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Patrimoine religieux - Page 87

  • La rupture ?

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    De Pierre Nespoulos sur la Semaine de Castres et du Tarn :

    La rupture ? 

    Le « motu proprio » (décret pris par le pape François) « Traditionis custodes » soit « Les gardiens de la tradition » (!) secoue ces temps derniers les milieux catholiques, voire au-delà. La possibilité ouverte par Jean-Paul II et libéralisée par Benoît XVI en 2007 de célébrer la messe communément appelée « messe en latin » est désormais abrogée, du moins soumise à de multiples autorisations, doublées de vexations. Le 7 juillet 2007 en effet, Benoît XVI avait ouvert un nouvel horizon à la liturgie traditionnelle et son « Introibo ad altare dei » (je m’approcherai de l’autel de Dieu). Dans un décret devenu célèbre, le motu proprio « Summorum pontificum », il accordait une place nouvelle à l’« ancienne messe » qui avait été marginalisée par le Concile Vatican II, avec l’argument : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous ». D’ailleurs, n’est-il pas paradoxal que ce qui était le rite millénaire soit désormais appelé « extraordinaire » ?

    La stupéfaction, l’indignation et la colère ont envahi une partie de l’Eglise pour qui cette remise en cause est pour le moins déconcertante, outre le fait qu’elle est une insulte à la face du prélat en retraite. Elle semble ajouter du sel sur des plaies dont on avait l’impression qu’elles étaient cicatrisées. Le compromis de Benoît XVI visant à apaiser le débat entre les diverses sensibilités catholiques est remis en cause de manière absurde, bien plus menée par une volonté disciplinaire que doctrinale. Le message de François est inacceptable tel qu’il est formulé. L’unité de l’Eglise ne peut être visée par des oukases mais par le dialogue fraternel. Je pensais naïvement que l’épithète « conciliant » dérivait de « concile ». L’interprétation (jésuistique?) me semble ici éloignée. Les tenants du courant moderniste imposent leur ligne, pourtant dénoncée par les critiques comme responsable de l’effondrement de la pratique religieuse, car cela ne répond pas à leurs attentes de transcendance, de sacralité, de recueillement, de mystère…

    Il faut que ce soit l’écrivain et philosophe Michel Onfray qui, bien que se revendiquant athée, explique pourquoi la décision du pape François de porter atteinte à la messe en latin dans le patrimoine liturgique le consterne : « La vie de l’Eglise catholique m’intéresse parce qu’elle donne le pouls de notre civilisation judéo-chrétienne bien mal en point. Le christianisme a façonné une civilisation qui est la mienne et dont j’estime que je peux l’aimer et la défendre ». Avant lui, Georges Brassens avait donné son avis de manière plus triviale dans une chanson célèbre « Sans le latin, la messe nous em…, à la grande fête liturgique plus de pompes soudain, plus de mystère magique et les fidèles s’en f… »

    Du passé faisons table rase. Offrons à l’avenir un monde banalisé à coup de cantiques débiles. Quand on pense au sublime héritage de la musique liturgique en latin, Mozart, Haydn, Haendel, Bach ! Est-il urgent de les remplacer par du moderne consensuel bâclé, voire du rap ? Est-ce l’Eglise de la synodalité, du décolonialisme et du paupérisme face à l’Eglise du sacré, de l’identité chrétienne assumée et de l’évangélisation ? La théologie de la Libération était une façon de comprendre le catholicisme fortement coloré de communisme : cela pouvait s’expliquer à défaut de se justifier au regard des régimes très durs d’Amérique latine dont Bergoglio eut à souffrir, mais on ne peut de notre côté ignorer les bases du christianisme qui ont façonné l’Europe. Peu concerné par le destin de l’Europe, le sud-américain François est très préoccupé par les questions sociales et peu par les questions liturgiques. Mais le pape n’est pas le président d’une ONG écolo-humanitaire !

    Je me garderai bien de décerner des brevets de catholicité en fonction d’une pratique liturgique, vivant en outre dans un diocèse où il n’y a pas de guerre ni ouverte ni larvée entre les rites. Mais je trouve excessif d’imputer aux tenants d’une fidélité à l’Histoire du catholicisme des velléités séparatistes en filigrane, comme, récemment, l’évêque de Dijon ou le Conférence des évêques de France, dans son retour sur expérience du « Summorum pontificum ».

    Si j’étais athée, il me semble qu’un appel vers le catholicisme ne viendrait certainement pas de son modernisme (pour cela j’ai Netflix!) mais par un besoin de sublime, de transcendance et de l’exemple de ceux qui s’agenouillent plus devant la croix que devant l’esprit du temps. Ce « motu proprio » liquidant l’héritage de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI  (du vivant de celui-ci, dernier irrespect) réveille les consciences endormies, devant un fallacieux progressisme dont le cheminement suicidaire n’est plus à démontrer : les églises se vident. Dans ces conditions, pousser quelques brebis vers la sortie n’est guère ni habile ni miséricordieux. L’Eglise doit-elle être « dans le vent » de l’évolution sociétale ?  Dans le vent, c’est le destin des feuilles mortes…

  • Motu Proprio « Traditionis Custodes » : les portes claquent

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    Andrea Grillo hqdefault (1).jpgD’aucuns se sont réjouis un peu vite de l’ouverture méritante quoique prudente au Motu Proprio « Traditionis custodes » esquissée par le Père-Abbé de l’importante abbaye bénédictine de Fontgombault dans un commentaire publié par l’hebdomadaire « Famille chrétienne ». Cliquez ici: Dom Pateau : « Il faut sortir de ce combat liturgique qui épuise l’Église »

    Voici la réponse fourchue que vient de lui adresser Andrea Grillo (photo ci-jointe) le plus connu des inspirateurs avérés de la prose militante du Motu Proprio signé par le pape François.

    “Cher Père Abbé,

    Dans l’interview publiée par “Famille Chrétienne” le 19/7, reprise avant-hier par le blog Messainlatino dans une traduction italienne, j’ai trouvé avant tout un esprit bénédictin de réconciliation et de paix. En cela, je suis pleinement d’accord avec vous. L’année dernière, avec un groupe de théologiens européens et américains, nous avons écrit un livre électronique sur le thème de la “réconciliation liturgique”, perspective que vous considérez également comme absolument décisive. Vos propos sont également très clairs en soulignant l’objectif de “ne pas rejeter” le texte du nouveau Motu Proprio (=MP) du Pape François, qui abroge “Summorum Pontificum” (=SP). Vous avez eu le courage de prononcer ce mot fort, spécialement dans votre milieu, et j’y trouve un signe de la grande tradition bénédictine qui caractérise non seulement votre Abbaye, mais aussi les Abbayes dans lesquelles j’ai appris à connaître et à reconnaître la force de la liturgie : Sainte Justine à Padoue, Saint Anselme à Rome, Camaldoli dans le Casentino, Dominus tecum à Prad Mill, ainsi que les nombreuses Abbayes féminines (Grandate, Fabriano, Tarquinia…).

