de ces difficultés. Elle et son équipe avaient beaucoup réfléchi à impliquer les jeunes dans le synode, seulement quatre ans après le Synode des jeunes. « On ne voulait pas constituer de groupes seulement de jeunes, mais qu’ils se fondent dans des groupes préexistants en paroisse. » Or, quelques mois après le début de la phase diocésaine, son équipe reçoit des échos d’étudiants et jeunes professionnels découragés, faisant part de leurs difficultés à s’intégrer dans des groupes en paroisse « majoritairement composés de seniors ». La pastorale des jeunes change alors de stratégie. « On a tenté de leur faire comprendre qu’une réflexion synodale, c’est comme quand on refait le monde, qu’on parle de l’Église une bière à la main en terrasse, sauf qu’on leur proposait de prier avant et après pour faire parler l’Esprit. » Hélas, c’est déjà la fin mars lorsque la pastorale des jeunes de Lyon comprend les difficultés des jeunes et change son axe de communication sur le synode. Aujourd’hui, la jeune femme l’avoue : « les acteurs pastoraux ont peiné à trouver la bonne forme pour insérer les jeunes dans cette consultation. » Elle constate un « manque d’inventivité et d’énergie déployée de la part des responsables pour aller chercher ces populations-là », qui sont l’avenir de l’Église. 

Lassitude des jeunes

Selon Clémence Pasquier, « l’abstention des jeunes » n’est pas que passive, ou due à des problèmes d’organisation ou de logistique. Elle évoque notamment cette génération de jeunes catholiques s’inscrivant « dans un rapport plus hiérarchique à l’Église », pour qui l’Église ne se réforme pas, elle se reçoit. Le synode sur l’avenir de l’Église n’a donc pas d’intérêt pour eux. « Chez ces jeunes-là, en général de tendance plus conservatrice, la notion de synode est attachée à ce qu’il se passe en Allemagne. Or, pour eux, l’Église c’est la tradition et il n’y a pas à la discuter. »

La jeune femme, qui avait participé au synode des jeunes en 2018, évoque de l’autre côté une lassitude d’une autre population de jeunes catholiques plus ouverts aux réformes, mais découragés par le manque de résultats du synode des jeunes. « Cette consultation avait été très mobilisatrice, mais quatre ans après, qu’est-ce qu’on en garde ? Un magnifique texte du pape (Christus Vivit, ndlr), certes, mais qui l’a lu ? Concrètement, qu’est-ce que ça a changé ? » Elle évoque cette population de jeunes très enthousiastes vis-à-vis du synode des jeunes en 2018 qui, sur le papier, aurait pu participer à celui sur la synodalité, mais que le manque de résultats a découragé, avec l’impression sous-jacente « d’enchaîner » les synodes. « À quoi bon s’investir sur une consultation si celle à laquelle tu as participé n’a rien changé du tout ? »

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De fait, nombre des catholiques de moins de 45 ans interrogés, majoritairement plus conservateurs que leurs aînés, font part de leur déception vis-à-vis des synthèses remontées jusqu’aux évêques. Constance, 41 ans, n’a pas pu participer aux réflexions. Aujourd’hui, elle regrette. « Je ne me reconnais pas dans ces propositions de mariage des prêtres et ordination des femmes qui sont des marronniers, des débats d’un autre âge. Je suis catastrophée par les résultats et l’écho médiatique qui en est fait. » La jeune maman fait part de sa résignation : « La démarche des évêques de considérer comme légitimes des propositions qui ne représentent pas les plus jeunes, l’avenir de l’Église, je trouve ça presque malhonnête. Ce qui ressort de ces résultats, c’est la fracture générationnelle dans l’Église. Et ce genre de comportements ne peut que nourrir cette fracture. » Thomas, 32 ans et originaire des Yvelines, qui dit s’inscrire dans « cette génération Benoît XVI qui veut que les choses soient "sérieuses" en matière de foi et de son application concrète », confie : « Je ne me reconnais plus dans l’Église. »

