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Eglise - Page 208

  • Quelle stratégie politique le Vatican poursuit-il avec la visite du pape à Marseille ?

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    Visite du pape à Marseille : quels enjeux géopolitiques ?

    Interview
    25 septembre 2023

    Le Pape François vient de réaliser une visite de deux jours à Marseille, les 22 et 23 septembre, dédiée au sort des migrants. Quelle stratégie politique le Vatican poursuit-il avec cette visite ? La prise de position du Pape s’inscrit-elle dans la tradition de la diplomatie humanitaire du Vatican ? Dans quelle mesure le Vatican est-il un acteur majeur des relations internationale ? Le point de vue de François Mabille, chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux.

    Les Rencontres méditerranéennes auxquelles a participé le Pape François ont été l’occasion d’aborder quatre problématiques : économie et social, environnement, migrations et tensions géopolitico-religieuses. Quelle stratégie politique le Vatican poursuit-il en y ayant fait participer le Pape qui n’était pas venu en France depuis 10 ans ? Quels étaient les enjeux de ces rencontres ?

    Le pape a une stratégie pastorale précise, qui a des implications politiques et géopolitiques. D’une certaine manière, il dit « ma carte n’est pas ‘votre’ territoire ! », autrement dit, je substitue ma perception du monde à vos attentes et à votre carte. Notre carte, c’est celle de l’hexagone ; la sienne, c’est celle de la Méditerranée, symbole selon lui des enjeux de la mondialisation, avec son défi : le dialogue entre les cultures, et ses problèmes économiques et sociaux qui provoquent des replis identitaires. Dès lors, il vient à Marseille qui, par son histoire et sa situation géographique, reflète bien les enjeux du pourtour méditerranéen. Ce faisant, le pape évite des thèmes qui lui auraient été imposés par une visite en France, tant de la part de l’Église catholique en France que par les autorités publiques. On aurait alors évoqué la « fille aînée de l’Église », la laïcité, la crise morale du catholicisme français, etc. Et le pontife romain impose au contraire sa parole souveraine sur les migrants, la défense des plus vulnérables, et celle de la vie sous toutes ses formes, en choisissant de surcroît, à Marseille même, des lieux particuliers. C’est une leçon de géopolitique qui est donnée !

    Alors que l’Europe est divisée sur la question de la crise migratoire, le pape François a consacré une partie de sa visite au sort des migrants et a plus globalement placé la question migratoire au cœur de son pontificat. Avec quels effets ? Cette prise de position s’inscrit-elle dans la tradition de la diplomatie humanitaire du Vatican ?

    Contrairement à ce que l’extrême droite voudrait accréditer, cette thématique est ancienne, tant au niveau du Saint-Siège que de l’Église catholique en France. En 1954, par exemple, trois organisations catholiques, le mouvement Pax Christi, l’Action catholique et le Secours catholique avaient lancé une campagne nationale intitulée « mon frère l’Étranger », qui portait spécifiquement sur les migrants et leur accueil au sein de la société française. Le cas du Secours catholique mérite qu’on s’y attarde, car son responsable était à l’époque Mr Rodhain, son fondateur, qui fut maréchaliste et vichyssois pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui ne l’empêcha pas ultérieurement de travailler pour les migrants, allant même jusqu’à nommer l’une de ses cités d’accueil la cité Myriam par respect des convictions religieuses des personnes accueillies, majoritairement musulmanes. Ce pour rappeler l’une des matrices de l’extrême droite identitaire qui se dit catholique par ailleurs. En 1961, la création du comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) s’inscrit dans un travail des catholiques français qui lient accueil et aide au développement. On retrouverait dans de nombreux autres pays ce type de mobilisation catholique, qui fait de l’Église catholique un acteur important, au niveau international, travaillant sur les migrations. Le pape inscrit son action dans ce sillage, mais il est vrai que sa parole dérange davantage pour plusieurs raisons. D’une part, il projette son regard sur l’Europe – il est latino-américain-, et oblige ainsi les Européens à se décentrer. D’une certaine manière, son regard est celui d’un catholique décolonial, avec également ses propres biais intellectuels. Sa division entre pays opulents et pays pauvres ne rend pas suffisamment compte de la complexité de nos sociétés ; de même, la carte qu’il impose, juste à propos de la Méditerranée, l’est moins quand il s’adresse à l’Europe soumise à des migrations qui proviennent également d’autres régions du monde. Cela étant, pour comprendre l’approche de l’Église catholique, on ne peut s’en tenir à la seule approche pontificale et il faut y associer celle de la Secrétaire d’État et également des Églises locales, réunies à Marseille pour les Rencontres méditerranéennes pour faire droit à une pratique et une pensée catholique plurielle et plus complexe.

    Plus globalement, peut-on dire que le Vatican est devenu un acteur majeur des relations internationales ?

    Le Vatican est indéniablement un acteur des relations internationales, et ce de longue date, mais dont l’importance dépend du type de sujet, de configuration politique et historique. Le pape réussit une médiation entre Cuba et les États-Unis, car le conflit est devenu mineur en période d’après guerre froide et que les acteurs eux-mêmes cherchent une sortie de crise honorable. La parole du pape n’est pas entendue, et même contestée lorsqu’il s’adresse aux Russes et aux Ukrainiens. Concernant les migrants, le porte-parole de l’Office des migrations internationales déclarait il y a quelques mois que la parole du pape à Lampedusa avait été la bienvenue, mais qu’elle n’avait eu aucun effet sur les politiques publiques puisque depuis la dénonciation pontificale, plus de 30.000 personnes ont trouvé la mort en Méditerranée… Voilà qui aide à relativiser l’impact de la mobilisation du pape.

  • Tous les chemins mènent à Rome : deux évêques chinois "officiels" participeront au Synode catholique

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    De Massimo Introvigne sur Bitter Winter :

    Tous les chemins mènent à Rome : Deux évêques chinois "officiels" participeront au Synode catholique

    25/09/2023

    C'est par un chemin tortueux que les évêques Yang Yongqiang, de Zhouchun, et Yao Shun, de Jining, ont été inclus dans la (deuxième) liste des membres du Synode.

    À partir du 4 octobre, l'Église catholique célébrera ce que beaucoup considèrent comme le plus important Synode des évêques de son histoire, au cours duquel des prélats du monde entier discuteront de la nature synodale de l'Église et des relations entre les Églises locales et le Vatican.

    Alors que deux délégués chinois avaient participé au précédent synode en 2018, aucun évêque de Chine continentale ne figurait sur la liste des participants publiée début juillet. Cependant, quelques jours avant l'ouverture du Synode, une deuxième liste a été publiée. Cette fois, elle inclut les évêques Yang Yongqiang de Zhouchun, Shandong, et Yao Shun de Jining, Mongolie intérieure.

    Tous deux sont des évêques "patriotiques" loyaux. Yao était le directeur spirituel du séminaire national de l'Église catholique patriotique contrôlée par le gouvernement lorsque celle-ci était clairement séparée du Vatican, dans les années 1990, et était alors largement considéré comme le membre clé de la commission liturgique de l'Église patriotique. En 2019, il est devenu le premier évêque ordonné après l'accord conclu entre le Vatican et la Chine en 2018. Au moment de la signature de cet accord, Mgr Yang était vice-président de l'Association catholique patriotique chinoise depuis 2016, après avoir occupé des postes de direction au sein de l'Église patriotique au niveau provincial.

    Par ailleurs, il faut reconnaître que le choix de Yang et Yao, émanant probablement du PCC, qui autorise de tels voyages, est quelque peu conciliant à l'égard du Vatican. Leurs nominations épiscopales avaient été parmi celles approuvées secrètement par Rome sous le pape Benoît XVI, en 2010. Bien qu'il ne s'agisse en aucun cas d'un dissident, M. Yao s'est vu refuser l'autorisation de visiter la Mongolie indépendante depuis la Mongolie intérieure chinoise lors du récent voyage du pape en République mongole.

    Pourquoi les évêques de Chine continentale ont-ils été inclus dans la deuxième liste des participants au synode en septembre, mais pas dans la première en juillet ? La réponse est que le PCC, en violation de l'accord conclu entre le Vatican et la Chine en 2018, avait installé Mgr Shen Bin, jusqu'alors évêque de Haimen, comme nouvel évêque de Shanghai sans l'approbation de Rome. Le Vatican avait protesté, ce qui a probablement conduit le PCC à refuser l'autorisation à tout évêque chinois de se rendre à Rome pour le synode. Ce n'est qu'après que le pape François a accepté la nomination de Shen Bin à Shanghai que le PCC a changé d'avis et a autorisé la participation de deux évêques au synode, en choisissant deux évêques qui ne devraient pas faire sourciller Rome - ou moins que d'autres.

    Comme d'habitude, c'est le jeu de la carotte et du bâton. Ceux qui apprécient la carotte devraient considérer que le bâton n'est jamais loin.

  • Pouvoir au peuple ou autoritarisme pontifical ? Les contradictions du pape François

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    Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso (traduction de diakonos.be) :

    Pouvoir au peuple ou monarchie absolue ? Les contradictions du Pape François

    Il se passe beaucoup de choses contradictoires dans l’Église catholique. D’un côté on acclame un Synode sur la synodalité qui étend la participation au gouvernement de l’Église bien au-delà du pape et des évêques, même à des prêtres, à des religieux et à des laïcs, hommes et femmes. Mais d’un autre, on assiste de la part de François à un exercice des pouvoirs pontificaux autoritaire et monocratique comme jamais.

