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L'avortement inscrit dans la Constitution française : Et après ?

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De Solène Tadié sur le National Catholic Register :

L'avortement inscrit dans la Constitution française : Et après ?

Censé être un "message symbolique" au reste du monde, de l'autre côté des Alpes, les organisations pro-vie appellent déjà à la mobilisation pour empêcher l'exportation du modèle français.

8 mars 2024

La pratique de l'avortement est désormais un droit constitutionnel en France, qui devient officiellement le deuxième pays de l'histoire à franchir ce pas, quelques décennies après la Yougoslavie communiste de Tito dans les années 1970.

En prenant cette mesure pour adopter démocratiquement le droit à l'avortement, la France a également dépassé la situation qui prévalait au niveau national aux États-Unis avant l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade en 2022, étant donné que cette constitutionnalisation américaine du droit à l'avortement s'est faite de manière judiciaire.

Que signifie donc ce changement sans précédent, tant en France qu'à l'international ?

Après plusieurs mois de débats parlementaires, les députés et sénateurs français réunis en Congrès à Versailles ont voté le 4 mars à une écrasante majorité (780-72) la révision constitutionnelle faisant de l'avortement une "liberté garantie". L'amendement avait déjà été approuvé par l'Assemblée nationale et le Sénat français au début de l'année.

Pendant ce temps, sur l'Esplanade du Trocadéro à Paris, des scènes de liesse se sont déroulées, avec des bombes fumigènes violettes volant au rythme du tube pop Run the World (Girls) de Beyoncé, avec en toile de fond la Tour Eiffel scintillante affichant le message "My Body, My Choice" (Mon corps, mon choix).

De telles images, en décalage avec la gravité du sujet, couplées au faste et à la théâtralité du Congrès de Versailles, ont provoqué la consternation d'un certain nombre d'observateurs et d'internautes - dont même des partisans de l'avortement - qui ont dénoncé l'indécence de nombreux soutiens politiques à ce projet de loi.

"Notre pays se serait honoré en inscrivant plutôt [dans la Constitution] la promotion des droits de la femme et de l'enfant", écrit la Conférence des évêques de France dans un communiqué publié le jour du vote. Ils soulignent que "de tous les pays européens, même en Europe occidentale, la France est le seul où le nombre d'avortements ne diminue pas et a même augmenté au cours des deux dernières années".

Ces observations sont corroborées par l'Institut national d'études démographiques français, qui a enregistré un chiffre record de 232 000 avortements en 2022, en forte hausse par rapport aux années précédentes, avec un ratio de 1 avortement pour 3 naissances en 2022, contre 1 pour 4 en 2017.

Un "coup de communication

En effet, si le président Emmanuel Macron a initié ce projet de modification de la Constitution, c'est moins pour protéger un "droit menacé" en France que pour donner des gages à ses électeurs de gauche dans un contexte social tendu et envoyer un message au reste du monde, à commencer par les États-Unis, dont le renversement de Roe v. Wade a provoqué une onde de choc dans le monde occidental en juin 2022. L'exposé des motifs du projet de loi l'indique directement en affirmant que le droit à l'avortement est menacé dans d'autres pays comme les Etats-Unis, la Pologne ou la Hongrie.

Pour les opposants au projet de loi, cette initiative française n'est qu'un "coup de pub" dont les conséquences sont difficiles à mesurer.

"C'est totalement absurde", a déclaré la constitutionnaliste Anne-Marie Le Pourhiet dans une interview accordée au Figaro lors des débats parlementaires de janvier. "La Constitution est utilisée pour inscrire symboliquement une revendication catégorielle fondée sur des exigences sociétales tyranniques, la transformant en un self-service normatif où chaque catégorie, chaque groupe de pression vient réclamer l'inscription de son droit personnel".

