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Rod Dreher, l'Américain qui veut soulever l'Europe conservatrice depuis la Hongrie

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rod_dreher.jpg"L'écrivain à l'origine du concept de «pari bénédictin» s'est établi à Budapest à l'automne 2022, séduit par le pays de Viktor Orbán. Avec son «pari bénédictin», Rod Dreher apporte une stratégie à une partie des chrétiens déroutés par les mutations sociétales en Occident. | Elekes Andor via Wikimedia Commons :

En Europe ou aux États-Unis, le terreau est fertile pour une mobilisation des conservateurs, mais dans ce monde vibrionnant, il manque souvent des pensées et des stratégies de référence. D'un côté comme de l'autre de l'Atlantique, l'écrivain américain Rod Dreher parvient à aimanter lecteurs et adeptes de sa pensée stratégique.

On croit trop souvent que la pensée conservatrice américaine est à l'image des punchlines des conventions de l'association de défense du port d'armes, la National Rifle Association of America (la NRA), ou de la réunion annuelle organisée par les conservateurs, la Conservative Political Action Conference (la CPAC). En vérité, il existe nombre de penseurs conservateurs américains à l'œuvre substantielle et structurée. C'est le cas de Rod Dreher, qui s'est fait connaître voici quelques années en France avec la parution de son ouvrage Comment être chrétien dans un monde qui ne l'est plus – Le pari bénédictin, édité dans l'Hexagone en 2017.

Communautés pour chrétiens déboussolés par la modernité

Initialement protestant, puis catholique, et enfin orthodoxe de confession, Rod Dreher postulait dans cet ouvrage très original que, face à la déchristianisation du monde, les chrétiens devaient se regrouper en communautés à l'écart du monde, enlever leurs enfants du système éducatif et faire vivre ces phares spirituels dans un monde à la dérive. Ce «pari bénédictin», comme il le nomme, avait vocation à répondre au légitime questionnement des chrétiens, parfois déboussolés par l'évolution du monde et la modernité, et soumis à des attaques nourries de la part des progressistes ou des woke.

La pensée de Rod Dreher est, de par sa sophistication, aux antipodes des meetings de l'ex-président Donald Trump, lequel doit être déjà bien en peine d'expliquer succinctement qui est saint Benoît. Son livre a été accueilli avec intérêt en France et son sujet débattu aussi librement qu'honnêtement. Il a participé de la réflexion du monde catholique français post-Manif pour tous. Accords ou désaccords, parfois profonds, avec ce «pari bénédictin» ont permis de discerner quels possibles s'offraient aux chrétiens d'Europe et, d'abord, de France.

Il existe un large éventail de conservatismes aux États-Unis et tous ne se ressemblent pas, loin s'en faut:

Des paléoconservateurs aux néoconservateurs, des plus pratiquants à ceux qui sont relativement distants par rapport à la religion, les courants sont nombreux dans le pays.

Agir face au «totalitarisme mou»

Avec son «pari bénédictin», Rod Dreher apporte une stratégie à une partie des chrétiens déroutés par les mutations sociétales en Occident. Il pointe d'abord le déclin des valeurs traditionnelles et chrétiennes dans nos sociétés et les menaces qui planent, selon lui, sur la famille ou l'éducation.

D'après le conservateur, les valeurs adverses sont une attaque massive sur celles portées par les croyants. Il conviendrait donc d'entrer en résistance face à une forme de «totalitarisme mou» qui s'en prendrait aux chrétiens, aux hétérosexuels et, s'il reconnaît qu'il ne s'agit pas d'un totalitarisme comme celui de l'URSS des grandes persécutions, il note que la parole évangélique se confrontait alors directement au KGB tandis que désormais, elle se perd dans le brouillard. D'où l'idée de créer des communautés solidaires chrétiennes à l'écart du monde moderne pour résister. Il cite volontiers Hannah ArendtRené GirardLéon Bloy et sait séduire, au-delà des États-Unis, jusqu'à nombre de catholiques français et ailleurs.

