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Idées - Page 68

  • Les colloques singuliers du pape François avec Eugenio Scalfari

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    A maintes reprises déjà, sur des thèmes sensibles de la discipline, de la morale ou de la foi même de l’Eglise, le pape actuel s’est entretenu avec le fondateur du quotidien La Reppublica, Eugenio Scalfari. Celui-ci en a chaque fois publié dans son journal à grand tirage des comptes rendus hétérodoxes qui ont été  inlassablement contestés  par des responsables de la communication du Saint-Siège.

    Vendredi dernier  nous avons fait écho ici : Existence de l'enfer : quand l'interviewer favori du pape déforme ses propos à la dernière récidive du genre concernant la réalité de l’enfer.

    Le bon sens pose alors la question de savoir pourquoi le pape régnant s’obstine à confier sa pensée à un interlocuteur qui n’aurait apparemment rien de mieux à faire qu’à la déformer en s’adressant à un vaste public. Les plus indulgents attribueront cette manière de faire à la naïveté du pape et les plus sceptiques à une forme de duplicité, de double langage : la parole de Scalfari contre celle des services d’information du Vatican .   

    Au sujet des propos du  pape sur l'enfer rapportés par Scalfari, un religieux de nos amis lecteurs se demande s’il ne serait pas opportun « que le pape, lors d'une prochaine catéchèse du mercredi, nous fasse connaître son enseignement sur ce mystère. Il aurait sans doute, en tant que familier des exercices de saint Ignace, des choses intéressantes à dire. Et surtout, une parole prononcée en public, ferait disparaître toutes les perplexités suscitées par un journaliste qui rapporte à sa manière ce que le pape lui a dit en privé »

    A propos de l'enfer, dans l’encyclique « Spe Salvi » (30 novembre 2007), son prédécesseur Benoît XVI écrivait ceci : « Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l'amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l'amour. C'est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent entrevoir de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n'y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable: c'est cela qu'on indique par le mot « enfer ».

    Sans entrer dans des questions un peu vaines de savoir si l’enfer est un lieu ou un état, le pontife régnant pourrait toujours remettre au diapason du grand public les développements que le pape Ratzinger consacrait à cette grave question du mystère de la grâce et de la justice divines. Voici un extrait significatif de cette pensée audacieuse qui ne conteste cependant pas la possibilité de la damnation éternelle ni l'éternité de l'âme :

    « 43. […] La grâce n'exclut pas la justice. Elle ne change pas le tort en droit. Ce n'est pas une éponge qui efface tout, de sorte que tout ce qui s'est fait sur la terre finisse par avoir toujours la même valeur. Par exemple, dans son roman « Les frères Karamazov », Dostoïevski a protesté avec raison contre une telle typologie du ciel et de la grâce. À la fin, au banquet éternel, les méchants ne siégeront pas indistinctement à table à côté des victimes, comme si rien ne s'était passé. Je voudrais sur ce point citer un texte de Platon qui exprime un pressentiment du juste jugement qui, en grande partie, demeure vrai et salutaire, pour le chrétien aussi. Même avec des images mythologiques, qui cependant rendent la vérité avec une claire évidence, il dit qu'à la fin les âmes seront nues devant le juge. Alors ce qu'elles étaient dans l'histoire ne comptera plus, mais seulement ce qu'elles sont en vérité. « Souvent, mettant la main sur le Grand Roi ou sur quelque autre prince ou dynaste, il constate qu'il n'y a pas une seule partie de saine dans son âme, qu'elle est toute lacérée et ulcérée par les parjures et les injustices [...], que tout est déformé par les mensonges et la vanité, et que rien n'y est droit parce qu'elle a vécu hors de la vérité, que la licence enfin, la mollesse, l'orgueil, l'intempérance de sa conduite l'ont rempli de désordre et de laideur: à cette vue, Rhadamante l'envoie aussitôt déchue de ses droits, dans la prison, pour y subir les peines appropriées [...]; quelquefois, il voit une autre âme, qu'il reconnaît comme ayant vécu saintement dans le commerce de la vérité. [...] Il en admire la beauté et l'envoie aux îles des Bienheureux ». Dans la parabole du riche bon vivant et du pauvre Lazare (cf. Lc 16, 19-31), Jésus nous a présenté en avertissement l'image d'une telle âme ravagée par l'arrogance et par l'opulence, qui a créé elle-même un fossé infranchissable entre elle et le pauvre; le fossé de l'enfermement dans les plaisirs matériels; le fossé de l'oubli de l'autre, de l'incapacité d’aimer, qui se transforme maintenant en une soif ardente et désormais irrémédiable. Nous devons relever ici que Jésus dans cette parabole ne parle pas du destin définitif après le Jugement universel, mais il reprend une conception qui se trouve, entre autre, dans le judaïsme ancien, à savoir la conception d'une condition intermédiaire entre mort et résurrection, un état dans lequel la sentence dernière manque encore.

    44.Cette idée vétéro-juive de la condition intermédiaire inclut l'idée que les âmes ne se trouvent pas simplement dans une sorte de détention provisoire, mais subissent déjà une punition, comme le montre la parabole du riche bon vivant, ou au contraire jouissent déjà de formes provisoires de béatitude. Et enfin il y a aussi l'idée que, dans cet état, sont possibles des purifications et des guérisons qui rendent l'âme mûre pour la communion avec Dieu. L'Église primitive a repris ces conceptions, à partir desquelles ensuite, dans l'Église occidentale, s'est développée petit à petit la doctrine du purgatoire. Nous n'avons pas besoin de faire ici un examen des chemins historiques compliqués de ce développement; demandons-nous seulement de quoi il s'agit réellement. Avec la mort, le choix de vie fait par l'homme devient définitif – sa vie est devant le Juge. Son choix, qui au cours de toute sa vie a pris forme, peut avoir diverses caractéristiques. Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l'amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge; des personnes qui ont vécu pour la haine et qui en elles-mêmes ont piétiné l'amour. C'est une perspective terrible, mais certains personnages de notre histoire laissent entrevoir de façon effroyable des profils de ce genre. Dans de semblables individus, il n'y aurait plus rien de remédiable et la destruction du bien serait irrévocable: c'est cela qu'on indique par le mot « enfer ». D'autre part, il peut y avoir des personnes très pures, qui se sont laissées entièrement pénétrer par Dieu et qui, par conséquent, sont totalement ouvertes au prochain – personnes dont la communion avec Dieu oriente dès maintenant l'être tout entier et dont le fait d'aller vers Dieu conduit seulement à l'accomplissement de ce qu'elles sont désormais.

