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Pourquoi le pèlerinage de Chartres séduit toujours plus

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Le coup de froid jeté par le pape François depuis deux ans sur la liturgie traditionnelle n’a visiblement pas éteint la ferveur des catholiques attachés à la messe en latin, dite de saint Pie V. Cette année, pour la Pentecôte (fête célébrée 50 jours après Pâques marquant la révélation de l’Esprit Saint à la Vierge Marie et aux apôtres), pas moins de 16000 personnes venues de toute la France, dont près de 2000 de l’ouest (parmi eux, 500 Bretons), mais aussi d’Europe et d’autres pays du monde, sont déjà inscrites à la 41e édition du pèlerinage organisé entre Paris et Chartres par l’association Notre-Dame de Chrétienté

Lu dans « Il Sismografo » :

(Jean-Marie Guénois, Le Figaro) ENQUÊTE –

« En ce week-end de Pentecôte, 16.000 pèlerins quitteront le parvis de l’église Saint-Sulpice à Paris pour rejoindre à pied la Beauce et sa célèbre cathédrale. Une affluence record. Au cœur d’une plaine de France, la colonne des pèlerins se déploie vers la cathédrale de Chartres. Charles Péguy chanta ce paysage, «océan des blés», «mouvante écume». C’était en 1912. Lui marchait pour implorer la guérison de son fils Pierre. «La route nationale est notre porte étroite», confiait-il à la suite de l’Évangile. Plus d’un siècle plus tard, l’atmosphère semble immuable. À l’horizon, au-dessus des épis de blé, les deux flèches de l’édifice religieux pointent vers le ciel. Notre-Dame de Chartres demeure un cap recherché.

 Ils seront 16.000 catholiques à cheminer ce week-end de Pentecôte de Paris à Chartres sous la conduite de l’association Notre-Dame de Chrétienté. Présidée par un laïc, Jean de Tauriers, animée par des laïcs, cette organisation unie à Rome se revendique de la «tradition» dans l’Église. Ce qui signifie qu’elle se reconnaît dans la messe, dite en latin, selon le rite du missel de 1962, avant le concile Vatican II.

 Cette nouvelle édition du «pèlerinage de Chartres» a engrangé comme jamais les inscriptions, au point d’avoir refusé du monde. Avec un tiers de demandes supplémentaires en un an, les responsables assurent qu’ils ont dû prendre cette décision pour tenir compte des normes de sécurité. Une première en quatre décennies pour ce pèlerinage lancé en 1983 par des catholiques français, inspirés par l’expérience du pèlerinage de Czestochowa en Pologne. Depuis, la colonne de priants, tel un fleuve tranquille, ne cesse de grossir.

 Le périple n’est pas une promenade de santé. Chapelet à la main, bannière au vent, les 16.000 participants, répartis par «chapitres» de plusieurs dizaines de personnes et accompagnés par 330 prêtres, avalent les 97 kilomètres en seulement trois jours. Soit 30 kilomètres quotidiens, ce qui est beaucoup, même pour des marcheurs confirmés. Ils dorment sommairement en deux bivouacs sur des terres agricoles louées pour l’occasion. Entre les premiers arrivants et les derniers pèlerins qui fouleront l’esplanade de la cathédrale de Beauce, lundi 29 mai en début d’après-midi, en ayant quitté l’église Saint-Sulpice de Paris samedi au petit jour, trois à quatre heures s’écouleront… La longue file des marcheurs s’étire sur près de 10 kilomètres! La route ouverte par Péguy apparaît désormais bien étrécie.

