De gènéthique magazine :
La Femme 2.0 : ni femme, ni mère ?
La Chaire de bioéthique de l’UNESCO s’attèle à de nombreux sujets très méconnus, véritables angles morts de la féminité. Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des Droits des Femmes, la Chaire a organisé une conférence au cours de laquelle est intervenue Laëtitia Pouliquen qui dirige le think tank NBIC Ethics, un think tank traitant de l’éthique des technologies auprès des institutions européennes. Auteur de Femme 2.0 – Féminisme et Transhumanisme [1] et de IA : Maître du temps Vers une éternité connectée ?[2], Laëtitia Pouliquen pointe les dangers du transhumanisme pour la femme en particulier. Analyse.
Trois agendas politiques entrelacés vont chacun mener à une révolution de l’identité de la femme toujours plus profonde.
« Mon corps m’appartient. » Mais la libération sexuelle a engendré l’exploitation reproductive.
Après avoir « affranchi » la femme de sa fécondité, la deuxième étape consiste à déclarer le corps et le sexe comme un donné de départ non biologique mais purement culturel. La femme serait libre de choisir son genre voire de changer de sexe.
Le transhumanisme [3] promet désormais de l’affranchir de sa condition de mortelle. Avec l’usage des technologies (NBIC) ou technologies Nano-, Bio-, Information, Cognitives ainsi que de l’utérus artificiel, la Femme 2.0 prend forme.
Le renoncement à la fécondité
Les femmes connaissent de réelles transformations du point de vue de leur identité propre à travers une forme de déni profond de la fécondité naturelle de leur corps et de leur maternité. Cette fragmentation de l’identité féminine est tout d’abord apparue dans la recherche du contrôle de la fécondité et d’autonomie à tout prix, pour « libérer les mères du fardeau de la maternité ».[4]
Ainsi, la Femme 2.0 renonce à cet avantage de la maternité et à la cyclicité corporelle. La procréation féminine suit une logique de marché par la vente des produits du corps féminins, à la marchandisation de sa maternité, et au « désenfantement » du monde avec l’utérus artificiel et la sélection génétique.
La pilule contraceptive, qui « libère » des « risques de grossesse » et des règles, fait ressembler les femmes aux hommes en contrariant le corps féminin. Et le recours à l’avortement se fait toujours plus fréquent en cas d’« échec de la pilule ». La Femme 2.0 est souvent ChildFree car elle décide délibérément de ne pas concevoir. En 2022, un sondage Ifop-Elle évaluait à 30 % de la population féminine les femmes nullipares en âge de procréer en France [5].
Plus technologique, car il convoque toutes les technologies NBIC à son chevet, l’utérus artificiel fait l’objet de recherche très financée. En effet, l’ectogenèse, ou genèse hors du ventre de la femme, fut très vite identifiée comme un allié technologique précieux pour parachever le « désenfantement » du monde. Une parfaite aliénation transhumaniste. Parmi les dernières expériences en date, on pourra noter qu’en 2019, la Eindhoven University of Tech a mis au point le « Human Biobag » à l’aide d’un financement du programme de recherche européen EU Horizon 2020 à hauteur de 2,9 millions d’euros. Et en 2023, des scientifiques chinois de Suzhou créent une « nounou IA » pour s’occuper des embryons dans un utérus artificiel. Il s’agit d’un système d’IA capable de surveiller et de prendre soin des embryons à mesure qu’ils se transforment en fœtus en laboratoire. L’interaction humaine avec une « nounou IA » qui surveille le développement du fœtus pour qu’il soit bien « fini » à la sortie du Biobag ou avec un robot d’accompagnement doté d’IA qui produit action et « parole » en fonction des besoins de la personne affecte profondément nos comportements.
Un agent économique comme les autres
Les objectifs de Développement du Millénaire de l’ONU et les objectifs 2020 du Parlement Européen précisent l’impératif d’augmentation du travail marchand de la femme.
L’augmentation de la productivité de l’agent économique Femme 2.0 serait réalisable : avec les nouvelles technologies, la maternité et la cyclicité du corps féminin ne sont plus un frein à sa productivité. La Femme 2.0 est pleinement indifférenciée de l’homme et doit se « valoriser » dans une vision capitalistique du : « Combien rapportes-tu ?» L’agent économique non genré a remplacé la femme.
Mais les femmes sont-elles une catégorie mineure de l’espèce humaine qu’il faut protéger ? Ou bien une expression de l’humanité à intégrer aux décisions entrepreneuriales, civiques et politiques ?