    45. Selon nos expériences, cependant, ni un cas ni l'autre ne sont la normalité dans l'existence humaine. Chez la plupart des hommes – comme nous pouvons le penser – demeure présente au plus profond de leur être une ultime ouverture intérieure pour la vérité, pour l'amour, pour Dieu. Mais, dans les choix concrets de vie, elle est recouverte depuis toujours de nouveaux compromis avec le mal – beaucoup de saleté recouvre la pureté, dont cependant la soif demeure et qui, malgré cela, émerge toujours de nouveau de toute la bassesse et demeure présente dans l'âme. Qu'advient-il de tels individus lorsqu'ils comparaissent devant le juge? Toutes les choses sales qu'ils ont accumulées dans leur vie deviendront-elles d'un coup insignifiantes ? Ou qu'arrivera-t-il d'autre? Dans la Première lettre aux Corinthiens, saint Paul nous donne une idée de l'impact différent du jugement de Dieu sur l'homme selon son état. Il le fait avec des images qui veulent en quelque sorte exprimer l'invisible, sans que nous puissions transformer ces images en concepts – simplement parce que nous ne pouvons pas jeter un regard dans le monde d’au delà de la mort et parce que nous n'en avons aucune expérience. Paul dit avant tout de l'expérience chrétienne qu'elle est construite sur un fondement commun: Jésus Christ. Ce fondement résiste. Si nous sommes demeurés fermes sur ce fondement et que nous avons construit sur lui notre vie, nous savons que ce fondement ne peut plus être enlevé, pas même dans la mort. Puis Paul continue: « On peut poursuivre la construction avec de l'or, de l'argent ou de la belle pierre, avec du bois, de l'herbe ou du chaume, mais l'ouvrage de chacun sera mis en pleine lumière au jour du jugement. Car cette révélation se fera par le feu, et c'est le feu qui permettra d'apprécier la qualité de l'ouvrage de chacun. Si l'ouvrage construit par quelqu'un résiste, celui-là recevra un salaire; s'il est détruit par le feu, il perdra son salaire. Et lui-même sera sauvé, mais comme s'il était passé à travers un feu » (3, 12-15). Dans ce texte, en tout cas, il devient évident que le sauvetage des hommes peut avoir des formes diverses; que certaines choses édifiées peuvent brûler totalement; que pour se sauver il faut traverser soi-même le « feu » afin de devenir définitivement capable de Dieu et de pouvoir prendre place à la table du banquet nuptial éternel.

    46. Certains théologiens récents sont de l'avis que le feu qui brûle et en même temps sauve est le Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La rencontre avec Lui est l'acte décisif du Jugement. Devant son regard s'évanouit toute fausseté. C'est la rencontre avec Lui qui, en nous brûlant, nous transforme et nous libère pour nous faire devenir vraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durant la vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s'écrouler. Mais dans la souffrance de cette rencontre, où l'impur et le malsain de notre être nous apparaissent évidents, se trouve le salut. Le regard du Christ, le battement de son cœur nous guérissent grâce à une transformation assurément douloureuse, comme « par le feu ». Cependant, c'est une heureuse souffrance, dans laquelle le saint pouvoir de son amour nous pénètre comme une flamme, nous permettant à la fin d'être totalement nous-mêmes et par là totalement de Dieu. Ainsi se rend évidente aussi la compénétration de la justice et de la grâce: notre façon de vivre n'est pas insignifiante, mais notre saleté ne nous tache pas éternellement, si du moins nous sommes demeurés tendus vers le Christ, vers la vérité et vers l'amour. En fin de compte, cette saleté a déjà été brûlée dans la Passion du Christ. Au moment du Jugement, nous expérimentons et nous accueillons cette domination de son amour sur tout le mal dans le monde et en nous. La souffrance de l'amour devient notre salut et notre joie. Il est clair que la « durée » de cette brûlure qui transforme, nous ne pouvons la calculer avec les mesures chronométriques de ce monde. Le « moment » transformant de cette rencontre échappe au chronométrage terrestre – c'est le temps du cœur, le temps du « passage » à la communion avec Dieu dans le Corps du Christ. Le Jugement de Dieu est espérance, aussi bien parce qu'il est justice que parce qu'il est grâce. S'il était seulement grâce qui rend insignifiant tout ce qui est terrestre, Dieu resterait pour nous un débiteur de la réponse à la question concernant la justice – question décisive pour nous face à l'histoire et face à Dieu lui-même. S'il était pure justice, il ne pourrait être à la fin pour nous tous qu’un motif de peur. L'incarnation de Dieu dans le Christ a tellement lié l'une à l'autre – justice et grâce – que la justice est établie avec fermeté: nous attendons tous notre salut « dans la crainte de Dieu et en tremblant » (Ph 2, 12). Malgré cela, la grâce nous permet à tous d'espérer et d'aller pleins de confiance à la rencontre du Juge que nous connaissons comme notre « avocat » (parakletos) (cf. 1 Jn 2, 1)[…].

    JPSC

  • Quand Paul Ricoeur évoquait la fin de vie

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    De Jacques Ricot sur le site d'Ouest France :

    POINT DE VUE. Paul Ricoeur et la fin de vie

    Par Jacques Ricot, auteur de « Penser la fin de vie » au Presses de l’EHESP, en 2017.

    Au moment où il mettait la dernière main à l’une de ses œuvres majeures, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Paul Ricoeur a bénéficié de l’assistance du jeune Emmanuel Macron au tournant du siècle dernier.

    Or, c’est exactement à ce moment-là que le philosophe s’est exprimé publiquement sur la question de la fin de vie. J’ignore si ces thèmes ont alors été évoqués avec l’étudiant Macron qui, aujourd’hui devenu Président, cherche à se faire une opinion sur ce délicat problème de société.

    Avec humilité, Ricoeur avait laissé mûrir durant plusieurs années sa pensée avant de livrer son analyse et ses convictions. Il avait rencontré longuement des acteurs des soins palliatifs. J’ai été moi-même le témoin de ses réflexions durant l’été 2000 avant qu’il ne les consigne dans un écrit intitulé Accompagner la vie jusqu’à la mort (1) et ne les réitère en 2001 lors d’une séance organisée par le ministre délégué à la Santé.