    Nous sommes d’accord sur deux exigences tout à fait centrales : construire des ponts est devenu un impératif, ainsi que mettre fin aux batailles liturgiques s’avère être une priorité incontournable pour tous. Vous essayez de trouver le ton le plus approprié pour donner du nouveau texte une vision qui ne soit pas source de division, intolérante, d’opposition frontale. C’est un noble objectif qui vous honore. En même temps, cependant, votre texte semble rester complètement sourd au contenu du MP “Traditiones Custodes” (=TC), et cela me surprend quelque peu. Dès le titre, que vous n’avez peut-être pas déterminé, mais qui semble néanmoins fidèle au contenu de vos propos, la relation entre le texte de François et la construction de ponts est déplacée : ce que François demande, avec TC, c’est de construire des ponts “entre les personnes” dans l’unique rite commun ordinaire, et non “des ponts entre deux formes du rite romain”. Ce malentendu initial, qui trouve de nombreuses confirmations tout au long de votre interview structurée, manifeste une sorte d’ “angle mort” que je tente d’éclaircir, dans une série de brèves observations, que je vous soumets volontiers :

    a)  D’une manière générale, votre option de “ne pas rejeter le texte de François”, si on l’observe attentivement, apparaît plutôt singulière. Pour le fait que, en évaluant le texte de TC, vous le remplissez continuellement avec le contenu de SP. Mais TC a abrogé SP et la logique avec laquelle SP prétendait faire la paix. Si l’intention est de “faire la paix”, il faut donner aux mots leur véritable sens. Vous poursuivez, dans votre discours, en parlant de “deux formes du même rite”, auxquelles les baptisés “auraient droit”. Mais c’est la vision que SP a tenté d’introduire d’une façon disruptive avec des principes que la tradition n’a jamais connus. L’interprétation sur le “missel tridentin” – que vous n’êtes pas le premier à répéter et qui a vu le jour dans les déclarations du Card. Giuseppe Siri en 1951 et de M. Lefebvre après le Concile Vatican II – selon laquelle il n’aurait pas éliminé les “autres formes” du rite romain, est une élucubration sans fondement : vous devriez savoir que les “autres formes”, avec lesquelles le rite tridentin est comparé, avaient des déterminations géographiques ou personnelles très particulières. Ni le rite ambrosien ni le rite dominicain ne sont des “rites universels”, mais un ordo conditionné par des dimensions géographiques ou personnelles qui délimitent structurellement leur impact. Le Concile de Trente n’a jamais conçu, même de loin, “deux formes” du même rite existant dans la même unité d’espace, de temps et de personnes. Seul SP a tenté d’émettre l’hypothèse de l’existence simultanée de deux formes différentes et conflictuelles du même rite romain. Cette “astuce” – car il s’agit d’un trucage systématique – a apporté la “bataille”, pas la “paix”. C’est pourquoi TC a abrogé SP : parce qu’il n’est pas possible de construire des “ponts” entre différentes formes du rite romain, mais seulement des ponts entre les personnes diverses qui utilisent toutes la même forme commune du rite romain.

    b) Toujours au début, puis à plusieurs reprises dans vos réponses, vous soulignez la “dureté” et la “sévérité” de TC, qui se résume dans la perception que vous exprimez ainsi : “Le texte du Pape suggère que tout doit être fait pour que le mode de célébration sous forme extraordinaire disparaisse le plus rapidement possible. Cela inquiète à juste titre les fidèles qui sont attachés à cette forme”. D’une certaine manière, vous semblez évaluer cette histoire sous un angle privilégié. Certains monastères bénédictins, dont le vôtre, avaient en quelque sorte anticipé, sous une forme particulière et non sans éléments de rigidité et d’obstination, la solution que l’on pensait transformer en 2007 en “droit commun”. Dure et sévère a été la précipitation voulue en 2007. Elle a créé des illusions, des distorsions de perspectives, des mirages et des cauchemars. L’invention – à la limite de la mystification – d’une “forme extraordinaire” ajoutée 50 ans plus tard à la forme ordinaire rédigée sur instruction du Concile et rendue “facultative” est une démarche trop dure et trop sévère. Face à cette “dure accélération de la nostalgie”, CT apparaît au contraire comme un acte de modération et de reprise organique de la véritable histoire commune. Ce n’est pas une “prétention absurde de François” que le VO (=Vetus Ordo) disparaisse : c’est toute la tradition qui a toujours su – au moins jusqu’à l’amnésie institutionnelle de 2007 – qu’une réforme générale du rite romain remplace le rite précédent par le nouveau. Et le rite romain se trouve être celui qui résulte de la réforme. Comme cela a toujours été le cas, à travers les âges.

    c) Vous pensez que certains liturgistes “méprisent” la forme extraordinaire du rite romain et que la seule voie vers la paix serait la reconnaissance mutuelle entre les deux “formes” : ceux qui célèbrent le NO (=Novus Ordo) devraient reconnaître le VO et ceux qui célèbrent le VO devraient reconnaître le NO. Mais là aussi, les choses ne peuvent pas fonctionner ainsi, que ce soit sur le plan théologique, spirituel ou pastoral. En ce qui concerne les liturgistes, je ne peux parler qu’en mon nom et je ne me permets pas de parler au nom de tiers. Mais en ce qui me concerne, je n’ai aucun mépris pour le VO : simplement, je ne le connais pas et ne peux pas le connaître : c’est le Concile Vatican II qui le veut ainsi. Parce que c’est la forme du rite romain que le Concile a voulu réformer et qui m’est parvenue sous la seule forme que j’ai jamais célébrée : celle d’après 1969. Je trouve curieux que moi, qui suis né en 1961, je puisse dire cela en toute conscience, alors que vous, qui êtes né cinq ans après moi, pouvez célébrer ordinairement avec la forme extraordinaire. Bien sûr, je sais bien que votre identité française, vos origines vendéennes, l’histoire de l’Église de France, qui a mis en œuvre la réforme liturgique de manière beaucoup plus lente et avec moins de finesse qu’en Italie, parlent d’elles-même ici. En Italie, avec toutes nod limites, nous avons effectivement mis en œuvre et appliqué la réforme. L’accès au rite romain s’est fait dans la nouvelle forme qui est rapidement devenue ordinaire et unique, comme cela s’est toujours produit dans l’histoire de l’Église. C’est mon expérience, depuis le début, qui me parle du rite romain dans la seule forme en vigueur, depuis que j’ai l’âge de raison. Non pas par mépris personnel, mais par invraisemblance traditionnelle.

    d) Vous parlez, en même temps, de “ne pas rejeter le texte de François” et d’”attachement à la forme extraordinaire”. Le premier est une “norme”, le second une “affection”. Je crois qu’il y a là le côté le plus délicat de la question, qui ne peut être résolu ni par des “décrets d’en haut” ni par le “populisme d’en bas”. Avec TC, la façon d’aborder la question a changé. Il n’y a plus de “forme extraordinaire” du rite romain (quelque chose qui a été inventé en 2007 par SP et qui n’a aucun fondement dans le passé ecclésial) mais une seule forme du rite (celle dite “ordinaire”) et quelques concessions à l’usage du rite “non en vigueur”, qui sont destinées avec le temps à être réduites à néant. C’est la physiologie ecclésiale, pas la pathologie de François. Ainsi, le défi de faire la paix passe des “ponts entre deux formes rituelles” aux ponts “entre les fidèles qui utilisent la seule forme commune”. Beaucoup des choses que vous désignez comme “inaliénables” dans la VO doivent être découvertes, introduites ou reconnues dans l’Ordo voulu par le Concile Vatican II. Et ne serait-ce pas un petit signe de paix si une abbaye bénédictine comme la vôtre, qui a nourri une certaine hostilité à l’égard de Vatican II, se donnait progressivement à la découverte des trésors liturgiques du NO et les mettait en commun, dans l’expérience monastique et dans l’expérience ecclésiale. Et aidait ainsi toute l’Église à vivre la continuité de l’essentiel du depositum fidei (=dépôt de la foi) dans la nouvelle formulation de sa présentation.

    e) Les paroles des jeunes qui disent “la réforme n’est pas terminée” sont importantes et tout à fait vraies. La réforme ne fait que commencer. Mais cela ne justifie pas une réponse décevante : soit parce qu’elle leur fait croire qu’ils peuvent rester de ce côté de la réforme, dans un rite artificiel qui n’a plus aucun fondement ; soit parce qu’elle leur fait croire au manque de style et au laisser-aller d’une routine sans soin et sans expérience vivante. Le travail commun, transgénérationnel, sur le seul rite commun est l’horizon que le Pape François a voulu, avec autorité, remettre au centre de l’attention. Contre le détournement introduit dans l’église par la théorie de la “double forme”, qui a trompé et chagriné tout le monde. Sur un plan strictement théologique, il y a eu, au cours de ces 14 années, une sorte de “folie collective” dont François nous a réveillés, avec des mots d’une grande clarté, en vue d’une véritable réconciliation. Ce travail de réconciliation ne peut être réalisé par l’invention d’une “compétition” entre deux formes rituelles, la seconde ayant été créée pour corriger et amender la première.

