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Pascal Jacob : morale laïque et morale chrétienne : sont-elles compatibles ?

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  Communication de Pascal Jacob au colloque « Morale et laïcité » de l’Observatoire sociopolitique du diocèse de Toulon-Fréjus (Mgr Rey) :

Pascal Jacob :

Dire que le discours moral de l’Église est mal reçu est un euphémisme. Il est en vérité hérétique. Critiqué par ceux qui l’ignorent comme par ceux qui devraient le connaître, parfois déformé et rarement défendu, il n’esquive pas le débat rationnel. Mais qui se soucie de raison tandis que partout et sans partage règne l’émotion ?

Peu osent s’écarter du dogme selon lequel le l’individu ne doit avoir que deux maîtres : le désir tout-puissant, créateur d’un univers virtuel et éphémère, et l’hygiène, ultime étalon du rapport à autrui. Peu résistent aux sirènes du relativisme ambiant, même parmi d’éminents moralistes chrétiens persuadés du fait même d’avoir eu « raison trop tôt » dans une Église trop « frileuse ». Il se pourrait pourtant que la critique philosophique découvre dans la réflexion morale chrétienne une vraie sagesse, qui n’est pas la veuve du temps qui passe, dont l’ambition est seulement de raviver la flamme fragile de notre conscience morale.

Pascal Jacob ne se limite pas pour autant à une critique d'une certaine théologie contemporaine, il expose avec pédagogie la rationalité de la pensée chrétienne ainsi que les positions de l’Église, en particulier sur des questions controversées.

Pascal Jacob est agrégé de philosophie, professeur à l’IPC - Facultés libres de philosophie et de psychologie; il enseigne également l’Ethique en licence de psychologie et en Institut de soins Infirmiers (IFSI) et la philosophie en lycée.

JPSC

Commentaires

  • Merci à Belgicatho pour cet exposé très intéressant de Pascal Jacob. Cela change heureusement de la bouillie pseudo philosophique des bobos médiatisés à outrance.

  • Très honoré de me trouver ici !

  • @ pascal jacob ... Tout l'honneur est pour nous. Puis-je en profiter pour vous demander ce que vous entendez par le mot "conscience" ?
    .
    Il me semble que tout être vivant (microbe, végétal, animal, humain) prend "conscience" de son environnement par les sens corporels dont il dispose. La "conscience corporelle" est donc le propre du vivant. Tout être vivant a besoin de cela pour sa survie individuelle ou celle de son espèce. Il doit en effet prendre d'abord "conscience" d'un environnement avant de décider de s'en nourrir, de l'ignorer, de s'en servir, de s'en protéger, de le fuir, de s'y accoupler, etc...
    .
    Je suppose donc que vous évoquez la prise de "conscience spirituelle", qui est propre à l'homme, propre à ce qu'on appelle son esprit. Notre esprit prend en effet conscience d'un environnement qui est inaccessible à notre prise de "conscience corporelle". Nous prenons conscience spirituellement de l'existence du peintre de Lascaux sans que nous ayons pu en prendre conscience corporellement. Nous prenons conscience spirituellement de l'existence du "big bang" sans que nous ayons pu en prendre conscience corporellement. Nous prenons conscience spirituellement de l'existence de Dieu sans que nous ayons pu en prendre conscience corporellement. Je pense que c'est aussi grâce à ce mystérieux esprit humain que nous pouvons prendre conscience du bien et du mal.

  • @ Pauvre Job

    J’ignore si Pascal Jacob va vous répondre.

    Personnellement, il me semble que c’est la conscience réflexe qui caractérise l’homme : contrairement aux autres vivants, il sait qu’il sait. Pascal disait cela autrement et avec plus de finesse peut-être : « par l’homme, l’univers sait qu’il existe »…

  • @ tchantchès ... Merci pour cet éclairage. Effectivement, comme l'homme fait partie de l'Univers, on peut considérer que ses capacités spirituelles sont celles de l'Univers lui-même.
    .
    Mais pourquoi ces capacités spirituelles sont-elles apparues dans la seule espèce humaine, sur des millions d'autres espèces vivantes ? Il a fallu que le corporel existe avant que le spirituel ne puisse apparaître, en étant comme insufflé dans le corps humain. On peut donc considérer que nous avons une vie (ou âme) corporelle, et une vie (ou âme) spirituelle. C'est pour cela aussi que je parlais de "conscience corporelle" propre au vivant, et de "conscience spirituelle" propre au pensant qu'est l'homme. Le monde du pensant a eu besoin du monde du vivant pour exister. Comme le monde du vivant a eu besoin du monde de l'inerte pour exister.
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    J'imagine alors que notre Univers a connu trois "big bang" incompréhensibles pour nous. Le "big bang" du monde de l'inerte, il y a treize milliards d'années. Le "big bang" du monde du vivant sur Terre, il y a trois à quatre milliards d'années. Le "big bang" du monde du pensant dans l'espèce humaine, il y a deux à trois millions d'années.