    C’est la modestie qu’il revendique face aux positions simplistes et expéditives en demandant : «Sommes-nous au clair avec nos propres désirs de mort pour en parler non seulement avec compétence mais honnêteté?».

    Acharnement ou fausse compassion

    Ricoeur refuse avec clarté toutes les complaisances vis-à-vis de la souffrance, y compris cette falsification du christianisme qui laisserait croire que la douleur est, par elle-même, rédemptrice : la souffrance doit être soulagée par tous les moyens, y compris si cela devait abréger les jours restant à vivre.

    Le philosophe dénonce une figure grimaçante de « faire le bien » : prolonger la vie par un acharnement thérapeutique (désormais mieux nommé «obstination déraisonnable»), ce qu’il commente ainsi : «Mais on peut débusquer le non-dit qui se cache derrière un geste qui ne sait pas s’arrêter. C’est, d’un côté, une sacralisation du simple fait de vivre […]. C’est, d’autre part, tout aussi fondamentalement, la fuite devant la tâche de faire le deuil, le deuil de l’autre et, à l’arrière-plan, le deuil anticipé de sa propre vie.»

    Surgit alors une autre figure erronée de « faire le bien », symétrique de l’acharnement thérapeutique, celle qui consiste à mettre fin aux jours d’une personne dans un geste faussement compatissant.

    La proposition de l’aide active à mourir, selon l’euphémisme en vigueur, apparaît à un moment où la culture moderne promeut «un acte de suprématie par lequel on voudrait éliminer les effets de la passivité et de la vulnérabilité de la condition humaine».

    La responsabilité du législateur

    Cet acte de suprématie par lequel on veut anticiper sa mort, sous le manteau de la maîtrise de son destin, exprime la protestation contre toute situation de dépendance.

    «De la protestation, le pas est vite franchi à la profession d’un droit de mourir dans la dignité, droit que certains voudraient voir sanctionné par la loi au même titre que les autres libertés civiques.»

    Sur la responsabilité du législateur devant l’euthanasie, la conclusion de Ricoeur est sans ambiguïté : «Si l’éthique de détresse est confrontée à des situations où le choix n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire — même alors le législateur ne saurait donner sa caution.»

  • Un joyeux désordre : quand les transhumanistes en font trop

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    De Jean-Marie Le Méné sur le site de l'hebdomadaire "Valeurs Actuelles" :

    Chronique du transhumanisme : un joyeux désordre 

    Les débats de bioéthique devraient opposer transhumanistes et bioconservateurs. Si les premiers se contentaient de transgresser et les seconds de régresser - plus ou moins - les choses seraient simples. Peut-être deviendraient-elles ennuyeuses. On saurait d’avance tout ce qui va se passer. Heureusement, les adversaires sortent parfois de la routine et combattent à fronts renversés, au risque de mettre en difficulté leurs propres camps. C’est un spectacle pimpant qui nous arrache à la monotonie. Comment parvient-on à un si joyeux désordre ?

    Les transhumanistes, au lieu de nous faire rêver, comme on s’y attendrait, se produisent en spectacles qui font plutôt sourire. Avec un grand sérieux, ils nous expliquent qu’à brève échéance plus aucun enfant ne sera conçu à l’ancienne pour la bonne raison que sexualité et reproduction n’ont rien à voir. Soit on récupérera spermatozoïdes et ovules congelés au guichet des banques ad hoc, soit on fabriquera des gamètes d’excellentes qualités à partir de cellules de peau, en laboratoire, sans qu’il soit besoin de solliciter les organes reproducteurs devenus inutiles. Les embryons conçus et sélectionnés sans défaut seront transférés dans des mères porteuses. Grâce au Ciel, la mise au point de l’utérus artificiel permettra de s’affranchir de cette pratique. Ensuite, on songera éventuellement à choisir des « parents », la difficulté étant d’en déterminer le nombre, le sexe et le genre. La gamme sera large, allant de la monoparentalité à la pluriparentalité en passant par l’homoparentalité ou même l’hétéroparentalité. Naturellement, pour être en mesure de rivaliser avec l’intelligence artificielle, les enfants bénéficieront d’implants cérébraux qui augmenteront leurs facultés. Devenus adultes, ils seront immortels puisque la mort sera morte. Le suicide et l’euthanasie deviendront la seule issue à une vie qui n’en finira plus (« L’éternité, c’est long, surtout vers la fin » disait Woody Allen). Une sexualité de musée subsistera pour les nostalgiques de plaisirs surannés. Car l’avenir sera à la cybersexualité qui nous donnera la chance de faire l’amour avec un ordinateur.

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  • Après Vatican II, peut-on jeter l’idéal de chrétienté aux poubelles de l’histoire ?

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    théorie des deux glaives images.jpgDans le bi-mensuel L'Homme Nouveau, l'abbé Claude Barthe revient sur le dernier livre de Rémi Brague et les relations entre l'Eglise et l'Etat. Extrait lu sur le blog du « Salon beige » :

    "[...] il est un point très assuré dans la doctrine de l’Église, qui veut que les représentants du pouvoir civil ne puissent pas davantage se montrer indifférents en matière religieuse que ne le peuvent les parents dans une famille. Rémi Brague parle de la « tentation » que présenta Constantin à l’Église, et à laquelle elle succomba. En réalité, si l’on en croit Aristote, la finalité – naturelle– de la Cité est de conduire les hommes à la vertu, ce qui revient, explique saint Thomas, à les disposer à leur bien surnaturel. D’où l’intérêt d’avoir des gouvernants qui soient chrétiens, et si possible bons chrétiens, saint Louis ou saint Étienne plutôt que Constantin. Ce n’est pas parce que cet idéal dit de chrétienté a été totalement subverti et se trouve, à vue humaine, irréalisable, qu’on peut le jeter aux poubelles de l’histoire. L’ordre du Christ de « baptiser toutes les nations » était traditionnellement compris comme se réalisant lorsque ceux qui sont en charge de la Cité terrestre s’associent au culte chrétien, de la même manière d’ailleurs qu’ont à le faire les parents dans une famille (Pie XII, Mediator Dei). C’est ainsi. Même lorsqu’elle ne peut l’appliquer pleinement, l’Église ne brade pas sa doctrine.