    Cher Père Abbé, vous dites bien : ” Il est temps de construire des ponts “, en supprimant les lectures idéologiques. Tout d’abord, celles qui créent artificiellement un régime de “concurrence déloyale” entre des formes rituelles qui n’ont pas été faites pour ça et qui ne peuvent coexister, sinon exceptionnellement, que par un indult. Je comprends le désarroi de ceux qui s’étaient bercés de l’illusion qu’ils pouvaient vivre “universellement” avec cette contradiction embarrassante. Mais pour consoler les déçus et les trompés, nous devons utiliser les mots de TC, pas ceux de SP : sinon la blessure ne sera pas guérie et les ponts ne seront que la dénomination opportuniste par laquelle nous continuerons à appeler et à construire de nouveaux murs infranchissables”. 

    (traduzione dall’italiano al francese di Pierre Vignon)

    http://www.cittadellaeditrice.com/munera/cher-pere-abbe-sur-la-paix-liturgique-en-dialogue-avec-dom-pateau/

    Bref, un dialogue avorté: cela commence bien! Pour mémoire, l’abbaye de Fontgombault compte, sauf erreur, une soixantaine de moines auxquels il faut ajouter quelques 170 moines issus d’un essaimage de cette abbaye-mère vers ses quatre abbayes filles fondées (Triors, Randol, Donezan) ou reprise (Wisques) par elle en France et une cinquième abbaye fondée aux Etats-Unis (Clear-Creek)...

    JPSC

  • Martin Mosebach : messe et mémoire

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    Mosebach zwei-wochen-westend-martin.jpgLu et traduit cet article de Martin Moselbach (*) publié sur le site web américain « First Things » :

    Traditionis Custodes : le Pape François a donné un ordre. Il le fait à un moment où l'autorité papale s'effiloche comme jamais auparavant. L'Église a depuis longtemps atteint un stade ingouvernable. Mais le pape continue de se battre. Il abandonne ses principes les plus chers — « écoute », « tendresse », « miséricorde » — qui refusent de juger ou de donner des ordres. Le pape François est réveillé par quelque chose qui le trouble : la tradition de l'Église.

    La marge de manœuvre limitée que les prédécesseurs du pape accordaient à la tradition liturgique n'est plus occupée que par les nostalgiques séniles. La messe traditionnelle en latin attire également les jeunes, qui ont découvert et appris à aimer le « trésor enfoui dans le champ », comme le pape Benoît a appelé l'ancienne liturgie. Aux yeux du pape François, c'est tellement grave qu'il faut le supprimer.

    La véhémence du langage du motu proprio suggère que cette directive est arrivée trop tard. Les cercles qui adhèrent à la tradition liturgique ont en effet radicalement changé au cours des dernières décennies. La messe tridentine n'est plus seulement fréquentée par ceux qui regrettent la liturgie de leur enfance, mais aussi par des personnes qui ont découvert la liturgie à nouveau et qui sont fascinées par elle, y compris de nombreux convertis, dont beaucoup sont éloignés de l'Église depuis longtemps. La liturgie est leur passion et ils en connaissent chaque détail. Il y a parmi eux de nombreuses vocations sacerdotales. Ces jeunes gens ne fréquentent pas seulement les séminaires tenus par les fraternités sacerdotales de tradition. Beaucoup d'entre eux suivent la formation habituelle au sacerdoce, et sont néanmoins convaincus que leur vocation est renforcée précisément par la connaissance du rite traditionnel. La curiosité au sujet de la tradition catholique supprimée s'est accrue, même si beaucoup avaient décrit cette tradition comme obsolète et mal fondée. Aldous Huxley a illustré ce genre d'étonnement dansBrave New World , dans lequel un jeune homme de l'élite moderne, sans le sens de l'histoire, découvre les richesses débordantes de la culture prémoderne et en est enchanté.

    L'intervention du pape peut entraver la croissance du rétablissement liturgique de la tradition pendant un certain temps. Mais il ne pourra l'arrêter que pour le reste de son pontificat. Car ce mouvement traditionnel n'est pas une mode superficielle. Il a démontré dans les décennies de sa répression avant le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît qu'il persiste une dévotion sérieuse et enthousiaste à la plénitude complète du catholicisme. L'interdiction du pape François suscitera une résistance chez ceux qui ont encore la vie devant eux et ne permettra pas que leur avenir soit assombri par des idéologies obsolètes. Ce n'était pas bon, mais ce n'était pas non plus sage, de mettre l'autorité papale à cette épreuve.

    Le pape François interdit les messes de rite ancien dans les églises paroissiales ; il demande aux prêtres d'obtenir la permission de célébrer l'ancienne messe ; il exige même des prêtres qui n'ont pas encore célébré dans l'ancien rite d'obtenir cette permission non de leur évêque, mais du Vatican ; et il exige un examen de conscience des participants à l'ancienne messe. Mais le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît raisonne à un tout autre niveau. Le pape Benoît n'a pas « autorisé » la « vieille messe », et il n'a accordé aucun privilège pour la célébrer. En un mot, il n'a pas pris de mesure disciplinaire qu'un successeur peut se rétracter. Ce qui était nouveau et surprenant à propos de Summorum Pontificum était qu'il déclare que la célébration de l'ancienne messe n'a besoin d'aucune permission. Cela n'avait jamais été interdit parce que cela ne pouvait jamais être interdit.

    On pourrait conclure que nous trouvons ici une limite fixe et infranchissable à l'autorité d'un pape. La tradition est au-dessus du pape. L'ancienne messe, profondément enracinée dans le premier millénaire chrétien, est par principe au-delà de l'autorité du pape à interdire. De nombreuses dispositions du motu proprio du pape Benoît peuvent être écartées ou modifiées, mais cette décision magistrale ne peut pas être si facilement supprimée. Le pape François n'essaie pas de le faire, il l'ignore. Il existe toujours après le 16 juillet 2021, reconnaissant l'autorité de la tradition selon laquelle chaque prêtre a le droit moral de célébrer l'ancien rite jamais interdit.

    La plupart des catholiques du monde ne s'intéresseront pas du tout à Traditionis Custodes . Compte tenu du petit nombre de communautés traditionalistes, la plupart comprendront difficilement ce qui se passe. En effet, nous devons nous demander si le pape n'avait pas de tâche plus urgente - au milieu de la crise des abus sexuels, des scandales financiers de l'Église, des mouvements schismatiques comme la voie synodale allemande et de la situation désespérée des catholiques chinois - que de supprimer cette petite communauté dévouée.

    Mais les adeptes de la tradition doivent accorder au pape ceci : il prend la messe traditionnelle, qui remonte au moins à l'époque de Grégoire le Grand, aussi sérieusement qu'eux. Il la juge cependant dangereuse. Il écrit que les papes dans le passé ont créé à plusieurs reprises de nouvelles liturgies et ont aboli les anciennes. Mais le contraire est vrai. Au contraire, le Concile de Trente a prescrit l'ancien missel des papes romains - qui avait surgi dans l'Antiquité tardive - pour une utilisation générale, car c'était le seul qui n'avait pas été gâté par la Réforme.

