De Laurent de Briey dans lalibre.be (via didoc.be)
La Cour constitutionnelle a rendu récemment un arrêt sur les cours dits « philosophiques » dans l’enseignement officiel francophone. Ce document a fait couler beaucoup d’encre. Nous reproduisons ici un article d’opinion publié dans La Libre Belgique du 23 mars dernier.
La neutralité, condition du vivre ensemble?
Il n’est plus besoin de le rappeler : la Cour constitutionnelle a estimé la semaine dernière qu’un élève ne pouvait être obligé de s’inscrire dans un cours de religion ou de morale laïque. L’arrêt de la Cour mériterait d’être discuté, mais il me semble plus important d’essayer de clarifier les concepts de neutralité et de laïcité, ainsi que de se demander si la neutralité est réellement une condition du vivre ensemble.
L’une des conclusions les plus frappantes de l’arrêt est d’affirmer que le cours de morale « laïque » n’est pas un cours « neutre », mais un cours confessionnel comme les autres. La morale laïque est fondée sur la conviction que la raison permet l’émancipation individuelle de l’obscurantisme religieux. Elle est donc porteuse d’une critique de la religion incompatible avec la neutralité.
Cette conclusion conduit certains à considérer que nous avons besoin d’une laïcité à la française. Pourtant, le concept de laïcité en France trouve sa source dans la même critique révolutionnaire de la religion. Il est hérité des Lumières françaises qui, à la différence de l’Aufklärung allemand, a opposé foi et raison. Il est vrai que si la Prusse de Kant était protestante, la France de Voltaire était catholique.
La laïcité à la française exprime dès lors la volonté de substituer l’Etat à l’Eglise comme seule institution pouvant légitimement organiser la vie en société. Par contre, dans les pays où la Réforme avait déjà favorisé une désinstitutionalisation de la religion, l’affirmation de la primauté de l’Etat n’a pas nécessité une même exclusion du religieux hors de la sphère publique.
La laïcité est toutefois en évolution constante. Elle prend aujourd’hui une signification plus proche de la neutralité de l’État. Or, si la laïcité est un concept propre à la tradition républicaine, la neutralité appartient à la tradition libérale (principalement) anglo-saxonne. Pour le libéralisme, la finalité de l’Etat est de permettre à chaque individu de vivre conformément à ses propres convictions philosophiques. A cette fin, il doit assurer une égale liberté à chacun, en garantissant le respect des droits fondamentaux, tout en ne prenant pas lui-même position sur les questions confessionnelles. Dans ce cadre, la laïcité apparaît comme une interprétation particulière de la neutralité selon laquelle celle-ci serait garantie par l’exclusion des convictions philosophiques hors de la sphère publique.