    Mais non-séparation n’a jamais voulu dire confusion, même si les passions des hommes d’Église et des hommes d’État ont engendré bien des abus. Car de même que la grâce se distingue de la nature tout en la transformant, l’Église est autre que la Cité, chacune autonome dans son domaine. Cette autonomie découlant du « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Mt 22, 21) ne pouvant faire oublier que ce qui est à César revient aussi à Dieu, dont César est dans cet ordre-là le représentant (Rm 13, 1). [...]"

    Ref. Ce n’est pas parce que cet idéal de chrétienté se trouve, à vue humaine, irréalisable, qu’on peut le jeter aux poubelles de l’histoire

    Selon la théorie classique des "deux glaives", le pouvoir spirituel de l’Eglise, qui commande et ordonne le bien commun surnaturel, et le pouvoir temporel de la société civile, qui commande et ordonne le bien commun naturel, ne peuvent s’opposer : ils se complètent et doivent s’aider mutuellement, sachant que le pouvoir spirituel prime sur le pouvoir temporel (comme l’explique saint Thomas d’Aquin dans le De Regno). Les deux ont le même objet sous des modalités différentes : le bien des âmes.

    Pie XII, dans une allocution datée du 23 mars 1958 ne disait pas autre chose en déclarant qu’il s’agit de maintenir les deux pouvoirs, spirituel et temporel, « distincts mais toujours aussi unis, selon de justes principes ».

    Quels principes ? A cet égard, Benoît XVI a déclaré dans une lettre au président du sénat italien (à l’occasion du congrès « liberté et laïcité » à Nursie, 14-16 octobre 2005) que « les droits fondamentaux représentent des valeurs antérieures à toute juridiction de l’Etat. Ils n’ont pas été créés par le législateur mais sont inscrits dans la nature même de la personne humaine et peuvent, par conséquent, renvoyer finalement au Créateur ». Bien que le pape ne précise pas davantage quels sont ces droits « fondamentaux », on peut raisonnablement penser qu’il se réfère ici aux principes du Décalogue, lequel énonce concrètement les devoirs et donc, corrélativement, les droits de l’homme révélés par le Seigneur Lui-même.

    Et dans son testament spirituel « Mémoire et Identité » (Flammarion, 2005) saint Jean-Paul II est tout aussi clair : « La loi établie par l’homme a des limites précises que l’on ne peut franchir. Ce sont les limites fixées par la loi naturelle, par laquelle c’est Dieu lui-même qui protège les biens fondamentaux de l’homme »

    JPSC

  • Le point de vue sur Dieu de Hawking n'a pas plus de valeur que celui de n'importe quel bavard de café du commerce

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    De Robert Redeker sur le site du Figaro Vox :

    La postérité de Stephen Hawking, ou les mésaventures de l'athéisme

    FIGAROVOX/TRIBUNE - Robert Redeker répond à ceux qui voient dans l'athéisme de feu Stephen Hawking une preuve scientifique de l'inexistence de Dieu.

    Robert Redeker est agrégé de philosophie. Il est l'auteur de L'éclipse de la mort (éd. Desclée de Brouwer, 2017).

    Stephen Hawking était un astrophysicien d'importance. Il était admiré du grand public, pour des raisons extrascientifiques. Son décès a suscité dans les médias et sur les réseaux sociaux des affirmations aussi dogmatiques que péremptoires concernant l'inexistence de Dieu. Elles peuvent se résumer dans la citation suivante, cueillie sur Twitter: «La mort du grand athée Stephen Hawking nous rappelle que plus on pense et moins on croit». Cette opinion - preuve, outre d'une grande inculture, d'une paresse intellectuelle assez généralisée - est fort partagée.

    La base de cet argument est une forme inconsciente de superstition: si les scientifiques, dont on ne comprend rien aux démonstrations, affirment que Dieu n'existe pas, il faut les croire sur parole. Parce qu'ils sont savants et intelligents, familiers de la vérité. Cet argument prend la forme d'une induction, c'est-à-dire d'un raisonnement s'élevant d'une collection d'exemples particuliers à une conclusion à prétention générale. L'induction est la suivante: de plus en plus de scientifiques sont, au fur et à mesure que la science progresse, athées, donc Dieu n'existe pas. Donc ceux qui continuent de croire sont des inintelligents et des attardés, des demeurés aux deux sens du mot.

    Le point de vue sur Dieu de Hawking n'a pas plus de valeur que celui de n'importe quel bavard de café du commerce.

    Deux fautes de logique gâchent cet argument, qui se termine par un jugement de valeur implicite sur l'infériorité des croyants. D'abord, le point de départ est un dénombrement insuffisant et faillible, imprécis: il existe des scientifiques croyants. Ensuite, la non-croyance en Dieu de savants confirmés n'est pas un résultat scientifique au même titre que leurs démonstrations et calculs. Les calculs d'un astrophysicien sont scientifiques, son opinion sur l'existence de Dieu ne l'est pas, car elle n'est pas le produit des mêmes démarches. L'on n'a aucun droit de présenter cette affirmation de la non-existence de Dieu comme quelque chose de scientifique, donc comme vraie au sens scientifique du terme. Le point de vue sur Dieu de Hawking n'était pas scientifique ; mais n'étant non plus philosophique ou théologique, étant extérieur à toute forme de pensée sérieuse, il n'avait pas plus de valeur que celui de n'importe quel bavard de café du commerce.

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  • Mai 68 a montré l’impossibilité d’instaurer le paradis sur la terre

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    Par Samuel Pruvot avec Clotilde Hamon et Clémence Barral sur le site de Famille Chrétienne :

    Jean-Luc Marion : « Mai 68 a montré l’impossibilité d’instaurer le paradis sur la terre »

    Comment les anciens gauchistes de Mai 68 sont-ils devenus des businessmen ? Pourquoi les agitateurs trotskystes se sont-ils transformés en gardiens du consumérisme ? Pour l’académicien Jean-Luc-Marion, cette évolution n’est pas paradoxale mais complétement logique. Entretien en avant-première du débat avec José Bové sur « les promesses non tenues de Mai 68 » à l’espace Bernanos lundi 19 mars.

    Comment se fait-il que les têtes pensantes de Mai 68 soient devenus cinquante ans plus tard des figures de proue du consumérisme ?

    Je suis d’accord avec José Bové. Cette révolution culturelle était essentiellement une révolution favorable au capitalisme et à la transformation du modèle du citoyen comme travailleur et producteur en un nouveau modèle du citoyen comme consommateur et d’abord de spectacles.