    Peut-être que la messe n'est pas ce qui préoccupe le plus le pape. François semble sympathiser avec « l'herméneutique de la rupture », cette école théologique qui affirme qu'avec le Concile Vatican II, l'Église a rompu avec sa tradition. Si cela est vrai, alors en effet toute célébration de la liturgie traditionnelle doit être empêchée. Tant que l'ancienne messe latine sera célébrée dans un garage, le souvenir des deux mille dernières années ne s'éteindra pas.

    Cette mémoire, cependant, ne peut pas être extirpée par l'exercice brutal du positivisme juridique papal. Il reviendra encore et encore et sera le critère selon lequel l'Église du futur devra se mesurer.

    Ref. messe et memoire

    (*)Martin Mosebach, écrivain, scénariste, dramaturge, essayiste, romancier et juriste-poète, est né le 31 juillet 1951 à Francfort-sur-le-Main, Cet écrivain allemand est nanti de nombreuses distinctions : en 2007, il a gagné le Prix Georg-Büchner, l'un des prix littéraires les plus prestigieux du pays, étant également lauréat du prix Kleist, la médaille Goethe, le prix littéraire de la Fondation Konrad Adenauer, le prix Kranichsteiner et grand prix de littérature de l'Académie bavaroise des beaux-arts et de l’Académie des arts de Berlin.  Il est catholique de sensibilité traditionaliste.

     JPSC

  • "Loin de sortir de la crise doctrinale, nous nous y enfonçons..."

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    De Philippe Maxence sur le site de l'Homme Nouveau :

    Après Traditionis Custodes…

    Notre quinzaine : Après Traditionis Custodes…

    Le mois de juillet aura été celui d’un profond bouleversement. Par le motu proprio Traditionis Custodes (16 juillet 2021), le pape François a annulé l’esprit et les dispositions pratiques de Summorum Pontificum de Benoît XVI (voir ici et ici). Que stipulait ce texte de 2007 ? Voulant mettre un terme à des décennies de guerre liturgique, Benoît XVI avait rappelé que l’ancien missel n’avait jamais été abrogé et qu’il existait donc deux formes – l’une ordinaire (missel de 1969), l’autre extraordinaire (missel de 1962) – du seul rite romain. Il organisait aussi les aspects pratiques de la coexistence des deux missels. Jamais, à aucun moment, la forme dite extraordinaire n’avait été rendue obligatoire et la très grande majorité des catholiques avait continué à fréquenter la forme ordinaire. En revanche, petit à petit, des communautés cléricales spécialisées dans la célébration de la forme extraordinaire et de tout ce qui l’accompagne (pédagogies traditionnelles, catéchisme, scoutisme, etc.) s’étaient développées, attirant un nombre non négligeable de vocations.

    Cette réalité est donc profondément remise en cause. François affirme qu’il n’existe qu’une forme du rite romain – le missel de Paul VI – et il gèle tout développement des lieux de culte célébrant dans la forme extraordinaire (interdiction de nouvelles paroisses dites personnelles, interdiction de célébrer dans les paroisses territoriales, etc.). Il remet à la discrétion des évêques le soin de gérer l’héritage antérieur au regard des nécessités pastorales.

    Raisons et paradoxes

    Il n’est un secret pour personne que ce texte a été perçu comme extrêmement dur. Même en dehors des milieux concernés, de nombreuses voix se sont élevées pour dire leur incompréhension et ce jusqu’à l’extérieur de l’Église. Le cas le plus emblématique étant certainement celui du philosophe athée Michel Onfray publiant dans Le Figaro une tribune montrant la portée profonde de cette décision, non seulement pour l’Église mais pour la civilisation et la culture. Un certain nombre d’évêques ont par ailleurs manifesté leur souci pastoral en indiquant qu’ils conservaient leur confiance aux prêtres célébrant la forme extraordinaire et qu’ils maintiendraient la situation antérieure.

    Si le pape François a pris une telle décision, c’est qu’il estime qu’il y a un risque de constitution d’une Église parallèle et une remise en cause croissante de Vatican?II. Soulignons toutefois que ces mesures ne concernent pourtant pas la Fraternité Saint-Pie X fondée par Mgr Lefebvre, à laquelle François a accordé un tel nombre d’autorisations qu’elle se trouve de fait comme reconnue au sein de l’Église. Or, c’est en son sein que continue d’être portée une critique constante de Vatican II. La sévérité à l’égard des catholiques à l’intérieur des structures ecclésiales et la modération à l’égard de ceux qui sont à l’extérieur ne laissent pas d’interroger.

    Fin de la paix liturgique ?

    Le motu proprio de François arrive au bout de quatorze ans d’existence de Summorum Pontificum. Quatorze ans, seulement ! C’est oublier que les guerres civiles, et plus encore les guerres civiles religieuses, sont extrêmement longues à cicatriser. Il y faut plusieurs générations. En un mot, il aurait fallu laisser du temps au temps comme disait François Mitterrand, là où la précipitation risque d’être une mauvaise conseillère.

    Nous pourrions croire que seule une partie de l’Église est concernée. Ce n’est pas le cas ! D’abord parce qu’il s’agit d’un acte universel du souverain pontife. Ensuite parce que Benoît XVI avait rendu à la liturgie romaine classique son rang de bien commun alors qu’elle était devenue de fait le bien d’une partie seulement. Enfin parce que des questions doctrinales se posent. Si, contrairement à ce que pensait Benoît XVI, la messe traditionnelle ne peut être la lex orandi (la loi de la prière) de Vatican II, à l’instar de la messe de Paul VI, alors ceux qui critiquent ce concile comme une rupture radicale avec la Tradition se trouvent fondés dans leur approche. Nous sommes donc dans une situation qui remet en cause non seulement Summorum Pontificum de Benoît XVI mais aussi son discours de décembre 2005 sur les deux herméneutiques. Loin de sortir de la crise doctrinale, nous nous y enfonçons. Et cette situation concerne tous les catholiques, pratiquants ou non de la forme extraordinaire. L’heure est donc à la prière pour le pape, les évêques et la paix surnaturelle entre catholiques.

  • Unifier la liturgie ?

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    De Louis Manaranche sur Aleteia.org :

    « Traditionis Custodes » : un appel à l’unification liturgique

    Au fil des siècles, la liturgie s’est toujours fixée dans l’Église à l’aune de l’expérience et des usages du Peuple de Dieu. Pour l’historien Louis Manaranche, une intégration renouvelée des trésors de la tradition dans la liturgie ordinaire pourrait consolider la communion.

    Depuis la publication du motu proprio Traditionis Custodes, l’Église de France revit des débats qui semblent tout droit venus des années 1970 et 1980. À l’exception des questions à proprement parler doctrinales, qui restent discrètes, recommence une discussion sans fin sur la manière de lire le concile Vatican II, entre « herméneutique de la continuité » et « Pentecôte nouvelle » ou « disruptive » comme on dirait aujourd’hui, à travers le prisme de la liturgie. Celle-ci, que l’on appelle dans la tradition occidentale la lex orandi (loi de la prière), qui exprime la lex credendi (loi de la foi) de l’Église, a été profondément réformée dans le contexte de ce grand événement. 

    On mentionne toujours la possibilité de célébrer en langue vernaculaire et face au peuple mais on devrait peut-être évoquer d’abord deux autres caractéristiques notables : la liturgie de la Parole plus déployée avec un nouveau lectionnaire profondément renouvelé et une variété considérable de prières eucharistiques (treize si on inclut des prières assez peu usitées), en lieu et place de l’ancien et unique canon romain devenu la prière eucharistique numéro I. 