    Avec une nouveauté impromptue de plus, énoncée le 11 septembre par le nouveau préfet du Dicastère pour la Doctrine de la foi, l’Argentin Victor Manuel Fernández, qui dans une réponse écrite aux questions d’Edward Pentin pour le « National Catholic Register » a assigné à François « un charisme particulier pour la sauvegarde du dépôt de la foi, un charisme unique, que le Seigneur n’a donné qu’à Pierre et à ses successeurs », mais dont personne n’avait jamais entendu parler jusqu’à aujourd’hui.

    D’après Fernández, il s’agit d’un « don vivant et actif qui est à l’œuvre dans la personne du Saint-Père. Moi je n’ai pas ce charisme, vous ne l’avez pas, pas plus que le cardinal Burke ne l’a. Aujourd’hui, il n’y a que le Pape François qui l’ait. Donc, si vous me dites qu’un évêque a un don spécial de l’Esprit Saint pour juger la doctrine du Saint-Père, on entre dans un cercle vicieux (dans lequel chacun peut prétendre posséder la vraie doctrine) et ce serait une hérésie et un schisme. Rappelez-vous que les hérétiques pensent toujours connaître la vraie doctrine de l’Église. Malheureusement, aujourd’hui ce sont non seulement certains progressistes mais également, paradoxalement, certains traditionalistes qui tombent dans cette erreur ».

    Il est difficile d’imaginer une extension plus démesurée de l’infaillibilité du pape en matière de foi, une infaillibilité certes affirmée par le Concile Vatican I mais dans des limites extrêmement strictes. Et en effet, le nouveau dogme qui vient d’être promulgué par Fernández a immédiatement attiré le feu nourri des critiques.

    La plus argumentée et le plus cinglante est issue du camp conservateur, sur le blog « Caminante Wanderer », sous la plume d’un spécialiste argentin érudit et anonyme.

    Mais dans le camp opposé, celui des progressistes, le très singulier « charisme » dont, aux dires de Fernández, seul François serait doté, a été recalé sans appel, justement parce qu’il est incompatible avec les limites de l’infaillibilité pontificale réaffirmée par le Concile Vatican II dans la constitution dogmatique « Lumen gentium ». Massimo Faggioli, professeur de théologie à la Villanova University, a d’ailleurs publié un article sur le sujet dans le journal « Commonweal ».

    Mais ce qui reste encore plus incompréhensible, c’est la contradiction entre les pouvoirs monocratiques sans limite dont François se considère toujours plus investi d’en haut par la voix de son théologien de cour, et dans le même temps la « démocratisation » de l’Église qu’il veut mettre en place avec la nouvelle synodalité.

    Et même sur cette nouvelle forme de Synode, on a assisté à un changement de rythme au cours de son pontificat.

    Pour en revenir au Concile Vatican II, dans « Lumen gentium », la constitution dogmatique de Vatican II expressément consacrée à l’Église, on ne retrouve le mot « Synode » qu’une seule fois et il est synonyme du mot « Concile », qui réunit exclusivement le pape et les évêques.

    Tandis que dans les rares documents pontificaux des décennies suivantes dans lesquelles le mot « synode » apparaît, il se réfère à la manière dont il est pratiqué dans les Églises orthodoxes, c’est-à-dire au collège des évêques réuni avec leur patriarche ou archevêque majeur pour exercer l’autorité hiérarchique sur leur Église respective.

    Peter Anderson, le chercheur de Seattle qui est un observateur attentif de ce qui se passe dans les Église d’Orient et qui publie sur le sujet les articles de fond les plus pertinents et documentés, a confirmé qu’entre le Concile et l’année 2013, on ne retrouve que douze récurrences du mot « synodalité » : six avec Jean-Paul II, deux avec Benoît XVI et quatre avec François.

    On peut déduire de cela que jusqu’à la première année après son élection comme Pape, François n’avait aucune intention, à tout le moins dans ses écrits publics, d’aller vers une « démocratisation » des synodes.

    La première fois où il a parlé de « synodalité », c’était le 28 juin 2013, en s’adressant à la délégation du patriarcat œcuménique de Constantinople. Et il a fait référence à la « réflexion de l’Église catholique sur la collégialité épiscopale », pour laquelle c’était une bonne chose d’« apprendre » de la « tradition de la synodalité si caractéristique des Églises orthodoxes ».

    La seconde fois, c’était dans l’homélie du lendemain, fête des saints Pierre et Paul, pour souhaiter l’« harmonie » entre le Synode des évêques et le primat du pape.

    La troisième fois, c’était dans l’interview de septembre 2013 avec le directeur de « La Civiltà Cattolica », Antonio Spadaro. C’est là que pour la première fois il a fait allusion à l’idée que « peut-être était-il temps de modifier la méthodologie du Synode, parce l’actuelle me semble statique ». Avant de répéter tout de suite que c’est « de nos frères orthodoxes » que « l’on peut apprendre le plus sur le sens de la collégialité épiscopale et sur la tradition de la synodalité ».

    La quatrième fois, c’était dans l’exhortation apostolique « Evangelii gaudium » du 24 novembre 2013, le document programme de son pontificat, où il se limite pourtant à affirmer de nouveau que « dans le dialogue avec les frères orthodoxes, nous les catholiques, nous avons la possibilité d’apprendre quelque chose de plus sur le sens de la collégialité épiscopale et sur l’expérience de la synodalité. »

    Mais ce n’était alors que le début. Au cours des années suivantes, François est allé crescendo dans les annonces et les décisions qui ont mené à la mutation actuelle de la forme du Synode, désormais à tel point éloigné du modèle pluriséculaire toujours en vigueur dans les Églises d’Orient qu’il a suscité, de leur part, la protestation relayée dans le dernier article de Settimo Cielo :

    > Le synode du Pape François n’a rien appris des synodes des Églises orientales. Les objections d’un évêque grec catholique

    En donnant le pouvoir au « peuple de Dieu », c’est-à-dire en élargissant la participation aux synodes, avec droit de vote, aux simples baptisés, François a certainement réalisé une innovation de grande ampleur.

    Mais encore une fois, en totale contradiction. Parce que ce n’est pas un synode qui a décidé de ce changement, comme le voudrait la nouvelle politique « populaire », mais c’est lui, le pape, qui a décidé tout seul.

  • Le patriarche des Chaldéens dénonce le silence de Rome face à la situation de l'Eglise en Irak

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    D'Asia News via Riposte catholique :

    Irak : le patriarche Sako dénonce le silence du Pape et du Vatican

  • La star brésilienne du football Ronaldo a été baptisé à l'âge de 46 ans

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    De kath.net/news :

    La star brésilienne du football Ronaldo a été baptisée à l'âge de 46 ans.

    24 septembre 2023

    L’ancienne star du football brésilien a écrit sur Instagram que le sacrement du baptême lui faisait se sentir renaître en tant qu’enfant de Dieu.

    L'ancienne star du football brésilien Ronaldo (nom complet Ronaldo Luis Nazario de Lima) a été baptisé à l'âge de 46 ans. Il a partagé quelques photos de son acceptation dans l'Église catholique sur Instagram.

    Il a littéralement écrit : « Aujourd’hui est un jour très spécial. J'ai été baptisé ! La foi chrétienne a toujours été une partie fondamentale de ma vie depuis que je suis enfant, même si je n'étais pas encore baptisé. Grâce à la Sainte-Cène, je me sens vraiment renaître en tant qu’enfant de Dieu – d’une manière nouvelle, plus consciente et plus profonde.

    Il renouvelle son engagement à « parcourir le chemin du bien, de sa propre volonté, dans la foi en l'amour de Jésus, dans l'amour de la solidarité ». Enfin, Ronaldo a remercié deux prêtres et ses deux parrains.

    La vie de Ronaldo n’a pas seulement été façonnée par son talent de footballeur et les succès sportifs et économiques qui y sont associés. Il souffrait de divers problèmes relationnels et souffrait d’hypothyroïdie. Cela a mis fin à sa carrière de footballeur et a donné lieu à plusieurs reprises à des commentaires moqueurs sur sa prise de poids inévitable.

    Ronaldo a remporté la Coupe du monde avec l'équipe nationale brésilienne en 1994 et 2002. En 1997, il remporte la Coupe des vainqueurs de coupe européenne avec le FC Barcelone et en 1998, la Coupe UEFA avec l'Inter Milan. Aujourd'hui, il est propriétaire et président du club de football espagnol Real Valladolid.

  • Le Pape François ou l'imprévisibilité comme critère

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    D'Andrea Gagliarducci sur Monday Vatican :

    Pape François, l'imprévisibilité comme critère

    25 septembre 2023

    La plus grande erreur commise dans l'interprétation du Pape François est probablement de chercher un critère standard pour ses décisions. Car, si l'on regarde les faits, le seul critère du Pape François est la réalisation des objectifs à court terme qu'il se fixe. Il n'y a pas de critère à long terme, ni de modus operandi défini. Il n'y a pas de véritable idée de contrôle. Il y a un plan, un désir d'amener l'Église à changer de mentalité, à être un "hôpital de campagne" et une Église tournée vers l'extérieur. Il n'y a pas d'idée maîtresse derrière ce plan.

    Le pape François est difficile à comprendre simplement parce qu'il ne peut pas être placé dans les catégories du passé, mais aussi parce qu'il n'y aura guère de manières d'agir similaires à l'avenir. Les dernières décisions du pape François, ainsi que les choses que l'on pensait qu'il avait faites et qu'il n'a toujours pas faites, semblent confirmer cette image.