    Mai 68 apparait pourtant à l’époque comme une dangereuse poussée du communisme ? ?

    Mai 68 est une supposée révolution qu’il faut lire à deux niveaux : politique et culturel. Sur le plan politique d’abord, comme l’ont aussitôt interprété l’union de la gauche et le parti gaulliste, c’était une poussée du communisme soviétique plus ou moins volontairement relayée par les mouvements maoïstes et tiers-mondistes, sur fond de guerre du Vietnam. Des courants qui fascinaient, parce que le totalitarisme fascine toujours les petits philosophes qui veulent penser la totalité.

    Cette force supposée révolutionnaire devait être contrée par un sursaut républicain et national. Et c’est ainsi que les choses se sont passées. La révolution politique n’a pas pris. De cette lecture politique il faut tout de même retenir une chose évidente pour les gens qui étaient sur le terrain – c’était mon cas – et qui n’a pas été comprise par les politiques eux-mêmes. Car les politiques ne comprennent pas grand-chose à la politique, et ce n’est pas une surprise !

    De quoi voulez-vous parler ?

    Ils n’ont pas vu que pour la première fois le système soviétique était critiqué par la gauche et l’ultra gauche, mais aussi par une grande partie des syndicats. Et c’est à ce moment-là que s’est mis en place ce qui devait donner, dix ans plus tard, les dissidences dans l’empire soviétique : le ralliement du syndicalisme français aux Solidarnosc. Ce fut le début de la fin de la domination intellectuelle du Parti communiste sur les intellectuels français. Il y a donc eu un aspect très positif de Mai 68 qui a complètement échappé aux protagonistes d’alors.

    Et sur le plan culturel ?

    La France sortait de guerres permanentes. Depuis la Révolution de 1792, le pays était toujours mêlé à un conflit d’une manière ou d’une autre, sans exception. La fin de la guerre d’Algérie a marqué la fin des guerres menées par la France, et donc les Français. La génération de 1968 est la première qui n’a pas été mobilisée. La France découvrit la paix, l’enrichissement et le désir d’abolir toutes les contraintes qui avaient été liées à sa longue militarisation pendant plus d’un siècle et demi. D’où le « il est interdit d’interdire » et autres « jouissons sans entrave », qui comportaient des revendications de liberté sexuelle évidentes, mais pas seulement. Ces slogans traduisaient aussi le refus de l’ascèse nationaliste et politique imposée par l’Etat.

    Refus de l’ascèse religieuse aussi ?

    Il ne faut pas oublier qu’au même moment, il y avait eu le concile Vatican II (achevé en 1965), qui a été reçu comme une « libération » dans l’Eglise (même si cet accueil procède d’un certain contresens, mais ce n’est pas le sujet ici). N’oublions pas non plus le lancement de la pilule contraceptive en 1967.

    Comment ce capitalisme triomphant a-t-il pu être à ce point récupéré par des gens qui se prétendaient maoïstes et communistes ?

    Ceux qui ont mené le mouvement de 68 se sont fait une forme d’éducation métapolitique sur le terrain. Ils ont très tôt appris à maîtriser les rapports de force non institutionnels ou anti-institutionnels et furent rapidement en avance en termes de technique de communication. D’autre part, comme nous l’avons dit, ils avaient perdu leur idéologie totalitaire puisqu’ils ont été les ouvriers de la disparition finale du communisme comme idéal. Ils ont pris le contrôle de la société de consommation quand ils se sont trouvés en position de pouvoir.

    A vos yeux, ce glissement paraît finalement assez logique...

    En effet, il n’y a pas à s’étonner du tout. Je n’ai aucune surprise à retrouver certains de mes camarades engagés de l’école Normale à des postes d’énarques, de politiques et de businessmen… Après tout, ils continuaient à pratiquer le même sport que dans les amphis. A ce moment-là, j’ai moi-même énormément appris en termes de communication sociale et d’éducation idéologico-politique. Je n’ai pas employé cette maîtrise de la même manière, c’est tout.

    Où est passée la mystique de 68 ?

    Je n’ai jamais cru que (comme l’espérait mon ami Clavel) Mai 68 était une révolte de l’esprit ! N’exagérons rien, ce n’était pas du Bernanos ni du Péguy. A travers l’effondrement de l’idéologie marxiste (même s’il en reste encore des lambeaux), je crois au contraire que nous avons assisté à l’écroulement de la grande idée des Lumières, à savoir que la cité de Dieu se ferait sur terre sans Dieu. L’idéal de la cité parfaite s’est effondré. Ce n’est pas sur terre que le royaume de Dieu se constitue. Le progrès spirituel de l’humanité ne vise pas l’amélioration de la cité terrestre, il est suspendu à d’autres ancres dans le Ciel, à savoir « l’eschatologie » dans le sens ancien du terme. Notre société actuellement est une société qui est hantée par la fin du monde.

    Samuel Pruvot avec Clotilde Hamon et Clémence Barral

  • Quand les droits individuels règnent sans partage jusqu'à faire périr l'idée du bien commun

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    Du site du Figaro :

    Pierre Manent : «Les droits individuels règnent sans partage jusqu'à faire périr l'idée du bien commun»

    BONNES FEUILLES - Le Figaro publie en exclusivité de larges extraits du remarquable nouveau livre du philosophe Pierre Manent, La Loi naturelle et les droits de l'homme, qui fera date.


    Disciple de Raymond Aron, dont il fut l'assistant au Collège de France, directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales, Pierre Manent occupe une place éminente dans le paysage intellectuel français. Il a œuvré pour remettre à l'honneur les grands penseurs libéraux du XIXe siècle puis s'est consacré à l'étude des formes politiques - la tribu, la cité, l'empire, la nation - et à l'histoire politique, intellectuelle et religieuse de l'Occident. Plusieurs de ses ouvrages sont des classiques.

    Pierre Manent, « <i>La Loi naturelle et les droits de l'homme</i>», PUF, en librairie le 14 mars.
     

    La doctrine des droits de l'homme, seul principe de légitimité encore accepté dans les pays européens, ôte toute boussole à la vie sociale et à l'art du gouvernement. Telle est la thèse que défend le philosophe Pierre Manent dans son ouvrage. «L'institution n'est plus protégée ni réglée par une loi opposable à l'individu ; celui-ci jouit en revanche d'un droit inconditionnel opposable à l'institution», s'inquiète l'auteur.

