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Jésus, le seul Dieu ressuscité dans l’histoire des religions
26 janvier 2020
Pourquoi Jésus est-il vraiment unique dans toute l’histoire des religions ? Il est le seul dont des témoins attestent, au prix de leur vie, que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts. C’est par elle que Jésus manifeste une humanité transfigurée qui préfigure notre propre résurrection.
Le dessin de la figure de Jésus s’achève avec un trait absolument unique, lui aussi, à savoir le témoignage rendu à sa résurrection d’entre les morts. Il n’est aucun autre homme, dans l’histoire, duquel on ait affirmé sérieusement une chose pareille. Et la nature et le contexte de ce témoignage sont tels que la seule explication plausible du surgissement et du succès d’une telle affirmation est la réalité de son objet, à savoir l’événement réel — et, en ce sens, pleinement historique — de la résurrection.
Un témoignage massif et universel
Le témoignage du Nouveau Testament concernant la résurrection de Jésus est massif et universel. Les quatre Évangiles ont été rédigés à la lumière de la foi pascale et ne peuvent se comprendre qu’à cette lumière. On ne les saisit adéquatement qu’en les lisant en fonction de leurs derniers chapitres. Même le récit de Noël, dans l’Évangile de Luc, est écrit à la lumière de Pâques. Or, non seulement les Évangiles parlent chacun de la résurrection de Jésus dans leur conclusion, mais leur concept même, qui est d’être un eu-angelion (en grec), une « Bonne Nouvelle », serait impensable et contradictoire si le porteur et l’objet de cette « joyeuse annonce » n’avait abouti qu’à l’échec de la mort en croix, si Dieu avait définitivement abandonné celui qui se présentait comme son Fils, si le Royaume de Dieu annoncé par Jésus s’était éventé avec sa mort infamante. Quant au livre des Actes des Apôtres, il est tout entier consacré à l’annonce de la mort et de la Résurrection de Jésus depuis Jérusalem jusqu’à Rome en passant par toute la Palestine, l’Asie Mineure et la Grèce.
Il en va de même pour saint Paul, dont les lettres sont toutes portées par la foi en la Résurrection, comme en témoigne éminemment le passage, célèbre entre tous, où il s’en prend à des hérétiques (déjà !) qui niaient la résurrection des morts (1Cor 15, 12-20). L’épître aux Hébreux, elle aussi, est tout entière suspendue à la foi pascale puisqu’elle célèbre le sacerdoce éternel du Christ qui, par sa résurrection, est devenu « un grand prêtre souverain qui a traversé les cieux » (Hé 4, 14). Le rôle de la résurrection est également central dans les épîtres catholiques (de Jacques, Pierre, Jean et Jude) et surtout dans l’Apocalypse, qui culmine dans la contemplation de l’Agneau pascal, immolé et ressuscité (Ap 5). Par sa résurrection, Jésus a été réhabilité, il a été glorifié et il a atteint sa pleine stature humaine.
Pas de messe en ce samedi, pas d’ornements ni de fleurs sur les autels; le tabernacle, vidé de la présence réelle, est ouvert. L’Église est entrée dans le «grand silence» qui précède l’exultation de Pâques. Ce «terrible mystère» d’un Dieu qui se tait interpelle plus que jamais les croyants.
Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican
«Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude; un grand silence parce que le Roi dort. La terre a tremblé puis s’est calmée parce que Dieu s’est endormi dans la chair, et il a réveillé ceux qui dormaient depuis des siècles». Cette homélie du IVe siècle attribuée à Saint Épiphane de Salamine explore admirablement le mystère du Samedi Saint, ce moment où le Christ repose sans vie dans son tombeau, où l’espérance semble avoir déserté la terre, «où la foi semble être définitivement démasquée comme une illusion» (Benoît XVI).
Durant cette période relativement brève, ce «temps au-delà du temps», le Christ «descend aux Enfers»; c’est-à-dire qu’Il plonge dans la solitude la plus extrême et la plus absolue de l’homme, la mort, pour la partager, l’illuminer et l’en délivrer. «Voici précisément ce qui est arrivé le jour du Samedi Saint, dans le royaume de la mort, la voix de Dieu a retenti», assurait Benoît XVI dans une longue et éclairante méditation partagée lors de l’ostension solennelle du Saint-Suaire de Turin (2010). «L’humanité est devenue particulièrement sensible au mystère du Samedi Saint. Dieu caché fait partie de la spiritualité de l’homme contemporain (…) comme un vide dans le cœur qui s’élargit toujours plus», reconnaissait-il encore, dans une référence tacite au silence de Dieu ressenti avec douleur, et parfois révolte, à certains moments de l’Histoire ou de nos vies personnelles.
