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Noël : « Les catholiques traditionalistes se sentent exclus de la communauté ecclésiale »

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Christophe Dickès Photo-dossier-5.jpgPubliée dans le journal « La Croix », une tribune libre de l’historien Christophe Dickès animateur, entre autres, des émissions de KTO-TV "au risque de l’histoire": 

TRIBUNE : "Après la publication du motu proprio du pape François Traditionis custodes, qui restreint l’usage du rite préconciliaire, Christophe Dickès, historien du catholicisme, exprime sa tristesse devant la sévérité dont fait preuve, de son point de vue, Rome, à l’encontre des communautés traditionalistes".

"Léon le Grand écrivait à propos de la fête de Noël : « Il n’est pas permis de donner place à la tristesse aujourd’hui (…). Personne n’est exclu de la participation à ce bonheur. ».  En cette veille de la fête de l’Incarnation, la Congrégation pour le culte divin vient pourtant de plonger les communautés dites traditionalistes dans une grande tristesse et une incompréhension renouvelée.

Pire, ces dernières ont le sentiment d’être exclues de la communauté ecclésiale qu’ils chérissent par leur fidélité au siège romain, ceci depuis plus d’une génération et les fameux sacres de Mgr Lefebvre de 1988. Depuis le pontificat de Jean-Paul II et plus encore celui de Benoît XVI, les communautés attachées à l’ancienne messe bénéficiaient au sein de l’Église d’une hôtellerie. Après la publication par la Congrégation du culte divin d’un document sur l’application du Motu proprio « Traditionis custodes », elles ne sont même plus sûres de bénéficier d’une étable…

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Reprenons l’historique. L’été dernier, à la grande surprise des évêques français, le pape François publie le motu proprio Traditionis custodes mettant fin à la libéralisation du rite dit de saint Pie V, promulguée par le pape Benoît XVI en 2007 par un autre motu proprio, Summorum Pontificum. Le texte de François fut publié à la suite d’une enquête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, diligentée auprès de l’épiscopat. Nous ne connaissons pas aujourd’hui le détail de cette enquête à de rares exceptions. En effet, le cas français par exemple soulignait certes les efforts à réaliser en faveur de la communion ecclésiale, mais se réjouissait par ailleurs de la situation apaisée. En bref, la guerre liturgique était derrière nous et c’est bien l’action de Benoît XVI qui a joué un rôle pacificateur.

Ni miséricorde, ni compassion

En France, le texte du pape François restreignant la liberté accordée par Benoît XVI fut donc considéré comme un coup de tonnerre dans un ciel globalement serein. Le père Daniel-Ange, que l’on ne peut soupçonner d’ultra-conservatisme, résumait la situation : « Pourquoi une telle dureté, sans une once de miséricorde ou de compassion ? Comment ne pas en être dérouté, déstabilisé ? »

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Le Père Daniel-Ange reprenait ensuite à son compte l’argument de la Conférence des évêques (CEF) de France : « Bien sûr, parmi ces frères catholiques attachés à la tradition, il y en a qui – hélas ! – ont pu se durcir, se figer, se cabrer, se replier dans un ghetto, allant jusqu’à refuser de concélébrer aux messes chrismales – ce qui est inadmissible. » Mais, tout comme la CEF, le père Daniel-Ange soulignait aussi qu’il s’agissait d’une minorité, refusant notamment la validité de la nouvelle messe : « Pour cette petite minorité n’aurait-il pas suffi d’une forte exhortation, doublée d’éventuelles menaces de sanctions ? » Ainsi, pour ces quelques-uns, la « punition » était collective.

Depuis l’été, de l’eau a coulé sous les ponts. Des milliers de lettres du monde entier ont afflué vers Rome. Une vidéo de jeunes de tous les continents a fait le tour des réseaux sociaux. Elle expliquait que leur amour de la messe ancienne reposait non pas sur une quelconque nostalgie ou un esprit séparatiste mais sur la transcendance du rite, sa verticalité, ses silences et son universalité. Ces jeunes ajoutaient en s’adressant au pape : « Nous sommes vos brebis, nous sommes vos fidèles. Nous prions pour vous tous les jours. »

L’union et non la division

Or, c’est dans ce contexte que Rome a souhaité répondre à toute une série d’interrogations juridiques et pratiques de la part des évêques. L’exercice est classique : il s’agit ici de responsa ad dubia, c’est-à-dire de réponses à des doutes ou des interrogations à propos de l’interprétation d’un texte pontifical. L’impression globale qui en ressort est la volonté de restreindre davantage la pratique de l’ancienne messe et de créer un véritable rapport de force sur le sujet. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une volonté d’apaisement, Rome s’engouffre dans un juridisme tatillon qui amène de nouvelles questions auxquelles les canonistes, que l’auteur de ces lignes a contactés, n’ont pas de réponses… De leur côté, les traditionalistes se posent légitimement des questions sur cet esprit romain qui privilégie la lettre et la loi plutôt que l’esprit.

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N’est-ce pas le pape François lui-même qui fustige ceux qui n’ont d’yeux que pour la loi au détriment de la seule loi d’amour et de charité ? N’est-ce pas le Saint-Père lui-même qui disait à propos de l’enfant prodigue : « Les circonstances qui peuvent nourrir la division et la confrontation sont nombreuses ; les situations qui peuvent nous conduire à nous affronter et à nous diviser sont indiscutables. (…) Le chrétien sait que dans la maison du Père, il y a beaucoup de demeures, seuls restent dehors ceux qui ne veulent pas prendre part à sa joie » (Rabat, 31 mars 2019) ? En cette veille de Noël, les catholiques de tradition attachés au siège de Pierre souhaitent simplement participer à cette joie dans l’union plutôt que dans la division.

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À cet égard, il est d’usage, dans les commentaires de l’Épître de Paul aux Galates relatant la querelle d’Antioche, de souligner l’hypocrisie de Pierre. En effet, après avoir partagé ses repas avec les païens, Pierre, par peur des envoyés de Jacques à Jérusalem (c’est-à-dire des judéo-chrétiens conservateurs de la loi mosaïque), se déroba. Or, il existe une autre interprétation de l’épisode par les commentateurs de l’épître : schématiquement, entre le « conservatisme » de Jacques et le « libéralisme » de Paul, Pierre apparaît comme l’homme de la voie moyenne et donc du compromis

Dit autrement, si Pierre se dérobe, c’est parce qu’il souhaite éviter une rupture au sein de la communauté chrétienne. Il apparaît ainsi comme le trait d’union entre l’ancien et le nouveau monde. À l’heure où l’Église occidentale vit une crise inouïe, les catholiques attachés à la messe traditionnelle, avec leur particularisme propre, souhaitent simplement rendre compte de l’espérance qui est en eux, sous le regard bienveillant du successeur de Pierre."

Ref. « Les catholiques traditionalistes se sentent exclus de la communauté ecclésiale »

Christophe Dickès a écrit Saint Pierre. Le mystère et l’évidence, Perrin, 380 p., 24 €.

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