Un être augmenté
L’augmentation proposée par les technologies NBIC portera sur l’augmentation cognitive, l’augmentation génétique, l’augmentation hormonale, l’augmentation des émotions et des cinq sens [6]. Dans cette finalité d’augmentation, l’hybridation humain-animal et humain-machine sera nourrie par désir de re-création, d’une sortie de la condition humaine contingente. C’est pourquoi l’Unesco, dans son rapport de 2021 IA et Transhumanisme, commente : « On observe en effet des analogies structurelles entre les logiques transhumanistes et celles de l’eugénisme. Les transhumanistes, pour leur part, envisagent une transformation radicale de la constitution humaine, doublée de l’abolition de sa condition biologique. Trois éléments pourraient caractériser ce mouvement : la fin de la mort ; le design anticipé, entendu comme l’arrivée, risquée, d’une technologie disruptive ; enfin, l’augmentation et la pleine libération des capacités humaines. »[7]
Prenons l’exemple de la neuro- augmentation et de l’interfaçage cerveau- machine. Marc Roux, président de l’Association Française de Transhumanisme déclare : « Parmi les propositions phares du Transhumanisme, se trouve celle d’améliorer la condition biologique de l’humain en visant ses facultés mentales : mémoire, attention, logique, etc., mais aussi ses émotions et ses tendances plus ou moins importantes selon les individus à l’empathie, l’intelligence psychologique, la sociabilité, ou bien l’agressivité, la dominance, la xénophobie, et toutes sortes de pulsions qui échappent souvent à notre contrôle. »[8]
Or l’identité de la femme est intimement liée au réel par de nombreux facteurs biologiques, neurologiques, sociaux et psychologiques. Et la neuro-augmentation non thérapeutique permet une immixtion de la technologie dans le processus réflexif de la femme, la soumettant à une logique performative. Le cerveau, siège de la pensée, de la conscience et donc du libre-arbitre, sera alors modelé, façonné pour correspondre à cette identité nouvelle d’être augmenté qui dort peu, télécharge ses souvenirs et ses pensées, et augmente ses perceptions et contrôle ses émotions.
Sa vie étant envahie par la technologie, la Femme 2.0 zappe sur les réseaux sociaux pour construire des relations familières mais non intimes ou pour trouver une relation sexuelle rapide et géolocalisée ; elle zappe d’un compagnon de vie à l’autre ; son enfant peut être né d’un embryon plus âgé qu’elle, zappant d’une génération à l’autre ; elle zappe d’emplois et la relation professionnelle se mue en rapport de performance comparable à la machine, artefact jamais fatigué ni malade. Quelle concurrence déloyale !
Une mécompréhension complète de l’être humain
L’indifférenciation sexuelle servie par les technologies de l’Homme Augmenté conduit à une anesthésie de la compréhension de l’être humain et de sa dignité intrinsèque.
Les philosophies transhumanistes proposent deux extrêmes : soit la matérialité du corps comme unique référent et objet de désir, soit la transcendance par le corps conduisant à l’esprit virtuel avec téléchargement de la conscience, dans le but d’atteindre l’immortalité. On notera la contradiction de ces deux postures.
Qu’est-il donc arrivé aux femmes ? Pourquoi cette détestation du corps féminin, de sa fécondité naturelle et de sa contingence ? S’il est légitime de vouloir moins souffrir, vieillir mieux et repousser la mort, l’idéologie transhumaniste a rapidement fait son œuvre de destruction en mettant un point final aux différences inhérentes aux identités féminines et masculines. Plus rapidement encore que ce à quoi on pouvait s’attendre [9].
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[1] Laetitia Pouliquen, Femme 2.0 – Féminisme et Transhumanisme, Saint- Léger éditions, 2016.
[2] Laetitia Pouliquen, IA : Maître du temps Vers une éternité connectée ?, Editions Les Acteurs du savoir, 2024
[3] C’est en 1957 que le biologiste Julian Huxley, frère de l’écrivain Aldous Huxley, cofondateur de l’UNESCO et du World Wildlife Fund (WWF), connu pour son ouvrage Le meilleur des mondes, invente le terme « Transhumanisme ». Courant international depuis sa genèse, le Transhumanisme vise à révolutionner la condition humaine à travers le développement de technologies NBIC afin d’augmenter les capacités intellectuelles, physiques et psychologiques des êtres humains.
[4] Cette quête d’autonomie apparait dès l’apparition du concept d’Autonomie développé par E. Kant et entre en contradiction avec celui de Bienfaisance prescrit par Hippocrate au 4è siècle avant J.C.
[5] IFOP pour Elle – Enquête auprès des Françaises sur leur désir d’enfant et le regret maternel – ELLE Magazine – Septembre 2022
[6] Laetitia Pouliquen – IA Maître du Temps, Vers une éternité connectée ? – Acteurs du Savoir – Novembre 2024
[7] Unesco, Rapport de synthèse Éthique de l’IA, des données et du Transhumanisme, 2021.
[8] Marc Roux, Améliorations cognitives #2 : Comment s’améliorer mentalement ? – Août 2023.
[9] Et que je décrivais dans Femme 2.0 – Féminisme et Transhumanisme, édité en 2016