De Massimo Introvigne sur Bitter Winter :
Qui a peur des saints catholiques ? Une étrange campagne contre Carlo Acutis

Le pape Léon XIV a officiellement annoncé la canonisation du bienheureux Carlo Acutis, un adolescent décédé d'une leucémie à l'âge de 15 ans en 2006. La cérémonie est désormais prévue pour le 7 septembre 2025. Initialement, le pape François avait prévu la canonisation pour le 27 avril 2025, mais la cérémonie a été reportée en raison de son décès.
L'annonce a été accueillie avec un enthousiasme considérable en Italie, où Acutis jouit d'une grande popularité. Cependant, une campagne contre sa canonisation a vu le jour, relayée par les médias nationaux et internationaux. Cette campagne a débuté en mars 2025, à l'initiative de « The Economist », un magazine peu favorable à l'Église catholique romaine. Comme souvent, cette nouvelle controverse a été largement alimentée par des critiques catholiques, notamment par un théologien libéral italien du nom d'Andrea Grillo, et a depuis été reprise par les médias laïcs.
Je trouve la campagne contre la canonisation de Carlo Acutis inquiétante, voire menaçante pour la liberté religieuse. Cela apparaît clairement lorsqu'on examine les arguments avancés contre sa canonisation.
Une objection à laquelle je souscris partiellement concerne l'exposition du corps d'Acutis après sa béatification. Ses restes ont été enrobés de cire pour être exposés au public à Assise, ce que certains ont critiqué comme étant de mauvais goût et s'apparentant à une forme d'abus posthume, comparable à un abus sexuel. Bien que je pense qu'il s'agit d'une nette exagération, j'ai trouvé la manière d'exposer son corps légèrement troublante lors de ma visite à son autel à Assise. Cependant, à la réflexion, je peux comprendre le lien avec une tradition séculaire que l'Église catholique entretient pour les saints, contrastant avec la tendance sociétale moderne à dissimuler la mort.

Il existe trois objections principales à la canonisation d'Acutis, un processus souvent mal compris par certains médias internationaux. Ce processus est sérieux et s'apparente à un procès, où les objections à la sainteté du candidat sont soigneusement examinées avant qu'une décision ne soit prise.
La première objection est qu'Acutis était issu d'un milieu aisé ; ses parents étaient aisés et son grand-père millionnaire. Les critiques s'interrogent sur la signification de cela au vu des avertissements de Jésus concernant les riches. Cependant, ni Jésus ni le christianisme n'enseignent que tous les riches sont destinés à l'enfer. La critique vise ceux qui nourrissent un attachement malsain à leur richesse et ne l'utilisent pas pour aider les pauvres – ce qu'Acutis, alors qu'il était adolescent, a cherché à faire. L'Église catholique a une longue tradition de canonisation de personnalités qui n'étaient pas pauvres, notamment des rois, des reines et de jeunes aristocrates comme Louis de Gonzague.
La deuxième objection avance qu'à 15 ans, Acutis manquait de maturité pour accéder à la sainteté. Certains suggèrent que les histoires qui l'entourent sont fausses, ou qu'il a été manipulé ou « endoctriné » par sa famille et ses enseignants dans les écoles catholiques. Ce point de vue dénature la maturité des adolescents. Dans de nombreux pays, les jeunes sont jugés et condamnés comme des adultes pour des crimes, et ils peuvent refuser des soins médicaux malgré leur minorité. Si la société reconnaît leur responsabilité en tant qu'auteurs de crimes, elle devrait également reconnaître leur mérite pour leurs actes vertueux et saints. Dans le monde d'aujourd'hui, un adolescent de 15 ans n'est pas qu'un enfant.

La troisième objection, principalement soulevée par les groupes catholiques libéraux, pourrait bien être le principal moteur de la campagne contre sa canonisation. Acutis était un passionné d'informatique qui, dès son plus jeune âge, tenait un blog à succès consacré aux apparitions mariales et aux miracles qui soutiennent la doctrine catholique sur la transsubstantiation. Selon la croyance catholique, pendant la messe, l'Eucharistie – le pain et le vin – se transforme en le corps et le sang de Jésus. Cette croyance est souvent perçue comme symbolique par d'autres confessions chrétiennes, mais pour l'Église catholique, l'Eucharistie n'est pas un symbole. Les miracles, tels que la transsubstantiation des hosties et le vin, sont reconnus par l'Église, bien que rarement, comme des signes confirmant la transsubstantiation.
Acutis exprimait une forme traditionnelle de catholicisme et était un fervent partisan de la transsubstantiation. Il reconnaissait que beaucoup, même parmi les catholiques, n'acceptaient pas cette doctrine et considéraient l'Eucharistie comme purement symbolique. Pour contrer ce scepticisme, il consacra du temps à documenter les miracles liés à la transsubstantiation et à les partager sur son blog.
En fin de compte, c'est la croyance inébranlable d'Acutis en la transsubstantiation et les miracles qui trouble les catholiques progressistes et les humanistes laïcs. L'idée qu'un jeune homme issu d'une famille distinguée et un prodige de l'informatique puisse adhérer à ces doctrines « médiévales » est jugée inacceptable par beaucoup. Ce à quoi ils s'opposent dans le processus de canonisation, c'est une religion « primitive » ou « réactionnaire ».
Cependant, ils oublient qu'en affirmant publiquement sa croyance aux miracles, Acutis était en réalité un anticonformiste – un rebelle engagé. Je ne sais pas si les foules de jeunes qui se sont rendus sur sa tombe ou qui se sont rendus à Rome pour sa canonisation (reportée ultérieurement) partagent sa croyance en la transsubstantiation. Néanmoins, ils trouvent Acutis plus intriguant et attachant que ses critiques catholiques libéraux ou laïcs. Le pape Léon XIV comprend ce sentiment. Des publications comme « The Economist » et certains théologiens catholiques « progressistes » ne le comprennent pas.
Commentaires
On constate que ceux qui s’opposent à cette nouvelle canonisation sont précisément les mêmes qui s’opposent au traditionalisme catholique.
Qu'un hérétique à la vieillesse amère s'oppose à la ferveur d'un homme disparu dans sa jeunesse éblouissante, ce n'est qu'une illustration de l'adage selon lequel ce sont les meilleurs qui partent les premiers. Dieu a en tout cas tranché et nous l'a fait savoir, en permettant la survenance de miracles par l'intercession de Carlo.
L'Italie n'a d'ailleurs pas le monopole de ce clivage. En Belgique aussi, des théologiens à la vigueur et aux convictions déclinantes n'ont pas manifesté un enthousiasme débordant pour le projet de canonisation d'un souverain à la foi enfantine, celle qui plaît au Christ.