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Jésus et les pharisiens : une réflexion pour le dimanche de la Sainte Famille

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En ce dimanche dédié à la Sainte Famille, Denis Crouan publie  cette réflexion sur son site « Pro Liturgia » :

jesus_10 (1).jpg« Au cours du Synode sur la famille, on a vu se dégager deux tendances. La première était celle des évêques désireux d’assouplir certaines règles concernant la communion aux divorcés-remariés ; la seconde, celle des évêques désireux d’en rester à la pratique actuelle. On a entendu des tenants de la première tendance traiter les tenant de la seconde de “pharisiens”, au motif qu’ils étaient fermés à l’amour et à la compassion qu’on trouve dans les enseignements de Jésus. Accusation assez facilement reprise par des journalistes peu au fait de la doctrine et de la théologie.

Accusation assez curieuse, aussi, quand ont sait que dans les Evangiles, ceux qui sont présentés comme étant ouverts au divorce et au remariage sont précisément les... Pharisiens !

Reprenons quelques passages de l’Ecriture : Mat. 19, 1-9 : « Or, quand Jésus eut achevé ces discours, il quitta la Galilée et vint dans le territoire de la Judée, au delà du Jourdain. Des foules nombreuses le suivirent, et là il guérit leurs malades. Des Pharisiens l’abordèrent pour le mettre à l’épreuve, et dirent : “Est-il permis à l’homme de répudier sa femme pour quelque motif que ce soit ?” Il répondit : “N’avez-vous pas lu que celui qui (les créa), au commencement, les fit mâle et femelle, et qu’il dit : A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni !” Ils lui dirent : “Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce et de la répudier ?” Il leur dit : “C’est à cause de votre dureté de cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes : mais, au commencement, il n’en fut pas ainsi. Or je vous dis que celui qui répudie sa femme, si ce n’est pour adultère, et en épouse une autre, commet un adultère.” »

Plaçons ce passage dans son contexte historique. Dans le judaïsme pharisaïque, le divorce et le remariage étaient légalement et moralement admis. Par contre, il existait au sein-même du pharisaïsme différentes écoles qui débattaient sur ce qui pouvait être considéré comme un motif valide de divorce. Ainsi, l’école de Shammaï considérait qu’un homme pouvait répudier son épouse si celle-ci l’avait gravement offensé. L’école de Hillel, de son côté, enseignait que tout homme qui avançait un quelconque motif pouvait répudier sa femme. 

Et c’est parce qu’il y avait ces interprétations variées que les Pharisiens décident d’interroger Jésus : ils débattaient du sujet au sein de leurs écoles et voulaient connaître le point de vue de ce jeune rabbi de Nazareth qui impressionnait tant les foules. Et voici que, à la surprise générale, Jésus ne donne raison à aucune des écoles. Son enseignement sur le mariage est bien plus conservateur et restrictif que celui de l’école de Hillel. Pour Jésus, le seul motif de séparation qu’on puisse avancer est la “porneïa”, c’est-à-dire l’union illégitime parce que factice, inexistante de fait. 

Sur la base de cet enseignement, l’Eglise catholique a toujours enseigné que seul un mariage dont on peut prouver qu’il a été conclu de façon invalide peut justifier la séparation de l’homme et de la femme. De toutes les écoles de pensées qu’on trouve chez les Israélites religieux du premier siècle, c’est celle des Esséniens qui se rapproche le plus des enseignements de Jésus ; précisément parce qu’elle critique les autres courants juifs (les Sadducéens ou les Pharisiens) en leur reprochant de violer les principes de la monogamie tels qu’ils ont été consignés dans les célèbres rouleaux de la Mer Morte : « Ceux qui élèvent des murs fragiles sont ceux qui sont surpris (...) en train de forniquer : ils prennent deux épouses alors même qu’au moment de la création il a été dit “mâle et femelle Il les créa”. » (Gen. 1, 27 ; Codex Damascus, 4, 20-21). Pour les Pharisiens, tout spécialement ceux de l’école de Hillel, le divorce et le remariage n’étaient ni illégaux ni immoraux. Il n’y avait rien d’incorrect dans le fait de chasser sa première épouse pour en prendre une autre car cette pratique passait pour être en total accord avec les “commandements de Moïse”. Quand on demandait aux Pharisiens : « Est-ce qu’un homme qui s’est séparé de sa femme pour en épouser une autre est en accord avec Dieu et avec le peuple de Dieu ? » ils pouvaient répondre : « Mais oui, bien sûr : le divorce est recommandé par Moïse ! » 

Mais si l’on avait posé cette même question à Jésus, il aurait invariablement répondu : « Celui qui se sépare de sa femme pour en prendre une autre commet un adultère ».  Il viole en effet l’un des Dix Commandements qui sont un condensé de la loi et divine et naturelle. Dans le catholicisme, il faut être en état de grâce pour recevoir la communion. Or, être en état de grâce signifie, entre autres choses, être “en accord” avec Dieu et avec l’Eglise. Et l’adultère est bien plus grave que la violation des rubriques liturgiques ou des coutumes d’une Eglise locale : car être opposé à l’adultère ne relève ni d’une question de légalité ni d’une question de traditionalisme mais d’une question de conformité à la Loi divine. 