  • La conscience n’est pas une chose, c’est un acte de connaissance particulier qui est la connaissance de soi. Etre conscient, c’est se connaître soi-même en même temps que nous vivons, mais aussi pouvoir se distinguer du monde qui nous entoure et, par là même, se représenter ce monde. Aussi notre conscience est-elle également conscience du monde. Elle est un acte que nous pouvons poser parce que nous avons une intelligence spirituelle. Immergé dans la connaissance du monde que lui donne ses sens, l’animal n’a pas cette conscience, il ne se distingue pas lui-même du monde dans lequel il vit et ne s’arrête donc pas pour penser ce monde. L’esprit, au contraire, est cette intériorité dans laquelle nous éprouvons notre présence à nous même, à distance du monde.
    Cette conscience est morale lorsque, par elle, nous cherchons à répondre à notre souci de faire le bien. Ainsi dans notre présence à nous même, nous reconnaissons une exigence qui nous précède et qui se dit à nous sous cette forme : « fais le bien, évite le mal ».
    Une certaine idéologie, d’inspiration marxiste, cherche à imposer l’idée que la conscience est produite par nos conditions de vie. « C’est la vie qui produit la conscience, dit Marx, et non la conscience qui produit la vie » . Or puisque notre vie est d’abord sociale , ce serait alors simplement la société qui créerait en nous cette conscience. Cette conception est si répandue qu’elle finit par nous paraître vraie.
    Le pouvoir que nous avons de résister à un ordre injuste, par exemple, témoigne du fait que notre souci du bien, qui est le dynamisme essentiel de notre conscience morale, est premier. Si les totalitarismes ont échoué devant un Sakharov ou une Sophie Scholl, c’est parce que la conscience morale, c'est-à-dire notre intelligence qui cherche la vérité du bien, vit de son rapport à la vérité, c'est-à-dire de la pensée.
    Mais l’individu moderne ne cherche pas tant la pensée que l’émancipation, qu’il nomme liberté. Dans La démocratie en Amérique, Tocqueville décrit le despote d’un genre nouveau que pourrait avoir à redouter la démocratie individualiste : « Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche (…) qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; (…) il pourvoit à leur sécurité, (…) facilite leurs plaisirs, (…) règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser ? »
    Nous voulons une liberté indifférente à toute idée de vérité. Nous recevons en retour de la part de la société une vérité bien plus violente : Une vérité relativiste, qui admet qu’elle peut changer à tout moment mais interdit que l’individu la conteste, car il revient à la société, non à l’individu, de penser. Quotidiennement, les sociologues nous transmettent la vérité du moment, fruit des « évolutions sociétales », sur laquelle nous sommes sommés de nous aligner sous peine d’être « ringards » voire « réactionnaires ». « L’individu n’est pas encore au pouvoir, se réjouit Pierre Simon, mais déjà la société prend le pas sur la Transcendance. La conscience naît de son être collectif. »
    En même temps que chacun, dans ses activités, s’émancipe comme inventeur de sa différence, la société le rattrape en homogénéisant toute pensée, jusqu’à substituer à chaque conscience individuelle la « conscience sociale ». Celle-ci se manifeste à nous par des interdits extrêmement ciblés, qui achèvent l’anesthésie intellectuelle en utilisant des termes en dehors de tout rapport à la vérité. Un exemple simple nous le fera comprendre. Il ne faut pas émettre une opinion contre le mariage aux personnes de même sexe, c’est homophobe, donc mal. Mais le mot homophobie signifie par son étymologie « peur irraisonnée du même ». Nous sommes là soumis à une interdiction que sa dénomination interdit de comprendre dans sa vérité, puisqu’elle ne signifie pas ce qui est en vérité interdit, à savoir une opinion.
    Les difficultés devant lesquelles se trouve notre conscience morale viennent de ce que d’un côté le relativisme privatise les mœurs (chacun fait ce qu’il veut chez soi), et d’un autre côté on veut faire de la loi en même temps le miroir de ces mœurs. Aussi la conscience morale se trouve privée de tout principe de jugement, et tout devient possible. Les faits divers les plus sordides, régulièrement rapportés, viennent renforcer l’idée que la loi doit venir s’imposer partout, jusque dans la sphère privée, comme en témoigne la volonté d’interdire jusqu’à la fessée.
    Or nous ne pouvons nous passer de vérité. Benoît XVI définit la conscience comme « la raison ouverte au langage de l’être » . Le principe de tout jugement moral est en effet « ce qui est », porteur d’une exigence morale que seule notre conscience peut reconnaître et qui est, écrit saint Thomas, « la loi naturelle de notre intelligence ».
    La conscience est d’abord reconnaissance d’une transcendance, c'est-à-dire qu’elle n’appartient pas l’horizontalité de notre expérience mais renvoie à un fondement de notre être, comme une verticalité. La conscience est un appel à faire le bien. La loi est insuffisante à fonder une quelconque obligation si elle est incapable de manifester la vérité du bien auquel elle ordonne, c'est-à-dire de remettre l’intelligence devant cette loi dont elle n’est pas l’auteur.
    On évite ici le relativisme, mais aussi le subjectivisme qui voudrait faire de la conscience morale une instance de décision et non de connaissance. C’est ce qui se passe lorsque l’on pense la morale comme un ensemble de lois qui viennent seulement limiter notre liberté, nous plaçant alors devant d’inévitables conflits de devoirs . La conscience morale devient alors autojustificatrice, il suffit d’avoir décidé en conscience, quelle que soit cette décision, puisque toutes les « normes morales » ne pourraient être respectées en même temps.
    Prenons un exemple : La question de discerner s’il faut divulguer un secret réclame le jugement de la conscience. Il ne s’agit pas pour elle de décider qu’il est bon de trahir, mais de juger à partir des éléments objectifs de la situation si la divulgation de ce qui a été donné sous le sceau du secret est ou non une trahison.
    Cette compréhension de la conscience morale comme loi naturelle de l’intelligence permet de de poser chacun de nous comme sujet responsable (capable de répondre) de ses actes, et non pas simplement comme fonctionnaire de la puissance publique. C’est une question éminemment politique : il s’agit de savoir si la loi, une fois qu’elle a renoncé à tout fondement objectif dans la nature des choses, a encore une quelconque légitimité à réclamer notre obéissance.

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