Commentaire sur l'évangile de Jean, 12, 19, PG 74, 679-682.
Ils prirent le corps de Jésus, et ils l'enveloppèrent d'un linceul, en employant les aromates, selon la manière juive d'ensevelir les morts. Près du lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n'avait encore mis personne (Jn 19,40-41).
On a compté parmi les morts celui qui, à cause de nous, est au nombre des morts selon la chair, mais que l'on connaît comme étant la vie selon sa nature même et grâce à son Père; et il l'est en vérité. Mais, pour accomplir toute justice, celle qui convient à la condition humaine, il ne soumit pas seulement son corps à une mort volontaire, mais aussi à ce qui en est la suite: ensevelissement et mise au tombeau.
L'évangéliste nous dit que ce tombeau était dans un jardin, et qu'il était neuf; cela symbolise en quelque sorte que, par sa mort, le Christ a préparé et réalisé notre retour au paradis. Car il y es t entré lui-même comme notre avant-coureur et chef de file.
Que le sépulcre soit désigné comme neuf, cela signifie un retour de la mort à la vie, nouveau et sans précédent, le renouvellement préparé par le Christ pour nous protéger de la corruption. Car notre mort, par la mort du Christ, a reçu un sens nouveau qui l'a transformée en une sorte de sommeil. En effet, nous vivons comme devant vivre pour Dieu, selon les Écritures (Rm 6,10-11). C'est pourquoi saint Paul appelle invariablement ceux qui sont morts dans le Christ: ceux qui se sont endormis.
Jadis en effet, le pouvoir de la mort a triomphé de notre nature. Depuis Adam jusqu'à Moïse la mort a régné, même sur ceux qui n'avaient pas péché par désobéissance à la manière d'Adam (Rm 5,14). Nous sommes à l'image de celui qui est pétri de terre (1Co 15,49), Adam, et nous subissons la mort qui pèse sur nous par la malédiction divine (cf. Ga 3,13).
Mais après que le nouvel Adam, l'Adam divin et céleste, eût resplendi pour nous, après qu'il eût combattu pour la vie de tous, il a racheté la vie de tous par sa mort charnelle, et après avoir détruit l'empire de la mort, il est revenu à la vie. Alors nous avons été transformés à son image et soumis à une nouvelle sorte de mort, qui ne nous dissoudra pas dans une corruption sans fin, mais qui nous apportera un sommeil plein d'espérance, à la ressemblance de celui qui a inauguré pour nous cette route, et qui est le Christ.
« Que se passe-t-il ? Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude. Un grand silence parce que le Roi dort. La terre a tremblé et s’est apaisée, parce que Dieu s’est endormi dans la chair et qu’il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. Il va chercher Adam, notre premier Père, la brebis perdue. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Il va pour délivrer de leurs douleurs Adam dans les liens et Ève, captive avec lui, lui qui est en même temps leur Dieu et leur Fils. Le Seigneur s’est avancé vers eux, muni de la Croix, l’arme de sa victoire. Lorsqu’il le vit, Adam, le premier homme, se frappant la poitrine dans sa stupeur, s’écria vers tous les autres : « Mon Seigneur avec nous tous ! » Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit ». Il le prend par la main et le relève en disant : « Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ». « Je suis ton Dieu, qui pour toi suis devenu ton Fils. Je te l’ordonne : “Lève-toi, ô toi qui dors”, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Relève-toi d’entre les morts : moi, je suis la vie des morts. Lève-toi, œuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à mon image. Éveille-toi et sortons d’ici. Car tu es en moi, et moi en toi. Lève-toi, partons d’ici. L’ennemi t’a fait sortir de la terre du paradis ; moi je ne t’installerai plus dans le paradis, mais sur un trône céleste. Je t’ai écarté de l’arbre symbolique de la vie ; mais voici que moi, qui suis la vie, je ne fais qu’un avec toi ».
