De Damien Le Guay sur le Figaro Vox :
Belgique: «Le risque que l'euthanasie ne soit pas un choix individuel mais une décision économique imposée aux autres»
FIGAROVOX/TRIBUNE - 40% des citoyens belges sont favorables à l'arrêt des soins pour les personnes de plus de 85 ans, selon une étude du Centre fédéral d'expertise des soins de santé. «Le glissement, dans les têtes, d'une liberté pour moi à un programme collectif d'élimination des ‘‘bouches inutiles'' vient d'être prouvé», s'inquiète le philosophe Damien Le Guay.
Philosophe, éthicien, membre émérite du Conseil scientifique de la Société française d'accompagnement et de soins Palliatif (La SFAP), Damien Le Guay enseigne au sein des espaces éthiques régionaux d'Ile-de-France et de Picardie. Il est l'auteur de plusieurs essais sur la mort, dont, notamment Le fin mot de la vie (Le Cerf, 2014).
On présente toujours la question de l'euthanasie sous l'angle de la liberté individuelle. Ce serait une liberté supplémentaire, et une liberté qui ne retirerait rien à personne. Ce leitmotiv est répété à satiété au point qu'il semble être devenu une vérité d'évidence! Alors, pourquoi ne pas faire le pas et, une bonne fois pour toutes, loin des supposées hypocrisies, légaliser l'euthanasie. La sociologue Irène Théry disait au Président de la République lors de la rencontre entre celui-ci et des intellectuels que «non seulement l'ancienne règle du jeu est obsolète» et il faut en promouvoir une autre, mais surtout, il faut se méfier des «mouvements contre-révolutionnaire» et des «crispations identitaires».
En face, ceux qui s'opposent à cette légalisation, les médecins, les accompagnants de soins palliatifs, tous ceux qui sont tous les jours au bord du lit des patients en fin de vie, disent que cette «liberté individuelle» a de nombreux effets collectifs qui finissent, d'une manière ou d'une autre, par restreindre les demandes d'aide, d'assistance, de soutien et de dialogue. Proposer un «soin euthanasique» atténue la force de résistance des patients, dès lors qu'existe une solution à leurs souffrances, la plus évidente de toutes, une «mort douce» qui arrangerait tout le monde. Nous passons d'un dialogue constructif à une impasse thérapeutique.
Selon plusieurs études menées en Belgique au Centre fédéral d'expertise des soins de santé, 40 % des Belges estiment que pour ne pas alourdir le budget de la sécurité sociale, il ne faut plus administrer de traitements coûteux qui prolongent la vie des personnes âgées de plus de 85 ans. On le voit: l'euthanasie, qui est présentée comme une «liberté individuelle» finit, de fil en aiguille, avec le temps et l'habitude, par devenir une solution économique pour soulager un État-providence qui mutualise toutes les dépenses des plus malades.
Mais bien entendu, il est plus facile de considérer qu'il y a un «complot des curés et des médecins» pour faire souffrir toujours plus, comme ne cesse de le dire M. Romero, qui milite en faveur de l'euthanasie. Il est plus facile de pratiquer une sorte de militance médiatique, avec l'affaire Anne Bert et maintenant l'affaire Anne Ratier, loin des débats contradictoires, de la discussion argumentative.