    La dernière nomination surprenante du pape François est celle du cardinal Americo Aguiar en tant qu'évêque de Setubal. Aguiar était un auxiliaire de Lisbonne, et l'annonce de sa création en tant que cardinal est intervenue avant la démission pour limite d'âge du cardinal patriarche de Lisbonne Clemente. Le pape François a appelé l'ordinaire militaire Rui Manuel Sousa Valerio à succéder à Clemente à Lisbonne. Une situation similaire à celle du Salvador pourrait se produire, où l'auxiliaire, Gregorio Rosa Chavez, était cardinal et l'ordinaire ne l'était pas. Le pape François aurait pu appeler Aguiar à Rome, au Dicastère des laïcs, de la famille et de la vie, et limoger le cardinal Kevin Farrell, qui achève cette année les cinq premières années de son mandat.

    Le pape a préféré envoyer Aguiar à Setubal, un jeune diocèse (fondé en 1975) qui n'a jamais été gouverné par un cardinal. Un choix qui témoigne de la volonté du pape de rompre avec toute logique antérieure concernant les créations cardinalices : le titre cardinalice reste sans rapport avec le rôle pastoral, et le pape François n'a pas de diocèses de classe A ou B. Le pape ne considère pas qu'un cardinal soit la voix du pape dans la nation - c'est pour cette raison que les archevêques des diocèses les plus importants ont souvent été créés cardinaux. Le pape semble considérer le cardinal comme son conseiller, ce qui n'a rien à voir avec le titre ou le rôle de cardinal et donc avec son impact institutionnel.

    Le même jour que la nomination d'Aguair à Setubal, le pape François avait choisi un nouvel évêque pour un diocèse du sud de l'Italie, Oppido Mamertina-Palmi. Le choix ne s'est pas porté sur un évêque de la région, ni d'ailleurs d'une région voisine, mais sur un prêtre du nord de l'Italie, issu d'un contexte culturel complètement différent, mais qui a le mérite d'avoir été missionnaire fidei donum en Équateur pendant un certain temps.

    Ce n'est pas la première nomination de ce type que le pape François effectue. Il suffit de rappeler que pour le diocèse de Rome, il a choisi Baldassarre Reina, originaire de Sicile, comme auxiliaire et vice-gérant, et Michele Di Tolve, originaire de Milan, comme auxiliaire et recteur du Séminaire. La réalité romaine est représentée par le cardinal Angelo de Donatis, vicaire du pape et de plus en plus à l'écart de tout processus décisionnel.

    La semaine précédente, le pape François avait vu l'archevêque franciscain José Rodriguez Carballo achever son second mandat de cinq ans en tant que secrétaire du Dicastère pour les congrégations religieuses, et l'avait choisi comme archevêque coadjuteur de l'archidiocèse de Mérida-Badajoz en Espagne. La décision du Pape est apparue comme une défenestration. En effet, le pape François n'a pas hésité à remplacer qui il voulait à l'expiration de leur mandat de cinq ou dix ans, comme ce fut le cas avec le cardinal Gerhard Müller, mais aussi avec son secrétaire Yoannis Gaid. Dans certains cas, la norme du mandat de cinq ans a plutôt été utilisée comme une porte de sortie pour éviter les controverses, comme ce fut le cas pour le cardinal George Pell lorsqu'il a quitté le Conseil des cardinaux.

    Ces exemples montrent qu'il n'y a pas eu de ligne cohérente dans la gestion de la question des mandats et des nominations papales. Cependant, l'envoi de Mgr Carballo en Espagne peut également signifier le désir du pape d'avoir l'un de ses plus fidèles au sein de la Conférence épiscopale espagnole dans un moment de transition et alors que de nouveaux évêques prennent leurs fonctions. En définitive, Mgr Carballo est celui qui a constamment appliqué la volonté papale, même lorsqu'il s'agissait d'appliquer une ligne dure à l'égard de certaines congrégations.

    Enfin, le père Antonio Spadaro est nommé sous-secrétaire du dicastère de la culture et de l'éducation, une nomination qui a fait l'objet de nombreuses spéculations. En fin de compte, l'explication semble simple : après 12 ans, les Jésuites ont décidé de donner une nouvelle orientation à la Civiltà Cattolica. Le Père Spadaro, qui ces dernières années a été reconnu comme l'un des principaux interprètes de la pensée du Pape, a donc été coopté au Vatican, appelé à y apporter l'expérience de ces années.

    Le problème est que chaque décision donne lieu à mille spéculations, et toutes ne sont pas correctes. Il est extrêmement difficile de lire dans l'esprit du pape François. Mais s'il n'y a pas de modus operandi, quel est le plan du pape François ?

    Comme nous l'avons dit, le pape semble penser en termes d'objectifs à court terme, ce qui lui permet de prendre une décision puis de changer complètement d'approche. Cela s'est également produit dans plusieurs cas. Par exemple, le pape a d'abord défendu l'épiscopat chilien sur la question des abus au Chili. Ensuite, il a convoqué les évêques chiliens à deux reprises, ce qui a entraîné la démission en bloc de l'épiscopat chilien. Ou encore, concernant le responsum de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui niait la possibilité de bénir les couples homosexuels, le pape l'a d'abord approuvé, puis a laissé entendre qu'il aurait préféré une approche plus douce.

    C'est l'idée de ce que l'on appelle la réforme en cours. L'objectif du pape n'est pas de changer la doctrine de manière formelle. En effet, la formalité ne fait pas partie du bagage culturel du pape François. Les documents les plus utilisés pour prendre des décisions sont les motu proprio, les plus populaires pour envoyer des messages sont les exhortations apostoliques, et les plus utilisés pour des décisions rapides sont les rescrits.

    Le pape François écoute tout le monde, mais il n'y a pas de synodalité d'écoute dans sa prise de décision. Souvent, ses décisions sont dictées par l'instinct ; elles proviennent d'une conversation, mais souvent pas d'une pesée de tous les points de vue.

    Cette situation peut être contre-productive. Les réformes restent au point mort jusqu'à ce que le pape prenne une décision, car il est difficile et risqué d'agir de manière indépendante. Il y a peu d'esprit d'initiative au Vatican, ce qui nuit à la vitalité de l'institution. Il y a aussi de la suspicion parce que le pape François compare souvent deux situations, utilise des canaux parallèles et met en concurrence différents interlocuteurs.

    Bien qu'elle ait un certain sens, elle conduit certainement à un paysage imprévisible. Ceux qui manœuvrent dans les coulisses en profitent et n'ont aucun scrupule. Un jour, quand l'histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi le pape a voulu la procédure judiciaire en cours au Vatican sur la gestion des fonds de la Secrétairerie d'État, au sujet de laquelle de nombreuses contradictions sont déjà apparues. Un jour, quand l'histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi, dans l'affaire Rupnik, il n'y a pas eu de coordination entre les Jésuites, le vicariat et le Dicastère pour la doctrine de la foi dans la gestion non seulement de l'affaire mais aussi de la communication de l'affaire. Et un jour, quand l'histoire sera écrite, nous comprendrons pourquoi, malgré les avertissements du Pape lui-même, le Synode de l'Eglise en Allemagne avance sans changer une virgule, en visant directement son objectif.

    Le pape François, cependant, suivra les situations au cas par cas, selon la logique du discernement, qu'il demande d'appliquer également dans la confession. Dans la confession, cependant, il s'agit de faire face à des personnes en chair et en os, souvent désorientées, qui veulent prendre un nouveau départ et laisser derrière elles leurs erreurs. Au contraire, lorsqu'il s'agit de gouverner, le principe de réalité appliqué alternativement risque de ne créer que de la confusion.

    Beaucoup parlent d'une phase finale du pontificat, qui peut durer des années. Dans cette phase finale, le pape François accélère les réformes et la construction d'une équipe de fidèles. L'arrivée de Victor Fernandez à Rome comme préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi en est un exemple. Le pape François a besoin que ses réformes soient protégées, soutenues et expliquées. Le projet du pape semble cependant être de rompre avec le passé, en imposant un nouveau modèle d'Église moins institutionnelle, plus proche des gens, et surtout, avec un leader aimé. L'idée de changer le récit est née lors du conclave qui l'a élu. Mais le changement de récit suffira-t-il à aider l'Église à se réformer ? Que restera-t-il, au final, de ce pontificat quelque peu imprévisible ?

  • « On ne joue pas avec la vie » (pape François)

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    Du site de Famille Chrétienne :

    Euthanasie : « On ne joue pas avec la vie », assure le pape au sujet du projet de loi français

    23/09/2023

    Après sa visite à Marseille, dans l'avion qui le ramenait à Rome dans la soirée du samedi 23 septembre, le pape François a exprimé son opposition au futur projet de loi sur la fin de vie en France, mais aussi une nouvelle fois sa condamnation de l'avortement. « On ne joue pas avec la vie », a martelé le pape à de nombreuses reprises en répondant aux questions des journalistes qui l'accompagnaient.

    A la question de savoir s'il avait, lors de son entretien à Marseille avec le président français le matin même, évoqué le projet de loi en préparation sur la fin de vie - et retardé en raison de son voyage -, le pape a assuré ne pas avoir abordé la question avec Emmanuel Macron. Mais il a aussitôt expliqué avoir déjà « clairement » fait part de son avis au chef de l'Etat français lors de leur dernière rencontre au Vatican, en octobre 2022.

    « On efface la vie des grands-parents, ils sont vieux, ils ne servent à rien ! »

    « Quand il est venu au Vatican, a ainsi précisé le pape, je lui ai dit mon avis, clairement : avec la vie on ne joue pas, ni au début, ni à la fin, on ne joue pas ! » Mon avis, a-t-il insisté, « c'est qu'il faut protéger la vie ». Il a encore fustigé la soi-disante « euthanasie humaniste », « la mort douce » ou « la sélection avant la naissance », avant d'attirer l'attention sur « les colonisations idéologiques qui vont à l'encontre de la vie humaine ».

