D'Andrea Gagliarducci sur Monday Vatican :
Léon XIV : Fins et commencements
La messe de la veille de Noël en la basilique Saint-Pierre a été marquée par une série de symboles, illustrant tous comment le pape Léon XIV s'oriente à grands pas vers une transition définitive, qui devrait débuter véritablement dès la fin du Jubilé.
Il y a notamment trois petits signes à prendre en compte.
La première : Léon XIV souhaitait saluer personnellement la foule sur la place avant les festivités du soir et la remercier.
C'est un geste qu'il affectionne particulièrement et qu'il a souvent accompli depuis son accession au pontificat. Cependant, pour la première fois, le pape portait l'écharpe blanche ornée des armoiries épiscopales. Jusqu'alors, ces armoiries n'avaient pas été portées, et beaucoup avaient interprété cette apparition comme un signe concret de continuité avec le pontificat de François, et plus précisément avec la déconstruction des symboles intervenue sous son pontificat.
L'apparition de l'écharpe ornée des armoiries brodées contredit cependant ce récit.
Le fait que cette écharpe soit apparue la nuit de Noël, au début de la fin de l'Année sainte ouverte par le pape François, est également révélateur.
Le deuxième signe se trouve dans les paroles de Léon XIV .
Son homélie de la veille de Noël présentait deux particularités : elle citait la dernière homélie de Noël de Benoît XVI en tant que pape et la dernière homélie de Noël du pape François.
En substance, Léon XIV s'appuyait sur l'héritage de ses deux prédécesseurs, retenant le meilleur de chacun et cherchant à les harmoniser. Mais ce faisant, il affirmait aussi sa singularité en tant que pontife, un pontife qui ne renierait pas les aspects positifs du passé, mais qui tracerait également sa propre voie.
Il s'agit d'un pontificat différent.
Les discours du pape François devant la Curie romaine étaient très attendus, car il en a profité pour s'en prendre violemment à cette dernière. Nul n'a oublié son allocution sur les quinze maux qui affligent la Curie, suivie de celle consacrée aux remèdes à ces maux.
Cependant, Léon XIV a démontré dès le départ qu'il n'avait ni l'intention ni l'envie d'attaquer ceux qui travaillaient au Vatican.
En effet, il a déclaré d'emblée que « les papes vont et viennent, la Curie demeure », témoignant ainsi de sa reconnaissance pour le travail accompli dans l'ombre par nombre d'entre eux. Le ton de son discours n'était donc pas accusateur.
Léon XIV a plutôt mis l'accent sur un thème : la communion. Il a conclu en demandant que l'amitié existe également au sein de la Curie romaine et qu'on ne se laisse pas aller à l'inimitié.
Léon XIV devait gérer un héritage complexe laissé par le pape François. La fin de son pontificat, en particulier, avait alimenté l'amertume au sein de la Curie. Parallèlement, certaines intuitions cruciales du pape argentin avaient été oubliées. Ce n'était pas inhabituel dans un pontificat qui avait néanmoins duré douze années riches en événements. Léon se trouvait donc confronté à la tâche difficile de redécouvrir ces intuitions tout en évitant les écueils, ou plutôt, de panser les plaies sans condamner ni renier en bloc l'œuvre de son prédécesseur.
Il a agi avec prudence, prenant certaines décisions gouvernementales qui ont annulé celles de François et, parallèlement, publiant les « documents suspendus » laissés à la fin du pontificat de ce dernier. Par cette prudence, le pape voulait faire passer un message : il respecte l’héritage du passé et n’a aucune intention d’instaurer un système de favoritisme si tous œuvrent de concert.
La décision de Léon XIV de poursuivre les discussions sur la synodalité est également un signal fort à cet égard : Léon affirme clairement qu’il sera à l’écoute de tous et que chacun aura la possibilité de s’exprimer. Et, en définitive, c’est précisément l’objectif du consistoire des 7 et 8 janvier.