    Extraits choisis et présentés par Guillaume Perrault.

    «Qui suis-je pour juger?»

    Quand nous regardons «ailleurs», en direction des «cultures» ou des «civilisations» extérieures à notre aire ou «exotiques» au sens propre du terme, celles qui ont fourni sa matière infiniment diverse à l'ingéniosité des ethnologues et qui continuent d'exciter la curiosité des touristes, nous nous faisons un devoir et un mérite de ne pas les juger, nous nous flattons de ne pas être choqués par les conduites parfois fort choquantes qu'on y observe, et qui trouvent selon nous, ou selon la philosophie qui nous guide, un sens raisonnable, ou acceptable, en tout cas innocent, dans cet ensemble organisé et cohérent qu'est la «culture» considérée. En revanche, quand il s'agit du domaine où nous agissons, où nous sommes citoyens, nous ne laissons pas une pierre à sa place, notre zèle réformateur est infatigable, et implacable la sévérité du jugement que nous portons sur nos arrangements sociaux et moraux qui ont toujours à nos yeux quelque chose d'irrationnel, d'inadmissible et de vicieux. ...

    La suite est en accès payant sur le site du Figaro.

  • Vous êtes nés après la chute du mur de Berlin ? Que cela ne vous fasse pas oublier Soljenitsyne

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    Une tribune d'Hervé Mariton sur le site du Figaro Vox :

    Hervé Mariton : «Jeune homme, jeune fille nés après la chute du mur de Berlin, n'oubliez pas Soljenitsyne !»

    TRIBUNE - 2018 marque le centenaire de la naissance du grand dissident, héraut de la lutte contre le totalitarisme communiste. L'œuvre de ce géant éclaire aussi les maux actuels de l'Occident, juge l'ancien ministre.

    Cette année marque les cent ans de la naissance d'Alexandre Soljenitsyne. Ce seront aussi les dix ans de sa mort, les quarante ans d'un de ses grands textes, le discours de Harvard consacré au déclin du courage dans les pays occidentaux. Ces anniversaires devront souligner l'importance de ce que le grand slaviste Georges Nivat appelle «le phénomène Soljenitsyne», un phénomène littéraire, politique, moral.

    Nous aurons à cœur d'honorer le prix Nobel de littérature (1970), l'homme qui, avec Jean-Paul II, provoqua l'ébranlement du monde soviétique, du bloc communiste. La publication de L'Archipel du Goulagen 1973 eut un retentissement mondial considérable. Et Alexandre Soljenitsyne sut, avec une grande acuité, et parfois une violente sévérité, accuser les défauts de notre monde.

    La France tient dans le phénomène Soljenitsyne une place particulière. C'est à Paris que L'Archipel du Goulag fut publié en russe pour la première fois ; c'est en France qu'il dira avoir été le mieux lu, compris, reçu, sans oublier pour autant la longue complaisance d'une partie des élites politiques et littéraires françaises pour «le pays du socialisme réalisé».

    Cette voix n'est pas entendue aujourd'hui comme elle mérite de l'être. Elle est parfois oubliée - le mur de Berlin est tombé… Cette voix est parfois évitée ...

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  • Comment peut-on être catholique ? Cinq ouvrages apportent leurs réponses...

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    De "Koz" (Erwan le Morhedec) sur son blog : 

    Comment peut-on être catholique ?

    Il y a ceux qui constatent, amers, la chute du nombre de fidèles et ceux qui la célèbrent, ravis, ceux qui annoncent la mort de l’Eglise et tout en même temps dénoncent ses velléités de s’imposer. Ceux qui ne comprennent pas que cela existe encore. Ceux qui ne voient que des cathos fachos, ceux qui ne voient que des cathos gauchos, ceux qui les dénoncent anti-migrants, ceux qui les fustigent pro-migrants, ceux qui font un pari bénédictin, ceux qui font un pari chrétien, ceux qui claquent des bannières et ceux qui passent par derrière.

    Comment peut-on être catholique1 ? Comment peut-on être encore catholique aujourd’hui ? Question de principe et questions d’application. Question d’actualité quand cette rentrée littéraire nous offre, sans même être exhaustif, cinq ouvrages pour souffler un vent frais sur l’Église de nos jours.

    * * * 

    Denis Moreau en fait une question de principe, la question en titre, dans un ouvrage de riante philosophie. Il prend sur lui la charge de la justification. Comment peut-on seulement être catholique ? Et comment un philosophe, qui connaît des mots compliqués et se targue de faire usage de sa raison, peut-il ainsi déraisonner, croire en Dieu et jusqu’en la résurrection des corps ? Comment, pourquoi ? Parce qu’il y a entre autres « quelques bonnes raisons de croire »Alors Denis Moreau se coltine ce qu’il est convenu d’appeler les « preuves de l’existence de Dieu » – mais pour rappeler que « preuve » peut tout aussi bien signifier indice et que ces « preuves » doivent être entendues comme des preambula fidei, ou une « invitation argumentée à la foi ».

    Denis Moreau est catholique non pas en dépit de la philosophie, mais parce qu’il est philosophe.

    Un trait est frappant : de toutes les grandes religions, le christianisme – et spécialement sa branche catholique, dans la mesure où la Réforme s’est en partie affichée comme une réaction critique contre un abus de philosophie – est celle qui, de façon massive et continue, a choisi de se présenter et de se réfléchir dans des catégories reprises à la philosophie telle qu’elle s’était développée en Grèce antique.2

    Que l’on ne s’effarouche pas trop vite en voyant un ouvrage de philosophie. Moi-même, j’ai flippé ma race en y lisant « Spinoza« . Mais Denis Moreau a sué sang et eau pour produire un ouvrage accessible, et même souvent drôle, dans lequel il répond aux objections si fréquentes que sont l’existence du mal, l’angoisse de la mort qui nous motiverait, les fautes de l’Église, l’inefficacité de la prière.

    Un exemple ? Est-ce justement la peur de la mort qui nous conduit à croire ? Peut-être. Et après ? Il y a de bonnes raisons de croire, nous dit-il, que la peur de la mort « amène les êtres humains à mal se conduire », en ce qu’elle serait « à la racine de la cupidité, de la gloutonnerie, de l’orgueil »3.

