Un ami nous communique cette chronique de Bruno Colmant parue dans l'Echo du 26 octobre dernier mais qui n'a pas pris une ride :
La Belgique a besoin d'un (re) père
- in L'Echo, 26 octobre 2016
La Belgique n'a que faire des vendeurs de grands soirs et autres locutions stériles d'isolationnisme économique. Le pays est exténué par une gestion politique qui soustrait les énergies plutôt qu'elle ne les multiplie.
Dans son passionnant Verbatim consacré à de Gaulle, Alain Peyrefitte rapporte une scène d’un conseil des ministres de la Ve République. À une question du président concernant l’avancée de négociations commerciales européennes, le ministre des Affaires Étrangères, Maurice Couve de Murville, lui répondit du ton austère et lapidaire de son affiliation protestante, mais aussi avec une résignation partagée: "Les Belges sont insupportables."
Souvent, je m’interroge même sur le fait de savoir si, dans un besoin d’instantanéité, nous n’avons pas perdu le sens de l’histoire. En effet, depuis plusieurs années en Europe, et quelques mois en Belgique, le monde occidental est frappé par l’impensable: des crises économiques et monétaires d’amplitude inédite, des États vacillants dans un projet européen indécis, des vagues migratoires sans précédent accompagnées de crépitements terroristes conduisant à des attentats, etc.
La fin d’un monde révolu
Ces événements ne sont pas des occurrences isolées. Ils s’inscrivent dans une cinétique de bouleversements du monde dont nous n’avons pas pris toute la mesure car les équilibres géopolitiques se modifient. Ces confusions s’inscrivent elles-mêmes dans de grandes turbulences économiques: la crise de 2008 a laissé de profondes cicatrices, tandis que le vieillissement de la population, combiné aux révolutions de la numérisation, va modifier toute la sphère des comportements économiques. Nous ressentons tous le sentiment diffus de la fin d’un monde révolu.
La Belgique n’a que faire des vendeurs de grands soirs et autres locutions stériles d’isolationnisme économique. Le pays est exténué par une gestion politique qui soustrait les énergies plutôt qu’elle ne les multiplie.
Or que se passe-t-il? Au lieu de prendre le recul de la réflexion et le grand angle du temps, notre pays trouve, de manière introvertie, son occupation dans l’immédiateté. Tout se passe comme si le mouvement se substituait à la pensée stratégique et comme si l’addition des influences politiques quotidiennes emplissait le vide de l’expression étatique.
La nécessité soudaine escamote la création et les critères de la pensée. Par exemple, depuis les attentats, au lieu de consacrer une union nationale et une concentration d’efforts vers l’apaisement, tout n’est qu’expressions de véhémences, déchirures, grèves multiples et autres actes manqués.
Tout le monde veut exister
Que ce soit dans le domaine politique ou syndical, tout le monde veut exister mais sans contribuer à une œuvre commune. C’est frappant dans le domaine institutionnel: alors que la planète se mondialise, nous nous fragmentons en espérant que la crédibilité des entités divisées surmontera l’incrédulité du reste du monde.
La Belgique devient d’ailleurs anxiogène car elle est, en permanence, suspendue à l’imminence de réformes constitutionnelles qui rendent ses armatures instables et imprécises. Aucune population ne peut articuler et déployer un projet de prospérité collective lorsque les fondations régaliennes sont instables.
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