Le 12 décembre, Léon XIV adressa une lettre à tous les cardinaux expliquant l'objet du consistoire . Le pape y énuméra quatre points en particulier :
• une relecture de l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium ;
• une étude de la constitution apostolique Praedicate Evangelium, axée sur l’Église universelle et l’Église particulière ;
• le synode et la synodalité comme instruments de collaboration avec le pontife ;
• une « réflexion théologique, historique et pastorale approfondie » sur la liturgie, « pour préserver la saine tradition tout en ouvrant la voie à un progrès légitime », pour reprendre les termes de la constitution Sacrosanctum Concilium du Concile Vatican II sur la liturgie sacrée, comme le faisait Léon dans sa lettre.
Ces quatre thèmes sont particulièrement révélateurs de la trajectoire de Léon XIV.
Les deux premiers points concernent le texte programmatique du pape François et la constitution apostolique qui a conduit à la réforme de la Curie. D'une part, Léon XIV ne souhaite pas perdre l'élan missionnaire insufflé par le pape François, même si l'expression « Église tournée vers l'extérieur » n'a jamais été employée par lui. Le thème de la mission demeure néanmoins central.
Il est nécessaire d'harmoniser les réformes de l'ère François, car la structure de l'Église ne peut être uniquement missionnaire. Un centre est nécessaire, et cela est compris par ceux qui, comme le Pape, ont été supérieurs d'une communauté religieuse possédant des maisons dans le monde entier.
En outre, Léon XIV reformule l'idée de synodalité, la définissant comme une forme de collaboration avec le Pape, plaçant au centre l'idéal de communion qu'il a instauré au début de son pontificat.
Cette communion se réalise aussi par une paix théologique sur des questions telles que la liturgie. C’était l’objectif de Benoît XVI, qui avait libéralisé l’usage du rite ancien dans le but précis de favoriser la communion et d’éliminer les courants extrémistes, notamment ceux qui considéraient la liturgie comme un instrument de contestation de l’ensemble du concile Vatican II.
Léon XIV revient au Concile, mais il semble pleinement engagé à réaliser la pax theologica, ce qui n'intéressait pas le pape François, qui avait restreint l'usage de l'ancien rite, qualifiant de rétrogrades tous ceux qui s'en approchaient.
L'approche de Léon XIV sera probablement modérée.
Pas à pas, il a recentré tous les symboles de son pontificat, sans jamais renier François ; bien au contraire, il l'a cité plus que quiconque dans ses discours, allocutions et homélies. Il est peu probable que la réforme de la Curie souhaitée par le pape François subisse des revirements majeurs : ce serait complexe. Mais Léon XIV a déjà manifesté sa volonté d'apporter des ajustements et compte sur les cardinaux pour aborder la réforme dans son ensemble.
Le fait qu'il s'appuie sur les cardinaux témoigne également de son approche synodale. Le pape François avait placé l'Église dans un état de synode permanent, mais un petit conseil de cardinaux a ensuite été convoqué pour gouverner avec lui ; cet organe, jamais institutionnalisé, servait de lieu de consultation et dépassait le cadre du collège des cardinaux.
Le pape François a également apprécié les occasions spéciales, comme les rencontres avec les jésuites dans chaque pays qu'il a visité. Il ne s'agissait pas pour lui de favoritisme envers certains groupes religieux. Tous étaient égaux, mais certains l'étaient plus que d'autres.
Invoquant la synodalité, Léon XIV appelle également à une plus grande participation de tous. Il le fait selon un concept de responsabilité partagée, que le pape a défini comme le « chemin de la paix » dans son homélie du matin de Noël.
Les portes saintes commencent à se fermer ; l’Année sainte proclamée par le pape François touche à sa fin. Mais elles s’ouvrent sur un nouveau pontificat, dont les contours restent à définir : celui de Léon XIV.