En 2010, Benoît XVI s’était rendu en pèlerinage à Turin à l’occasion d’une ostension du Saint-Suaire (10 avril-23 mai). Devant la relique, il a fait cette méditation pour tous les fidèles assemblés avec lui :
« En diverses autres occasions, je me suis trouvé face au Saint-Suaire, mais cette fois, je vis ce pèlerinage et cette halte avec une intensité particulière: sans doute parce que les années qui passent me rendent encore plus sensible au message de cet extraordinaire Icône; sans doute, et je dirais surtout, parce que je suis ici en tant que Successeur de Pierre, et que je porte dans mon cœur toute l'Eglise, et même toute l'humanité. Je rends grâce à Dieu pour le don de ce pèlerinage et également pour l'occasion de partager avec vous une brève méditation qui m'a été suggérée par le sous-titre de cette Ostension solennelle: "Le mystère du Samedi Saint".
On peut dire que le Saint-Suaire est l'Icône de ce mystère, l'Icône du Samedi Saint. En effet, il s'agit d'un linceul qui a enveloppé la dépouille d'un homme crucifié correspondant en tout point à ce que les Evangiles nous rapportent de Jésus, qui, crucifié vers midi, expira vers trois heures de l'après-midi. Le soir venu, comme c'était la Parascève, c'est-à-dire la veille du sabbat solennel de Pâques, Joseph d'Arimathie, un riche et influent membre du Sanhédrin, demanda courageusement à Ponce Pilate de pouvoir enterrer Jésus dans son tombeau neuf, qu'il avait fait creuser dans le roc à peu de distance du Golgotha. Ayant obtenu l'autorisation, il acheta un linceul et, ayant descendu le corps de Jésus de la croix, l'enveloppa dans ce linceul et le déposa dans le tombeau (cf. Mc 15, 42-46). C'est ce que rapporte l'Evangile de saint Marc, et les autres évangélistes concordent avec lui. A partir de ce moment, Jésus demeura dans le sépulcre jusqu'à l'aube du jour après le sabbat, et le Saint-Suaire de Turin nous offre l'image de ce qu'était son corps étendu dans le tombeau au cours de cette période, qui fut chronologiquement brève (environ un jour et demi), mais qui fut immense, infinie dans sa valeur et sa signification.
Le Samedi Saint est le jour où Dieu est caché, comme on le lit dans une ancienne Homélie: "Que se passe-t-il? Aujourd'hui, un grand silence enveloppe la terre. Un grand silence et un grand calme. Un grand silence parce que le Roi dort... Dieu s'est endormi dans la chair, et il réveille ceux qui étaient dans les enfers" (Homélie pour le Samedi Saint, PG 43, 439). Dans le Credo, nous professons que Jésus Christ "a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers. Le troisième jour est ressuscité des morts".
Publié le 06 Avr 2023 Sur le site web du bimensuel « L’Homme Nouveau » :
« Si les trois cérémonies majeures du Triduum sacré – Messe vespérale du Jeudi Saint, Office de la Croix le Vendredi Saint et Vigile Pascale – sont familières à nombre de fidèles, les offices des Ténèbres sont plus méconnus. Est-ce dû à l’horaire auquel ils sont chantés, peu familial, ou à l’absence d’action liturgique qui les rend peu perméables au néophyte ? Coup de projecteur sur un office éminemment singulier.
Communauté Saint-Martin, Office des Ténèbres du Samedi-Saint
Héritage très ancien des temps où les Matines étaient chantées au cœur de la nuit, ce qui se pratique encore en certains monastères, les Ténèbres rassemblent les deux offices de Matines et Laudes pour chacun des trois jours saints. Cet office nous plonge dans la contemplation de l’abaissement inouï du Fils de Dieu, « qui se fit pour nous obéissant jusqu’à la mort » (Ph 2, 8).
Alors que d’ordinaire l’office des Laudes s’achève au lever du soleil, symbole triomphant de la gloire de Dieu chantée par l’Église, le principe même des Ténèbres consiste à terminer l’office dans une obscurité profonde. Les rideaux d’un vaste drame en trois actes s’ouvrent sous les yeux de notre âme : les funérailles du Fils de Dieu.
