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Le 27 novembre 1095 : l'appel lancé pour porter secours aux chrétiens d'Orient et aux pèlerins

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Du site "Pour une école libre au Québec" :

27 novembre 1095 — Appel lancé pour porter secours aux chrétiens d'Orient et aux pèlerins

C’était il y a près de mille ans. À la fin du XIe siècle, le royaume de France était en petite forme. Il ne représentait pas plus de deux ou trois fois l’actuelle région d’Île-de-France ; le domaine royal était bordé par Compiègne au nord, Orléans au sud, Dreux à l’ouest. Les Capétiens régnaient, mais, dit Jacques Bainville qui est indulgent, ce sont des « règnes sans éclat ». Qui se souvient de ces rois-là, les premiers héritiers du fondateur de la dynastie, Robert le Pieux, Henri Ier, Philippe Ier ? C’est à l’extérieur du royaume que les choses se passent. Chez les Normands en particulier : le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, a mis la main sur l’Angleterre (victoire de Hastings, en 1066, illustrée par la tapisserie de Bayeux), et ce sont aussi des Normands qui sont allés délivrer, à leur demande, les populations catholiques de l’Italie méridionale des expéditions sarrasines.


« Les malheurs des pèlerins »

Car c’est un temps de pèlerinages. Des foules de pèlerins chrétiens se déplacent en longues colonnes vers Rome ou Saint-Jacques-de-Compostelle, au nord de l’Espagne, venant manifester leur soutien aux dernières victoires de la Reconquista sur l’islam, après des siècles de conquêtes et de conversions musulmanes induites par des vexations et une forte taxation. Mais c’est le pèlerinage de Jérusalem, par terre et par mer, qui attire les fidèles les plus nombreux et les plus ardents, à partir des sols européens, notamment français. « Il crée une vie neuve, il marque la crise décisive où le vieil homme se dépouille », notent les chroniqueurs de l’époque.

Ces mouvements de population de l’Occident vers les Lieux saints d’Orient créent des routes, des escales, des dispensaires ; ils développent des échanges de toute nature. Arrivés sur place, les pèlerins rencontrent d’autres chrétiens, d’ancienne tradition qui constitue encore une grande partie de la Syrie et de la Palestine, peut-être encore la majorité des habitants, mais aussi des musulmans. Les communautés prospèrent dans des quartiers séparés. Jusqu’à l’arrivée des Turcs seldjoukides. Les anciens « maîtres tolérants et policés venus d’Égypte font place à des fanatiques durs et tracassiers ». La conquête de Jérusalem par ces Turcs s’accompagne de la persécution et du massacre des chrétiens. Les pèlerins rentrent chez eux effrayés. La nouvelle enflamme la fin de ce XIe siècle. Les Seldjoukides se sont emparés de l’Arménie si lointainement chrétienne, de Smyrne, de Nicée, près de Constantinople.

L’intervention des barons occidentaux permit de libérer de nombreuses villes (Nicée, Sardes, Tarse, Antioche) récemment conquises par les Turcs après la catastrophe de Manzikert en 1071

L’Empire byzantin menace de disparaître. Une vague de fond soulève la chrétienté.

L’Empire byzantin est confronté à l’avancée des Turcs seldjoukides. Depuis la désastreuse défaite subie à Manzikert l’arménienne en 1071, de nombreux territoires sont passés entre les mains de ces nouveaux musulmans venus d’Asie centrale et récemment convertis. Leur présence complique encore davantage le pèlerinage sur les Lieux saints qui connaît à l’époque un essor remarquable.

Qui va délivrer le Saint-Sépulcre ? Les monarques en sont incapables, qu’ils soient trop faibles, comme le roi de France, qu’ils se disputent entre eux, et notamment avec l’empereur d’Allemagne, ou qu’ils contestent l’autorité de l’Église de Rome. C’est donc elle qui va se substituer à eux, cette Église de Rome qui révèle sa solidité en résistant au grand schisme d’Orient d’un côté et aux « antipapes » de l’autre. C’est elle qui peut porter secours aux chrétiens de Terre sainte. Mais avec quels moyens le peut-elle ? Quels hommes ? Quel argent ? Quelles armes ? Elle va les mobiliser.