Fracture générationnelle

La fracture générationnelle saute effectivement aux yeux, à la lecture des résultats de la consultation synodale. Si peu de synthèses mettent le doigt sur ce phénomène, l’équipe synodale du diocèse de Vannes le mentionne clairement dans son compte-rendu : « Nous constatons l’existence forte d’une fracture générationnelle dans notre Église, mentionne noir sur blanc la synthèse diocésaine. Nous avons identifié une pierre d’achoppement dans le retour des synthèses préparatoires : les attentes des différentes générations ne sont pas les mêmes. Les anciennes générations peuvent être dans une posture critique vis-à-vis de l’Église, de ses rites, de la sacralité, du sacerdoce ou de la tenue vestimentaire des clercs… pendant que les jeunes générations réclament plus de transcendance, de clarté doctrinale, de visibilité des clercs. Entre autres exemples, la liturgie, où des retraités pensent attirer les jeunes en excluant le sacré ou la langue latine, alors que des jeunes lycéens nous ont exprimé leur souhait d’avoir le choix entre la messe en latin et la messe en français. »

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La lecture des synthèses diocésaines n’a fait que confirmer cette fracture que constate l’historien et sociologue des religions Yann Raison du Cleuziou depuis des années. D’un côté, des catholiques « seniors », ayant grandi dans un catholicisme majoritaire dans la société, et étant eux-mêmes majoritaires en tant que tranche d’âge dans l’Église… mais aussi dans les voix au processus synodal. « Leur souci est d’émanciper la foi catholique du carcan pesant d’un ordre social afin qu’elle puisse apparaître comme une ressource de libération individuelle. Ils veulent une Église bienveillante à l’égard des nouvelles aspirations et donc inclusive et égalitaire tout spécialement à l’égard des femmes. Renoncer à la prétention de l’Église à dire ce que doit être l’ordre social ou familial permet selon eux de mieux revenir au cœur du message de l’Évangile. Ils pensent les changements nécessaires pour que l’Église ajuste sa proposition à la culture contemporaine. » Ces catholiques, souvent très investis dans les structures diocésaines et paroissiales, se distinguent par le temps libre qu’ils ont pour s’exprimer, leur savoir-faire militant venu de l’Action catholique, et une vraie culture de la délibération et de la participation.

« Recevoir l’Église » plutôt que la changer ?

De l’autre, Yann Raison du Cleuziou évoque ces jeunes générations de catholiques doublement minoritaires : d’abord parce qu’ils ont grandi dans une société où le catholicisme est minoritaire… et minoritaires dans l’Église en tant que jeunes. « Les jeunes générations assument plus volontiers une identité de catholique en opposition à la société car leur souci est d’éviter que le catholicisme ne s’efface totalement. » Le sociologue décrit une forme de « rivalité mimétique » prise avec d’autres minorités religieuses, ce qui les conduirait à être plus demandeurs de normes d’appartenance exclusive que leurs aînés. « Leur socialisation religieuse est marquée par des rapports plus hiérarchiques et une forte remise de soi. Ils ne se sentent pas légitimes pour donner leur opinion et changer l’Église, ce qui compte avant tout pour eux c’est de se changer soi-même par l’ascèse et la conversion, de mieux vivre leur foi dans l’Église. Ils sont aussi dans une période de construction de vie intense et l’échelle de leur action est donc plus modeste. Tout cela a pu contribuer à freiner leur participation. »

Selon l’historien des religions, les rapports entre ces deux blocs de catholiques dans les paroisses peuvent être parfois conflictuels – ce qui pourrait aussi en partie expliquer la non-participation des jeunes aux réflexions synodales. « J’entends beaucoup de lassitude envers les plus âgés qui sont omniprésents dans les structures ecclésiales car retraités, et dont les sensibilités ne coïncident pas avec celle des plus jeunes. Les jeunes catholiques peinent à dialoguer avec leurs aînés qui, à l’inverse, caricaturent beaucoup les plus jeunes. Ces derniers ont donc tendance à privilégier des réseaux affinitaires où ils ont peut-être été moins mobilisés. »

Le processus synodal, une méthode adaptée ?