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » : laisser la liturgie nous plonger dans l’obscurité
Afin de baigner les cœurs dans la compassion aux souffrances du Sauveur, la liturgie se dépouille entièrement de ce qui pouvait rappeler la joie du Ciel ou même la Gloire de Dieu. Les traditionnelles formules telles que « Domine, labia mea aperies / Seigneur ouvrez mes lèvres », « Deus in adjutorium meum intende / Dieu venez à mon aide », « Tu autem Domine, miserere nobis /Vous aussi Seigneur ayez pitié de nous », et même le Gloria Patri ont disparu. Les hymnes de même.
Ne restent que les psaumes encadrés de sobres antiennes, les leçons des nocturnes et les répons qui donnent à eux seuls l’atmosphère spirituelle de ces Offices. Ils ne conservent plus que ce qui leur est essentiel dans la forme, et ils ont perdu toutes ces aspirations vives que les siècles y avaient ajoutées.
Au maître autel, les six cierges sont de cire jaune, comme les quinze cierges du chandelier mystérieux qui trône dans le chœur. C’est l’extinction progressive de ce chandelier qui marque la seule action liturgique de ces offices. Ces flammes soufflées au rythme des psaumes qui s’achèvent nous représentent ce mystère de la Gloire de Dieu qui peu à peu abandonne Notre-Seigneur…
Un seul, celui qui est placé à l’extrémité supérieure du chandelier à quinze branches, reste allumé. Pendant le Cantique du Benedictus, en conclusion de l’office de Laudes, les six cierges qui brûlaient sur l’autel sont pareillement éteints. Alors le cierge restant, solitaire, est posé quelques instants sur l’autel, luttant seul contre les ombres qui remplissent l’église : le Christ, abandonné de tous, est cloué à la Croix, mourant pour les hommes, alors que les ténèbres s’amoncellent dans le ciel. Puis le cierge est caché, figure de la sépulture du Christ.
Alors les clercs présents au chœur, ainsi que les fidèles à genoux dans les travées de la nef, sont invités « taper sur leur banc ». Ce bruit, volontairement confus, se fait entendre tandis que le dernier flambeau a plongé dans l’obscurité. Ce tumulte joint aux ténèbres, explique dom Guéranger, exprime les convulsions de la nature, au moment de la mort du Rédempteur. Mais tout à coup le cierge reparaît ; le bruit cesse. Pourquoi donc ? Car le Rédempteur a triomphé de la mort.
Les trois jours, ce sont exactement les mêmes cérémonies qui se répètent ; le seul changement est à l’autel : mercredi soir, les nappes sont encore présentes : Jésus n’est pas encore aux mains de ses bourreaux, nous assistons à son agonie au Mont des Oliviers (comme le chante le premier répons) ; jeudi soir, l’autel a été dépouillé : Jésus est entré pleinement dans sa passion, et nous assistons aux profondeurs de ses souffrances ; vendredi soir, la croix est dévoilée, montrant à tous le corps sans vie du Rédempteur : les Ténèbres sont alors le chant de deuil de l’Église qui pleure son Epoux.
Jérémie, prophète de la déréliction
La structure des Ténèbres est parfaitement symétrique sur les trois jours. Aux premiers nocturnes, les lamentations du prophète Jérémie, témoin impuissant du malheur et de la ruine de Jérusalem infidèle, font retentir chaque soir leurs accents déchirants sur une mélodie que l’on ne retrouve en aucune autre circonstance, culminant avec la déchirante Oraison de Jérémie du Samedi Saint ; à chaque fois, revient ce lancinant appel à la conversion, seule moyen de sauver la Cité Sainte, qui s’adresse à chacun de nos cœurs : « Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu. »
Les répons, reconstitution de la Passion
Les répons séparant les leçons sont les seules pièces grégoriennes véritablement développées de ces offices. Ils fondent, par les textes qui les composent, la progression des trois jours en reconstituant les trois étapes du drame de la Passion : trahison, crucifixion, sépulture. Les âmes n’ont qu’à se laisser porter par les différents sentiments que provoquent en elles ces mélodies tour à tour plaintives, graves, tristes ou violentes.
Le Jeudi Saint met en scène la trahison : nous assistons d’abord à l’agonie du Christ, nous invitant à regretter nos fautes qui font de lui l’Homme de douleur prophétisé par Isaïe. Puis advient la trahison de Judas : nous sommes alors confrontés à nos propres trahisons.