Néanmoins, la stratégie du président français a porté ses fruits, puisqu'une grande partie de la presse internationale lui a rendu hommage dans la foulée, d'El País en Espagne au Corriere Della Sera en Italie, en passant par The Guardian au Royaume-Uni, Die Welt en Allemagne et Clarín en Argentine. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'Organisation mondiale de la santé, a également salué l'initiative de la France.

Évoquant la "fierté française" et un "message universel", M. Macron a profité de l'enthousiasme médiatique suscité par le vote pour annoncer qu'une cérémonie officielle d'inscription dans la Constitution aurait lieu, ouverte au public pour la première fois, le 8 mars, Journée internationale de la femme, place Vendôme à Paris.

Un changement progressif

Selon Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre (banlieue parisienne), la révision constitutionnelle française est le témoin d'une inversion internationale des valeurs qui érige l'avortement en "droit fondamental par excellence".

Dans une interview accordée à la radio catholique KTO, l'ancien aumônier parlementaire a déploré la "logique médiatique globale" qui tend à stéréotyper toute opposition à cette pratique, et qui n'a pas épargné les parlementaires français, comme "prisonniers de l'esprit du temps". Il a évoqué des "pressions extérieures" sur les élus et une "atmosphère globale qui les a dissuadés de faire ce qu'ils croyaient en eux-mêmes".

Des sentiments similaires ont été exprimés par l'ECLJ, une ONG de défense des droits de l'homme basée à Strasbourg, qui a travaillé dans les coulisses des débats parlementaires pour sensibiliser les représentants élus au traumatisme que l'avortement cause à tant de femmes. Rencontrant plus d'une dizaine de députés de différents partis, Nicolas Bauer, juriste et chercheur à l'ECLJ, leur a présenté les témoignages poignants de 12 femmes, dont beaucoup ont avorté sous la contrainte ou par manque d'information sur la nature et les conséquences de l'acte.

Il a vu plusieurs hommes politiques émus aux larmes par ces témoignages, a-t-il déclaré dans une interview au Register, sans pour autant s'opposer à la majorité des élus lors du vote du 4 mars. "Les conservateurs français finissent toujours par voter en faveur des lois qualifiées de 'ruptures sociétales', par lâcheté ou défaitisme, en pensant que le projet passera avec ou sans eux", a-t-il déclaré. "J'ai même rencontré la semaine dernière des parlementaires personnellement opposés à l'avortement, mais qui ont voté en faveur de son inscription dans la Constitution.

Lors de la première dépénalisation de l'avortement en France en 1975, l'instigatrice du projet de loi, Simone Veil, a proclamé dans un discours célèbre que "l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue", ajoutant qu'"il va de soi qu'aucun médecin ne sera jamais tenu d'y participer".

Le projet de loi, qui avait suscité une opposition virulente à l'époque, a été adopté de justesse. Initialement fixé à 10 semaines en 1975, le délai légal d'avortement a été porté à 12 semaines en 2001, puis à 14 semaines en 2022.

Pour les défenseurs du droit à la vie, le décalage entre le ton du discours de Mme Veil et les festivités immortalisées à Versailles et à Paris cette semaine semble illustrer mieux que des mots le risque que représente chaque seuil éthique qu'une loi franchit par la suite.

Dans une vidéo interpellant les élus avant leur vote définitif le 4 mars, la généticienne Alexandra Henrion Caude s'inquiète de l'absence de délai légal pour l'avortement dans le projet de loi constitutionnelle, qui précise que "la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie aux femmes de recourir à l'avortement".

Pour l'instant, le délai est fixé à 14 semaines, alors que cet "amas de cellules", comme certains l'appellent, a déjà un visage, un cœur et dispose d'une autonomie de suçage de pouce. Mais comme la loi déterminera les conditions de cette liberté garantie par la Constitution, il sera possible de repousser encore et encore ce délai. Il n'y aura plus de freins", a-t-elle prévenu.

Risques pour la liberté de conscience

C'est la question de l'absence de clause de conscience pour le personnel médical qui s'oppose à la participation à l'avortement qui a le plus préoccupé de nombreux opposants à la constitutionnalisation de l'avortement.