Il est donc bien clair que ceux qui, aujourd’hui, défendent la pratique traditionnelle de l’Eglise sur le divorce et le remariage sont totalement dans la ligne de l’enseignement de Jésus alors que ceux qui souhaitent un assouplissement de cette pratique pour des motifs pastoraux sont dans la ligne des enseignements des Pharisiens. On voit donc qu’il n’y a aucune légitimité - si l’on se base sur l’exégèse - à associer la position du Cardinal Burke à du pharisaïsme et celle du Cardinal Kasper à de la charité évangélique.

Si l’on revient aux Pharisiens, on voit qu’à tout moment Jésus leur reproche surtout d’avoir des raisonnements alambiqués et contournés leur permettant de justifier qu’ils puissent s’écarter de la Loi divine. Par exemple dans Marc 7, 9-13 : « Et [Jésus] leur dit : “Vous annulez fort bien le commandement de Dieu, pour garder votre tradition. Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère ; et que celui qui maudira son père ou sa mère soit puni de mort ; mais vous, vous ajoutez : à moins qu’il n’ait dit à son père ou à sa mère : tout ce dont je pourrais t’assister est corban, c’est-à-dire, un don consacré à Dieu. Et vous ne lui permettez plus de rien faire pour son père ou pour sa mère ; anéantissant la parole de Dieu par votre tradition, que vous avez établie. Et vous faites beaucoup d’autres choses semblables.” » Ici, Jésus critique les Pharisiens qui inventent le principe de la “ruse légale” permettant à des fils de donner tous leurs biens à un sanctuaire pour éviter d’avoir à aider leurs parents dans le besoin. Il rappelle que ce sont les principes moraux des Dix Commandements - loi divine et naturelle - qui doivent l’emporter sur les prescriptions cultuelles et rituelles développées au sein de la communauté, et non l’inverse.

Au sein de l’Eglise, beaucoup estiment déjà que la facilité avec laquelle les tribunaux ecclésiastiques décrètent les nullités de mariages menace de saper l’enseignement clair de Jésus sur l’indissolubilité du mariage ; et ce pourrait être bien pire si la validité d’un mariage devait être laissée à l’appréciation de chaque fidèle, comme le souhaitent certains. Le grand nombre de motifs qu’on va désormais avancer pour justifier la nullité d’un premier mariage ne va-t-il pas apparaître comme une nouvelle forme de casuistique religieuse - semblable à celle des Pharisiens - visant à éviter d’avoir à respecter la loi divine ? 

Beaucoup de fidèles imaginent déjà que si Jésus revenait vivre au XXIe siècle, il adapterait son enseignement aux situations actuelles et féliciterait les fidèles qui ont trouvé le moyen habile de rejeter son enseignement pour préserver leurs façons de vivre. Toutefois, si l’on se reporte au Sermon sur la Montagne, on constate que Jésus ne se plie pas aux coutumes de son époque défendues par les Pharisiens et par certains Juifs. Au contraire, il dit clairement à ceux qui l’écoutent : « Si votre justice ne surpasse pas celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. » (Mt. 5, 20)

Les Pharisiens étaient satisfaits de simplement savoir que quelqu’un n’était pas un meurtrier. Jésus va plus loin : il interdit purement et simplement toute forme de colère. Les Pharisiens étaient satisfaits d’apprendre que quelqu’un avait évité l’adultère. Jésus va plus loin : il condamne jusqu’au simple coup d’œil lubrique. Les Pharisiens étaient satisfaits d’apprendre qu’un divorce avait été prononcé de façon légale. Jésus va plus loin : il interdit purement et simplement le divorce.  Les Pharisiens étaient contents lorsqu’ils étaient fidèles à leurs serments. Jésus va plus loin : il interdit de jurer, c’est-à-dire de prendre Dieu à témoin dans un serment. Les Pharisiens étaient contents d’avoir limité les représailles entre deux personnes grâce à la loi du talion. Jésus va plus loin : il condamne toute forme de représailles. Les Pharisiens étaient satisfaits lorsqu’ils aimaient leurs voisins, leurs proches. Jésus va plus loin : il nous demande d’aimer même nos ennemis.

L’idée actuellement très répandue selon laquelle l’enseignement moral de Jésus était moins exigeant - ou plus souple - que celui des Pharisiens est donc totalement erronée. Il est vrai que Jésus n’était pas particulièrement attaché aux nombreux rites de purification pratiqués par les Pharisiens ; mais en matière de morale, il était bien plus exigeant que les Pharisiens !

Ce que le prochain Synode aura à faire, c’est d’indiquer les voies que les fidèles auront à suivre pour répondre à l’appel de Jésus : « Et vous, soyez parfaits comme est parfait votre Père dans les Cieux » (Mt. 6, 48). C’est de cette pastorale-là dont le monde a besoin. Comme elle n’est pas facile à mettre en œuvre, on peut estimer que les pères synodaux, s’ils ne veulent pas verser dans un nouveau pharisaïsme, auront bien besoin de nos prières. »

http://www.proliturgia.org/

JPSC

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