Face à ce «totalitarisme mou», Rod Dreher encourage en somme à devenir chrétien dissident. C'est l'objet de son second ouvrage, paru en 2021: Résister au mensonge – Vivre en chrétiens dissidents. La réécriture de romans après la mort de leurs auteurs, la chasse sourcilleuse à l'emploi de certains mots, la mise à l'index d'autres, la dénonciation d'enseignants nourrissent considérablement les rangs de ses lecteurs.

Coup de foudre à Budapest

Le fait marquant dans l'évolution de Rod Dreher est que ce conservateur américain, qui devrait être comblé par la flambée conservatrice dans son pays, est séduit par la Hongrie de Viktor Orbán et son illibéralisme. Force est de constater que le voyage à Budapest est au conservateur des années 2020 ce que l'excursion à Caracas était au progressiste des années 2000, avec sans doute l'inévitable part d'illusions, la volonté d'ignorer certaines données géographiques et historiques. Toujours est-il que la Hongrie attire différentes familles de la pensée conservatrice, y compris dans sa variante identitaire.

Comme beaucoup de conservateurs américains (hors néoconservateurs), Rod Dreher est en phase avec le pouvoir hongrois à la fois sur le plan sociétal et sur le plan géopolitique. Dans le magazine d'opinion The American Conservative, il dénonçait ainsi, le 8 mars, les «mensonges» des « liberals » américains à propos de la Hongrie, mais aussi de la guerre en Ukraine. Rod Dreher reproche à ses compatriotes de vouloir ignorer la société hongroise comme ils ont ignoré les Afghans –bien que lui-même tende à projeter sur Charles Maurras, par exemple, sa propre vision des choses, qui en est relativement éloignée.

S'il a une vision radicale, au sens étymologique du terme, de la mutation que doivent accomplir chrétiens et conservateurs –qu'il tend à confondre, selon une logique propre à ce camp aux États-Unis–, Rod Dreher réussit parfaitement à stimuler le débat dans son pays et en Europe. Incitant à la création de communautés en quasi autarcie pour faire vivre le christianisme à l'abri des excès de la modernité, il a invité à la «dissidence» notamment en matière éducative, puis s'est installé en Hongrie en 2022.

Puisque l'écrivain n'est pas adepte d'un conservatisme dans un seul pays, on peut comparer sa théorie comme sa pratique à une sorte de foquisme conservateur. Mois après mois, il a, sur les jeunes générations, une influence que certains intellectuels trotskistes (entre autres) eurent sur la jeunesse de leur époque. En matière idéologique, les réflexions stratégiques se comportent parfois comme un balancier."

En savoir plus: 

Monde Hongrie Etats-Unis conservatisme chrétiens religion

Ref. Rod Dreher, l'Américain qui veut soulever l'Europe conservatrice depuis la Hongrie

Commentaires

  • La conservation ou plutôt la restauration du catholicisme au sein même de l'Eglise catholique est nécessaire et préalable à la conservation sinon à la restauration du christianisme à l'intérieur de l'Europe.

    Or, force est de constater que la restauration, en plénitude, de la foi catholique, de la liturgie de l'Eglise et de la morale chrétienne n'est pas considérée comme la priorité des priorités par la très grande majorité des responsables religieux catholiques contemporains.

    En effet, ces responsables en sont restés à la gestion des conséquences de la poursuite de leur adhésion ou de leur soumission à l'idéologie du dialogue, de l'inclusion, du renouveau et de l'unité que l'Eglise catholique connaît depuis le Concile Vatican II.

    En d'autres termes, si les catholiques ne font pas disparaître cette idéologie, particulièrement propice à l'égalitarisme, sinon à l'indifférentIsme interconfessionnel, interconvictionnel et interreligieux, c'est l'extrêmisation de cette idéologie qui les fera disparaître, en tant que chrétiens amollis et attiédis, porteurs d'une foi catholique, d'une liturgie de l'Eglise et d'une morale chrétienne dénaturées par le Concile puis, surtout, par l'après-Concile.

    Lequel, n'en déplaise à certains, a commencé à avoir un caractère décatholicisateur dès la fin de l'automne 1965, pour des raisons intra-ecclésiales, et n'a pas eu besoin d'attendre le printemps 1968 et des raisons intra-mondaines.

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