    L’expérience liturgique du Peuple de Dieu

    Force est de constater que cette messe dite de Paul VI nourrit depuis plus de cinquante ans la foi, l’espérance et la charité du Peuple de Dieu, qui en goûte tout particulièrement la plus grande intelligibilité et l’accès renouvelé à la Parole de Dieu. En outre, cette messe a progressivement pris une forme stabilisée avec trois prières eucharistiques largement privilégiées et une disparition progressive — et inégale — des tentatives de créativité malheureuses. Cette évolution nous rappelle combien, selon l’expression conciliaire, le Peuple de Dieu est l’acteur qui célèbre la liturgie.

    C’est avec cette conviction qu’il faut aussi considérer la messe tridentine. Fixée par le pape Pie V dans le contexte d’un concile de Trente de réforme interne de l’Église catholique en réponse à la Réforme, cette messe entérinait et codifiait ce que contenait depuis au moins un siècle la messe romaine. Ainsi, ce missel s’appuyait déjà sur l’expérience liturgique du Peuple de Dieu et a été la norme de celle-ci pendant encore quatre siècles. Sans entrer dans le débat sur l’abrogation ou non de l’ancien missel après 1969, il convient de bien percevoir que sa pratique n’a en réalité jamais été interrompue, en premier lieu parce qu’elle répondait à l’attente de certains catholiques. Son sens du sacré, de la continuité exprimée par le latin et le chant grégorien, l’accent net mis sur la messe comme sacrifice ont, parmi d’autres éléments, été au cœur de la vie liturgique, sans interruption, de nombreux chrétiens.

    Renouveau et tradition

    Sans non plus entrer dans la controverse sur la pérennité de deux missels dans le même rite latin, nous pouvons lire l’appel du Saint Père vers une unification liturgique à l’aune de cet état de fait. Si tant d’éléments ont « survécu » à la réforme liturgique et surtout à une application parfois radicale de celle-ci, n’est-il pas envisageable que le missel jadis dit « ordinaire » puisse intégrer plus explicitement des modalités de célébration qui permettent de proposer à tous tant le renouveau vécu par la masse des chrétiens que les trésors de tradition que certains ont voulu maintenir intacts ?

    On objectera que bien des éléments, du latin au canon romain en passant par le chant grégorien ou même l’orientation sont déjà possibles et c’est exact. Toutefois, en le formulant de manière renouvelée et le permettant dans des lieux plus nombreux, dans le plus grand respect de la sensibilité des fidèles et des prêtres, de vivre la messe ainsi, un chemin de paix et de communion plus profonde pourrait apparaître…

  • Traditionis Custodes : pour l’historien Christophe Dickès, spécialiste du Vatican, « La diversité des rites fait la richesse de l’Église »

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    Pourquoi les remous suscités par le motu proprio du pape François dépassent-ils largement le monde des traditionalistes? voici un décryptage très complet  paru sur le site web « Aleteia :

    « Pour l'historien et spécialiste du Vatican Christophe Dickès, en mettant fin à la libéralisation de la messe dite de saint Pie V, le pape François exprime très clairement le souhait qu’à terme, la forme extraordinaire du rite romain disparaisse. Il ne croit pas que cela soit possible.

    La publication du motu proprio Traditionis Custodes, le 16 juillet dernier, a provoqué de vives réactions au sein de l’Église de France. Si beaucoup d’évêques ont tenu à réitérer leur confiance aux communautés traditionnalistes de leurs diocèses, ces dernières se disent « profondément attristées » par le contenu du texte et de la lettre explicative du pape François. Pour le spécialiste du Vatican Christophe Dickès, il est « heureux » que « tous les conciles dans l’histoire, surtout ceux des premiers siècles, aient été aux centres de grands débats et de vastes discussions ». S’il se montre lui-même critique à propos de la décision du pape François, il rappelle l’importance « d’être constructif et respectueux dans sa critique ».

    Aleteia : En quoi le motu proprio Traditionis Custodes est-il en rupture avec les précédentes règles édictées par Benoît XVI ?

    Par son motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, le pape Benoît XVI libéralisait la messe dite de saint Pie V. Il permettait à des « groupes stables » de paroissiens de demander à leur curé ce qui serait désormais appelé la « forme extraordinaire du rite romain ». Dès les deux premiers mots de son texte, il justifiait son acte en faisant appel à l’ensemble de l’histoire de l’Église, de Grégoire le Grand à saint Pie V, en passant par Clément VIII, Urbain VIII, saint Pie X ou encore saint Jean XXIII. Écrire un texte en prenant à témoin l’ensemble des « Summorum pontificum » (en français, « Souverains pontifes ») nous dit toute l’importance de la liturgie pour ce pape théologien. Dans la lettre aux évêques qui accompagnait le texte, Benoît XVI ajoutait : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste ». De fait, la messe dite de saint Pie V n’a jamais été abrogée (Summorum Pontificum, art 1.)

    Or, le texte du pape François met non seulement fin à cette libéralisation, mais exprime très clairement le souhait qu’à terme, la forme extraordinaire du rite romain disparaisse. On a beau le prendre dans tous les sens, il souhaite son abrogation dans le temps en restreignant drastiquement sa pratique dès aujourd’hui. Alors qu’elle est un droit inaliénable.

    Pourquoi le pape François cherche-t-il à contrôler plus strictement les messes en rite préconciliaire ?

    Le pape François justifie sa décision en évoquant un danger pour l’unité ecclésiale. Mais je souhaiterais tout d’abord rappeler qu’il existe de très nombreuses formes du rite romain : les rites anglican et zaïrois, les rites ambrosien et cartusien. Sans compter les rites spécifiques aux ordres religieux. Et je ne parle même pas des rites non latins : les rites byzantins, arméniens ou antiochiens qui eux-mêmes comportent des sous-ensembles. Bref, il existe une diversité de rites, ce qui fait la richesse de l’Église, de son histoire et de ses traditions liturgiques.

     Lire aussi :L’histoire agitée de « Summorum Pontificum », le motu proprio qui a libéralisé la messe en latin

    Par ailleurs, d’un point de vue plus terre à terre, le motu proprio Traditionis Custodes fait suite à une enquête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi auprès des diocèses du monde entier. Or, sur l’ensemble des évêques, il semble que seuls 15% aient montré des sentiments défavorables à l’ancienne messe, quand 15% se révélaient neutres ou favorables. Les 70% n’ayant pas répondu, nous pouvons estimer qu’ils sont sans avis, ni pour, ni contre. Voir donc un texte pontifical répondre aux inquiétudes de 15% des évêques me laisse songeur… L’Église peut-elle s’offrir le luxe d’une crise dans le contexte que l’on sait, alors que tant de choses sont à faire et que ces communautés, contrairement à ce qu’en dit le motu proprio, ont montré leur fidélité à Rome dans le cadre offert par le pape Jean-Paul II puis Benoît XVI ?

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  • Traditionis custodes : une nouvelle guerre liturgique ?

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    Un entretien avec l’abbé Barthe publié sur le site web « Paix liturgique » :

    Par le motu proprio Traditionis Custodes publié le 16 juillet, le pape François « détricote » le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007 de son prédécesseur Benoît XVI en limitant drastiquement la célébration de la messe traditionnelle. Nous reproduisons ci-dessous avec l'aimable autorisation du quotidien Présent l'entretien qu'a réalisé Anne Le Pape avec l'abbé Claude Barthe au sujet de cette terrible publication.

    Anne Le Pape — Monsieur l’abbé, l’annonce de ce motu proprio – annulant quasiment celui de Benoît XVI du 7 juillet 2007 autorisant sans contrainte la célébration de la messe traditionnelle – planait déjà dans les esprits depuis quelque temps. Vous attendiez-vous à une publication si rapide, dès le 16 juillet ?

