Rusé et impulsif, compassionnel et brutal, doctrinaire et pastoral ? la personnalité contradictoire de François n’est pas un modèle de lisibilité. Pourtant, tous les sondages montrent sa popularité planétaire, ou plutôt celle de l’image médiatique sur laquelle il peut prendre appui . Mais au sein de l'Eglise, ses méthodes de travail et certaines de ses idées suscitent de la résistance. Enquête sur la façon dont ce pape d'un style nouveau est reçu, en sens divers, chez les intellectuels catholiques français. Un article de Jean Sévillia dans Le Figaro Magazine du 20/12/2014. (JPSC) :
"Rusé. L'an dernier, dans une interview recueillie par les revues jésuites, c'est le pape lui-même qui se définissait ainsi : « Je peux peut-être dire que je suis un peu rusé (un po'furbo), que je sais manoeuvrer (muoversi), mais il est vrai que je suis aussi un peu ingénu. » Historien de l'Eglise, coordinateur d'un Dictionnaire du Vatican (1), Christophe Dickès confirme : « Face à un obstacle, Jean-Paul II fonçait en le contournant, et Benoît XVI trouvait une issue par le haut. François, lui, manoeuvre, calcule, en sachant où il veut aller. Il est rusé. Ingénu, j'en suis moins sûr... La façon dont il a mené le synode sur la famille, sans se prononcer lors des débats mais en contrôlant l'assemblée à travers une équipe choisie par lui, est digne des manoeuvres d'un pape de la Renaissance. »
Après vingt et un mois de pontificat, Jorge Mario Bergoglio garde sa part de mystère. Bien vu hors de l'Eglise, populaire auprès des foules qui se pressent devant Saint-Pierre de Rome, comment est-il reçu, en France, par les intellectuels catholiques qui se sont sentis particulièrement en phase avec ses prédécesseurs ? Chez ceux que nous avons interrogés, certaines caractéristiques du pape François font l'unanimité. « C'est un homme de combat intérieur, de prière, de tradition ignatienne du discernement », souligne l'essayiste François Huguenin. « On sent chez lui une exigence spirituelle absolue, ajoute Gérard Leclerc, éditorialiste à Radio Notre Dame et à France catholique.Et on ne peut sûrement pas lui reprocher d'être laxiste, car ses appels à la pénitence et à la purification s'inscrivent dans la morale multiséculaire de l'Eglise. »
Dès qu'on aborde les changements apportés par le pape, cependant, les avis divergent. « Il a osé mettre en cause bien des situations acquises et des préjugés, aussi bien en ce qui concerne la curie que la vie au Vatican », se réjouit la philosophe Chantal Delsol. « C'est un chef, renchérit François Huguenin. Il a beaucoup d'autorité, d'où un décalage entre son discours d'évêque de Rome, adepte de la collégialité dans l'Eglise, et les faits : François gouverne seul, dans la plus pure tradition de la monarchie pontificale. » Collégialité, le terme dérange toutefois Gérard Leclerc, non dans son principe, mais au souvenir d'un passé pas si lointain : « Au nom de ce concept, on a vu se mettre en place, après Vatican II, des logiques d'appareil qui ont suscité, en France, un épiscopat monocolore. Il a fallu toute l'énergie de Jean-Paul II pour imposer Jean-Marie Lustiger au poste de cardinal-archevêque de Paris, nomination qui a été un tournant. Attention aux mots que l'on emploie. »
Familier des deux papes précédents, Gérard Leclerc avoue être parfois « dérouté »par le style du pape François : « Il apparaît souvent comme un homme d'humeur, de réaction immédiate, de parole directe. Il n'y a certes pas de rupture doctrinale avec Benoît XVI, mais l'expression d'une pensée théologique construite et articulée à une authentique stratégie pastorale est encore à venir. La notion de périphérie, par exemple, demanderait à être précisée. »
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