Les trois derniers répons représentent les douloureux reproches de Jésus : d’abord à tous ceux qui fomentent des complots contre Lui, figures des âmes tièdes qui ne se détournent pas assez du péché ; ensuite aux apôtres (et à nous à travers eux) qui n’ont pas pu veiller une heure avec Lui, malgré l’infinie abondance des grâces reçues ; enfin aux anciens du Peuple, tous ces hommes à l’âme flétrie, qui se sont détournés, de cet esprit d’enfance sans lequel nul n’entrera au Royaume des cieux…
Le Vendredi Saint nous fait assister à la Crucifixion : commençant par nous dévoiler les sentiments d’abandon et de trahison qui remplissent l’âme de Jésus, ils nous montrent le voile du Temple qui se déchire en même temps que Jésus promet le Paradis au bon larron.
Au deuxième nocturne, c’est le cœur de la détresse du Christ qui est illustré, avec les ténèbres qui couvrent la terre lorsqu’Il s’écrie vers son Père : « Pourquoi m’avez-Vous abandonné ? », rejoignant ainsi toutes les âmes qui font l’expérience de la nuit spirituelle, cet état où l’on se sent abandonné de Dieu. Le dernier nocturne n’est qu’une longue suite de plaintes exprimant toute la douleur de l’Homme-Dieu : douleur physique bien sûr, mais surtout douleur de nous voir si infidèles à l’amour qu’Il nous porte…
Le Samedi Saint est en quelque sorte une veillée funèbre autour du Tombeau du Christ. Les répons du premier nocturne se contentent de rappeler les évènements de la veille, suscitant dans les âmes le deuil et l’angoisse bien sûr, mais également une grande tendresse envers Jésus : c’est toute la fécondité surnaturelle de la componction, par laquelle le pécheur revient au Père, sauvé par les mérites que lui a acquis la mort du Fils. Les répons des deux derniers nocturnes invitent l’âme à contempler les effets de la Passion. On entre plus profondément dans le mystère de la Rédemption, source de grande paix.
Obéissant jusqu’à la mort…
À la fin de l’Office, du chœur plongé dans l’obscurité la plus complète monte une dernière mélodie qui chaque jour se prolonge un peu : « Le Christ s’est fait pour nous obéissant jusqu’à la mort / la mort de la Croix / et c’est pourquoi Dieu l’a exalté en lui donnant un Nom au-dessus de tout nom. » Très grave Jeudi et Vendredi, le verset du Samedi, dernier chant de ces Offices, revêt une grande légèreté, comme une clarté céleste : à l’image d’une Église voulant sécher les larmes de ses enfants en leur donnant enfin l’explications de toutes ces souffrances endurées par son Époux.
En définitive, c’est en se laissant porter par les impressions conjuguées de l’obscurité grandissante et de la profondeur des chants que nous pourrons réellement entrer dans l’esprit de ces Ténèbres. Ils nous porteront par une longue méditation de la Passion aux portes du Sépulcre, où nous pourrons attendre avec toute l’Eglise la lumière de la Résurrection. »
℟. Christus factus est pro nobis obédiens usque ad mortem, mortem autem crucis. ℣. Propter quod et Deus exaltávit illum: et dedit illi nomen, quod est super omne nomen.
℟. Le Christ S'est fait pour nous obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix. ℣. C'est pourquoi Dieu L'a élevé, et Lui a donné le nom qui est au dessus de tout nom.
Passio Domini nostri J.C. sec. Johannes (Evangelium Passionis et Mortis Domini)
1 – O mon peuple que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi !
2 – T’ai-je fait sortir du pays d’Egypte, T’ai-je fait entrer en Terre Promise, Pour qu’à ton Sauveur, Tu fasses une Croix ?
3 – T’ai-je guidé quarante ans dans le désert Et nourri de la manne, Pour qu’à ton Sauveur, Tu fasses une Croix ?
4 – Moi, je t’ai planté, ma plus belle vigne, Et tu n’as eu pour Moi que ton amertume Et du vinaigre pour ma soif !
5 – Moi, j’ai pour toi frappé l’Egypte, J’ai englouti dans la mer Pharaon et son armée ! Toi tu M’as livré aux grands-prêtres et les soldats M’ont flagellé !
6 – J’ai ouvert devant toi les eaux de la mer ; Toi, de ta lance, tu M’as ouvert le cœur ! Je t’ai arraché à l’abîme des eaux Et tu M’as plongé dans l’abîme de la mort !