    Et le pape d'ajouter : « Je ne dis pas que c'est une question de foi, mais c'est une question humaine, il s'agit d'une mauvaise compassion ». « On efface la vie des grands-parents, ils sont vieux, ils ne servent à rien ! », a encore déploré le pape. « On ne joue pas avec la vie ! », a répété le pape, que ce soit à propos de la loi qui ne laisse pas grandir l'enfant dans le ventre de la mère, ou la loi sur l'euthanasie pour les maladies ou la vieillesse”.

    « Il y a une conscience du phénomène migratoire »

    Lors de cette brève rencontre avec les journalistes, le pape François a aussi été interrogé sur « l'échec » perceptible de ses innombrables appels sur le sort des migrants. « Je ne crois pas [que cela soit un échec, ndlr], cela a grandi lentement », a rétorqué le pape, « aujourd'hui il y a une conscience du phénomène migratoire ». Le pape François a par ailleurs reconnu pouvoir ressentir des frustrations dans l’action diplomatique du Saint-Siège face au conflit russo-ukrainien, mais a une nouvelle fois soutenu le travail de la secrétairerie d’État. « Il y a quelque chose avec les enfants qui avance bien », a-t-il annoncé, sans rentrer dans les détails, à propos des enfants ukrainiens qui se trouvent actuellement en Russie et que le Saint-Siège tente de rapatrier dans leurs familles.

  • Pour que la Méditerranée redevienne un laboratoire de paix

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    VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS à MARSEILLE pour la conclusions des Rencontres Méditerranéennes
    [22 - 23 SEPTEMBRE 2023]

    SESSION CONCLUSIVE DES RENCONTRES MÉDITERRANÉENNES

    DISCOURS DU SAINT-PÈRE

    Palais du Pharo, Marseille
    Samedi 23 septembre 2023

    source

    ________________________________________

    Monsieur le Président de la République,

    chers frères Évêques,
    Mesdames et Messieurs les Maires et Autorités représentant les villes et territoires bordés par la Méditerranée,
    Vous tous chers amis !

    Je vous salue cordialement et vous suis, à chacun, reconnaissant d'avoir accepté l'invitation du cardinal Aveline à participer à ces rencontres. Je vous remercie pour votre travail et pour les réflexions précieuses que vous avez partagées. Après Bari et Florence, le chemin au service des peuples méditerranéens se poursuit : les responsables ecclésiastiques et civils sont encore ici réunis, non pas pour traiter d’intérêts mutuels, mais animés par le désir de s’occuper de l'homme ; merci de le faire avec les jeunes qui sont le présent et l'avenir de l'Église comme de la société.

    La ville de Marseille est très ancienne. Fondée par des navigateurs grecs venus d'Asie Mineure, le mythe la fait remonter à une histoire d'amour entre un marin émigré et une princesse locale. Elle présente dès ses origines un caractère composite et cosmopolite : elle accueille les richesses de la mer et donne une patrie à ceux qui n'en ont plus. Marseille nous dit que, malgré les difficultés, la convivialité est possible et qu’elle est source de joie. Sur la carte, entre Nice et Montpellier, elle semble presque dessiner un sourire ; et j'aime à la considérer ainsi : Marseille est "le sourire de la Méditerranée". Je voudrais donc vous proposer quelques réflexions autour de trois réalités qui caractérisent Marseille : la mer, le port et le phare. Ce sont trois symboles.

    1. La mer. Une marée de peuples a fait de cette ville une mosaïque d'espérance, avec sa grande tradition multiethnique et multiculturelle, représentée par plus de 60 consulats présents sur son territoire. Marseille est une ville à la fois plurielle et singulière, car c'est sa pluralité, fruit de sa rencontre avec le monde, qui rend son histoire singulière. On entend souvent dire aujourd'hui que l'histoire de la Méditerranée est un entrelacement de conflits entre différentes civilisations, religions et visions. Nous n’ignorons pas les problèmes – il y en a - mais ne nous y trompons pas : les échanges entre peuples ont fait de la Méditerranée un berceau de civilisations, une mer qui regorge de trésors, au point que, comme l'écrivait un grand historien français, elle n'est pas « un paysage, mais d'innombrables paysages. Ce n'est pas une mer, mais une succession de mers » ; « depuis des millénaires, tout s'y est engouffré, compliquant et enrichissant son histoire » (F. Braudel, La Méditerranée, Paris 1985, p. 16). La mare nostrum est un espace de rencontres : entre les religions abrahamiques, entre les pensées grecque, latine et arabe, entre la science, la philosophie et le droit, et entre bien d'autres réalités. Elle a diffusé dans le monde la haute valeur de l'être humain, doté de liberté, ouvert à la vérité et en mal de salut, qui voit le monde comme une merveille à découvrir et un jardin à habiter, sous le signe d'un Dieu qui fait alliance avec les hommes.

    Un grand Maire voyait dans la Méditerranée non pas une question conflictuelle, mais une réponse de paix, mieux encore, « le commencement et le fondement de la paix entre toutes les nations du monde » (G. La Pira, Paroles en conclusion du premier Colloque Méditerranéen, 6 octobre 1958). Il disait en effet : « La réponse [...] est possible si l'on considère la vocation historique commune et pour ainsi dire permanente que la Providence a assignée dans le passé, assigne dans le présent et, en un certain sens, assignera dans l'avenir aux peuples et aux nations qui vivent sur les rives de ce mystérieux lac de Tibériade élargi qu'est la Méditerranée » (Discours d'ouverture du 1er Colloque méditerranéen, 3 octobre 1958). Lac de Tibériade, ou Mer de Galilée : un lieu, c’est-à-dire, où se concentrait à l'époque du Christ une grande variété de peuples, de cultes et de traditions. C'est là, dans la « Galilée des nations » (cf. Mt 4, 15), traversée par la Route de la Mer, que se déroula la plus grande partie de la vie publique de Jésus. Un contexte multiforme et, à bien des égards, instable, fut le lieu de la proclamation universelle des Béatitudes, au nom d'un Dieu Père de tous, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45). C'était aussi une invitation à élargir les frontières du cœur, en dépassant les barrières ethniques et culturelles. Voici donc la réponse qui vient de la Méditerranée : cette mer pérenne de Galilée invite à opposer la « convivialité des différences » à la division des conflits (T. Bello, Benedette inquietudini, Milano 2001, p. 73). La mare nostrum, au carrefour du Nord et du Sud, de l'Est et de l'Ouest, concentre les défis du monde entier comme en témoignent ses "cinq rives" sur lesquelles vous avez réfléchi : l'Afrique du Nord, le Proche-Orient, la mer Noire-Égée, les Balkans et l'Europe latine. Elle est à l’avant-poste de défis qui concernent tout le monde : nous pensons au défi climatique, la Méditerranée représentant un hotspot où les changements se font sentir plus rapidement. Comme il est important de sauvegarder le maquis méditerranéen, écrin unique de biodiversité ! Bref, cette mer, environnement qui offre une approche unique de la complexité, est un "miroir du monde", et elle porte en elle une vocation mondiale à la fraternité, vocation unique et unique voie pour prévenir et surmonter les conflits.

    Frères et sœurs, sur la mer actuelle des conflits, nous sommes ici pour valoriser la contribution de la Méditerranée, afin qu'elle redevienne un laboratoire de paix. Car telle est sa vocation : être un lieu où des pays et des réalités différentes se rencontrent sur la base de l'humanité que nous partageons tous, et non d'idéologies qui opposent. Oui, la Méditerranée exprime une pensée qui n'est pas uniforme ni idéologique, mais polyédrique et adhérente à la réalité ; une pensée vitale, ouverte et conciliante : une pensée communautaire, c'est le mot. Comme nous avons besoin de cela dans les circonstances actuelles où des nationalismes archaïques et belliqueux veulent faire disparaître le rêve de la communauté des nations ! Mais - rappelons-le - avec les armes on fait la guerre, pas la paix, et avec l'avidité du pouvoir on retourne toujours au passé, on ne construit pas l'avenir.

    Par où commencer alors pour enraciner la paix ? Sur les rives de la Mer de Galilée, Jésus commença par donner de l’espérance aux pauvres, en les proclamant bienheureux : il écouta leurs besoins, il soigna leurs blessures, il leur annonça avant tout la bonne nouvelle du Royaume. C'est de là qu’il faut repartir, du cri souvent silencieux des derniers, et non des premiers de la classe qui élèvent la voix même s'ils sont bien lotis. Repartons, Église et communauté civile, de l'écoute des pauvres qui sont à « s'embrasser, et non pas à compter » (P. Mazzolari, La parola ai poveri, Bologne 2016, p. 39), car ils sont des visages et non des numéros. Le changement de rythme de nos communautés consiste à les traiter comme des frères dont nous devons connaître l'histoire, et non comme des problèmes gênants, en les expulsant, en les renvoyant chez eux ; il consiste à les accueillir, et non les cacher ; à les intégrer, et non s’en débarrasser ; à leur donner de la dignité. Et Marseille, je veux le répéter, est la capitale de l'intégration des peuples. C'est votre fierté ! Aujourd'hui, la mer de la coexistence humaine est polluée par la précarité qui blesse même la splendide Marseille. Et là où il y a précarité il y a criminalité : là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est déblayé. L'engagement des seules institutions ne suffit pas, il faut un sursaut de conscience pour dire "non" à l'illégalité et "oui" à la solidarité, ce qui n'est pas une goutte d'eau dans la mer, mais l'élément indispensable pour en purifier les eaux.