Et c’est un autre Français qui le fait, non pas le roi, mais un pape, le deuxième élu depuis Grégoire VII. Fils d’une famille noble de Champagne, rappelle Jacques Heers, l’historien des croisades, c’est un bénédictin ; il fut archidiacre de Reims avant de devenir prieur de l’abbaye de Cluny. Bâtie à la fin du siècle précédent, cette abbaye rayonne par son influence bien au-delà du sol qui l’a vue naître. Élu pape sous le nom d’Urbain II en 1088, il a dû attendre cinq ans avant de s’asseoir sur le trône pontifical à Rome (alors occupée par un « antipape »). La mission de la délivrance des chrétiens de Jérusalem se présente à lui comme une occasion d’affirmer son autorité tout en marquant la puissance temporelle et spirituelle de l’Église. Il part prêcher le combat dès 1095, depuis l’Italie jusqu’à la Bavière, des Alpes à la France, son pays. Il y multiplie assemblées et conciles, et n’hésite pas à excommunier le roi de France, Philippe Ier, pour usurpation de biens d’Église, répudiation de son épouse et corruption...

L’abbaye de Cluny dont Urbain II fut le prieur

Arrivant d’un long périple qui l’a conduit jusqu’à son abbaye de Cluny où il a fait étape, il traverse l’Auvergne et convoque à Clermont un concile qui s’ouvre le 18 novembre 1095. L’assemblée est nombreuse ; les chroniqueurs du temps comptent jusqu’à 10 archevêques, 220 évêques et plusieurs centaines de prêtres... Les premiers jours sont consacrés à la discipline dans l’Église, à la vie des clercs, des laïcs et des sanctuaires. Puis, le 27 novembre, en conclusion, il prononce son homélie préparée avec le plus grand soin et qui marquera l’Histoire. Les traces de ce texte ont fait l’objet de débats entre historiens ; voici celui reproduit par un contemporain qui a assisté au concile, Foucher de Chartres (dans le Recueil des historiens des croisades).
 « Ô fils de Dieu, en appelle Urbain II, il importe que, sans tarder, vous vous portiez au secours de vos frères qui habitent les pays d’Orient et qui déjà bien souvent ont réclamé votre aide. »
Apporter de l’aide aux chrétiens d’Orient spoliés, réduits en esclavage

Le pape dresse alors le tableau de la situation : « En effet, comme la plupart d’entre vous le savent déjà, un peuple venu de Perse, les Turcs, a envahi leur pays. Ils se sont avancés jusqu’à la mer Méditerranée et plus précisément jusqu’à ce qu’on appelle le Bras Saint-Georges [le Bosphore]. Dans le pays de Romanie [l’Empire byzantin], ils s’étendent continuellement au détriment des terres des chrétiens, après avoir vaincu ceux-ci à sept reprises en leur faisant la guerre. Beaucoup sont tombés sous leurs coups ; beaucoup ont été réduits en esclavage. Ces Turcs détruisent les églises ; ils saccagent le royaume de Dieu. Si vous demeuriez encore quelque temps sans rien faire, les fidèles de Dieu seraient encore plus largement victimes de cette invasion. »

C’est ensuite qu’il prononce cette véritable harangue : « Aussi je vous exhorte et je vous supplie — et ce n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le Seigneur lui-même —, vous, les hérauts du Christ, à persuader à tous, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent, chevaliers ou piétons, riches ou pauvres, par vos fréquentes prédications, de se rendre à temps au secours des chrétiens et de repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires. Je le dis à ceux qui sont ici, je le mande à ceux qui sont absents : le Christ l’ordonne. »

Après quoi, il justifie son appel par les arguments de la foi : « À tous ceux qui y partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée. Et je l’accorde à ceux qui participeront à ce voyage, en vertu de l’autorité que je tiens de Dieu. Quelle honte, si un peuple aussi méprisé, aussi dégradé, esclave des démons, l’emportait sur la nation qui s’adonne au culte de Dieu et qui s’honore du nom de chrétienne ! Quels reproches le Seigneur vous adresserait si vous ne trouviez pas d’hommes qui soient dignes, comme vous, du nom de chrétiens ! »

Voici enfin son exhortation à la constitution d’une armée capable d’affronter les barbares, en faisant même appel à des mercenaires ! « Qu’ils aillent donc au combat contre les infidèles, ceux-là qui jusqu’ici s’adonnaient à des guerres privées et abusives, au grand dam des fidèles ! Qu’ils soient désormais des chevaliers du Christ, ceux-là qui n’étaient que des brigands ! Qu’ils luttent maintenant, à bon droit, contre les barbares, ceux-là qui se battaient contre leurs frères et leurs parents ! Ce sont les récompenses éternelles qu’ils vont gagner, ceux qui se faisaient mercenaires pour quelques misérables sous. Ils travailleront pour un double honneur [...]. Ils étaient ici tristes et pauvres ; ils seront là-bas joyeux et riches. Ici, ils étaient les ennemis du Seigneur ; là-bas, ils seront ses amis ! »