    Serait-ce alors parce que la foi vient nous apporter une consolation illusoire que nous nous empressons de l’adopter ? Évidemment, Denis Moreau ne se borne pas à la réponse qui suit mais, sur la logique même de l’argument, il objecte que « l’idée que quelque chose doit être répudié parce que cela correspond à notre désir ne va pas de soi » – ainsi du verre d’eau que l’on tendrait à un homme assoiffé : oui, l’idée d’une victoire sur la mort correspond certainement à un désir de l’Homme, mais cela ne suffit pas en soi à ôter tout crédit à la foi.

    C’est ainsi qu’à bien des égards, Denis Moreau nous amène à faire ce pas de côté pour envisager la question sous un angle renouvelé, et ne plus prendre l’objection pour acquise ou angoissante.

    Être catholique, ce n’est pas abdiquer la raison.

    *

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  • L'intelligence artificielle : Terminator au travail ?

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    Du Père Eric Salobir o.p. sur la newsletter "Europeinfos" de la COMECE et du Jesuit European Office :

     

     

     

     

     

     

     

    Intelligence artificielle : Terminator au travail ?

    Jusqu’où l’intelligence artificielle va-t-elle remplacer l’homme ? Va-t-elle l’aider ou en faire un assisté ? Quels modèles de société dessine-t-elle ?

    Pour beaucoup de nos contemporains, l’Intelligence artificielle (en abrégé, I.A.) fait penser à Terminator et cette image dystopique révèle une peur sourde : celle d’être dominés, remplacés, voire anéantis. C’est l’ancestrale peur du loup, mais aussi celle de l’autre, différent et puissant. Cela traduit aussi la conscience que la machine travaille pour l’homme sans relâche ni gratification et qu’un jour, le robot pourrait se libérer de sa servitude.

    Ces cauchemars peuvent détourner notre attention d’enjeux concrets, auxquels ils font pourtant écho : l’utilisation généralisée de l’I.A. va probablement « terminer » un modèle socio-économique et contribuer à l’avènement d’un nouveau. Reste à savoir qui sera éliminé ou remplacé, victime de cette autre forme de Terminator.

    L’intelligence artificielle, Terminator du plein emploi ?

    L’un des lieux de fracture majeurs concerne l’emploi. Certes, E. Brynjolfsson and A. McAfee affirment avec raison que l’homme ne connaîtra pas la même obsolescence que le cheval. Pourtant, les métiers répétitifs sont en cours d’automatisation et la machine se révèle déjà plus habile que l’homme dans de nombreux domaines d’expertise allant de l’interprétation de données à l’organisation. Outre les chauffeurs et manutentionnaires, l’I.A. remplacera donc aussi des radiologues, des analystes et de nombreux managers. Vu la vitesse du phénomène, il est difficile d’imaginer que de nouveaux métiers naîtront assez vite pour les occuper. Il nous faut donc abandonner le rêve d’un plein emploi numérique pour penser, dans les pays les plus développés, une société de la rareté du travail.

    Les domaines où l’homme sera le moins susceptible d’être remplacé par une intelligence artificielle sont ceux impliquant la créativité et une aptitude à la relation humaine. Avec de tels critères d’employabilité, nos économies risquent de devenir plus inégalitaires. Comment, dès lors, préserver le lien social ? Certes, il existera des fonctions simples pour lesquelles l’emploi d’un humain restera plus rentable. C’est actuellement le cas de la manutention dans certains entrepôts de vente par correspondance. Mais c’est un ordinateur qui définit alors en détails les tâches à accomplir. Certaines machines travaillent pour des hommes ; certains hommes travaillent déjà pour des machines.

    En outre, si la perspective de voir disparaître des tâches pénibles est réjouissante, le travail joue un rôle aux différents niveaux de la pyramide de Maslow : il constitue un lieu de socialisation et une source de dignité autant que de revenus. Si le recours généralisé à l’I.A. apporte le développement économique attendu, faut-il que cette manne soit simplement partagée pour permettre à chaque citoyen de rester un consommateur solvable ?

    Une réflexion pourrait être entamée sur la façon de rétribuer des actions socialement utiles pour lesquelles il n’existe pas de modèle économique : sera-t-on un jour payé pour s’occuper de ses enfants, avoir une activité artistique ou visiter ses voisins âgés ? Il faudrait pour cela abandonner la notion de travail, au sens économique du terme, pour celle d’activité. La machine viendrait alors en complément de l’humain, à l’échelle de la société.

    Remplacer ou compléter l’humain ?

    Il serait cependant dommageable que cela se fasse au prix d’une perte de qualification dans des domaines professionnels ou personnels, comme la conduite automobile, les relations sociales ou les choix de vie. Dans un futur proche, nous serons de plus en plus assistés. L’intelligence artificielle va-t-elle rendre l’homme plus ou moins intelligent ? Certains, comme Joi Ito (https://joi.ito.com ) font le pari d’une interaction humain-machine : en développant le concept de society in the loop, le directeur du MIT Média Lab tente de créer un cercle vertueux d’apprentissage réciproque et une collaboration de deux formes d’intelligence. Encore faut-il que cette approche puisse s’imposer dans un contexte souvent régi par une philosophie utilitariste pour laquelle seuls importent les résultats chiffrés.

    Finalement, ces décisions seront entre les mains des propriétaires de l’intelligence artificielle. Or, les ressources nécessaires à son développement sont possédées par un petit nombre d’acteurs privés, essentiellement Nord-Américains. Certains pays d’Asie ont choisi de compenser ce fait par un investissement public massif. Quelles seront les décisions de l’Europe ?

    Eric Salobir o.p.

    Président d’OPTIC

  • Pour que cesse la laideur de l'art contemporain

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    De Jonas Legge sur le site de la Libre (16-12-2017) :

    "La laideur de l'art contemporain doit cesser"

    De son propre aveu, Jean-Pierre De Rycke ne supporte pas le conformisme. Le conservateur du musée des beaux-arts de Tournai pointe dès lors un regard très critique sur les grands noms de l'art contemporain puisqu'ils "ne font que réutiliser les mêmes recettes ringardes, fatiguées depuis des années". Ce Carolo appelle aujourd'hui au "réenchantement de la création".

    Jean-Pierre De Rycke est l'Invité du samedi de LaLibre.be.

    Que reprochez-vous à l'art contemporain ?