    En effet, le véritable mal social n'est pas tant l'augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge. Qui aujourd'hui est proche des jeunes livrés à eux-mêmes, proies faciles de la délinquance et de la prostitution ? Qui les prend en charge ? Qui est proche des personnes asservies par un travail qui devrait les rendre plus libres ? Qui s'occupe des familles effrayées, qui ont peur de l'avenir et de mettre au monde de nouvelles créatures ? Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d'être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d'une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? Qui pense aux enfants à naître, rejetés au nom d'un faux droit au progrès, qui est au contraire une régression de l'individu ? Aujourd'hui, nous avons le drame de confondre les enfants avec les petits chiens. Mon secrétaire me disait qu'en passant par la place Saint-Pierre, il avait vu des femmes qui portaient des enfants dans des poussettes... mais ce n'étaient pas des enfants, c'étaient des petits chiens ! Cette confusion nous dit quelque chose de mauvais. Qui regarde avec compassion au-delà de ses frontières pour entendre les cris de douleur qui montent d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient ? Combien de personnes vivent plongées dans les violences et souffrent de situations d'injustice et de persécution ! Et je pense à tant de chrétiens, souvent contraints de quitter leur terre ou d'y vivre sans que leurs droits soient reconnus, sans qu'ils jouissent d’une citoyenneté à part entière. S'il vous plaît, engageons-nous pour que ceux qui font partie de la société puissent en devenir les citoyens de plein droit. Et puis il y a un cri de douleur qui résonne plus que tout autre, et qui transforme la mare nostrum en mare mortuum, la Méditerranée, berceau de la civilisation en tombeau de la dignité. C'est le cri étouffé des frères et sœurs migrants, auxquels je voudrais consacrer mon attention en réfléchissant sur la deuxième image que nous offre Marseille, celle de son port.

    2. Le port de Marseille est depuis des siècles une porte grand-ouverte sur la mer, sur la France et sur l'Europe. C'est d'ici que beaucoup sont partis chercher du travail et un avenir à l'étranger, c'est d'ici que beaucoup ont franchi la porte du continent avec des bagages chargés d'espérance. Marseille a un grand port et elle est une grande porte qui ne peut être fermée. Plusieurs ports méditerranéens, en revanche, se sont fermés. Et deux mots ont résonné, alimentant la peur des gens : "invasion" et "urgence". Et on ferme les ports. Mais ceux qui risquent leur vie en mer n'envahissent pas, ils cherchent hospitalité, ils cherchent la vie. Quant à l'urgence, le phénomène migratoire n'est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives. Je regarde, ici, sur cette carte, les ports privilégiés pour les migrants : Chypre, la Grèce, Malte, l'Italie et l'Espagne... Ils font face à la Méditerranée et accueillent les migrants. La mare nostrum crie justice, avec ses rivages où, d’un côté, règnent l'opulence, le consumérisme et le gaspillage et, de l’autre, la pauvreté et la précarité. Là encore, la Méditerranée est un reflet du monde : le Sud qui se tourne vers le Nord, avec beaucoup de pays en développement, en proie à l'instabilité, aux régimes, aux guerres et à la désertification, qui regardent les plus aisés, dans un monde globalisé où nous sommes tous connectés mais où les fossés n'ont jamais été aussi profonds. Pourtant, cette situation n'est pas nouvelle de ces dernières années, et ce n'est pas ce Pape venu de l'autre bout du monde à avoir le premier à l'alerté, avec urgence et préoccupation. Cela fait plus de cinquante ans que l'Église en parle de manière pressante.

    Le concile Vatican II venait de se conclure lorsque saint Paul VI, dans l’encyclique Populorum progressio, écrivait : « Les peuples de la faim interpellent aujourd'hui de façon dramatique les peuples de l'opulence. L’Église tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère » (n. 3). Le Pape Montini énuméra "trois devoirs" des nations les plus développées, « enracinés dans la fraternité humaine et surnaturelle » : « devoir de solidarité, c’est à dire l’aide que les nations riches doivent apporter aux pays en voie de développement ; devoir de justice sociale, c’est-à-dire le redressement des relations commerciales défectueuses entre peuples forts et peuples faibles ; devoir de charité universelle, c’est-à-dire la promotion d’un monde plus humain pour tous, où tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres » (n. 44). À la lumière de l’Évangile et de ces considérations, Paul VI, en 1967, soulignait le « devoir de l’accueil », sur lequel il écrivait : « nous ne saurions trop insister » (n. 67). Pie XII avait encouragé à cela quinze années auparavant en écrivant que : « La famille de Nazareth en exile, Jésus, Marie et Joseph émigrés en Egypte […] sont le modèle, l’exemple et le soutien de tous les émigrés et pèlerins de tous les temps et de tous les pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, poussés par la persécution ou par le besoin, se voient contraints d’abandonner leur patrie, les personnes qui leurs sont chères, […] et se rendre en terre étrangère » (Const. ap. Exsul Familia de spirituali emigrantium cura, 1er août 1952).

    Certes, les difficultés d’accueil sont sous les yeux de tous. Les migrants doivent être accueillis, protégés ou accompagnés, promus et intégrés. Dans le cas contraire, le migrant se retrouve dans l'orbite de la société. Accueillis, accompagnés, promus et intégrés : tel est le style. Il est vrai qu'il n'est pas facile d'avoir ce style ou d'intégrer des personnes non attendues. Cependant le critère principal ne peut être le maintien de leur bien-être, mais la sauvegarde de la dignité humaine. Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons. La Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié sera célébrée demain. Laissons-nous toucher par l’histoire de tant de nos frères et sœurs en difficulté qui ont le droit tant d’émigrer que de ne pas émigrer, et ne nous enfermons pas dans l’indifférence. L’histoire nous interpelle à un sursaut de conscience pour prévenir le naufrage de civilisation. L’avenir, en effet, ne sera pas dans la fermeture qui est un retour au passé, une inversion de marche sur le chemin de l’histoire. Contre le terrible fléau de l’exploitation des êtres humains, la solution n’est pas de rejeter, mais d’assurer, selon les possibilités de chacun, un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen, dans le cadre d’une collaboration avec les pays d’origine. Dire "assez" c’est au contraire fermer les yeux ; tenter maintenant de "se sauver" se transformera demain en tragédie. Alors que les générations futures nous remercieront pour avoir su créer les conditions d’une intégration indispensable, elles nous accuseront pour n’avoir favorisé que des assimilations stériles. L’intégration, même des migrants, est difficile, mais clairvoyante : elle prépare l’avenir qui, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas ; l’assimilation, qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, fait prévaloir l’idée sur la réalité et compromet l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance. Nous avons besoin de fraternité comme de pain. Le mot même "frère", dans sa dérivation indo-européenne, révèle une racine liée à la nutrition et à la subsistance. Nous ne nous soutiendrons qu’en nourrissant d’espérance les plus faibles, en les accueillant comme des frères. « N’oubliez pas l’hospitalité » (He 13, 2), nous dit l’Écriture. Et dans l'Ancien Testament, il est répété : la veuve, l'orphelin et l'étranger. Les trois devoirs de charité : assister la veuve, assister l'orphelin et assister l'étranger, le migrant.

    À cet égard, le port de Marseille est aussi une "porte de la foi". Selon la tradition, les saints Marthe, Marie et Lazare ont débarqué ici, et ont semé l’Évangile sur ces terres. La foi vient de la mer, comme l’évoque la suggestive tradition marseillaise de la chandeleur avec la procession maritime. Lazare, dans l’Évangile, est l’ami de Jésus, mais c’est aussi le nom du protagoniste d’une parabole très actuelle qui ouvre les yeux sur l’inégalité qui ronge la fraternité et nous parle de la prédilection du Seigneur pour les pauvres. Eh bien, nous chrétiens qui croyons au Dieu fait homme, à l’homme unique et inimitable qui, sur les rives de la Méditerranée, s’est dit chemin, vérité et vie (cf. Jn 14, 6), nous ne pouvons pas accepter que les voies de la rencontre soient fermées. Ne fermons pas les voies de la rencontre, s'il vous plaît ! Nous ne pouvons accepter que la vérité du dieu argent l’emporte sur la dignité de l’homme, que la vie se transforme en mort ! L’Église, en confessant que Dieu, en Jésus Christ, « s’est en quelque sorte uni à tout homme » (Gaudium et spes, n. 22), croit, avec saint Jean-Paul II, que son chemin est l’homme (cf. Lett. enc. Redemptor hominis, n. 14). Elle adore Dieu et sert les plus fragiles qui sont ses trésors. Adorer Dieu et servir le prochain, voilà ce qui compte : non pas la pertinence sociale ou l’importance numérique, mais la fidélité au Seigneur et à l’homme !

    Voilà le témoignage chrétien et, bien souvent, il est héroïque. Je pense par exemple à saint Charles de Foucauld, le "frère universel", aux martyrs de l’Algérie, mais aussi à tant d’artisans de la charité d’aujourd’hui. Dans ce style de vie scandaleusement évangélique, l’Église retrouve le port sûr auquel accoster et d’où repartir pour tisser des liens avec les personnes de tous les peuples, en recherchant partout les traces de l’Esprit et en offrant ce qu’elle a reçu par grâce. Voilà la réalité la plus pure de l’Église, voilà - écrivait Bernanos - « l’Église des saints », ajoutant que « tout ce grand appareil de sagesse, de force, de souple discipline, de magnificence et de majesté n’est rien de lui-même, si la charité ne l’anime » (Jeanne d’Arc relapse et sainte, Paris 1994, p. 74). J’aime exalter cette perspicacité française, génie croyant et créatif qui a affirmé ces vérités à travers une multitude de gestes et d’écrits. Saint Césaire d’Arles disait : « Si tu as la charité, tu as Dieu ; et si tu as Dieu, que ne possèdes-tu pas ? » (Sermo 22, 2). Pascal reconnaissait que « l’unique objet de l’Écriture est la charité » (Pensées, n. 301) et que « la vérité hors de la charitén’est pas Dieu ; elle est son image, et une idole qu’il ne faut point aimerni adorer » (Pensées, n. 767). Et saint Jean Cassien, qui est mort ici, écrivait que « tout, même ce qu’on estime utile et nécessaire, vaut moins que ce bien qu’est la paix et la charité » (Conférences spirituelles XVI, 6).