L’étonnante actualité de ce texte, à travers sa construction et son argumentation, ne pouvait échapper à un historien comme Max Gallo. Celui-ci a saisi tout ce que la première des croisades, cette expédition voulue et organisée par le pape Urbain II, pouvait avoir comme écho aujourd’hui quand les djihadistes, actuels « Seldjoukides », expulsent des minorités chrétiennes de leur terre natale, détruisent les monuments les plus précieux et prétendent chasser d’Orient les « infidèles » des religions réunies par la Bible. Max Gallo fait donc raconter cette première croisade (Dieu le veut) par un chevalier, Guillaume de Thorenc, qui se « croise » après avoir entendu l’appel du pape.

Défendre les pèlerins

L’expédition se rassemble et se met en marche à la fin 1096. Mais les cardinaux, les évêques et les prêtres font avec passion leur métier de missionnaire. Deux rameaux vont se constituer, l’un de paysans et de villageois trop pauvres pour s’armer solidement ; ils suivent les prédications de Pierre l’Ermite et ne survivront pas au choc avec les avant-gardes musulmanes. L’autre colonne, la « croisade des barons », est composée de chevaliers aguerris et de soldats, constituant des armées en campagne sous la conduite de chefs tels que Godefroy de Bouillon, ses frères, Eustache et Baudouin de Boulogne, Raymond IV de Toulouse, Tancrède de Hauteville, tous francophones.

Château de Bouillon (Belgique) construit entre 1050 et 1067. Godefroy le vendit à Otbert, prince-évêque de Liège, pour financer son pèlerinage en Terre sainte.
 
Il ne s’agit plus seulement d’accompagner les pèlerins, mais de les défendre, de garder des routes, de prévoir le ravitaillement et les hébergements, tout en proclamant la foi du Christ. Une fois formée, la croisade prend la route. Elle n’évite pas les dangers, les débordements, ni même les pillages des territoires traversés. Tout de même, après un long parcours semé d’épreuves et de souffrances, depuis Constantinople et le siège d’Antioche, les chevaliers parviennent sous les murs de Jérusalem le 7 juin 1099. Après cinq semaines d’assauts répétés, Godefroid de Bouillon et son frère Eustache de Boulogne franchissent les remparts de la Ville sainte le 15 juillet, ouvrant une brèche à la foule des croisés. Jérusalem est reprise. Le pape Urbain II, qui avait lancé l’appel à sa reconquête, meurt le 29 juillet sans avoir su qu’elle était accomplie.

Il fut un temps où les petits collégiens de France lisaient leur histoire nationale dans un manuel d’Ernest Lavisse, « l’instituteur national » de la IIIe République, dont Max Gallo cite en exergue les mots suivants : « Le rêve que la chrétienté faisait depuis plusieurs siècles allait enfin devenir une réalité grâce à l’initiative d’un pape et à l’héroïsme de toute une nation : gesta Dei per Francos, Dieu agissant par le bras des Francs. Et le Franc ne veut pas dire ici l’“Occidental” ou le “Latin”, mais le “Français”. [...] La première croisade, c’est la France en marche, il faut la suivre jusqu’en Orient. »

Prise de Jérusalem en 1099 : Godefroy de Bouillon rendant grâce à Dieu en présence de Pierre l’Ermite

 

Quelques idées reçues sur les croisades

Le mot « croisade », un anachronisme

Pendant des siècles, les chroniqueurs parleront de « pèlerinages », de « passages outre-mer », d’« expéditions ». On trouve certes en 1231, sous la plume de Balian de Sidon, familier et partisan de l’empereur Frédéric II, cruces signatura, qui fut traduit plus tard par « croiserie ». Nul ne sait quand et grâce à qui le mot « croisade » est apparu pour la première fois, mais ce ne fut pas avant les années 1470, et encore de manière très épisodique, sans retenir l’attention. L’usage habituel date des dernières années du XIXe siècle.

L’idée qu’il y ait eu huit ou neuf croisades en Orient est également simpliste. Pour Jacques Heers, quiconque lit les textes ou consulte simplement une chronologie sommaire voit bien que ces expéditions pour la reconquête des Lieux saints furent si nombreuses pendant plus de deux siècles que personne ne pourrait en dire le nombre. » En 1099 et 1100, c’était plus d’une par année ; à quelques semaines seulement d’intervalles, trois expéditions sont parties du Royaume de France, tandis que Gênes, Pise, puis Venise armaient des flottes. Ces mêmes années, trois escadres de très gros navires construits au Danemark et en Norvège ont débarqué leurs hommes d’armes en Palestine au terme d’un long périple de deux ou trois ans, hivernant en Galice ou en Grèce, forçant le détroit de Gibraltar. Mais ces expéditions ne sont pas comptées ; ces « croisades » n’ont pas de numéro.