    L'abbé Claude Barthe — Nous étions tous dans l’incertitude, les rumeurs étant diverses, on parlait à Rome d’une publication au mois d’août, d’autres parlaient d’une publication imminente ; cette dernière version s’est révélée la vraie. La Secrétairerie d’Etat, qui a mené tout cela, a été extrêmement discrète, il faut en convenir.

    Anne Le Pape — Tout ce qui semblait aller dans le sens de l’apaisement – comme les propos du cardinal Gambetti, archiprêtre de la basilique Saint-Pierre, faisant appel à Summorum Pontificum dans un entretien récent sur Vatican News – était donc sans fondement ?

    L'abbé Claude Barthe — Je ne sais pas ce que le cardinal Gambetti a fait et a dit auprès du pape, mais il est sûr qu’il y a eu des demandes de surseoir à ce document pour ne pas déclencher une nouvelle guerre liturgique dans l’Eglise. On dit notamment que le cardinal Ladaria, président de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a freiné autant qu’il a pu, d’autres aussi. La décision a été vraiment prise par le pape et par ceux qui l’ont poussé à la prendre, spécialement le secrétaire d’Etat, le cardinal Parolin, le substitut, le cardinal Peña Parra, le cardinal Versaldi et d’autres qui ont trempé dans cette affaire, c’est-à-dire qui ont participé à ces réunions inter-dicastères (réunions des préfets des congrégations concernées : le Culte divin, le Clergé, les Evêques, et la Secrétairerie d’Etat, bien sûr) et qui, de longue date, ont préparé le document en question.

    Anne Le Pape — Comment les « pour » le motu proprio de François sont-ils passés en force ?

    L'abbé Claude Barthe — Il suffisait de convaincre le pape ! Et lui a suffisamment de force pour passer contre tout le monde… Dans cette affaire, le groupe de pression majoritaire à la conférence épiscopale italienne a été très monté contre Summorum Pontificum, essentiellement parce qu’en Italie, avec un peu de retard par rapport à la France, les jeunes prêtres se mettaient à célébrer la messe traditionnelle et à adopter des idées plus traditionnelles. Ils ont constaté une « traditionalisation » des séminaires, qui les a beaucoup inquiétés. Comme en outre, dans la Curie, des personnages comme le cardinal Parolin, le cardinal Stella au Clergé, etc.

    Anne Le Pape — Quels sont leurs arguments pour justifier cette remise en cause du document de Benoît XVI ?

    L'abbé Claude Barthe — C’est très clairement expliqué dans la lettre d’accompagnement. On les trouve aussi sur le blog d’Andrea Grillo, laïc, professeur de liturgie à Saint-Anselme, militant extrême contre Summorum Pontificum de longue date. Il explique bien, ce qui est repris par le pape et ce qui était l’idée des fabricants de ce dernier motu proprio, que la messe traditionnelle représente un état de doctrine antérieur à Vatican II et que la messe nouvelle représente la doctrine de Vatican II – ce que nous savions tous. Il ne fallait donc plus que la messe traditionnelle soit un droit, mais qu’elle soit une tolérance seulement, et encore : une tolérance qu’on donne à des fidèles, et à des prêtres, pour les aider à passer peu à peu à la messe nouvelle.

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  • Les fresques de Giotto à Padoue sont inscrites au patrimoine mondial de l'humanité

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    D'Agnès Pinard Legry sur Aleteia.org :

    Les splendides fresques de Giotto désormais au patrimoine mondial de l’humanité

    SCROVEGNI

    Shutterstock | EQRoy

    La chapelle Scrovegni, Padoue (Italie)

    27/07/21

    Les fresques réalisées par Giotto au XIVe siècle dans la chapelle des Scrovegni, à Padoue (Italie), ont été inscrites le 24 juillet au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco.

    Un des joyaux de l’art sacré vient d’entrer au patrimoine mondial de l’humanité. Les fresques réalisées par Giotto au XIVe siècle dans la chapelle des Scrovegni, à Padoue (Italie), ont été inscrites le 24 juillet sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Également appelée Église de l’Arena, cette chapelle ne compte qu’une nef unique. Mais quelle nef ! Pas un seul pan de mur n’est laissé au vide : les fresques commandées à Giotto par le banquier Enrico Scrovegni en l’honneur de son père Reginaldo occupent tout l’espace. Élève de Cimabue, Giotto aura mis moins de 900 jours pour couvrir de fresques les quelque 1.000 m² d’espace.

    Les épisodes de la vie du Christ, de la Nativité à la Passion, sont environnés de scènes de la vie de la Vierge et de sainte Anne et saint Joachim, les parents de Marie. Le mur faisant face à l’autel offre quant à lui une saisissante représentation du Jugement dernier. Les dimensions modestes de l’espace permettent aux spectateurs d’avoir un contact assez intime et personnel avec les peintures.

    L’œuvre majeure de Giotto

    La décoration de la chapelle des Scrovegni par Giotto est considérée comme l’une des réalisations les plus magistrales de l’histoire de l’art occidental. Unanimement considérées comme l’œuvre majeure de Giotto et comme l’un des chefs-d’œuvre de la peinture italienne, ces fresques représentent un aboutissement de la technique et du style de l’artiste. Et une formidable invitation à la prière.

  • Le pape ne parviendra pas à faire disparaître la messe traditionnelle car cette décision est “hors-sol”

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    Extraits d’un article publié dans le « Figaro » par Jean-Marie Guénois, lus sur le site du « Salon Beige » :

    « Dans Le Figaro, Jean-Marie Guénois revient sur le motu proprio Traditionis Custodes. Il écrit notamment :

    […] Commençons par un point fondamental : François n’abroge pas le rite pré-conciliaire, il n’en a pas le droit, ni le pouvoir. Son objectif est d’éradiquer l’usage et l’idée que ce rite puisse subsister « à côté » ou « en parallèle », comme une « alternative » possible, voire une « option » ouverte en complément du rite conciliaire, dit « de Paul VI ». Cette pratique et cette conception se sont installées depuis 2009 dans certaines mentalités catholiques et en particulier au sein des jeunes générations. François veut combattre cette vision des choses jusqu’à la faire disparaître.

    Il n’y parviendra pas parce que l’enquête mondiale qui a préparé cette décision et les conseillers liturgiques qui l’entourent n’ont pas d’expérience concrète des communautés réelles rassemblées par ce type de liturgie, dont la motivation a décuplé après ces mesures de restriction. C’est fut une décision « hors sol ». Une analyse logique, cohérente, rationnelle, mais prise en laboratoire, sur la base de dossiers, d’avis, loin des communautés concernées et des fidèles qui les animent.

    […]

    François semble ne pas connaître la réalité de ces jeunes fidèles qu’il juge à l’aune de quelques jeunes prêtres et séminaristes qu’il accuse de « rigidité » : les super « cathos » qu’il vise et qu’il ne se prive pas de fustiger pour leur manque de souplesse, sont sans doute « rigides » pour certains. Mais… ce sont ses propres petits enfants spirituels ! Comme ils sont aussi les petits-enfants de Benoît XVI et arrière petits-enfants de Jean-Paul II.

    Cette jeune génération – minoritaire –, plus ou moins « tradi » engagée sur le plan social comme sur le plan spirituel, ne se reconnaît plus dans les combats conciliaires et anti-conciliaires de leurs aînés. Ces jeunes forment le laboratoire de l’Église catholique de demain et se vivent comme tels : ils sont la génération François-Benoît ! Avec un trait d’union et non avec barreau d’exclusion qui sentirait la mise à l’écart, le cachot parce qu’ils penseraient mal…

    À propos de cette génération mais aussi des fidèles réels qui peuplent ce type d’assemblée, un prêtre qui célèbre dans les deux rites me disait cette semaine : « François pose une question juste mais il y répond de façon injuste ». Oui, il y a de l’injustice dans l’air, en particulier quand on observe, factuellement, la façon dont François traite les tradis et la façon dont il accueille d’autres « communautés ». Ces jeunes « tradismatiques » resteront profondément blessés par cette décision de François.