    Il est bon, par conséquent, que les chrétiens ne viennent pas en deuxième position en matière de charité ; et que l’Évangile de la charité soit la magna charta de la pastorale. Nous ne sommes pas appelés à regretter les temps passés ou à redéfinir une importance ecclésiale, nous sommes appelés au témoignage : non pas broder l’Évangile de paroles, mais lui donner de la chair ; non pas mesurer la visibilité, mais nous dépenser dans la gratuité, croyant que « la mesure de Jésus est l’amour sans mesure » (Homélie, 23 février 2020). Saint Paul, l’Apôtre des nations qui passa une bonne partie de sa vie à traverser la Méditerranée d’un port à l’autre, enseignait que pour accomplir la loi du Christ, il faut porter mutuellement le poids des uns des autres (cf. Ga 6, 2). Chers frères évêques, ne chargeons pas les personnes de fardeaux, mais soulageons leurs efforts au nom de l’Évangile de la miséricorde, pour distribuer avec joie le soulagement de Jésus à une humanité fatiguée et blessée. Que l’Église ne soit pas un ensemble de prescriptions, que l’Église soit un port d’espérance pour les personnes découragées. Élargissez vos cœurs, s'il vous plaît ! Que l'Église soit un port de ravitaillement, où les personnes se sentent encouragées à prendre le large dans la vie avec la force incomparable de la joie du Christ. Que l'Église ne soit pas une douane. Souvenons-nous du Seigneur : tous, tous, tous sont invités.

    3. Et j’en viens brièvement ainsi à la dernière image, celle du phare. Il illumine la mer et fait voir le port. Quelles traces lumineuses peuvent orienter le cap des Églises dans la Méditerranée ? En pensant à la mer qui unit tant de communautés croyantes différentes, je pense que l’on peut réfléchir sur des parcours plus synergiques, en évaluant peut-être aussi l’opportunité d’une Conférence ecclésiale de la Méditerranée, comme l’a dit le Cardinal [Aveline], qui permettrait de nouvelles possibilités d’échanges et qui donnerait une plus grande représentativité ecclésiale à la région. En pensant au port et au thème migratoire, il pourrait être profitable de travailler à une pastorale spécifique encore plus reliée, afin que les diocèses les plus exposés puissent assurer une meilleure assistance spirituelle et humaine aux sœurs et aux frères qui arrivent dans le besoin.

    Le phare, dans ce prestigieux palais qui porte son nom, me fait enfin penser surtout aux jeunes : ce sont eux la lumière qui indique la route de l’avenir. Marseille est une grande ville universitaire qui abrite quatre campus : sur les quelque 35000 étudiants qui les fréquentent, 5000 sont étrangers. Par où commencer à tisser des liens entre les cultures, sinon par l’université ? Là, les jeunes ne sont pas fascinés par les séductions du pouvoir, mais par le rêve de construire l’avenir. Que les universités méditerranéennes soient des laboratoires de rêves et des chantiers d’avenir, où les jeunes grandissent en se rencontrant, en se connaissant et en découvrant des cultures et des contextes à la fois proches et différents. On abat ainsi les préjugés, on guérit les blessures et on conjure des rhétoriques fondamentalistes. Faites attention à la prédication de tant de fondamentalismes qui sont à la mode aujourd'hui ! Des jeunes bien formés et orientés à fraterniser pourront ouvrir des portes inespérées de dialogue. Si nous voulons qu’ils se consacrent à l’Évangile et au haut service de la politique, il faut avant tout que nous soyons crédibles : oublieux de nous-mêmes, libérés de l’autoréférentialité, prêts à nous dépenser sans cesse pour les autres. Mais le défi prioritaire de l’éducation concerne tous les âges de la formation : dès l’enfance, "en se mélangeant" avec les autres, on peut surmonter beaucoup de barrières et de préjugés en développant sa propre identité dans le contexte d’un enrichissement mutuel. L’Église peut bien y contribuer en mettant au service ses réseaux de formation et en animant une "créativité de la fraternité".

    Frères et sœurs, le défi est aussi celui d’une théologie méditerranéenne - la théologie doit être enracinée dans la vie ; une théologie de laboratoire ne fonctionne pas - qui développe une pensée qui adhère au réel, "maison" de l’humain et pas seulement des données techniques, en mesure d’unir les générations en reliant mémoire et avenir, et de promouvoir avec originalité le chemin œcuménique entre chrétiens et le dialogue entre croyants de religions différentes. Il est beau de s’aventurer dans une recherche philosophique et théologique qui, en puisant aux sources culturelles méditerranéennes, redonne espérance à l’homme, mystère de liberté en mal de Dieu et de l’autre, pour donner un sens à son existence. Et il est également nécessaire de réfléchir sur le mystère de Dieu, que personne ne peut prétendre posséder ou maîtriser, et qui doit même être soustrait à tout usage violent et instrumental, conscients que la confession de sa grandeur présuppose en nous l’humilité des chercheurs.

    Chers frères et sœurs, je suis heureux d’être ici à Marseille ! Un jour, Monsieur le Président m'a invité à visiter la France et m'a dit : "Mais il est important que vous veniez à Marseille !". Et je l’ai fait. Je vous remercie de votre écoute patiente et de votre engagement. Allez de l’avant, courageux ! Soyez une mer de bien, pour faire face aux pauvretés d’aujourd’hui avec une synergie solidaire ; soyez un port accueillant, pour embrasser ceux qui cherchent un avenir meilleur ; soyez un phare de paix, pour anéantir, à travers la culture de la rencontre, les abîmes ténébreux de la violence et de la guerre. Merci beaucoup !

  • De Pie XII à François: les paroles des souverains pontifes face à l'urgence migratoire

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    D'Andrea Tornielli sur Vatican News :

    François, fils de migrants et le long magistère de l'accueil

    De Pie XII à François: les paroles des Souverains pontifes face à l'urgence migratoire.

    23 septembre 2023

    Dans le vaste discours prononcé à Marseille en conclusion des Rencontres méditerranéennes, le Pape François, lui-même enfant de migrants, a rappelé que le phénomène migratoire n'est pas une nouveauté de ces dernières années et qu'il n'est pas non plus le premier pontife à s'en préoccuper. Cela fait au moins 70 ans que l'Église a ressenti l'urgence croissante de cette situation.

    En 1952 et, sept ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe connaît encore le drame des personnes déplacées. Pie XII, dans la Constitution apostolique Exsul Familia, écrivait que «La famille de Nazareth en exil, Jésus, Marie et Joseph émigrés en Egypte […] sont le modèle, l’exemple et le soutien de tous les émigrés et pèlerins de tous les temps et de tous les pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, poussés par la persécution ou par le besoin, se voient contraints d’abandonner leur patrie, les personnes qui leurs sont chères, […] et se rendre en terre étrangère».

    Les guerres, les persécutions ou la nécessité d'améliorer sa condition, sont les motivations des migrations, auxquelles s'ajoutent aujourd'hui, de manière de plus en plus évidente, les problèmes liés au changement climatique. En 1967, avec l’encyclique Populorum Progressio, Paul VI rappelait que les peuples de la faim défient dramatiquement les peuples de l'opulence, en énumérant trois devoirs pour les nations les plus développées: le devoir de solidarité, le devoir de justice sociale et le devoir de charité universelle. Le Pape Montini a rappelait aussi le «devoir de l'accueil», sur lequel, écrivait-il, «nous n'insisterons jamais assez».

    Pour le deuxième rendez-vous de cette première journée dans la cité phocéenne, vendredi 22 septembre, après une prière mariale à la basilique Notre-Dame de la Garde, à 18 heures, ...

    Outre les deux exemples cités par François, de nombreux autres pourraient être mentionnés. Par exemple, les paroles de Jean-Paul II qui, dans son message pour la Journée mondiale de l'émigration en 1996, écrivait: «La première façon d'aider ces personnes est de les écouter pour connaître leur situation et leur assurer, quelle que soit leur position juridique devant l'État, les moyens de subsistance nécessaires». Il ajoutait: «Il faut être vigilant face à l'émergence de formes de néo-racisme ou de comportements xénophobes, qui tentent de faire de ces frères des boucs émissaires pour toute situation locale difficile».

    Benoît XVI, dans son message de 2012, relevait: «Aujourd’hui, en effet, nous voyons que de nombreuses migrations sont la conséquence d’une précarité économique, d’un manque de biens essentiels, de catastrophes naturelles, de guerres et de désordres sociaux. A la place d’une pérégrination animée par la confiance, par la foi et par l’espérance, migrer devient alors un "calvaire" pour survivre, où des hommes et des femmes apparaissent davantage comme des victimes que comme des acteurs et des responsables de leur aventure migratoire».