    Je ne le rejette pas en bloc mais je suis critique vis-à-vis de ce que je considère comme les dérives de l'art contemporain. Je déplore un recul général de la notion d’esthétique, du beau. On présente par exemple comme une "prouesse esthétique" un tas de vêtements usagés rassemblés par Christian Boltanski pour figurer la Shoah. On achète à prix d'or des parties de cochons tatoués par Wim Delvoye. On s'extasie à Versailles devant une provocation débile faite de gravats de pierre et d'une longue corne métallique, intitulée "Vagin de la Reine" par Anish Kapoor. Depuis quelques décennies, le terme "plasticien" s'est même substitué à celui d'"artiste" pour évacuer cette notion du beau dans la création actuelle.

    Cette notion de beau est subjective, elle n'appartient qu'à celui qui l'exprime. Cet argument est-il valable ?

    Je suis d'accord, cette notion est relative. Etymologiquement, en grec, "esthétique" vient de "perception". L'art n'est pas nécessairement directement lié à la notion de beau mais il doit avant tout susciter de l'émotion, du ressenti. Je ne suis pas tombé au bon endroit au bon moment puisque je suis un idéaliste romantique. Je pense donc que l'art doit sublimer la vie par le fond (en lui donnant du sens) et par la forme (qui doit être soit belle soit expressive). Le savoir-faire, la technique, la prouesse artisanale sont essentiels. Cela peut se traduire par une maîtrise exceptionnelle du dessin ou de la lumière, par l'utilisation savante de la coloration ou par une maîtrise de la matière sculptée.

    L'art sert aussi à exprimer des sentiments torturés, de la contestation. Cela ne peut-il pas passer par la laideur, afin de procurer une certaine sensation ?

    J'admire des artistes comme Otto Dix, George Grosz, Francis Bacon ou Lucian Freud sur un plan purement plastique. Leur traitement de la forme expressionniste est impressionnant, remarquable. Et même si le résultat visible produit de la laideur, il suscite aussi une émotion. La création contemporaine, par contre, est enlaidie par la vulgarité, par son mauvais goût. 

    Les oeuvres esthétiquement plus simples, destinées à susciter la réflexion ne vous touchent pas non plus ?

    Exactement. L'art conceptuel investit un terrain qui appartient plutôt à d'autres domaines de l'expression : la philosophie, la sociologie ou la littérature. On s'approche du domaine des idées et on s'écarte du champ artistique proprement dit.

    Qu'est-ce que ces créations disent de notre société occidentale actuelle ?

    Elles illustrent le relativisme ambiant, elles correspondent à une perte de hiérarchisation, à un étalement des valeurs, à un nivellement où tout se vaut. Dans l'art contemporain, il y a un phénomène d’infantilisation. Jeff Koons, par exemple, avec ses "Balloon Dog", détourne des jouets du quotidien pour les ériger en œuvres d'art. A travers leurs dérives contemporaines, Wim Delvoye et son "Cloaca" (NdlR : reproduction gigantesque du tube digestif qui produit des excréments) ou Jan Fabre et l'exaltation de son sperme ramènent aux états de base de la condition humaine.

    Plutôt que les artistes, ne sont-ce pas plutôt les galeristes et les très riches acheteurs qui sont à pointer du doigt ? Ce sont finalement eux qui dictent ce qu'est l'art contemporain en ne donnant de la visibité qu'à quelques artistes ?

    Effectivement, l'art contemporain est devenu une immense spéculation, une espèce de bulle financière. Certains galeristes font la cote de certains artistes. Des collectionneurs investissent là-dedans comme dans de simples objets de spéculation. Résultat : de nombreux artistes intéressants ne trouvent aucune résonance, aucune visibilité. 

    Quel est votre idéal de création ?

    Je suis un historien de l'art très attaché à la Renaissance italienne et à son humanisme - avec son culte du vrai, du beau, du bien - qui est lui-même relié à la tradition de la Grèce antique. L'humanisme est une conception philosophique qui visait à élever, à spiritualiser la condition humaine, à anoblir la matière, au lieu de l'amener à une forme de nihilisme absurde. De nombreuses manifestations de l'art contemporain reviennent à des considérations on ne peut plus primaires, basiques, voire instinctives. C'est un peu le contraire du processus idéalisant de la Renaissance.

    Si on continuait simplement à créer comme à la Renaissance, on n'innoverait plus, la création tournerait en rond…

    Absolument ! C'est pourquoi il faut inventer autre chose. Quoi ? Je ne sais pas. Comme on vit une époque très lourde, avec beaucoup de noirceur, avec une perte générale de repères, l'époque est propice au réenchantement de la création, à l'émotion positive. Les gens ont besoin de retrouver du rêve, la laideur vers laquelle ils sont renvoyés doit cesser. C'est dans ce sens que l'art pourrait redémarrer.

    Dans votre musée des beaux-arts, vous exposez des oeuvres contemporaines. Vu votre regard critique, n'est-ce pas paradoxal ?

    Non, depuis que je suis conservateur, j'ai toujours eu le souci d'intégrer toutes les formes d'art et toutes les époques, d'une manière globale, afin de faire entrer les oeuvres en résonance, en dialogue. Dans le futur, j'espère réserver une part plus importante à la création contemporaine... mais qui irait dans le sens de ce que j'apprécie davantage.

    Votre point de vue sur l'art contemporain n'est-il pas finalement celui d'un réactionnaire ?

    Je laisse à d'autres le soin de le décréter. On pourrait taxer tous les grands artistes de la Renaissance - dont Leonard De Vinci, Michel-Ange, Raphael, Piero della Francesca - de réactionnaires car ils n'ont jamais rien fait d'autre que de puiser aux sources de l'Antiquité en adaptant ce répertoire aux nouvelles expériences. Leurs oeuvres sont le fruit d'un processus de synthèse entre une tradition et une attitude d'innovation, à travers un esprit d'avant-garde.

  • Quand la devotio moderna découvre la conscience moderne : saint Ignace de Loyola

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    Ignatius_Loyola.jpgA la fin du moyen âge, l’Imitation de Jésus-Christ contribuera à former des hommes qui, un siècle plus tard, seront les chefs de la Réforme catholique, et d’abord du plus grand d’entre eux, saint Ignace de Loyola.

    C’est par lui, grâce à lui surtout, que le courant médiéval de la devotio moderna préparera le croyant des temps du lendemain, moins communautaire que celui du moyen âge, mais plus intérieur, celui qui s’affirmera avec le concile de Trente. A suivre dans ce remarquable échange entre Marc Rastoin sj et François Sureau (JPSC) :