Des participants d’une moyenne d’âge de 20,5 ans

 Cet écrivain de race, converti, fin observateur et critique de la vie sociale et politique, mort au champ d’honneur en 1914, pourrait se poser deux questions aujourd’hui: comment expliquer la dynamique de cette marche pèlerine rassemblant des participants d’une moyenne d’âge de 20,5 ans, énigme pour la France laïque? Seconde interrogation: pourquoi la «sensibilité» ecclésiale de ce pèlerinage, le monde traditionaliste, ouvertement combattu par le pape François mais bien loin de s’éteindre, semble redoubler de vitalité et sortir de la marginalité à laquelle veulent le réduire les actuelles autorités romaines, alors que Benoît XVI avait clairement encouragé l’élan traditionaliste? Selon Odile Téqui, chargée de la communication du pèlerinage, «un quart des catholiques pratiquants de moins de 40 ans sont traditionalistes». Le chiffre reste à prouver, mais il n’est pas loin de la réalité, vu la moyenne d’âge des pratiquants français, proche des 75 ans.

 La veille de leur départ, allons découvrir, dans les rangs de ces jeunes, ce qui les pousse à enfiler leurs brodequins en glissant un chapelet dans leur poche. Benoît, ingénieur des Mines âgé de 30 ans, est également engagé au pèlerinage national de Lourdes en été. «Ce qui attire les jeunes vers Chartres, c’est d’abord une expérience de prière intégrale, forte, explique-t-il. On prie avec son corps. Ensuite, c’est une vraie vie de charité fraternelle: il y a beaucoup plus de diversité qu’on ne le pense ; on chante beaucoup en latin, mais il y a aussi des chants de l’Emmanuel, et tous les milieux sociaux sont représentés. Enfin, c’est une marche riche intellectuellement. Il y a des topos, des enseignements, on prie, mais on réfléchit beaucoup, il y a une dimension de formation.»

 Quand on lui demande si ce pèlerinage ne serait pas aussi une démonstration de la vitalité, voire de force, du mouvement traditionaliste en France, il répond tout net: «C’est un pèlerinage. La seule revendication que l’on puisse avoir, c’est la prière! Notre génération ne connaît pas les mêmes tensions que nos aînés. Les décisions du pape François, exprimées dans le motu proprio Traditionis custodes, limitant le mouvement traditionaliste, nous ont plongés dans l’incompréhension et la tristesse. Mais nous ne sommes pas un îlot d’ultras! Nous avons toute notre place dans l’Église. Nous partons d’ailleurs de l’église Saint-Sulpice et nous terminons dans la cathédrale de Chartres.»

 En clin d’œil au pape François, beaucoup de ces jeunes porteront un tee-shirt frappé de ces mots: «Gardien de la tradition», traduction du décret papal Traditionis custodes, fatal aux «tradis». Il s’arrache dans la boutique en ligne du pèlerinage. Osmane Caillemer, 23 ans et bientôt avocate, observe: «Nous ne faisons pas un pèlerinage à pied de 100 kilomètres pour manifester! Nous ne sommes pas dans un esprit de contestation, ce n’est pas une démarche militante, c’est un acte d’approfondissement personnel et de témoignage de foi. Ma génération n’est plus dans cette dimension de combat. Elle est attirée par la beauté, le sens du sacré, le silence de la messe traditionnelle. On ne trouve pas ce recueillement ailleurs, et cela attire des jeunes qui fréquentent tout autant la messe ordinaire dans les paroisses. Notre génération est surtout en manque de formation, de transmission. Nous nous sentons pleinement dans l’Église. Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus, l’aumônerie du pèlerinage est assurée par la Fraternité Saint Pierre, qui a choisi la fidélité à Rome et au pape.»

 Louis-Marie Marcille, 23 ans, polytechnicien et diplômé de l’École des mines, se dit conscient d’être minoritaire mais aussi très à l’aise dans la société actuelle: «Notre génération sait que nous ne sommes pas très nombreux à être catholiques et encore moins à suivre le rite tridentin. C’est une occasion de questionnements et de discussions entre amis ou collègues. Je suis frappé de constater qu’il n’y a pas d’hostilité à ces sujets dans le monde de la culture scientifique que je côtoie chaque jour dès lors que l’on confronte des arguments, que l’on s’explique, tous à la recherche de la vérité.»