    Bien sûr, même à Marseille, comme il l'a répété à plusieurs reprises au cours de ses dix années de pontificat, François a évoqué les difficultés d'accueil, de protection, de promotion et d'intégration des personnes non désirées. Il a rappelé la responsabilité commune de toute l'Europe et la nécessité de garantir «un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable» du continent européen. Mais il a également rappelé que le critère principal doit toujours être la protection de la dignité humaine et non la préservation de son propre bien-être. Car, comme l'expérience de la récente pandémie devrait l’avoir enseigné, on ne se sauve qu'ensemble, jamais seul.

    Lire également : Migrants : que veut vraiment le pape François ?

  • Marseille : le tressaillement de la foi selon François

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    VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS à MARSEILLE pour la conclusion des Rencontres Méditerranéennes

    source

    [22 - 23 SEPTEMBRE 2023]

    MESSE VOTIVE DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE DE LA GARDE

    HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

    Stadio Vélodrome
    Samedi 23 septembre 2023

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    On raconte dans les Écritures que le roi David, ayant établi son royaume, décida de transporter l’Arche d’Alliance à Jérusalem. Après avoir convoqué le peuple, il se leva et partit pour aller la prendre. Sur le trajet, il dansait devant elle avec le peuple, exultant de joie à la présence du Seigneur (2 S 6, 1-15). C’est avec cette scène en arrière-plan que l’évangéliste Luc nous raconte la visite de Marie à sa cousine Élisabeth : Marie elle aussi se lève et part vers la région de Jérusalem et, lorsqu’elle entre dans la maison d’Élisabeth, l’enfant que celle-ci porte en son sein, tressaille de joie en reconnaissant l’arrivée du Messie, se met à danser comme le fit David devant l’Arche (cf. Lc 1, 39-45).

    Marie est donc présentée comme la véritable Arche d’Alliance qui introduit le Seigneur incarné dans le monde. Elle est la jeune Vierge qui va à la rencontre de la vieille femme stérile et, en portant Jésus, elle devient le signe de la visite de Dieu vainqueur de toute stérilité. Elle est la Mère qui monte vers les montagnes de Juda pour nous dire que Dieu se met en route vers nous, pour nous chercher avec son amour et nous faire exulter de joie. C’est Dieu qui se met en route.

    Chez ces deux femmes, Marie et Élisabeth, la visite de Dieu se dévoile à l’humanité : l’une est jeune et l’autre âgée, l’une est vierge et l’autre stérile, et pourtant elles sont toutes deux enceintes alors que c’est “impossible”. Telle est l’œuvre de Dieu dans notre vie : Il rend possible même ce qui semble impossible, Il engendre la vie, même dans la stérilité.

    Frères et sœurs, demandons-nous avec sincérité de cœur : croyons-nous que Dieu est à l’œuvre dans notre vie ? Croyons-nous que le Seigneur, de manière cachée et souvent imprévisible, agit dans l’histoire, accomplit des merveilles et est à l’œuvre également dans nos sociétés marquées par le sécularisme mondain et par une certaine indifférence religieuse ?

    Il y a un moyen de discerner si nous avons cette confiance dans le Seigneur. Quel est ce moyen ? L’Évangile dit que « lorsqu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle » (v.41). Voilà le signe : tressaillir. Celui qui croit, qui prie, qui accueille le Seigneur tressaille dans l’Esprit, sent que quelque chose bouge à l’intérieur, il “danse” de joie. Et je voudrais m’arrêter sur cela : le tressaillement de la foi.

    L’expérience de foi provoque avant tout un tressaillement devant la vie. Tressaillir c’est être “touché à l’intérieur”, avoir un frémissement intérieur, sentir que quelque chose bouge dans notre cœur. C’est le contraire d’un cœur plat, froid, installé dans la vie tranquille, qui se blinde dans l’indifférence et devient imperméable, qui s’endurcit, insensible à toute chose et à tout le monde, même au tragique rejet de la vie humaine qui est aujourd’hui refusée à nombre de personnes qui émigrent, à nombre d’enfants qui ne sont pas encore nés, et à nombre de personnes âgées abandonnées. Un cœur froid et plat traîne la vie de manière mécanique, sans passion, sans élan, sans désir. Et on peut tomber malade de tout cela dans notre société européenne : le cynisme, le désenchantement, la résignation, l’incertitude, un sentiment général de tristesse - tout à la fois : la tristesse, cette tristesse dissimulée dans les cœurs -. Quelqu’un les a appelées “passions tristes” : c’est une vie sans tressaillement.

    Celui qui est né à la foi, en revanche, reconnaît la présence du Seigneur, comme l’enfant dans le sein d’Élisabeth. Il reconnaît son œuvre dans le fleurissement des jours et il reçoit un regard nouveau pour voir la réalité. Même au milieu des difficultés, des problèmes et des souffrances, il perçoit quotidiennement la visite de Dieu et se sent accompagné et soutenu par Lui. Face au mystère de la vie personnelle et aux défis de la société, celui qui croit connaît un tressaillement, une passion, un rêve à cultiver, un intérêt qui pousse à s’engager personnellement. Maintenant, chacun d'entre nous peut se      demander : est-ce que je ressens ces choses ? Est-ce que j'ai ces     choses ? Celui qui est ainsi sait que le Seigneur est présent en toute chose, qu’il appelle, qu’il invite à témoigner de l’Évangile pour édifier avec douceur, à travers les dons et les charismes reçus, un monde nouveau.

    L’expérience de la foi, en plus d’un tressaillement devant la vie, provoque aussi un tressaillement devant le prochain. Dans le mystère de la Visitation, en effet, nous voyons que la visite de Dieu n’a pas lieu à travers des événements célestes extraordinaires, mais dans la simplicité d’une rencontre. Dieu vient sur le seuil d’une maison de famille, dans la tendre étreinte entre deux femmes, dans le croisement de deux grossesses pleines d’émerveillement et d’espérance. Et, dans cette rencontre, il y a la sollicitude de Marie, l’émerveillement d’Élisabeth, la joie du partage.

    Rappelons-le toujours, même dans l’Église : Dieu est relation et souvent il nous rend visite à travers des rencontres humaines, quand nous savons nous ouvrir à l’autre, quand il y a un tressaillement pour la vie de ceux qui passent chaque jour à nos côtés et quand notre cœur ne reste pas impassible et insensible devant les blessures de ceux qui sont les plus fragiles. Nos villes métropolitaines, et tant de pays européens comme la France où coexistent des cultures et des religions différentes, sont en ce sens un grand défi contre les exacerbations de l’individualisme, contre les égoïsmes et les fermetures qui produisent solitudes et souffrances. Apprenons de Jésus à éprouver des frémissements pour ceux qui vivent à nos côtés, apprenons de Lui qui, devant les foules fatiguées et épuisées, ressent de la compassion et s’émeut (cf. Mc 6, 34), tressaille de miséricorde devant la chair blessée de ceux qu’il rencontre. Comme l’affirme votre grand saint, Vincent de Paul, « il faut tâcher d’attendrir nos cœurs et de les rendre susceptibles des souffrances et des misères du prochain, et prier Dieu qu’il nous donne le véritable esprit de miséricorde, qui est le propre esprit de Dieu », jusqu’à reconnaître que les pauvres sont « nos seigneurs et maîtres » (Correspondance, entretiens, documents,Paris 1920-25, p. 341 ; pp. 392-393).

    Frères, sœurs, je pense aux nombreux “tressaillements” qu’a connus la France, à son histoire riche de sainteté, de culture, d’artistes et de penseurs qui ont passionné tant de générations. Aujourd’hui encore, notre vie, la vie de l’Église, la France, l’Europe ont besoin de cela : de la grâce d’un tressaillement, d’un nouveau tressaillement de foi, de charité et d’espérance. Nous avons besoin de retrouver passion et enthousiasme, de redécouvrir le goût de l’engagement pour la fraternité, d’oser encore le risque de l’amour dans les familles et envers les plus faibles, et de retrouver dans l’Évangile une grâce qui transforme et rend belle la vie.

    Regardons Marie qui se dérange en se mettant en route et qui nous enseigne que Dieu est précisément come cela : il nous dérange, il nous met en mouvement, il nous fait “tressaillir”, comme avec Élisabeth. Et nous voulons être des chrétiens qui rencontrent Dieu par la prière et nos frères par l’amour, des chrétiens qui tressaillent, vibrent, accueillent le feu de l’Esprit pour se laisser brûler par les questions d’aujourd’hui, par les défis de la Méditerranée, par le cri des pauvres, par les “saintes utopies” de fraternité et de paix qui attendent d’être réalisées.

    Frères et sœurs, avec vous, je prie la Vierge, Notre-Dame de la Garde, de veiller sur votre vie, de garder la France, de garder toute l’Europe, et de nous faire tressaillir dans l’Esprit. Et je voudrais le faire avec les paroles de Paul Claudel : 

    « Je vois l’église ouverte. [...]  
    Je n’ai rien à offrir et rien à demander.
    Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
    Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela :
    Que je suis votre fils et que vous êtes là. [...]
    Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes [...]
    Parce que vous êtes là pour toujours,
    Simplement parce que vous êtes Marie,
    Simplement parce que vous existez,
    Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée ! »

    (« La Vierge à midi », Poèmes de Guerre 1914-1916, Paris, 1922).

    ____________________________

    Salutation à la fin de la Messe

    Merci, Excellence, pour vos paroles, et merci à vous tous, frères et sœurs, pour votre présence et pour vos prières. Merci !

    Arrivé au terme de cette visite, je tiens à exprimer ma gratitude pour l'accueil chaleureux qui m'a été réservé, ainsi que pour tout le travail et les préparatifs qui ont été faits. Je remercie Monsieur le Président de la République et, à travers lui, je salue cordialement toutes les Françaises et tous les Français. Je salue Madame le Premier Ministre, qui est venue m’accueillir à l’aéroport ; je salue également les Autorités présentes, en particulier le Maire de Marseille.