7 – Moi, aux eaux vives du Rocher, je t’ai fait boire le salut ; Toi, tu Me fis boire le fiel, et tu M’abreuvas de vinaigre!
8 – Devant toi, j’ai fait resplendir ma Gloire, Dans le buisson ardent et la colonne de nuée ; Et tu M’as tourné en dérision et vêtu d’un manteau de pourpre !
9 – Pour toi, j’ai frappé l’Egypte et sa puissance, J’ai fait de toi mon peuple, un peuple de rois ; Et tu M’as couronné la tête d’une couronne d’épines !
10 – Moi, Je t’ai exalté par ma toute puissance ; Toi, tu M’as pendu au gibet de la Croix ! Je t’ai choisi parmi toutes les nations ; Toi, tu M’as rejeté hors des murs de Jérusalem !
Homélie du Père Joseph-Marie Verlinde (homelies.fr - Archive 2009)
« Venez et vous verrez » (Jn 1, 39) : cette invitation adressée par Notre-Seigneur à ses premiers disciples, prend ici tout son sens. Pour découvrir qui est Jésus, il faut oser nous mettre à sa suite sur les chemins de sa Pâque, et contempler avec les yeux de la foi, la gloire du Fils de Dieu qui resplendit au cœur même de la déréliction de sa Passion d’amour.
Le Vexilla Regis est l’hymne du temps de la Passion et des fêtes de la Sainte Croix. Son texte (comme celui du Pange lingua du Vendredi Saint) fut composé par l’hymnographe saint Venance Fortunant au VIème siècle, à l’occasion de la réception solennelle des reliques de la vraie Croix à Poitiers par la reine de France sainte Radegonde.
Vexilla regis prodeunt
fulget crucis mysterium quo carne carnis conditor suspensus est patibulo.
Quo, vulneratus insuper mucrone diro lanceae ut nos lavaret crimine manavit unda et sanguine.
Arbor docora et fulgida, ornata regis purpura, electa digno stipite tam sancta membra tangere !
Beata, cuius brachiis saecli pependit pretium ; statera facta est corporis praedam tulitque tartari.
Salve, ara, salve victima, de passionis gloria, qua vita mortem pertulit et morte vitam reddidit !
O crux, ave, spes unica ! hoc passionis tempore piis adauge gratiam reisque dele crimina.
Te, fons salutis, Trinitas, collaudet omnis spiritus ; quos per crucis mysterium salvas, fove per saecula.
Les étendards du roi s'avancent mystère éclatant de la croix au gibet fut pendue la chair du créateur de toute chair.
C'est là qu'il reçut la blessure d'un coup de lance très cruel et fit jaillir le sang et l'eau pour nous laver de nos péchès.
Arbre dont la beauté rayonne, paré de la pourpre du roi, d'un bois si beau qu'il fut choisi pour toucher ses membres très saints !
Arbre bienheureux ! À tes branches la rançon du monde a pendu !
Tu devins balance d'un corps et ravis leur proie aux enfers !
Salut, autel ! Salut, victime de la glorieuse passion ! La vie qui supporta la mort, par la mort a rendu la vie.
O croix, salut, espoir unique ! En ces heures de la passion augmente les grâces des saints, remets les fautes des pécheurs.
Trinité, source salutaire, que te célèbre tout esprit ; ceux que tu sauves par la croix, protège-les à tout jamais.
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Ce cri de Jésus sur la Croix est une parole étrange pour le croyant. Dieu n'abandonne jamais ses amis. Tant de psaumes le disent, et en particulier ce psaume 21, que Jésus reprend ici, et qui se termine par une exultation pour la délivrance que Dieu apporte à son serviteur, au terme d'une épreuve qui ne dure qu'un moment.
Nietzsche a été jusqu'à dire que Jésus à ce moment terrible avait perdu la foi et avait compris que sa mission n'était qu'une illusion. Nous ne pouvons pas être d'accord avec cette manière de voir les choses. Car après ce cri de détresse de Jésus, il y a sa dernière parole: Père, en tes mains je remets mon esprit. Oui, le cri de Jésus, se sentant abandonné, nous scandalise, et pourtant il est là mystérieusement.
