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Rod Dreher: «Le projet Monasphère permettra aux chrétiens de vivre leur foi et d'en témoigner»

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En ces temps d’apostasie du monde occidental, sur quels « traditionis custodes » mise votre pari chrétien? Ne pas confondre une réserve d’indiens avec un monastère médiéval...

Un entretien d’Aziliz Le Corre avec le journaliste américain Rod Dreher, publié sur le site "Figarovox"  :

" L'église Saint-Gilles de L'Île-Bouchard est devenue un sanctuaire à la suite de témoignages attestations d'une apparition de la Vierge Marie devant des enfants. Wikimedia Commons - CC

FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'entreprise Monasphère a présenté un projet de lotissement destiné aux familles souhaitant retourner vivre à la campagne, à proximité de sanctuaires chrétiens. Le journaliste et essayiste américain se réjouit de voir émerger ce type de communautés dans un monde qui n'est plus chrétien.

Rod Dreher est un journaliste et écrivain américain, éditorialiste à The American Conservative. Il a publié Comment être chrétien dans un monde qui ne l'est plus: le pari bénédictin (traduit en français aux éd. Artège, 2017) et dernièrement Résister au mensonge, vivre en chrétien dissident (trad. Artège, avril 2021).

FIGAROVOX. – Un projet lotissement d'inspiration chrétienne, Monasphère, promet de « contribuer au développement et au déploiement des écosystèmes chrétiens au XXIe siècle ». Cela semble rejoindre votre « pari bénédictin »... Que vous inspire-t-il ?

Rod DREHER. - Nous vivons actuellement un fait indéniable : l'effondrement de la civilisation chrétienne, un effondrement aussi profond que l'effondrement de l'Empire romain au Vsiècle. Jusqu'alors, la plupart des chrétiens ont été complaisants face à ce désastre. Peut-être ne comprenaient-ils pas ce qu'il se passait ?

Dans mon livre Le pari bénédictin, je prends l'exemple des premiers moines bénédictins, qui ont conçu une stratégie pour vivre fidèlement et avec résilience au milieu du chaos de l'Europe post-romaine. Que nous conseillerait un saint Benoît du XXIe siècle ? Comment pouvons-nous, chrétiens laïcs - et pas seulement catholiques - créer un habitus dans lequel nous pouvons vivre en chrétiens fidèles, en approfondissant notre propre conversion, en transmettant la foi à nos enfants et en nous rendant assez forts pour témoigner du Christ dans un monde qui lui est hostile ? Il n'y a pas qu'une seule réponse, mais celle des chrétiens et de l'Église catholique depuis 60 ans n'est pas la bonne.

Quels peuvent être les fruits d'un tel projet, selon vous ?

L'équipe de Monasphère essaie de permettre aux familles catholiques de vivre concrètement l'option bénédictine. Personnellement, je suis doué pour comprendre les idées, y adhérer, mais moins pour les mettre en œuvre. Si le projet Monasphère fonctionne, alors les familles catholiques trouveront des moyens de vivre leur foi en communauté, tout en étant ancrées dans le monde. Le projet Monasphère n'entend pas faire de nous des moines. Il veut permettre à des familles de transmettre leur foi à leurs enfants, tout en étant une lumière dans ce monde sombre et froid.

Certains ont accusé le projet de participer à la partition du territoire français. Comprenez-vous cette inquiétude ?

Oui, je comprends cette inquiétude, qui est propre à la culture républicaine française. Mais cette façon appartient à une époque révolue. Dans notre monde post-chrétien, les croyants ont besoin de communautés fortes de fidèles, pour ne pas subir la culture matérialiste et laïque. Aux États-Unis, nous subissons le même processus de sécularisation que l'Europe a emprunté depuis plusieurs générations déjà. Les chrétiens eux-mêmes ne connaissent pas grand-chose à leur foi. Savez-vous qu'aux États-Unis, une majorité de catholiques ne croient pas en la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie ? C'est un scandale total. L'Église post-Vatican II - à la fois l'institution et les familles catholiques - a lamentablement échoué à transmettre la foi aux jeunes. En Amérique, nous acceptons que des citoyens fassent le choix de vivre au sein de communautés particulières fortes, tout en participant à la vie de la Cité. Je ne comprends pas pourquoi certains Français - en particulier les Français catholiques - ont si peur des chrétiens qui veulent simplement vivre ensemble en tant que chrétiens.

"Nous devons faire de nos familles et de nos communautés des icônes du Christ. Ceux qui ne croient pas doivent se demander quel est le secret de notre vie heureuse, stable et saine"

Rod Dreher

Lorsque je suis venu en France pour la première fois, promouvoir le livre Le pari bénédictin, j'ai remarqué que les catholiques de plus de 50 ans ne comprenaient pas de quoi je parlais et y étaient par réflexe hostiles. Ce n'était pas le cas des plus jeunes. Qu'est-ce qui explique cette différence ? Je crois que les plus âgés ont grandi dans une France post-chrétienne, dans laquelle les idées chrétiennes constituaient encore une part significative du paysage intellectuel et culturel. Il y avait donc un décalage entre l'ancrage culturel du christianisme et la perte de vitesse de la pratique religieuse. Les jeunes catholiques, eux, n'ont connu que le monde d'après. Ils aspirent donc simplement à pouvoir vivre conformément à leur foi et à la transmettre. Contrairement à leurs aînés, ils ne considèrent pas la foi comme une série de propositions intellectuelles, mais comme un mode de vie.

N'est-ce pas pourtant contraire à la vocation des chrétiens ? Ceux-ci ne devraient-ils pas plutôt vivre au milieu du monde plutôt que dans des communautés ?

Il ne fait aucun doute que les chrétiens doivent évangéliser et apporter la foi au monde. Mais nous ne pouvons pas donner au monde ce que nous n'avons pas ! Aux États-Unis, la connaissance et la pratique de la foi chrétienne, catholique comme protestante, sont très minces et superficielles. Comme l'explique le célèbre sociologue catholique des religions, Christian Smith, pour nombre de jeunes adultes américains, le sens de la vie se trouve dans la liberté de jouir de ses loisirs, dans la quête du bonheur et de la richesse. Les jeunes chrétiens n'y échappent pas. Si nous continuons à vivre ainsi, la foi mourra. Cela ne fait aucun doute. Dans la Rome du IVe siècle, la dernière génération païenne n'a pas reconnu le danger dans lequel elle se trouvait ; ils croyaient que Rome continuerait d'être païenne, parce qu'elle avait toujours été païenne. Ils avaient fatalement tort. Nous, chrétiens, risquons de connaître le même sort.

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Si nous voulons échapper à cette disparition annoncée, nous devons assumer de vivre conformément à notre foi pour en témoigner. Nous devons faire de nos familles et de nos communautés des icônes du Christ. Ceux qui ne croient pas doivent se demander quel est le secret de notre vie heureuse, stable et saine. C'est le modèle des monastères bénédictins ! Les moines ont établi des oasis d'ordre dans le désert du chaos barbare. Les paysans se sont déplacés pour vivre autour de ces monastères, en partie parce que les moines étaient un signe de paix, de lumière et de stabilité. L'option bénédictine peut être comprise comme une forme d'évangélisation pour le XXIe siècle. Il ne suffit pas de dire aux gens pourquoi ils devraient être chrétiens : nous devons leur montrer ce que signifie être chrétien. C'est le sens du projet Monasphère !

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Ref. Rod Dreher: «Le projet Monasphère permettra aux chrétiens de vivre leur foi et d'en témoigner»

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