    Et j'embrasse toute l'Église de Marseille, avec ses communautés paroissiales et religieuses, ses nombreux établissements scolaires et ses œuvres caritatives. Cet archidiocèse a été le premier au monde à avoir été consacré au Sacré-Cœur de Jésus, en 1720, au cours d'une épidémie de peste ; vous avez donc à cœur d'être aussi des signes de la tendresse de Dieu dans l'"épidémie de l'indifférence" actuelle. Merci pour votre service, doux et déterminé, qui témoigne de la proximité et de la compassion du Seigneur !

    Plusieurs d'entre vous sont venus de diverses régions de France : merci à vous ! Je voudrais saluer les frères et sœurs venus de Nice, accompagnés par l'évêque et le maire, et qui ont survécu au terrible attentat du 14 juillet 2016. Souvenons-nous dans la prière de tous ceux qui ont perdu la vie dans cette tragédie et dans tous les actes terroristes perpétrés en France et dans toutes les parties du monde. Le terrorisme est lâche. Ne nous lassons pas de prier pour la paix dans les régions ravagées par la guerre, en particulier pour le peuple ukrainien meurtri.

    Une salutation pleine d'affection pour les malades, les enfants et les personnes âgées, qui sont la mémoire de la civilisation ; et une pensée particulière pour les personnes dans le besoin et pour tous les travailleurs de cette ville ; Jacques Loew, le premier prêtre ouvrier de France, a travaillé sur le port de Marseille. Que la dignité des travailleurs soit respectée, promue et protégée !

    Chers frères et sœurs, je porterai dans mon cœur les rencontres de ces journées. Que Notre Dame de la Garde veille sur cette ville, mosaïque d'espérance, sur toutes vos familles et sur chacun de vous. Je vous bénis. S'il vous plaît, n'oubliez pas de prier pour moi. Ce travail n’est pas facile ! Merci.

  • Les ouvriers de la onzième heure (25e dimanche du temps ordinaire)

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    Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 20,1-16a.

    En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. 
    Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. 
    Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. 
    Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.” 
    Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. 
    Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?” 
    Ils lui répondirent : “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.” 
    Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” 
    Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. 
    Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. 
    En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : 
    “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !” 
    Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? 
    Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : 
    n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?” 
    C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. » 

    Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris 

    Les ouvriers de la onzième heure, homélie du Père Simon Noël osb (source)

    Lambert Jacobsz, mort en 1637

    La parabole que nous venons d'entendre est une parabole plutôt déroutante, car le Seigneur nous semble ne pas être juste selon nos catégories humaines habituelles. Si un ouvrier travaille pour moi deux heures et un autre seulement une heure, je paierai le premier deux fois plus que le second.

    Il est évident que cette parabole n'est pas à prendre au pied de la lettre et cela nous invite à en rechercher le sens spirituel.

    Les différentes heures du jour dont on nous parle représentent les âges de la vie ou les différentes périodes de l'histoire religieuse de l'humanité. Certains sont chrétiens et servent Dieu depuis leur plus tendre enfance. D'autres se convertissent dans leur jeunesse, ou leur âge mûr ou enfin sur le tard. Certains même ne se convertissent qu'au moment de la mort. Tous recevront la même récompense. Le denier que le maître de la vigne paie à tous ceux qui ont travaillé pour lui symbolise la récompense éternelle du paradis, accordée à tous ceux qui meurent en état de grâce, quel que soit le moment où ils se sont convertis. Le paradis est un don de la miséricorde divine. Personne de toute manière n'y a droit et Dieu n'est pas injuste en traitant tous les sauvés avec une identique miséricorde. Mais la justice de Dieu sera quand même satisfaite. Car Dieu donnera un degré de bonheur éternel en proportion de nos mérites. Prenons une comparaison. Si on demande à des gens de venir avec un verre, pour qu'on le remplisse d'eau fraîche, ceux qui viennent avec de grands verres recevront plus d'eau que ceux qui viennent avec des verres de moindre contenance. Il en sera de même, quand nous entrerons dans la vie éternelle et que le Seigneur nous dira : Entre dans la joie de ton maître. Selon la grandeur de notre cœur, ou de notre capacité d'amour, nous recevrons une vie et une joie plus ou moins grandes. Voici ce que disait à ce sujet le curé d'Ars : Il faut bien savoir et se persuader que Dieu n'opère dans nos âmes que selon le degré de nos opérations, de nos désirs, de nos actes intérieurs produits à cette fin. Un vase prend de l'eau à une fontaine selon sa capacité.

    Par contre tous les saints, les petits comme les grands, connaîtront un bonheur parfait, à la mesure de leur degré d'amour et de sainteté. Cela doit donc nous inciter à nous sanctifier de plus en plus tout au long de notre vie, à croître sans cesse dans l'amour. Et cela n'a rien à voir avec le moment de notre conversion. Un âme qui se convertit à la dernière heure peut mourir avec une telle perfection de contrition et d'amour qu'elle aura un ciel plus beau que celle qui aura servi Dieu toute se vie mais dans la tiédeur et la médiocrité.

    Il y a donc le mérite de l'homme. Certes personne ne mérite le ciel. Je le rappelle c'est un don gratuit de la divine miséricorde. Ce qui est premier c'est toujours la grâce de Dieu. Mais il y faut la collaboration libre de l'homme et c'est en cela que consiste le mérite. Une préface que l'on dit à la messe des saints le dit à merveille : Lorsque tu couronnes les mérites, tu couronnes tes propres dons.
     
    Les premiers seront les derniers et les derniers premiers. Un autre sens de la parabole, c'est que à tous les âges de l'histoire le salut et la conversion sont possibles. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, nous dit saint Paul. Divers peuples sont entrés les uns après les autres dans le salut de Dieu. Le peuple juif a été le premier appelé, mais, selon beaucoup de commentateurs, il sera finalement le dernier à reconnaître en Jésus, le Messie de Dieu et le seul Sauveur. Et lorsqu'il le fera en tant que peuple, alors le monde sera prêt pour le retour en gloire de Notre-Seigneur, qui viendra rendre à chacun le salaire promis. 
  • Allez vous aussi à ma vigne (25e dimanche du T.O.)

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    Lors de l'Angelus du dimanche 21 septembre 2008, à Castelgandolfo, Benoît XVI a commenté l'évangile de ce jour sur les ouvriers de la dernière heure :

    ... dans l'Evangile d'aujourd'hui (cf. Mt 20, 1-16a), Jésus raconte précisément la parabole du patron de la vigne qui appelle des ouvriers à travailler dans sa vigne, à différentes heures du jour. Le soir venu, il donne à tous le même salaire, une pièce d'argent, suscitant les protestations des ouvriers de la première heure. Il est clair que cette pièce d'argent représente la vie éternelle, don que Dieu réserve à tous. Et ceux qui sont considérés les "derniers", s'ils l'acceptent, deviennent même les "premiers", alors que les "premiers" peuvent risquer de devenir les "derniers". Un premier message de cette parabole est que le patron ne tolère pas, d'une certaine manière, l'inactivité:  il veut que tous soient engagés dans sa vigne. Et, en réalité, le fait d'être appelés est déjà la première récompense:  pouvoir travailler dans la vigne du Seigneur, se mettre à son service, collaborer à son œuvre, constitue en soi une récompense inestimable, qui compense toutes les peines. Mais seul celui qui aime le Seigneur et son Royaume le comprend; celui qui travaille en revanche uniquement pour son salaire, ne comprendra jamais la valeur de ce trésor inestimable.

    C'est saint Matthieu, apôtre et évangéliste - dont c'est d'ailleurs aujourd'hui la fête liturgique -, qui raconte la parabole. Il me plaît de souligner que Matthieu a personnellement fait cette expérience (cf. Mt 9, 9). Avant que Jésus l'appelle, il exerçait en effet le métier de publicain et était par conséquent considéré comme un pécheur, exclu de la "vigne du Seigneur". Mais tout change quand Jésus, en passant près de sa table des impôts, le regarde et lui dit:  "Suis-moi". Matthieu se leva et le suivit. Le publicain se transforma immédiatement en disciple du Christ. Il était le "dernier" et se retrouva le "premier", grâce à la logique de Dieu qui, - heureusement pour nous! - est différente de celle du monde. "Vos pensées ne sont pas mes pensées - dit le Seigneur par la bouche du prophète Isaïe - et mes voies ne sont pas vos voies" (Is 55, 8). Saint Paul, dont nous célébrons une année jubilaire particulière, a lui aussi connu la joie de se sentir appeler par le Seigneur à travailler dans sa vigne. Et quel travail il a accompli! Mais, comme il le confesse lui-même, c'est la grâce de Dieu qui a agi en lui, cette grâce qui a transformé le persécuteur de l'Eglise en apôtre des nations. Au point de lui faire dire:  "Pour moi, certes, la Vie, c'est le Christ, et mourir représente un gain". Mais il ajoute immédiatement:  "Cependant, si la vie dans cette chair doit me permettre encore un fructueux travail, j'hésite à faire un choix" (Ph 1, 21-22). Paul a bien compris que travailler pour le Seigneur est déjà sur cette terre, une récompense.

    La Vierge Marie, que j'ai eu la joie de vénérer à Lourdes il y a une semaine, est le sarment parfait de la vigne du Seigneur. En Elle a germé le fruit béni de l'amour divin:  Jésus, notre Sauveur. Qu'Elle nous aide à toujours répondre avec joie à l'appel du Seigneur, et à trouver notre bonheur dans le fait de pouvoir travailler généreusement pour le Royaume des cieux.