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L'avenir de l'Église est en Afrique, mais avec les guerres tribales en dot

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Du blog Settimo Cielo de Sandro Magister :

L'avenir de l'Église est en Afrique, mais avec les guerres tribales en dot 

Il n'y a qu'un seul continent où le catholicisme ne recule pas mais s'étend : l'Afrique. Cinq des dix pays ayant les taux de fréquentation des messes les plus élevés sont africains. Les seuls séminaires qui, au lieu de se vider, se remplissent sont africains.

C'est également d'Afrique que vient la résistance au courant qui pousse de nombreuses églises catholiques du Nord à bénir les couples homosexuels. Dans l'Église anglicane, un schisme s'est déjà produit sur cette même question, et même là, les chiffres sont tous en faveur du Sud.

Bref, il n'est pas abusif de voir dans l'Afrique le futur axe de la chrétienté mondiale. Le synode qui se tiendra en octobre à Rome, convoqué par le pape François, sera un terrain d'expérimentation de ce tournant.

Mais, dans le catholicisme africain, il y a autre chose et ce n'est pas brillant : c'est l'affrontement entre les tribus qui tourne souvent à la guerre armée.

François l'a évoqué lors de sa visite au Congo et au Sud-Soudan en février dernier. Et il en a ressenti à plusieurs reprises les répercussions destructrices lorsqu'il a nommé en Afrique des évêques rejetés par les tribus ennemies, avec des différends qui ont duré des années et n'ont pas toujours été résolus, avec des suites sanglantes. Settimo Cielo a publié le 6 mars une analyse impressionnante à ce sujet.

Lors de la conférence de presse dans l'avion qui le ramenait de Juba, François n'a pas hésité à qualifier le tribalisme de "diabolique", tout en admettant qu'il "ne sait pas vraiment ce que c'est". Mais s'il avait lu le dernier numéro de "La Civiltà Cattolica" - qui, comme toujours, lui a été remis pour qu'il le feuillette à l'avance - ces doutes auraient dû disparaître.

Dans son numéro du 3 au 17 juin, "La Civiltà Cattolica" a publié un vaste entretien entre son rédacteur Antonio Spadaro et l'évêque de Rumbek Christian Carlassare, qui, précisément en raison d'inimitiés tribales, a été victime, après sa nomination en 2021, d'une embuscade armée tendue par un prêtre et quatre laïcs du diocèse.

Avec 12 millions d'habitants, le Sud-Soudan compte près de deux tiers de chrétiens et a échappé à la domination du Nord musulman, dont la capitale est Khartoum, après plus de deux décennies de guerre. Mais dès son indépendance en 2011, des divisions irrémédiables sont apparues entre les 64 ethnies présentes dans le pays, chacune avec sa langue et ses traditions, et surtout entre les deux plus grandes tribus, les Dinka et les Nuer.

Mais laissons la parole à l'évêque Carlassare :

- Un premier élément est la violence, qui surgit de manière tout à fait inattendue et peut atteindre des niveaux incompréhensibles sans susciter d'indignation ou de condamnation. Il y a donc une forte tendance à se regrouper, à chercher protection et sécurité" ;

- Le proverbe africain "Je suis parce que nous sommes", si beau soit-il, met aussi en évidence une faiblesse. L'individu, en effet, ne peut survivre qu'au sein de son propre groupe - famille, clan, tribu -, qui lui assure sécurité et justice distributive. Cette appartenance passe avant toute autre, avant la communauté élargie et l'État. Dès lors, la fidélité à la tradition et au droit ethnique de la tribu prime sur le droit civil, assumé par la nation, mais inspiré par une philosophie du droit totalement étrangère à la mentalité locale".

- C'est la famille qui défend son membre, avant l'Etat. La loyauté envers un proche est donc absolue, qu'il ait tort ou raison, qu'il soit innocent ou coupable. L'appartenance tribale occulte presque totalement l'identité de l'individu, et comme l'identité d'une personne est enracinée dans sa communauté, l'autre personne est toujours perçue comme un représentant de son groupe ethnique".