 Il y a aussi des aînés, dans ce cortège, voire des vétérans. L’un d’eux est belge, il a 52 ans et ne se lasse pas de ce rendez-vous annuel qui est entré dans sa vie. «On la voit très tôt et de très loin, cette cathédrale, elle nous accompagne à travers les champs de blé. Cette flèche attire, elle est magnifique, mais l’essentiel est en nous, dans la prière», confie Bernard de La Croix, qui pilote d’ailleurs l’un des «chapitres», un groupe de pèlerins, dédié à l’Orient et à l’Occident: «Avec des Syriens, des Libanais, on prie en arabe, ça casse les codes!» Il se dit frappé par le «brassage considérable» de la foule: «Nous ne sommes pas des ultras. C’est l’inverse d’une tour d’ivoire. Bien sûr, il y a des jeunes, plein d’énergie, qui cherchent le panache, ou des militants chevronnés, mais ce peuple de croyants est simple avant tout, il prie aussi avec ses pieds. Venez voir avant de juger. Nous ne sommes pas la caricature que l’on veut faire de nous!»

 De fait, les temps changent. Lors des premières éditions du pèlerinage, l’Église de France interdisait à ces «tradis» de célébrer dans la cathédrale de Chartres ou dans Notre-Dame de Paris, point d’arrivée et de départ. Les portails étaient clos, fermés à clé. Quand Mgr Lefebvre ordonna des évêques contre l’avis de Rome en 1988, une scission intervint dans le mouvement traditionaliste. Les uns le suivirent dans la Fraternité Saint Pie X, les autres restèrent fidèles à Rome en créant la Fraternité Saint Pierre. Ce qui explique d’ailleurs que la Fraternité Saint Pie X organise depuis, et ce week-end comme chaque année, son pèlerinage de Chartres. Mais, dans l’autre sens, de Chartres à Paris. Quant au pèlerinage de Pentecôte de Paris à Chartres, il est maintenant effectivement reconnu par l’Église. Au moment où la colonne passe dans le diocèse de Nanterre, Mgr Mathieu Rougé vient la saluer. Tout comme l’évêque de Chartres, Mgr Philippe Christory, issu de la communauté charismatique de l’Emmanuel. Il accueille 400 pèlerinages de tous horizons chaque année à Chartres. Il marche, le dimanche matin, avec ce pèlerinage et préside la messe de clôture.

 À Paris, Mgr Laurent Ulrich, archevêque, a mandaté l’abbé Julien Durodié, curé de la paroisse Saint-Eugène-Sainte-Cécile, pour célébrer la messe de départ, samedi matin, à Saint-Sulpice. Ce prêtre classique n’est pas issu du milieu tradi. Il constate: «Il ne faut pas réduire l’élan de ce pèlerinage à la seule question de la liturgie. Ces jeunes ont une soif de formation. Ils cherchent à sortir de la confusion doctrinale. Si les organisateurs sont dépassés par le succès, c’est que le pèlerinage n’est pas celui d’un monde traditionnel recroquevillé sur lui. Ce n’est pas le pèlerinage des bourgeois catholiques. Loin des idéologies, il attire des gens qui redécouvrent la foi chrétienne dans tous les milieux sociaux.» Pour ce pasteur, qui a dû apprendre à célébrer selon l’ancien rite, «ce monde “tradi” est mal connu. Il suscite la crainte et il y a des blessures des deux côtés. Mais le dialogue n’est pas toujours évident entre prêtres. Nous avons du mal à aborder le thème de la liturgie.» Quant au concile Vatican II, il assure: « Je n’observe pas de remise en cause en tant que tel, mais des questions sur son interprétation et son application. Ces fidèles sont très attachés à l’Église catholique, je ne vois donc pas de risque de rupture. En revanche, c’est l’équilibre qui est difficile à trouver.»

  Ref. Pourquoi le pèlerinage de Chartres séduit toujours plus

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