    […]

    Au fond, ce Motu Proprio François contre le Motu Proprio Benoît n’est pas un combat d’arrière-garde mais le dernier des combats de l’ère post-conciliaire. En cela il est spectaculaire et magistral.

    Deux visions s’opposent. Je tiens à disposition des textes étonnants du cardinal Ratzinger et de Benoît XVI sur la liturgie qui aideront peut-être ceux qui pensent toujours qu’il y a continuité sur ce plan entre les deux pontificats…

    Petite remarque : souvent les catholiques ont peur du débat, de la controverse, de la disputatio. Par manque de connaissance de leur propre histoire, ils pensent que ce ne serait pas catholique ou chrétien de ne pas être d’accord. Au passage, il suffit de lire ne serait-ce qu’une seule « question » sur les milliers posées par Thomas d’Aquin dans la Somme Théologique pour comprendre que la vie intellectuelle, la liberté d’esprit, la prise en compte des opinions contraires sont l’ADN même de l’Église catholique. Il ne faudrait pas que les cathos congèlent ce patrimoine comme l’a fait la majorité du monde musulman, ce qui conduit à la sclérose. […]

    Oui, il y a deux visions qui s’opposent actuellement dans l’Église catholique sur l’interprétation du Concile Vatican II. Nous vivons avec les deux pontificats de Benoît XVI et de François – ils ont tous les deux le même « âge » cette année, huit années – le dénouement de ce conflit. Il a été rendu visible par cette affaire des Motu Proprio. […]

    Quand je suis allé à Rome pour préparer ces sujets début juin, beaucoup se disaient que François attendrait que Benoît XVI ne soit plus là pour publier son Motu Proprio. Il ne l’a pas fait. Il est passé en force. Serait-ce aussi parce que François sent que le temps lui est aussi compté ? Ce n’est pas impossible depuis la lourde opération qu’il a subie – plus importante dans ses conséquences qu’on ne le dit. […] ».

    Ref. Le pape ne parviendra pas à faire disparaître la messe traditionnelle car cette décision est “hors-sol”

    Un chiffon rouge pour animer le prochain consistoire ?

    JPSC

  • Motu Proprio Traditionis Custodes : un évêque néerlandais dénonce un ukase

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    Lu sur le site web « Salon beige » :

    hulpbisschop-Mutsaerts-afbeelding.jpg« Mgr Robert Mutsaerts, évêque auxiliaire de Bois-le-Duc, aux Pays-Bas, a diffusé un long texte sur le motu proprio, dont voici quelques extraits :

    Le pape François promeut la synodalité : tout le monde doit pouvoir parler, tout le monde doit être entendu. Ce n’est guère le cas avec son motu proprio Traditionis Custodes récemment publié, un ukase qui doit immédiatement mettre un terme à la messe latine traditionnelle. […] Le fait que François s’empare ici de la parole du pouvoir sans aucune consultation indique qu’il perd de l’autorité. Cela est devenu évident plus tôt lorsque la Conférence épiscopale allemande n’a pas tenu compte de l’avis du Pape concernant le processus de synodalité. La même chose s’est produite aux États-Unis, où le pape François a appelé la Conférence épiscopale à ne pas préparer un document sur la communion. […]

    Le langage est très similaire à une déclaration de guerre. Chaque pape depuis Paul VI a toujours laissé des ouvertures pour l’ancienne messe. Si des changements ont été apportés, il s’agissait de révisions mineures, voir par exemple les indults de 1984 et 1988. Jean-Paul II croyait fermement que les évêques devaient être généreux en autorisant la messe tridentine. Benoît a même ouvert grand la porte avec Summorum Pontificum : « Ce qui était sacré alors, l’est encore aujourd’hui ».

    François claque violemment la porte avec Traditionis Custodes. Cela ressemble à une trahison et est une gifle pour ses prédécesseurs. L’Église n’a jamais aboli les liturgies. Pas même le Concile de Trente. François rompt complètement avec cette tradition. Le motu proprio contient quelques instructions et commandes succinctes. Ceci est expliqué plus en détail au moyen d’une déclaration plus longue. Cette déclaration contient de nombreuses inexactitudes factuelles. L’une est l’affirmation que ce que Paul VI a fait après Vatican II serait la même chose que ce que Pie V a fait après Trente. C’est complètement loin de la vérité. N’oublions pas qu’avant cette époque divers manuscrits (transcrits) circulaient et que des liturgies locales avaient vu le jour ici et là. C’était le bordel.

    Trente voulait restaurer les liturgies, éliminer les inexactitudes et vérifier l’orthodoxie. Le Concile de Trente n’a pas demandé de réécrire la liturgie, ni de nouveaux ajouts, de nouvelles prières eucharistiques, un nouveau lectionnaire ni un nouveau calendrier. Il s’agissait de garantir une continuité organique ininterrompue. Le missel de 1517 renvoie au missel de 1474 et ainsi de suite au IVe siècle. Il y avait une continuité à partir du 4ème siècle. Même après le XVe siècle, il y a quatre siècles de continuité. De temps en temps, seuls quelques changements mineurs ont été apportés ou l’ajout d’une célébration, d’un mémorial.

    Vatican II, selon le document du concile Sacrosanctum Concilium, a demandé des réformes liturgiques. Tout bien considéré, il s’agit d’un document conservateur. Le latin est maintenu, les chants grégoriens conservent leur place légitime dans la liturgie. Cependant, les développements qui ont suivi Vatican II sont très éloignés des documents conciliaires. Le tristement célèbre « esprit du concile » ne se trouve nulle part dans les textes conciliaires eux-mêmes. Seulement 17% des prières de l’ancien Missel (Trente) se retrouvent dans le nouveau Missel (Paul VI). Il est alors difficile de parler de continuité d’un développement organique. Benoît l’a reconnu et, pour cette raison, a donné une large place à l’ancienne messe. Il a même dit que personne n’avait besoin de sa permission (« Ce qui était sacré à l’époque, l’est encore aujourd’hui »).

    Le pape François prétend maintenant que son motu proprio se situe dans le développement organique de l’Église, ce qui contredit complètement la réalité. En rendant la messe latine pratiquement impossible, il rompt avec la tradition liturgique séculaire de l’Église catholique romaine. La liturgie n’est pas un jouet des papes, mais un héritage de l’Église. L’Ancienne Messe n’est pas une question de nostalgie ou de goût. Le Pape devrait être le gardien de la Tradition ; le Pape est le jardinier, pas le fabricant. Le droit canon n’est pas seulement une question de droit positif, il existe aussi une chose telle que la loi naturelle et la loi divine, et de plus il y a une chose telle que la Tradition qui ne peut pas être simplement écartée.

    Ce que fait le pape François n’a rien à voir avec l’évangélisation et encore moins avec la miséricorde. C’est plutôt de l’idéologie. Rendez-vous dans une paroisse où est célébrée l’ancienne messe. Que rencontrez-vous là-bas : des gens qui veulent juste être catholiques. Ce ne sont généralement pas des gens qui s’engagent dans des disputes théologiques, ni contre Vatican II (mais contre sa mise en œuvre). Ils aiment la messe latine pour sa sainteté, sa transcendance, sa centralité pour le salut des âmes, la dignité de la liturgie. Vous croisez des familles nombreuses, les gens se sentent les bienvenus.[…]

    Pourquoi le Pape veut-il refuser cela aux gens ? Je reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure : c’est de l’idéologie. […] Le nombre relativement restreint de croyants (qui, d’ailleurs, augmente, tandis que le novus ordo s’effondre) qui se sentent chez eux à la messe traditionnelle doit et sera banni. C’est de l’idéologie et de la malveillance.