- C'est un fait que l'élite militaire sud-soudanaise est beaucoup trop nombreuse. C'est un pays qui compte plus de généraux que de professeurs, a-t-on dit il y a quelque temps : pas moins de 745 généraux, un chiffre qui place le Sud-Soudan en deuxième position derrière la Russie. En outre, le pays compte beaucoup plus de personnes recrutées dans l'armée régulière, ainsi que dans de nombreuses autres milices, qu'il n'en a réellement besoin. En outre, l'armée souffre du fait que chaque bataillon ne répond à tous égards qu'à son "commandant".

- Différents rapports montrent qu'il y a beaucoup plus de fusils Kalachnikov en circulation en dehors de l'armée qu'à l'intérieur. Le conflit interne a favorisé une importante prolifération d'armes dans les mains des civils également".

- Malgré l'accord de paix, un tiers de la population du Sud-Soudan est toujours réfugiée dans les pays voisins ou déplacée à l'intérieur du pays. Le gouvernement d'unité nationale a appelé à plusieurs reprises la population à rentrer chez elle. Mais que signifie rentrer chez soi après presque dix ans ? Y aura-t-il un jour un endroit que l'on puisse appeler "chez soi" ? Souvent, les lieux d'origine sont désormais occupés par d'autres groupes, civils ou militaires. Dans d'autres cas, ces territoires sont devenus des forêts et les villages sont tous à reconstruire. Dans le cas des Nuer, leurs territoires sont sous l'eau en raison de la montée extraordinaire du Nil. Le retour au pays est effrayant. Il y a de l'insécurité, de l'incertitude et de la pauvreté. Il n'y a pas de travail ni d'incitation à la reconstruction. Pour beaucoup, il est donc préférable de rester des personnes déplacées et des réfugiés".

- Les données indiquent que seuls 20 % des enfants en âge d'être scolarisés ont accès à une école primaire ; 2,8 millions n'ont pas la possibilité d'aller à l'école. Outre le manque d'infrastructures, le plus grand défi reste la rémunération des enseignants et des professeurs. Le salaire est trop bas. Ceux qui pourraient être de bons enseignants partent travailler pour une organisation humanitaire, tandis que les jeunes non qualifiés qui ne veulent aider que pour un temps se retrouvent à enseigner, en espérant trouver mieux plus tard. En outre, dans les zones rurales, il n'est pas facile de surmonter la culture et les traditions qui considèrent que l'éducation n'est pas nécessaire et, dans le cas des filles, qu'elle est même dangereuse, dans la mesure où elle favorise l'émancipation qui rend les femmes moins soumises à la société dominée par les hommes.

- Les personnes instruites, si elles n'accèdent pas aux emplois publics souvent mal rémunérés, cherchent à travailler avec des agences humanitaires ou à fonder leurs propres organisations non gouvernementales, en s'appuyant sur les fonds de la communauté internationale. Mais le redressement économique du pays ne peut pas se baser sur cela".

- L'accord entre les parties n'est qu'un premier pas nécessaire sur le chemin de la paix. Mais la route est longue et la corruption et l'injustice rendent ce chemin très ardu. L'Église est appelée à marcher avec les gens qui portent ces fardeaux, ce qui créera la communion. En même temps, elle évangélise, en reconnaissant et en faisant émerger cette humanité lumineuse présente en chaque personne, qui est la seule véritable source d'espérance".

C'est sur cet éclair de lumière que se termine la conversation de Mgr Carlassare dans "La Civiltà Cattolica", avec son portrait très réaliste du tribalisme qui empoisonne non seulement le Sud-Soudan, mais aussi une grande partie de l'Afrique, et de l'Afrique catholique.

En avril 2019, lorsque François a convoqué les deux dirigeants catholiques rivaux du Sud-Soudan au Vatican pour une retraite spirituelle, il leur a donné à tous deux une Bible, sur laquelle, rappelle Carlassare, "une phrase empruntée au pape Jean XXIII avait été apposée : "Cherchez ce qui unit et surmontez ce qui divise"".

Le pape s'est ensuite penché pour leur baiser les pieds, avec un geste "dont le message implicite était : 'Maintenant, faites de même'".

Quatre ans plus tard, cet espoir reste vivant, mais il est encore loin de devenir réalité, à en juger par les propos d'un témoin de terrain faisant autorité comme l'évêque de Rumbek.

Car si en Europe et en Amérique, l'Église s'effondre en nombre et en vitalité, même en Afrique, elle ne semble pas en bonne santé.

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