L'archevêque émérite de Paris, Mgr Michel Aupetit, a qualifié la France d'"État totalitaire" qui a "touché le fond" dans un tweet publié à la suite du rejet d'un amendement du Sénat visant à incorporer la clause de conscience dans l'amendement constitutionnel

Alors que le gouvernement avait assuré à plusieurs reprises que la constitutionnalisation de l'avortement ne menacerait pas la liberté de conscience, quelques heures avant le vote du 4 mars, certains membres du Parlement français ont appelé à l'abolition de la double clause de conscience existante pour les médecins. (La loi Veil de 1975 a introduit un droit spécifique de ne pas pratiquer d'avortement, en plus de la clause de conscience générale des médecins, qui leur permettait déjà de refuser de pratiquer un acte médical pour des raisons professionnelles ou personnelles). Dans son plan stratégique 2023-25, la section française du Planning familial s'est déjà engagée à militer pour l'abolition de cette double clause de conscience, ainsi que pour un nouvel allongement du délai légal de l'IVG.

"La clause de conscience a une valeur juridique. En insérant un droit à l'avortement dans la Constitution, l'avortement acquiert de facto une valeur constitutionnelle supérieure", a déclaré Mme Bauer au Register. "Le Conseil constitutionnel pourrait bien considérer que la clause de conscience des médecins remet en cause la liberté constitutionnelle de l'avortement. Le Conseil constitutionnel est une institution chargée de veiller à ce que les lois soient conformes à la Constitution et aux droits et libertés qu'elle consacre.

Par la suite, le Conseil constitutionnel pourrait restreindre davantage d'autres libertés qui entreraient en conflit avec l'avortement, notamment la liberté d'expression, déjà si malmenée par le délit d'entrave à l'avortement", a ajouté M. Bauer.

Une voie à suivre pour d'autres pays

Une autre question déjà soulevée par de nombreux commentateurs dans le monde est celle de l'impact global de cette action législative de la France, qui conserve une influence culturelle considérable, notamment chez ses voisins européens.

En effet, forte du succès du vote au congrès de Versailles et du concert de louanges internationales, l'une des principales promotrices de la proposition d'amendement constitutionnel, la députée de gauche Mathilde Panot, a annoncé le 4 mars qu'elle déposerait une nouvelle résolution pour que le droit à l'avortement soit inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Le texte demande au gouvernement français de "se mobiliser diplomatiquement auprès des Etats membres de l'Union européenne et de la Commission européenne pour que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantisse le droit à l'avortement".

Une résolution similaire avait déjà été adoptée par le Parlement européen en 2022 suite à la décision américaine Dobbs, mais sans force contraignante, l'Union européenne n'étant pas compétente pour définir la politique de santé, qui reste du ressort des Etats membres.

De l'autre côté des Alpes, les organisations pro-vie appellent déjà à la mobilisation pour empêcher l'exportation du modèle français.

"Il s'agit d'une tragique régression de la civilisation et non d'un progrès", a écrit l'ONG italienne Provita e Familia dans un communiqué de presse publié dans la soirée du 4 mars. "Nous lançons un appel à tous les Italiens pro-vie : Empêchons l'Italie de finir comme la France en unissant nos forces dans une grande rédemption civile qui défend l'humanité des personnes conçues."

Un signal d'alarme ?

La radicalisation des mouvements pro-avortement en France semble avoir eu l'effet inattendu de galvaniser les forces d'opposition, qui se sont rassemblées dans les rues de Versailles au moment du vote du Congrès, et dont les dirigeants envisagent des stratégies plus efficaces et plus novatrices pour défendre la vie.

Dans un éditorial publié au lendemain du vote du 4 mars, le magazine Famille Chrétienne appelle à s'inspirer des actions concrètes des pro-vie américains, qui ont "construit des maisons de naissance à côté des cliniques du Planned Parenthood [...] imaginé des équipes mobiles pour aller à la rencontre des familles isolées et leur faire découvrir, par une simple échographie, la réalité du "petit bout d'homme" qui est en train de naître".