    Si vous voulez vraiment évangéliser, vraiment faire preuve de miséricorde, soutenir les familles catholiques, alors honorez la messe tridentine. L’ancienne messe ne peut plus être célébrée dans les églises paroissiales à partir d’aujourd’hui, vous avez besoin d’une autorisation explicite de votre évêque, qui peut ne l’autoriser que certains jours, et pour ceux qui seront ordonnés à célébrer l’ancienne messe, l’évêque doit demander conseil à Rome. Dictatorial, antipastoral, impitoyable ! […] »

    Ref. Traditionis Custodes : un évêque néerlandais dénonce un ukase

    JPSC

  • Quand le christianisme se déseuropéanise

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    De Mathieu Bock-Côté sur le site du Figaro via artofuss.blog :

    Mathieu Bock-Côté: «La déseuropéanisation du christianisme»

    CHRONIQUE – L’Église se veut aujourd’hui absolument œcuménique et ouverte à tous, sauf à ceux, parmi les siens, qui se veulent gardiens de ses traditions liturgiques les plus profondes.

    23 juillet 2021

    Le trouble suscité bien au-delà des milieux «traditionalistes» par la décision du pape François non pas de redéfinir le statut de la messe selon le rite préconciliaire mais de programmer son extinction, en l’empêchant non seulement de croître, mais plus encore, en le traitant à la manière d’un résidu encore utile pour accommoder quelques vieillards enfermés dans leurs tendres souvenirs et exagérément attachés aux mystères de l’église d’hier, montre bien la portée de cette décision, sa violence, aussi.

    Il semble bien, mais la chose n’est pas si nouvelle, que l’Église se veut aujourd’hui absolument œcuménique et ouverte à tous, sauf à ceux, parmi les siens, qui se veulent gardiens de ses traditions liturgiques les plus profondes. Comme si l’Église devait mener en ses propres rangs la chasse aux réactionnaires et humilier ceux qui croient encore aux vérités qu’elle a toujours prêchées, au langage à travers lequel elle les prêchait, et qui gênent aujourd’hui ceux qui s’agenouillent moins devant la croix que devant l’esprit du temps. Les catholiques de tradition seraient-ils les seuls à ne pas avoir leur place dans l’Église?

    Michel Onfray, dans un remarquable texte du Figaro , a rappelé avec raison que la messe tridentine appartient au patrimoine spirituel et culturel de la civilisation occidentale. On ajoutera que la liturgie ne sert pas qu’à embellir les vérités de la foi et les prières de toujours: à travers elle se déploie un langage capable d’interpeller des régions inaccessibles de l’âme et de donner accès aux vérités autrement inexprimables du sacré. La beauté peut conduire à la foi. Le rituel est un langage modelé par l’histoire mais qui ne se réduit pas, quoi qu’on en dise, à une accumulation arbitraire de traditions plus ou moins bien assemblées, qu’on pourrait sacrifier pour les moderniser. On oublie d’ailleurs que le rituel traditionnel, malgré son refoulement dans les marges, continue de conduire des hommes vers le catholicisme, qu’il transforme ceux que Louis Pauwels appelait les chrétiens du porche en croyants et en pratiquants, et qu’à travers lui, plusieurs s’y convertissent ou renouent avec lui.

    L’homme ne se grandit pas en se désincarnant, et la foi fleurit bien mal sur les cendres d’une liturgie incendiée

    Cela nous conduit au cœur d’une question trop souvent négligée. On s’inquiète avec raison de la déchristianisation de l’Europe, mais on s’est insuffisamment inquiété de la déseuropéanisation du christianisme. Car le catholicisme est indissociable des médiations à travers lesquelles il s’est incarné dans l’histoire. Il se déploie à travers les nombreux visages de l’humanité, et est étranger à la tentation niveleuse qui, au nom d’un retour fantasmé à la révélation primitive, justifierait l’arasement des cultures et des formes historiques particulières qui permettent aux hommes d’habiter le monde sous le signe d’une continuité vivable. C’est une bien étrange idée d’assimiler l’héritage à une scorie, et c’en est une encore plus étrange de croire que la foi, pour s’offrir à tous les hommes, doit abolir jusqu’au souvenir des rites par lesquelles elle a modelé le noyau d’une civilisation, au point d’en devenir indissociable. On aurait tort de réduire cette conscience à une forme de catholicisme «identitaire», comme on dit pour se faire peur. Il faut plutôt y voir un souci légitime des sources les plus intimes de la culture.

    L’homme ne se grandit pas en se désincarnant, et la foi fleurit bien mal sur les cendres d’une liturgie incendiée. Nul ne s’attend à ce que Rome replace le rite traditionnel au cœur de ce qu’on appellera la liturgie dominante. Il ne semble toutefois pas exagéré d’espérer que le pape ne cherche pas à l’éradiquer. La tentation serait forte de citer Brassens, qui avait compris qu’une religion renonçant à sa propre tradition sacrifiait le langage sans lequel ses vérités risquaient de devenir inaudibles. Je pourrais aussi citer Montherlant qui dans ses carnets, si je ne me trompe pas, disait à sa manière espérer rencontrer un prêtre qui croit.

    La formule n’est pas banale: les hommes et les femmes qui se sont aventurés au seuil de l’Église, avec le désir de le franchir, ont souvent rencontré, sur leur parcours, des prêtres à la foi flageolante, presque méfiants à l’endroit de ceux qui frappent à leur porte, comme s’ils venaient à leur messe avec une ardeur suspecte. Ils ne risquent toutefois pas de recevoir un tel accueil chez ceux qui se veulent les gardiens non seulement d’un rite, mais aussi, d’un rapport à la foi qui trouve dans la liturgie traditionnelle non pas une béquille mais une manière d’accéder à la plus riche des expériences. La force d’attraction de la messe traditionnelle ne s’explique pas nécessairement par la complaisance nostalgique. Ceux qui se demandent pourquoi les communautés «traditionnelles» parviennent à croître malgré l’anathème jeté sur elles trouveront peut-être là un début de réponse à leur interrogation.

  • Traditionis Custodes : l’appel de jeunes « tradis » au pape François

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    Dans une vidéo relayée sur les réseaux sociaux par l'association Notre-Dame de Chrétienté, une soixantaine de jeunes du monde entier interpellent le pape François et les évêques, pour témoigner de leur attachement à la messe tridentine. Le site web « aleteia » en assure à son tour le relai :

    « Nous aimons la messe latine traditionnelle parce qu’elle est la même messe partout dans le monde, elle est universelle, catholique, au sens premier du terme ». Quelques jours après la publication du motu proprio Traditionis Custodes, qui a suscité une vague de réactions en France et dans le monde entier, une soixantaine de jeunes s’adressent directement au pape François et aux évêques, dans une vidéo de près de deux minutes, publiée sur le compte YouTube de Young Catholics for Holy Mass et relayée, entre autres, par l’association Notre-Dame de Chrétienté.

    Sur un ton très respectueux et qui semble dépourvu de toute volonté de polémique, ils expliquent pourquoi ils regrettent certains passages de la lettre du pape François accompagnant le motu proprio. « Nous n’encourageons pas “les désaccords qui blessent l’Eglise” », affirme une jeune fille. « Nous ne “bloquons pas son chemin” ni ne l’ “exposons au péril de la division” », insiste un autre. Réaffirmant leur loyauté, ces jeunes affirment au Pape et aux évêques être « votre jeunesse » et « vos brebis ». « Nous prions pour vous tous les jours », concluent-ils »:

    Ref. Traditionis Custodes : l’appel de jeunes « tradis » au pape François

     JPSC