De nos jours, on a beaucoup parlé de la mort de Dieu. L'histoire du dernier siècle a été trop tragique. Les camps de concentration du goulag soviétique, ceux de l'Europe dominée par l'Allemagne, ceux de Chine, du Cambodge ou du Vietnam, tant de faits tragiques nous poussent à croire que Dieu n'est plus là. Et pourtant face au mystère du mal absolu, la liberté de l'homme subsiste. Dans les camps, on a vu des croyants perdre la foi et on a vu des athées trouver Dieu.
Jésus a poussé ce cri, non en hébreu, la langue liturgique, mais en araméen, la langue de tous les jours, celle qu'on parle à la maison. Ce cri surgit donc de toute la profondeur humaine du Christ, c'est le cri d'un petit enfant à son papa. De ce cri, les assistants vont se moquer. Ils ont dû bien comprendre que c'est à Dieu, et non à Élie que ce cri s'adressait mais ils vont jouer sur les mots. Élie était dans la religion populaire de ce temps, le patron des causes désespérées, un peu comme sainte Rita aujourd'hui. Ils ont réagi comme le feraient de nos jours de cruels moqueurs devant un malheureux en détresse : même sainte Rita ne fera rien pour toi.
Essayons maintenant de comprendre du point de vue de la foi ce que cela signifie. Les mystiques peuvent nous y aider. Je pense notamment à Marthe Robin, la stigmatisée. Chaque vendredi, elle revivait la passion de Jésus. Mais les douleurs physiques n'étaient rien en comparaison des douleurs morales. Marthe ressentait l'absence de Dieu, la coupure totale avec la source divine. Elle pensait que le malheur du XXe siècle était la séparation qu’avait faite l’humanité d’avec Dieu (sorte d’enfer sur terre) elle pensait qu’en éprouvant cette impression de déréliction et de condamnation elle représentait l’humanité entière, en ce XXe siècle à son déclin. Elle se tenait aux portes de l’enfer pour que l’enfer soit vide. Elle imaginait que c’était là son office principal, sa tâche, son métier.
Saint Paul l'avait dit : le Christ s'est fait péché, malédiction pour nous. Il a pris sur la croix, non pas la culpabilité du péché, il est l'innocence en personne, mais la peine du péché. Comme l'a dit von Balthasar : il faut être Dieu pour comprendre vraiment ce que signifie être privé de Dieu.
Jésus abandonné ?, mais ce thème est présent dans tout l’Évangile : Jésus incompris par sa famille, Jésus incompris par ses disciples, Jésus trahi par l'un des siens, lâché par ses apôtres, renié par Pierre, condamné par les grands prêtres, abandonné par son Père. Oui Jésus est bien seul. La solitude, voilà ce qui est au cœur de toute souffrance. Dans toute souffrance, il y la perte de Dieu.
Et c'est justement en acceptant cela que nous allons comprendre le cœur de l’Évangile, bonne nouvelle du salut. Car ce salut concerne d'abord les plus malheureux et les plus souffrants, les âmes les plus abandonnées. La Croix de Jésus est scandale pour les Juifs et folie pour les Grecs. Comment reconnaître Dieu, sa présence et son salut, dans une épave humaine, abandonnée de tous, lors d'un échec lamentable ? Comment voir Dieu dans une vie ratée ?
Eh bien pourtant, c'est là que nous trouvons Dieu. Tout est renversé dans la Croix du Christ. Dans sa déréliction absolue, il a voulu rejoindre les damnés de la terre, s'identifier à eux. Il est descendu dans notre enfer. Et c'est quand nous ressentons l'absence de Dieu que nous le trouvons le plus profondément. Quand pour nous la foi semble disparaître, quand la prière semble impossible, quand l'espérance semble ne plus être qu'une illusion, quand notre vie est complètement ratée, c'est le moment où nous pouvons enfin entrer dans la vérité de la vie. Un proverbe indien le dit: le moment le plus noir de la nuit est celui qui précède tout juste l'aurore. La consolation que nous apporte l’Évangile n'est jamais une consolation facile, faite de bonnes paroles, qui glissent sur celui qui souffre comme un peu d'air frais. Elle ne ressort pas de la langue de bois. Elle est affrontement face à face de nos ténèbres, mais dans cet affrontement, le Christ nous rejoint et nous sauve de l'intérieur.
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? C'est à ce moment que Jésus a le plus souffert. Mais aussi c'est quand il a le plus souffert, qu'il a le plus aimé.