Très prudent, le sociologue questionne la pertinence du processus synodal, forme de participation « conventionnelle » qui pourrait avoir tendance à surreprésenter l’opinion des catholiques qui, justement, ont une opinion, et peuvent tendre à considérer l’Église comme une organisation qu’on peut modifier ; et à sous-représenter les catholiques plus conservateurs qui pourraient ne pas se sentir légitimes à participer parce que souhaitant recevoir l’Église comme une réalité surnaturelle, et non la changer.

Yann Raison du Cleuziou fait le parallèle avec la réforme de l’ordre dominicain dans les suites de mai 1968 : au cours d’une consultation de tous les frères, certains ont poussé pour une grande réforme de l’ordre tandis que d’autres se sont tus. Leur but : faire comprendre que, selon eux, être religieux signifiait être dans l’obéissance, et pas dans la volonté de changement. « À terme, les dominicains réformateurs, qui souhaitaient aller vers un rapprochement de l’ordre avec la société, ont fini par quitter l’ordre… tandis que les religieux "silencieux" sont restés, mais forcés de vivre avec la réforme engagée par leurs frères ayant quitté l’ordre. »

« Il ne peut y avoir de miracle, insiste le sociologue. Un tel processus synodal sans apprentissage antérieur de la participation et de la délibération par les fidèles, et sans réflexion sur la manière de les représenter correctement, créera des biais de représentativité et de la frustration. Il ne faut pas oublier que pour le pape lui-même, ce processus a un caractère expérimental. »

Ref. Pourquoi les jeunes catholiques sont les grands absents de la démarche synodale :

Commentaires

  • Vous avez raison les jeunes, restez bien en dehors de tout cela.
    Soyez fermes dans la vraie Foi,
    j'ai été aussi solicité pour répondre à un questionnaire synodal.
    Tu parles, c'est plié d'avance. Rien n'a attendre de bon de ce coté.

  • C'est bien dommage que les jeunes ne se soient pas exprimés et pour cause ils ne sont plus dans les églises " classiques" donc comment pouvaient ils être au courant .il faut reconnaître que dans la plupart des diocèses on a bien " verrouillé" l'accès aux questionnaires...

  • Je suis presque sûre que notre jeunesse recherche l'authenticité, l'honnêteté en tout ce qu'elle a à vivre, à expérimenter, à transmettre en 2022 et plus tard ... .

    Jésus-Christ était et est "vrai" Lui pour le coup. Avec Lui, Il faut s'accrocher.
    Il a même "fugué" tout jeune ado, peinant ses parents à l'extrême.
    C'était pas bien et pourtant ...
    Il leur fit comprendre qu'Il se devait d'être aux affaires de son Père...
    Mission d'Amour, uni à l'Esprit Saint, le conduira à tout donner pour sauver le monde du péché et de l'esprit pervers.
    Sincère, rassemblant les foules par son Amour, sa compassion, ses miracles, son Enseignement, ses Sacrements, le choix de ses Apôtres et surtout Pierre, Jean, Marie sa Ste Mère, les Stes Femmes.
    Les jeunes savent déjà que leur vie sera longue, unique, et qu'ils auront à faire des choix pour vivre saintement, sainement, avec courage et détermination et qu'ils auront aussi la responsabilité de transmettre le message.
    Les monastères permettent de faire des expériences de spiritualités éprouvées.
    Certainement à encourager pour discerner et faire éclore des vocations diverses

  • Il faut reconnaître que les "valeurs" réclamées par l'ex jeunesse devenue septuagénaire et qui transparaît dans le processus synodal d'Allemagne, semblent vieillies car non vitalisées par la grâce. Je cite : « Libéralisation de la pilule, de l’avortement, des mariages homosexuels, des alternatives de genre, autorisation mariage des prêtres, de l’ordination des femmes, abolition des frontières ».

    Face à cela, les jeunes se réunissent pour prier et vivre de la grâce avec des sacrements bien célébrées.

    Peut-il y avoir décalage plus grand ?

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