Dans l’hebdomadaire « La Vie », Marie-Lucile Kubacki parcourt le terrain miné pour l’engagement des chrétiens :
« Le 28 février, le cardinal Parolin, ministre des Affaires étrangères du Vatican, interrogé par quatre journaux italiens, plaide pour l’arrêt de l’escalade militaire et des bombardements, ainsi que pour l’ouverture de négociations. Il tend également la main pour une forme de médiation diplomatique : « Le Saint-Siège, qui ces dernières années, a suivi les événements en Ukraine de manière constante, discrète et avec une grande attention, en offrant sa volonté de faciliter le dialogue avec la Russie, est toujours prêt à aider les parties à reprendre cette voie », déclare-t-il.
Trois jours plus tôt, le pape François s’est rendu au siège de l’ambassade de Russie près le Saint-Siège, via della Conciliazione, pour manifester sa préoccupation pour la guerre. Un geste inédit, hors des habitudes diplomatiques. Le 26 février, il a également échangé par téléphone, avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui l’a ensuite remercié sur Twitter pour son « soutien spirituel ».
Il s’est entretenu par téléphone avec le responsable de l’Église gréco-catholique d’Ukraine, Mgr Sviatoslav Shevchuk, réfugié dans les sous-sols de la cathédrale de la Résurrection, à Kiev, l’assurant, selon un porte-parole grec-catholique, qu’il ferait « tout ce qu’il pouvait ». Lors du dernier angelus et de l’audience générale du 23 février, il a fustigé « la logique diabolique et perverse des armes » et appelé à prier et à jeûner pour la paix en Ukraine et dans le monde, le mercredi des Cendres.
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L’Ukraine, épine dans le pied du Saint-Siège
Le Saint-Siège pourrait-il rejouer un scénario comme celui de la médiation de Jean XXIII avec Khrouchtchev au moment de la crise des missiles de Cuba de 1962 ? Difficile à croire, tant le monde a basculé en l’espace de 60 ans. Le contexte, le monde et les interlocuteurs sont totalement différents. « Poutine ne comprend que le rapport de force. Se placer sur un plan spirituel avec lui n’aurait pas de sens. Le pardon, la miséricorde… C’est un langage dont il se moque », alerte Yves Hamant, professeur émérite des universités en civilisation russe et soviétique.
En outre, impossible de décrypter précisément l’attitude du Saint-Siège, tant les informations sur le sujet sont un des secrets les mieux gardés du moment, signe d’une prudence extrême. Il faut dire que le terrain est miné. « L’Ukraine a toujours été une épine dans le pied de la diplomatie vaticane », réagit Constance Colonna-Cesari, auteure de « Dans les secrets de la diplomatie vaticane » (Seuil, 2016), qui rappelle que l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 n’avait suscité aucune condamnation de la part du Saint-Siège.
« Le pape joue là un jeu délicat, poursuit-elle, car il a toujours voulu maintenir un bon dialogue avec le patriarche de Moscou, Kirill, avec lequel il a signé en 2015 un accord pour l’unité à La Havane. Or l’Ukraine est une question qui fâche le Patriarcat de Moscou, qui perd des fidèles depuis que plusieurs Églises orthodoxes font sécession. » C’est le cas de l’Église orthodoxe d’Ukraine qui, au grand dam de Moscou, a été reconnue comme « autocéphale » en 2019 par le Patriarcat de Constantinople, avec lequel François entretient aussi de bonnes relations.
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