Lu sur le site web du mensuel « La Nef » :
« Benoît XVI, suivi notamment par le cardinal Robert Sarah, invite les deux formes du rite romain à « s’enrichir réciproquement ». De quoi s’agit-il précisément ? Explications.
Dans la Lettre aux évêques qui accompagne le Motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, Benoît XVI estime que « les deux formes d’usage du rite romain peuvent s’enrichir réciproquement ». Dans l’intention du pape, la réintroduction, dans le cadre paroissial, du missel promulgué par saint Jean XXIII, devrait susciter une émulation liturgique de telle sorte que chaque forme intègre certains aspects positifs de l’autre. Dans un message adressé aux organisateurs des dix-huitièmes rencontres liturgiques de Cologne (29 mars-1er avril 2017), le cardinal Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, a repris à son compte ce thème de l’enrichissement mutuel des formes rituelles. Trois questions.
UN OGM LITURGIQUE ?
S’agit-il d’aboutir à une synthèse entre les deux usages liturgiques, espèce de messe « hybride » brillamment préconisée en son temps par l’abbé Bryan Houghton ? À lire attentivement tout ce que le cardinal Ratzinger a écrit sur la question, il semble clair que, pour lui, la liturgie ne se prête pas à ce genre de manipulation génétique ! Quand J. Ratzinger évoquait cette fameuse « réforme de la réforme » lors des « Journées liturgiques » qui se tenaient en l’abbaye de Fontgombault en juillet 2001, il entendait que l’ancien Missel fût maintenu comme « point de référence », « critère », « sémaphore », parce que ce rite est « vénérable » et signifie « l’identité permanente de l’Église ». En se concentrant sur la réforme du Missel de Paul VI, il appert que Benoît XVI s’intéressait avant tout au bien commun de l’Église, c’est-à-dire à la forme ordinaire à laquelle participent habituellement la grande majorité des fidèles.
Est-ce à dire que la forme extraordinaire est intangible ? Ce serait méconnaître profondément l’essence de la liturgie : un corps organique fruit d’un développement continu. Surtout pas une fabrication artificielle à la manière d’une production technique, mais un processus vivant de croissance, hors duquel le rite se fossilise jusqu’à devenir ce « cadavre embaumé » évoqué par Louis Bouyer. En ce sens, on peut bien parler d’un apport mutuel de l’un à l’autre usage liturgique. La condition sine qua non, c’est que les deux formes se côtoient.
Je suis enclin à penser que, pour envisager les choses de façon positive en termes de complémentarité et non de façon dialectique en termes d’opposition, il est souhaitable que les mêmes prêtres célèbrent les deux formes dans un même lieu : la paroisse, puisque le Motu proprio Summorum Pontificum redonne la main aux curés dans cette affaire. Quel dommage qu’une compréhension partielle et unilatérale du sentiment de Benoît XVI sur ce sujet fasse balayer d’un revers de main par des prêtres de certaines communautés Ecclesia Dei ce passage de la Lettre du pape aux évêques : « Évidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. » L’enrichissement réciproque, c’est l’herméneutique de la continuité liturgique !