D'Henri de Begard sur le site "Le Rouge et le Noir" ("Les Inquisitoriales") :
Annie Laurent : « la conscience d’une identité européenne s’est largement forgée dans la confrontation avec l’islam »
Titulaire d’un doctorat d’Etat en sciences politiques, Annie Laurent s’est spécialisée dans les domaines touchant aux questions politiques du Proche-Orient, à l’Islam, aux chrétiens d’Orient et aux relations interreligieuses. Auteur de plusieurs livres sur ces sujets, elle fut aussi nommée experte par le pape Benoît XVI au Synode spécial des Évêques pour le Moyen-Orient qui s’est tenu à Rome en octobre 2010.
Elle a bien voulu accorder un entretien fleuve au Rouge & le Noir à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, L’Islam - pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore) publié aux éditions Artège en avril 2017. 288 pages.
R&N : Quelles sont les principales questions que soulève la présence de l’islam en Europe ?
Annie Laurent : « Naguère, nous rencontrions des musulmans, aujourd’hui nous rencontrons l’islam ». Cette phrase prononcée par le cardinal Bernard Panafieu, archevêque émérite de Marseille, dans une conférence qu’il donnait il y a une quinzaine d’années, illustre bien le changement de perspective qui s’est opéré, dans notre pays. Après la Seconde Guerre mondiale, les premiers immigrés musulmans étaient pour l’essentiel des hommes qui venaient en célibataires pour des raisons économiques et aspiraient à rentrer dans leurs pays d’origine une fois qu’ils auraient les moyens de faire vivre leurs familles chez eux. Ils n’avaient donc aucune revendication d’ordre religieux ou communautaire. Tout a changé à partir des années 1970 au cours desquelles divers gouvernements ont opté pour le regroupement familial (en France, ce fut en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing), puis pour des assouplissements en matière de nationalité (droit du sol plutôt que droit du sang) et, enfin, la possibilité accordée aux étrangers de fonder des associations de la loi 1901. Des évolutions de cette nature se sont produites dans la plupart des pays d’Europe, certains optant même officiellement pour le multiculturalisme, comme en Grande-Bretagne.
Ainsi, peu à peu, le Vieux Continent a eu affaire à une immigration de peuplement, donc définitive. Les musulmans en Europe veulent vivre selon les principes de leur religion et de leur culture. Il faut savoir que l’islam porte un projet qui est aussi social et politique puisqu’il mêle le spirituel et le temporel. Et cette conception repose sur une volonté attribuée à Dieu, à travers le Coran, et sur l’exemplarité de Mahomet, qualifié de « beau modèle » dans ce même Coran (33, 21).
Or, les fondements de la culture islamique sont étrangers à ceux de la culture européenne, qui repose essentiellement sur le christianisme. Par exemple, l’islam ignore le concept de « personne », qui est d’origine biblique et s’enracine dans la réalité du Dieu trinitaire. La Genèse enseigne en effet que “Dieu créa l’homme à Son image, à l’image de Dieu, Il le créa, Il les créa homme et femme” (Gen 1, 27). Ainsi comprise, la personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable et inviolable. Or, le récit coranique de la création occulte cette merveilleuse réalité. Allah reste étranger à l’homme, Il ne partage rien avec lui. Le mot « personne » est d’ailleurs absent du vocabulaire arabe. C’est pourquoi les chrétiens arabisés du Proche-Orient ont conservé l’usage du mot « ouqnoum », qui signifie « personne » en araméen, la langue que parlait le Christ. Dans l’islam, l’individu trouve sa dignité en tant que « soumis » à Dieu et membre de l’Oumma, la communauté des musulmans, éléments qui le privent d’une vraie liberté, notamment dans le domaine de la conscience et de la raison.