Les évêques français, souvent critiqués pour leur manque d'audace et leur retrait progressif des débats publics, se sont cette fois-ci montrés beaucoup plus virulents pour dénoncer les atteintes à la dignité humaine dans le pays, notamment les débats continus sur l'euthanasie qui reprendront au cours des prochains mois.

Et tandis que de jeunes prêtres sonnaient le glas de leurs églises en signe de protestation dans plusieurs villes de France, à commencer par Versailles, des initiatives de prière comme le site "Va, Vis, Prie" - dont l'objectif est de faire prier au moins autant de chapelets de réparation qu'il y a d'avortements chaque année, dans 50 villes différentes - forgent les armes spirituelles du pays.

Les années à venir pourraient bien être celles d'un changement collectif plus profond de la conscience spirituelle, intellectuelle et politique, d'autant plus que le pays, comme le reste du Vieux Continent, est pris dans la dure réalité de l'hiver démographique - avec un nombre de naissances en 2023 à son plus bas niveau depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. A cet égard, la curieuse coïncidence entre la déclaration d'Emmanuel Macron sur la nécessité de "réarmer" démographiquement la France et l'inscription de l'avortement dans la Constitution n'a pas échappé aux observateurs.

Solène Tadié est la correspondante pour l'Europe du National Catholic Register. Elle est franco-suisse et a grandi à Paris. Après avoir obtenu un diplôme de journalisme à l'université Roma III, elle a commencé à faire des reportages sur Rome et le Vatican pour Aleteia. Elle rejoint L'Osservatore Romano en 2015, où elle travaille successivement pour la section française et les pages culturelles du quotidien italien. Elle a également collaboré avec plusieurs médias catholiques francophones. Solène est titulaire d'une licence en philosophie de l'Université pontificale Saint-Thomas d'Aquin et a récemment traduit en français (pour les Editions Salvator) Defending the Free Market : The Moral Case for a Free Economy du père Robert Sirico de l'Acton Institute.

Commentaires

  • "Des parlementaires personnellement opposés à l'avortement ont voté en faveur de son inscription dans la Constitution."
    Cete révélation ne surprend bien sûr qu'à moitié. Elle confirme qu'il s'agit du caprice d'un groupe qui est imposé de façon tyrannique. Parmi ceux qui sont hostiles à cette revendication, une bonne partie sont terrorisés de le faire savoir publiquement ; on constate d'ailleurs aussi que, dans la minorité qui a voté contre la constitutionnalisation, il y a un repli sur l'argument minimal que la pratique de l'avortement n'était pas menacée.
    Pourquoi cette peur généralisée ? Manifestement parce qu'il y a une pression médiatique qui stigmatise tout adversaire de la culture de mort. Tant l'audiovisuel que la presse mainstream ont été colonisés par des agents veillant à la sacralisation de cette inversion morale. Et tenter de résister à ce totalitarisme est perçu comme un suicide politique. Des paroles de vérité ne peuvent plus provenir que d'un engagement désintéressé.

  • On ne trouve donc plus d'homme courageux dans la classe politique française ? Et ils enverraient leurs fils se battre en Ukraine !
    Comment ceux-ci accepteront-t-il de tout perdre pour des aînés aussi frileux ?

  • Juste avant le Congrès, j'ai écrit à ma députée (LR) de ne pas renouveler son vote en faveur de la constitutionnalisation de l'avortement. Bien sûr, elle a voté pour, à Versailles. Elle a bien voulu me répondre longuement pour m'exposer toutes les raisons de son vote. Elle est persuadée d'avoir accompli une bonne action, digne d'être louée. L'obscurcissement de la conscience s'étend dans toute l'Europe. Et on fête cela ! Et on illumine la Tour Eiffel !

  • "A nation that kills its own children has no future" (JP II)

    Ça promet pour la suite.

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