Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Soudan : les chrétiens à nouveau persécutés

IMPRIMER

D'Augustine Passilly (à Khartoum) sur le site du journal la Croix :

Soudan : les chrétiens de nouveau persécutés depuis le putsch 

Reportage 

Le gouvernement de transition du Soudan qui a succédé à la dictature militaro-islamiste s’était engagé pour la liberté religieuse. Mais le coup d’État d’octobre 2021 a signé le retour des discours haineux et autres arrestations arbitraires visant la petite minorité chrétienne.

20/07/2022

Un vent ou du moins une brise de liberté a soufflé sur le Soudan pendant deux ans. La minorité chrétienne (estimée à moins de 3 % de la population) commençait à entrevoir une certaine égalité avec ses concitoyens musulmans. Le gouvernement de transition, qui succédait à trente ans de dictature militaro-islamiste avait aboli la peine de mort pour apostasie et autorisé, en théorie, les chrétiens à consommer de l’alcool.

Les chrétiens convertis en ligne de mire

Il était allé jusqu’à ratifier une « déclaration de principes » pour s’engager à devenir un État séculier. Mais ces timides progrès se sont arrêtés net avec la reprise du pouvoir par l’armée le 25 octobre 2021. Depuis, les chrétiens sont de nouveau dans le viseur des islamistes de l’ancien régime, qui ont massivement regagné leurs postes.

Les fondamentalistes s’en prennent tout particulièrement aux chrétiens convertis. C’est le cas de Hamouda Tia Kafi et Nada Hamad. Ces deux musulmans de l’État de Al-Jazirah, dans le centre-est du pays, se sont mariés en 2016, avant de se convertir respectivement en 2018 et 2021. En novembre, une enquête criminelle a été ouverte à leur encontre.

Le couple est accusé d’adultère puisqu’un divorce non consenti avait été prononcé par un tribunal de la charia avant la révolution de décembre 2018. D’après la loi criminelle de 1991, cet acte est condamnable au minimum de 100 coups de fouet et, au pire, de mise à mort par lapidation. Ces sanctions sont restées en vigueur pendant la transition démocratique. Elshareef Ali Mohammed, un avocat de l’ONG Sudanese Human Rights Initiative qui suit ce cas, estime toutefois que cette sentence n’a pu être prononcée que par un juge nostalgique de la dictature.

Influence des islamistes

« Tous les anciens procureurs et juges sont de retour depuis le putsch. Les militaires n’ordonnent pas eux-mêmes la condamnation des chrétiens. Mais comme les islamistes sont leurs seuls alliés, ils ferment les yeux pour conserver leurs intérêts et se maintenir au pouvoir », résume le magistrat, qui écrit une thèse sur la liberté religieuse au Soudan. Hamouda Tia Kafi et Nada Hamad espèrent gagner leur procès en appel.

À Zalingei, la capitale du Darfour-Central, Badur Haroun, 24 ans, et ses trois collègues, Muhammed Haroun, 22 ans, Tariq Abdallah, 23 ans, et Murtada Youseph, 20 ans, vivent dans la peur. « Tout a commencé en février, raconte Badur Haroun. Un soir, vers minuit, un groupe armé a attaqué notre église en criant “Allah akbar”. Ils ont enfoncé les portes de notre dortoir et ont tiré, sans nous blesser. Ils se sont enfuis quand mon frère a brandi un pistolet. »

Des discours haineux dans certaines mosquées

Le 22 juin, des hommes armés reviennent, cette fois pour arrêter ces chrétiens convertis qui étudient pour devenir pasteurs. Ils passent cinq jours derrière les barreaux, accusés d’apostasie. « Deux responsables du Bureau des enquêtes nous ont demandés combien d’argent nous avions reçu pour devenir chrétiens. Nous avons répondu que (le fait que) nous croyons en Jésus-Christ et qu’il pardonne nos péchés nous suffit, poursuit Badur Haroun. Lesgardiens de prison ont ensuite menacé de nous tuer, ils nous ont insultés, nous ont maudits, battus et rasé la tête. » Libérés sous caution, ces rescapés n’osent plus sortir de chez leurs parents.

De passage à El-Fasher, la capitale du Nord-Darfour, un pasteur a, lui, récemment entendu un imam exhorter ses fidèles à lutter contre les conversions. « Le retour de ces discours haineux place les chrétiens dans une situation terrible », alerte-t-il, sous couvert d’anonymat. Ce protestant a lui-même été interpellé avec un confrère baptiste le 14 juin. Les voisins de leur église, située à Omdurman, ville jumelle de Khartoum, se sont en effet plaints pour tapage. Le pasteur protestant explique pourtant n’avoir « ni instruments de musique ni électricité. Nous ne faisons que des études bibliques dans ce bâtiment. » Tous deux ont été relâchés au bout de quatre heures.

Devant la multiplication de ces arrestations arbitraires aux motifs fallacieux, la théologienne évangélique Aida Weran affirme: « Nous sommes revenus à un système d’oppression des chrétiens avec des restrictions pour ouvrir des églises ou enseigner le catéchisme aux enfants, tandis que les musulmans ont recommencé à nous stigmatiser. »

----------------

Quarante-cinq ans de législation islamique

En 1977, le président putschiste Gaafar Nimeiry forme un comité pour réviser le système législatif afin de le rendre conforme à la charia.

Douze ans plus tard, Omar El-Béchir, lui aussi arrivé au pouvoir par un coup d’État, amorce un nouveau durcissement. Il va jusqu’à faire de la charia l’unique source de la Constitution après la sécession du Soudan du Sud en 2011.

En 2019, à la suite de l’éviction de Béchir, les rênes du pays sont confiées à un tandem civilo-militaire. Mais les islamistes freinent les réformes qui auraient permis d’entériner la liberté religieuse et d’éviter un regain de répression depuis le putsch du 25 octobre 2021.

Les commentaires sont fermés.