La guerre sainte, autre anachronisme

Urbain II, le pape de l’appel de Clermont, était en France un fugitif, incapable de se faire entendre a Rome. Il ne peut demeurer à Rome où la ville rebelle était toujours aux mains de l’antipape Clément III. À Clermont, Urbain II sait que son prêche ne sera entendu ni dans l’Empire Romain germanique ni dans une large partie de l’Italie, des Alpes jusqu’à Rome. Ni non plus dans le domaine royal de France : lors de ce concile de Clermont, il confirme solennellement l’excommunication du roi Philippe Ier. Arrivés en Italie, les gens qui se dirigent vers la Palestine à la demande d’Urbain II rencontrent souvent un obstacle de la part des partisans de l’antipape.

Le pape Urbain II avait engagé les chrétiens d’Auvergne et du Languedoc à rejoindre les troupes de la Reconquista chrétienne dans la péninsule ibérique, ne parle pas de chasser l’islam des terres qu’il avait conquises en Orient. Le mot « musulman » n’apparaît jamais dans les appels du pape, il parle de « païens », de « Terre Sainte » et de « pays étrangers » sans dire quels peuples y vivent et quels sont leurs chefs. 

Bien avant les prêches d’Urbain II, les princes et les évêques donnèrent l’exemple en prenant sous leur garde les pèlerins, trop pauvres et sans armes, incapables de se défendre et de se nourrir. En effet, les bandits de grand chemin pouvaient attaquer à tout moment pour piller, massacrer ou emprisonner et rançonner ces pèlerins. Nombre de pères et de proches parents des chefs de 1096 étaient déjà allés à Jérusalem et s’étaient illustrés dans la reconquête de pays occupés par les « mécréants ».

 
Prise d’Antioche (1098), miniature tirée
de Passages d’outre-mer

Les croisades, une guerre économique

Comme le rappelle Jacques Heers, « [c] eux qui s’appliquent à tout expliquer par l’économie et la quête du profit veulent faire croire que les grandes nations maritimes d’Italie — Gênes, Venise et Pise — sont allées en Orient prêter assistance aux Latins dans le seul but d’y conquérir de nouveaux marchés. C’est ne rien connaître ou tout oublier : les “marchands” d’Italie étaient déjà solidement implantés dans le Levant, au Caire et, place marchande infiniment plus active [que la Palestine], à Constantinople où se négociaient aussi les produits du monde musulman. Jérusalem qui vivait surtout de l’afflux des pèlerins ne pouvait leur offrir davantage. Ils ne s’y sont jamais installés et, tout au long du temps d’occupation de la Terre sainte par les Francs, leurs comptoirs sur la côte, d’Acre à Jaffa, n’étaient sur le plan commercial, que des escales bien modestes. »

La lutte contre l’islam et les musulmans

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les « croisés » ignoraient à peu près tout de l’islam et des musulmans, même une fois établis en Terre sainte. Les chroniqueurs écrivent communément « infidèles », « païens » ou « mécréants ». Fin 1098, alors que les Latins sont depuis plus d’un an en terre conquise par les musulmans, les chroniqueurs ne s’attardent jamais à décrire une mosquée, ne disent pas un mot de la religion de ces « mécréants », pas une fois on ne lit le mot « islam », « musulman » ou « Mahomet ».

Cette ignorance s’est maintenue fort longtemps. En 1246, André de Longjumeau, envoyé en mission par Saint Louis, fait parvenir au roi une lettre de Simon Rabbin, nestorien d’une église de Syrie, qui le prie de délivrer les chrétiens des ennemis, qu’il appelle « odieux barbares » sans en dire davantage. Plus tard encore, le chroniqueur anonyme auteur de l’Estoire de la destruction d’Acre, ville prise par les Mamelouks en 1291, parle d’une grande multitude de gens mécréants et de toutes les gens et de tous les langages qui vivaient dans les déserts d’Orient » ; de leur religion, il ne dit rien.

Les croisés s’attaquent à des terres d’islam

En 1097, lorsque les Francs firent le siège d’Antioche, cette cité n’avait été récemment gouvernée par un musulman que depuis treize ans. Ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle, vers la fin des États latins, à la suite de nombreuses vexations, spoliations et persécutions qu’un peu partout dans le Dar al islam (ensemble des territoires sous autorité musulmane), et pour la première fois, les chrétiens deviennent minoritaires.

