Du site du Figaro (Alexandre Devecchio) via artofuss.blog :
Chantal Delsol: «Les grands mots ronflants sur la paix universelle n’ont jamais rien produit»
28 février 2022
CHRONIQUE – Même si les Occidentaux n’ont aucune velléité belliqueuse, ils doivent tirer les leçons de l’invasion de l’Ukraine et s’armer pour préparer les guerres futures, explique la philosophe. «Nous allons devoir comprendre que notre pacifisme ne s’est pas étendu à la terre entière», argumente-t-elle.
Il est très extraordinaire de constater depuis des années la complaisance, voire le soutien, d’une partie de la droite française à l’égard de Poutine. La raison en est d’abord l’antiaméricanisme de ce courant, capable de valoriser n’importe quel adversaire de l’Amérique. Et puis la droite a parfois tendance à croire que Poutine est un conservateur, parce qu’il pourchasse les Pussy Riot et révère les patriarches orthodoxes – ce qui est une profonde méprise, Poutine est juste un gangster et un autocrate pragmatique. Son discours contre «la décadence de l’Occident» peut plaire à ceux qui, ici, déplorent le crépuscule de nos croyances – et pourtant il n’y a guère plus décadent que Poutine et ses oligarques, nés dans le chaudron communiste où il n’y eut jamais ni principes, ni valeurs, ni conscience morale.
Pourtant, les menées de ce personnage inquiétant peuvent nous inciter à un certain retour au réel.
Nous sommes les héritiers des utopies multiples. Le marxisme et aussi le nazisme étaient des utopies. Nous ne nous sommes pas encore débarrassés de cette forme de pensée. Aussitôt après la chute du communisme ont émergé les théories de la «fin de l’histoire», qui reprenaient l’une des croyances chères au marxisme: celle du paradis sur terre, à gagner bientôt par quelques sacrifices présents. Depuis la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, l’Occident se trouve encore ancré dans l’illusion de l’anéantissement des guerres, du commerce qui remplace la force (vieille idée qui n’est pas fausse mais ne peut pas être aussi radicale), du gouvernement mondial, de la morale qui remplace la politique.
C’était à nous d’apporter la démocratie au monde, ce que nous avons tenté de faire en soutenant partout les révolutions de couleurs et en aidant à faire tomber les dictateurs. Les révolutions de couleurs, qui se sont avérées surtout le fait d’une élite occidentalisée, ont été partout réprimées, et quand la chute d’un dictateur nous permettait d’aider à établir la démocratie, le vote conférait souvent le pouvoir à d’autres dictatures. Nous sommes néanmoins encore volontiers convaincus que nous allons abolir la force et la violence, la guerre, la conquête et les frontières, grâce à la modernité, à la consommation et au «doux commerce». Il suffit de regarder les documents européens pour apercevoir cette utopie en toutes lettres. Pendant que Poutine (comme d’ailleurs l’ensemble des peuples non occidentaux) se trouve «encore» dans la mentalité de la force et de l’identité nationale et culturelle, ce qui nous paraît d’un esprit obsolète.