La présence de ceux que l’on appelle les Francs entraîne un durcissement des relations entre musulmans et chrétiens. En Égypte, la pression fiscale s’accroît sur les Coptes : Saladin en particulier trouve logique de faire financer la guerre sainte contre les chrétiens (le djihad) par des chrétiens. Cette pression s’accompagne d’un fort effort d’islamisation, qui porte ses fruits. Après la reconquête musulmane, de nombreuses communautés, accusées à tort ou à raison de collusion avec les Francs, disparaissent : en 1123, le cadi d’Alep transforme la plupart des églises de la ville en mosquées ; lorsque Baybars, le sultan mamelouk, reprend Antioche en 1268, les chrétiens sont réduits en esclavage ou massacrés. Beaucoup préfèrent l’exil, et se réfugient à Chypre. À l’Est, l’invasion des Mongols (qui prennent Bagdad en 1258) met fin à l’influence politique des nestoriens.

La prise sanglante de Jérusalem, le massacre des musulmans

Au printemps 1098, les Fatimides d’Égypte, lancés à la conquête de la Palestine, entrèrent le 20 août en vainqueurs dans Jérusalem après de durs combats. Ils massacrèrent leurs coreligionnaires, les Turcs, sur place ou les chassèrent vers Damas et Bagdad.

Le 15 juillet 1099, les Francs s’emparèrent de la ville. Ne résistèrent que les défenseurs de la porte de Sion. Le gouverneur Iftoukhar (« la gloire de l’Empire ») se rendit à Raymond  IV de Toulouse qui, contre une forte rançon, le fit conduire, avec tous ses hommes, chez les siens, à Ascalon.

En signe de possession, les chefs, Godefroid de Bouillon, Tancrède de Hauteville et Raymond IV de Toulouse, avaient fait planter leurs bannières dans les rues qu’ils se réservaient et, très vite, négocièrent avec les marchands et les notables le prix des rançons. Mais, quelques heures plus tard, le petit peuple des Francs se précipita en foule dans toute la ville pour piller et massacrer. « Boucherie impossible à décrire », relatent les chroniqueurs qui avaient suivi Godefroid de Bouillon. Les auteurs qui insistent beaucoup de nos jours sur ce tragique dénouement le présentent souvent comme inspiré par une haine religieuse semblent oublier que cette folie meurtrière s’est tournée contre tous les habitants, chrétiens, musulmans et juifs, et que ces massacres à Jérusalem n’ont été ni plus terribles ni plus « injustes » que de nombreux autres, lorsque, après un long siège, les vainqueurs exacerbés par l’attente et les privations, se payaient de leurs peines et assouvissaient leur soif de vengeance de façon ignominieuse. Ceux qui parlent de « faute politique » veulent passer sous silence les ordres donnés par les chefs qui voulaient préserver la vie des habitants, sachant bien que bon nombre étaient chrétiens et que les autres pouvaient rapporter de bonnes rançons.


Émission de 50 minutes de Canal Académie sur la première croisade. À écouter.

Des Chrétiens contre les croisades

L’historien Martin Aurell a fait resurgir dans son livre Des Chrétiens contre les croisades les puissantes voix des chrétiens qui se sont élevés contre le pape et les princes prétendant libérer Jérusalem. Il révèle comment des prêtres, des moines et même des troubadours se sont dressés contre les exactions des hommes d’armes. Ils ont condamné, dès l'époque des faits, les pogroms en Allemagne, les violences des chevaliers envers des populations désarmées, le pillage des villes, l’avidité des grands ordres militaires, dont les templiers.

Minoritaire au lendemain de la conquête de Jérusalem en 1099, la critique de la croisade se répand progressivement en Occident. Elle est d'autant plus dure quand son but n'est plus la libération du Saint-Sépulcre, mais la guerre contre les orthodoxes, contre l'hérésie albigeoise ou contre l'empereur romain germanique et ses alliés hostiles à la politique pontificale. Elle explique, en partie, la dissolution de l'ordre du Temple et la désaffection progressive de la croisade elle-même.

À lire

Histoire des croisades de Jacques Heers, Perrin, 320 pages, 22 €.

Dieu le veut, chronique de la première croisade de Max Gallo, XO Éditions, 200 pages, 16,90 €

Sources : VA et Histoire des croisades de Jacques Heers.

Des chrétiens du Moyen âge s'élevaient déjà contre les abus et les exactions de certains croisés

Documentaire sur Philippe (Saint-Jean d'Acre, dernier point d'appui au Levant des Francs, tombe en 1291 alors qu'il était déjà roi) et la fin des templiers :

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